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Secouer les cadres

Numéro 01/2 Janvier-Février 2007 par Marie-Caroline Collard

janvier 2007

L’an­née pas­sée, SAW‑B fêtait ses vingt-cinq ans. Un anni­ver­saire, c’est bien enten­du l’oc­ca­sion de relire son his­toire, de retrou­ver ses fon­da­teurs, de fêter l’oc­ca­sion avec ses membres. Mais cet anni­ver­saire nous appe­lait sur­tout à inter­ro­ger notre futur, à pen­ser l’é­co­no­mie sociale des vingt-cinq pro­chaines années. L’é­tude pro­po­sée dans ce dos­sier nous incite à chaus­ser « d’autres lunettes ». Invi­ter des intel­lec­tuels et des cher­cheurs à se sai­sir de nos pistes pros­pec­tives, c’est déjà répondre à l’in­jonc­tion. Ce n’est pas sans risque. Ils n’ont pas hési­té à sou­li­gner les contra­dic­tions de nos pra­tiques ou à poin­ter du doigt les besoins que nous n’a­vons pas pu ren­con­trer. Ils nous per­mettent sur­tout de réflé­chir et nous amè­ne­ront sans doute à repen­ser, à appro­fon­dir et à réin­ven­ter le sens de nos alternatives.

Ce dos­sier n’est que le début de la démarche pros­pec­tive enta­mée par SAW‑B. Début et pas fin. Début parce que les intel­lec­tuels et cher­cheurs abor­dés nous pro­posent leurs visions et leurs ques­tion­ne­ments sur les thé­ma­tiques envi­sa­gées et puis, toutes les pistes n’ont pas encore fait l’ob­jet d’a­na­lyse, telles la culture, la consom­ma­tion soli­daire, la recom­po­si­tion du sala­riat… Ce tra­vail est en cours.

Début aus­si, et sur­tout parce que ces points de vue enga­gés ser­vi­ront main­te­nant à nour­rir les débats et les échanges des membres de SAW‑B entre eux d’a­bord et ensuite avec, et dans la pers­pec­tive d’al­liances fortes et opé­ra­tion­nelles, de nou­veaux acteurs qui étaye­ront et enri­chi­ront nos réflexions et de pos­sibles actions communes.

Les uto­pies qui ani­maient les pion­niers de la nou­velle éco­no­mie sociale se sont trans­for­mées. Les entre­pre­neurs alter­na­tifs d’hier se sont ins­tal­lés, ont par­fois ins­ti­tu­tion­na­li­sé leurs fonc­tion­ne­ments, ils gagnent cepen­dant à secouer les cadres. Pour réaf­fir­mer la volon­té de res­ter des leviers de trans­for­ma­tion de l’é­co­no­mie qui les anime.

C’est le sens de la contri­bu­tion de Jacques Defour­ny et de Jean-Louis Laville qui, ayant revi­si­té avec nous la défi­ni­tion, ver­sion belge, de l’é­co­no­mie sociale, esquissent des pro­po­si­tions pour l’en­ri­chir. Assu­mer une vision réso­lu­ment plu­rielle de l’é­co­no­mie sociale et soli­daire dont les acti­vi­tés ne sau­raient être réduites en des termes mar­chands ou non mar­chands. Une éco­no­mie sociale capable de rele­ver quan­ti­té de défis, de la créa­tion cultu­relle aux éner­gies renou­ve­lables en pas­sant par le com­merce équi­table. Une éco­no­mie sociale réso­lu­ment soli­daire puis­qu’ins­crite dans des pra­tiques effec­tives de par­ti­ci­pa­tion des citoyens. Éco­no­mie dont les acteurs entendent dépas­ser le niveau de leurs réa­li­sa­tions pour contri­buer aux débats poli­tiques et répondre aux besoins de tous.

Mais la force d’in­no­va­tion de l’é­co­no­mie sociale passe par une recherche inces­sante de nou­veaux champs d’ac­tions, de nou­veaux sec­teurs d’ac­ti­vi­tés. Pas juste pour le plai­sir, mais parce que l’é­co­no­mie sociale ne peut pas se conten­ter de « faire du neuf avec du vieux » (ce qui est sans doute la devise à suc­cès du recy­clage, un des sec­teurs de l’é­co­no­mie sociale d’au­jourd’­hui). Notre socié­té bouge, le capi­ta­lisme aus­si, et les gens ont de nou­veaux besoins : aux entre­pre­neurs sociaux d’en prendre la mesure.

