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Se retirer dans la dignité

Numéro 4 Avril 2013 par Christophe Mincke

avril 2013

En annon­çant sa démis­sion, Benoît XVI a créé la sur­prise ; notam­ment parce que cet acte le dis­tin­guait de manière frap­pante de son pré­dé­ces­seur dont la lente déchéance mani­fes­ta aux yeux du monde une concep­tion fata­liste de sa charge. Dieu avait vou­lu qu’il accède au pon­ti­fi­cat, qu’il sur­vive à un atten­tat qui aurait dû lui cou­ter la vie, […]

En annon­çant sa démis­sion, Benoît XVI a créé la sur­prise ; notam­ment parce que cet acte le dis­tin­guait de manière frap­pante de son pré­dé­ces­seur dont la lente déchéance mani­fes­ta aux yeux du monde une concep­tion fata­liste de sa charge. Dieu avait vou­lu qu’il accède au pon­ti­fi­cat, qu’il sur­vive à un atten­tat qui aurait dû lui cou­ter la vie, il Lui appar­te­nait, et à Lui seul, de l’en déchar­ger. Certes, les der­niers ins­tants de Jean-Paul II semblent avoir été plus équi­voques puisqu’il fut déci­dé de ne pas (plus) s’acharner à main­te­nir en vie le corps d’un pape usé jusqu’à la corde. Où se situe la liber­té de l’homme, où s’arrête la volon­té divine ? On n’échappe pas faci­le­ment à la question. 

Cette fois, le pape a déci­dé de quit­ter le monde autre­ment : dans la digni­té ; digni­té de l’institution sainte, mais humaine, qu’il dirige, digni­té de l’homme char­gé, un temps, d’être le vicaire du Christ. Il se reti­re­ra donc du monde pour finir sa vie dans un monas­tère, à un jet de pierre de la basi­lique Saint-Pierre. On ne se refait pas. 

L’ex-pape Benoît XVI a donc ain­si clai­re­ment signi­fié sa volon­té de res­ter maitre de son des­tin jusqu’à la fin et de choi­sir sa sor­tie. Ce fai­sant, il conteste que sa charge lui ait été impo­sée par Dieu, ce qui impli­que­rait que seul un miracle indi­quant la volon­té du Sei­gneur ou la mort pour­rait lui signi­fier son congé. Elle a été confiée à ses bons soins, à charge pour lui de la trans­mettre le moment venu. 

De surprenantes déclarations 

La sur­prise fut encore plus grande lorsque l’on enten­dit Benoît XVI confier au monde son tes­ta­ment éthique. Il rom­pait lar­ge­ment avec l’idée de Dieu comme maitre de nos des­ti­nées, jusqu’à un point encore inédit au sein de l’Église. Ain­si, pour ce qui est de la fin de vie, se pro­non­ça-t-il clai­re­ment en faveur de l’admission de l’euthanasie. « La vie est don­née par le Sei­gneur qui, certes, est libre de la reprendre quand Il le désire, mais elle peut aus­si être ren­due par son dépo­si­taire qui se sen­ti­rait prêt à ren­con­trer son Créa­teur ou dési­reux de le faire. La souf­france peut être une épreuve, mais elle peut aus­si perdre tout sens, et ce sens, c’est à l’homme d’en juger. » Voi­là qui n’a pas man­qué de sur­prendre dans la bouche de l’ancien maitre de la Congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi. 

Plus lar­ge­ment, il affir­ma que l’assignation par le Tout-Puis­sant d’une posi­tion ou d’une iden­ti­té n’était que le point de départ d’une vie. Le des­sein divin se limi­te­rait donc à per­mettre à cha­cun de décrire une tra­jec­toire au départ de ce qui lui est don­né. Ain­si, en matière de genre et de morale sexuelle, Benoît XVI affir­ma-t-il qu’il fal­lait consi­dé­rer que la liber­té de l’homme impli­quait celle de prendre en main le don­né ini­tial. Dans le res­pect de la Parole et de l’Amour de Dieu, cha­cun devrait se voir recon­naitre le droit à s’épanouir et à se réa­li­ser au mieux, ce qui impli­quait que l’on puisse déve­lop­per des formes d’amour sor­tant de ce qui est com­mu­né­ment admis. Il s’agirait là d’une forme d’hommage à Dieu par la recon­nais­sance que, plu­tôt que de la ran­cœur et de la frus­tra­tion, de la chair qu’Il a créée, peut émer­ger de l’amour et du bon­heur. Le mot « homo­sexua­li­té » n’est pas uti­li­sé par Benoît XVI, mais cette ques­tion appa­rait de toute évi­dence en filigrane. 

Un pape à contrecourant 

Ce pape qui fut sou­vent qua­li­fié de dog­ma­tique appa­rait main­te­nant à la fois démis­sion­naire et tou­ché par la Grâce. Il se veut aujourd’hui le por­teur d’un mes­sage d’amour et de paix de l’Église avec son peuple et avec le monde. Une Église enfin reve­nue à sa voca­tion uni­ver­selle, selon ses propres mots. 

L’ensemble des vati­ca­nistes a été pris au dépour­vu. Ces posi­tions ont fait l’effet d’une bombe au sein de la com­mu­nau­té catho­lique. Les tenants d’un catho­li­cisme renou­ve­lé ont salué le cou­rage d’un homme qui, au soir de sa vie, s’est mon­tré capable d’une si pro­fonde remise en ques­tion. La presse s’est fait l’écho de l’évolution d’un homme que la vie a pla­cé face aux impli­ca­tions pra­tiques de ses théo­ries, mais qui a été capable de faire évo­luer celles-ci. Lar­ge­ment, la dif­fi­cul­té de la voie adop­tée fut saluée, alors qu’un tra­di­tion­nel « faites ce que je dis, pas ce que je fais » eût été plus simple. 

À l’inverse, les forces conser­va­trices au sein de l’Église ont hur­lé à l’hérésie, mena­çant d’un schisme et appe­lant à l’élection d’un pape fort qui sau­rait remettre la chré­tien­té dans le droit che­min de la tra­di­tion et la parole divine. 

L’Église est donc déchi­rée — à tout le moins, par­ta­gée — entre une ten­dance qui cherche une adé­qua­tion entre le mes­sage chré­tien et les formes actuelles de vie en socié­té et une autre qui pense que le catho­li­cisme doit être un rem­part contre des évo­lu­tions qui ne devront jamais être admises. Rien de bien neuf, en fait. 

Ce qui est frap­pant est plu­tôt l’émergence d’une ten­ta­tive d’intégrer au dogme catho­lique la ques­tion de la liber­té indi­vi­duelle telle qu’elle est aujourd’hui conçue, notam­ment en termes de liber­té d’autodétermination. Par­ti­cu­liè­re­ment remar­quable est le fait que cette évo­lu­tion se pro­duit à un moment où plus per­sonne ne croyait l’Église capable d’un tel aggior­na­men­to, elle qui pour­tant, par le pas­sé, se main­tint au cœur de la socié­té occi­den­tale grâce à de telles évo­lu­tions de son rap­port au monde. 

Moins que jamais, « Dieu le veut » ne semble un argu­ment rece­vable. Jusqu’au som­met de l’Église.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.