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Secouer les cadres
L’année passée, SAW‑B fêtait ses vingt-cinq ans. Un anniversaire, c’est bien entendu l’occasion de relire son histoire, de retrouver ses fondateurs, de fêter l’occasion avec ses membres. Mais cet anniversaire nous appelait surtout à interroger notre futur, à penser l’économie sociale des vingt-cinq prochaines années. L’étude proposée dans ce dossier nous incite à chausser « d’autres lunettes ». Inviter des intellectuels et des chercheurs à se saisir de nos pistes prospectives, c’est déjà répondre à l’injonction. Ce n’est pas sans risque. Ils n’ont pas hésité à souligner les contradictions de nos pratiques ou à pointer du doigt les besoins que nous n’avons pas pu rencontrer. Ils nous permettent surtout de réfléchir et nous amèneront sans doute à repenser, à approfondir et à réinventer le sens de nos alternatives.
Ce dossier n’est que le début de la démarche prospective entamée par SAW‑B. Début et pas fin. Début parce que les intellectuels et chercheurs abordés nous proposent leurs visions et leurs questionnements sur les thématiques envisagées et puis, toutes les pistes n’ont pas encore fait l’objet d’analyse, telles la culture, la consommation solidaire, la recomposition du salariat… Ce travail est en cours.
Début aussi, et surtout parce que ces points de vue engagés serviront maintenant à nourrir les débats et les échanges des membres de SAW‑B entre eux d’abord et ensuite avec, et dans la perspective d’alliances fortes et opérationnelles, de nouveaux acteurs qui étayeront et enrichiront nos réflexions et de possibles actions communes.
Les utopies qui animaient les pionniers de la nouvelle économie sociale se sont transformées. Les entrepreneurs alternatifs d’hier se sont installés, ont parfois institutionnalisé leurs fonctionnements, ils gagnent cependant à secouer les cadres. Pour réaffirmer la volonté de rester des leviers de transformation de l’économie qui les anime.
C’est le sens de la contribution de Jacques Defourny et de Jean-Louis Laville qui, ayant revisité avec nous la définition, version belge, de l’économie sociale, esquissent des propositions pour l’enrichir. Assumer une vision résolument plurielle de l’économie sociale et solidaire dont les activités ne sauraient être réduites en des termes marchands ou non marchands. Une économie sociale capable de relever quantité de défis, de la création culturelle aux énergies renouvelables en passant par le commerce équitable. Une économie sociale résolument solidaire puisqu’inscrite dans des pratiques effectives de participation des citoyens. Économie dont les acteurs entendent dépasser le niveau de leurs réalisations pour contribuer aux débats politiques et répondre aux besoins de tous.
Mais la force d’innovation de l’économie sociale passe par une recherche incessante de nouveaux champs d’actions, de nouveaux secteurs d’activités. Pas juste pour le plaisir, mais parce que l’économie sociale ne peut pas se contenter de « faire du neuf avec du vieux » (ce qui est sans doute la devise à succès du recyclage, un des secteurs de l’économie sociale d’aujourd’hui). Notre société bouge, le capitalisme aussi, et les gens ont de nouveaux besoins : aux entrepreneurs sociaux d’en prendre la mesure.
Dans son article, Marthe Nyssens décrit les services de proximité au coeur du quotidien de tous. L’exemple des services d’aide aux personnes développés par un ensemble diversifié d’opérateurs, qu’ils soient marchands ou non-marchands, publics, privés lucratifs ou d’économie sociale montrent à l’envi le potentiel de développement d’activités d’économie sociale de ces services de proximité. Les initiatives existent mais les besoins sont loin d’être tous rencontrés. Et pourtant, l’analyse démontre les atouts de l’économie sociale pour développer ces services : l’implication des usagers, le partenariat entre différents acteurs locaux, la mise en réseau des organisations ou l’ancrage territorial…
Quant à la question des énergies, Yves Marenne envisage une place à prendre pour l’économie sociale : sur le chantier de la rénovation et d’amélioration du bâti existant, dans les logements sociaux. Si l’économie sociale y est active, il y a encore de la marge. De nouvelles activités à taux d’emploi élevé pointent leur nez : pose de panneaux solaires, entretien et maintenance de centrale à cogénération. Il est rassurant de constater que ces niches font aujourd’hui l’objet de l’attention d’entrepreneurs sociaux.
La contribution de Marc Mormont pour une économie sociale rurale qui restaure le lien entre consommateurs et producteurs, les pratiques collectives de la nature et qui remet le travail au centre de la ruralité, incite également les acteurs de l’économie sociale à revoir leurs pratiques avec d’autres : consommateurs, producteurs.
Et si Cory Verbauwhede critique et interroge l’économie sociale qui voudrait remplacer certains services publics, il envisage et appelle l’économie sociale à travailler avec et aux côtés des services publics pour les renforcer. Vers une collaboration d’un nouveau genre entre économie sociale et services publics ? Approcher la question dans ce sens mérite de s’y arrêter.
Andreia Lemaître, Bénédicte Fonteneau et Luiz Inácio Gaiger décrivent et analysent les formes que prend et prendra l’économie sociale et solidaire au Sud. Ils permettent ainsi d’envisager les relations entre acteurs (Nord-Sud, Sud-Sud…) en connaissance de cause et à investir de manière accrue ces solidarités.
Ces regards, ces points de vue préparent le chantier qui s’ouvre pour SAW‑B. Ils seront complétés. Mais surtout discutés. L’étape suivante pour les membres de SAW‑B consiste à débattre de ces propositions, à s’emparer des enjeux soulignés dans ce dossier. Viendra ensuite le temps de tracer des priorités, de définir des plans d’actions et d’aller convaincre de futurs alliés. Les acteurs de l’économie sociale seront alors, peut-être, plus nombreux à occuper le terrain pour sortir « l’autre économie » des « réserves d’indiens », pour élargir, en cercles concentriques, le nombre de convaincus. Il s’agit de démontrer par toujours plus d’exemples, combien, comme Luiz Inácio Gaiger le souligne, « nous avons besoin d’elle telle qu’elle est, c’est-à-dire, de cette économie qui ne s’inquiète pas qu’accessoirement du développement social ou qui ne se montre pas juste tolérante à l’égard des mécanismes compensatoires de distribution des richesses, mais dont la logique intrinsèque et les modes de fonctionnement donnent lieu à et dépendent d’une volonté de coopération et de réciprocité, et qui promeut l’équité et la justice sociale. »