Dans son article, Marthe Nys­sens décrit les ser­vices de proxi­mi­té au coeur du quo­ti­dien de tous. L’exemple des ser­vices d’aide aux per­sonnes déve­lop­pés par un ensemble diver­si­fié d’o­pé­ra­teurs, qu’ils soient mar­chands ou non-mar­chands, publics, pri­vés lucra­tifs ou d’é­co­no­mie sociale montrent à l’en­vi le poten­tiel de déve­lop­pe­ment d’ac­ti­vi­tés d’é­co­no­mie sociale de ces ser­vices de proxi­mi­té. Les ini­tia­tives existent mais les besoins sont loin d’être tous ren­con­trés. Et pour­tant, l’a­na­lyse démontre les atouts de l’é­co­no­mie sociale pour déve­lop­per ces ser­vices : l’im­pli­ca­tion des usa­gers, le par­te­na­riat entre dif­fé­rents acteurs locaux, la mise en réseau des orga­ni­sa­tions ou l’an­crage territorial…

Quant à la ques­tion des éner­gies, Yves Marenne envi­sage une place à prendre pour l’é­co­no­mie sociale : sur le chan­tier de la réno­va­tion et d’a­mé­lio­ra­tion du bâti exis­tant, dans les loge­ments sociaux. Si l’é­co­no­mie sociale y est active, il y a encore de la marge. De nou­velles acti­vi­tés à taux d’emploi éle­vé pointent leur nez : pose de pan­neaux solaires, entre­tien et main­te­nance de cen­trale à cogé­né­ra­tion. Il est ras­su­rant de consta­ter que ces niches font aujourd’­hui l’ob­jet de l’at­ten­tion d’en­tre­pre­neurs sociaux.

La contri­bu­tion de Marc Mor­mont pour une éco­no­mie sociale rurale qui res­taure le lien entre consom­ma­teurs et pro­duc­teurs, les pra­tiques col­lec­tives de la nature et qui remet le tra­vail au centre de la rura­li­té, incite éga­le­ment les acteurs de l’é­co­no­mie sociale à revoir leurs pra­tiques avec d’autres : consom­ma­teurs, producteurs.

Et si Cory Ver­bauw­hede cri­tique et inter­roge l’é­co­no­mie sociale qui vou­drait rem­pla­cer cer­tains ser­vices publics, il envi­sage et appelle l’é­co­no­mie sociale à tra­vailler avec et aux côtés des ser­vices publics pour les ren­for­cer. Vers une col­la­bo­ra­tion d’un nou­veau genre entre éco­no­mie sociale et ser­vices publics ? Appro­cher la ques­tion dans ce sens mérite de s’y arrêter.

Andreia Lemaître, Béné­dicte Fon­te­neau et Luiz Iná­cio Gai­ger décrivent et ana­lysent les formes que prend et pren­dra l’é­co­no­mie sociale et soli­daire au Sud. Ils per­mettent ain­si d’en­vi­sa­ger les rela­tions entre acteurs (Nord-Sud, Sud-Sud…) en connais­sance de cause et à inves­tir de manière accrue ces solidarités.

Ces regards, ces points de vue pré­parent le chan­tier qui s’ouvre pour SAW‑B. Ils seront com­plé­tés. Mais sur­tout dis­cu­tés. L’é­tape sui­vante pour les membres de SAW‑B consiste à débattre de ces pro­po­si­tions, à s’emparer des enjeux sou­li­gnés dans ce dos­sier. Vien­dra ensuite le temps de tra­cer des prio­ri­tés, de défi­nir des plans d’ac­tions et d’al­ler convaincre de futurs alliés. Les acteurs de l’é­co­no­mie sociale seront alors, peut-être, plus nom­breux à occu­per le ter­rain pour sor­tir « l’autre éco­no­mie » des « réserves d’in­diens », pour élar­gir, en cercles concen­triques, le nombre de convain­cus. Il s’a­git de démon­trer par tou­jours plus d’exemples, com­bien, comme Luiz Iná­cio Gai­ger le sou­ligne, « nous avons besoin d’elle telle qu’elle est, c’est-à-dire, de cette éco­no­mie qui ne s’in­quiète pas qu’ac­ces­soi­re­ment du déve­lop­pe­ment social ou qui ne se montre pas juste tolé­rante à l’é­gard des méca­nismes com­pen­sa­toires de dis­tri­bu­tion des richesses, mais dont la logique intrin­sèque et les modes de fonc­tion­ne­ment donnent lieu à et dépendent d’une volon­té de coopé­ra­tion et de réci­pro­ci­té, et qui pro­meut l’é­qui­té et la jus­tice sociale. »

Marie-Caroline Collard


Auteur

Marie-Caroline Collard est directrice de Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises, SAW-B.