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Se rassurer pour être rassurante

Numéro 4 Avril 2013 par Matthieu Burnay Michaël Maira

avril 2013

Conclu­sion

Au lec­teur qui en dou­tait en ouvrant ce dos­sier, les articles qui pré­cèdent démontrent que, depuis la mise en place des poli­tiques d’ouverture et de réformes par Deng Xiao­ping au début des années quatre-vingt, l’idée d’une Chine puis­sante a pro­gres­si­ve­ment quit­té le sta­tut d’hypothèse pour deve­nir aujourd’hui une réa­li­té qui marque les déve­lop­pe­ments éco­no­miques, poli­tiques et sym­bo­liques glo­baux. Dans ce contexte, la ques­tion « does Chi­na mat­ter ? » que posait la revue Forei­gn Affairs en 1999 semble désuète, au regard des sta­tis­tiques et ana­lyses qui actent una­ni­me­ment le réel poids de Pékin sur la scène internationale.

Cette mon­tée en puis­sance de la Chine et son retour à l’avant-plan de l’arène inter­na­tio­nale comptent par­mi les phé­no­mènes les plus remar­quables de ces trente der­nières années et de la période post-guerre froide. La Chine a assu­ré sa (ré-)émergence en tant que puis­sance éco­no­mique et poli­tique se dotant d’une confiance retrou­vée — dans une large mesure — après de nom­breuses années de doutes et d’absence au pre­mier plan de la scène inter­na­tio­nale. Cette réémer­gence de la Chine la conduit à inter­agir avec les dif­fé­rentes régions du monde ; des pays en voie de déve­lop­pe­ment, aux pays émer­gents, en pas­sant par le monde déve­lop­pé. Cette pré­sence crois­sante se tra­duit notam­ment par une mon­tée de l’influence de la Répu­blique popu­laire de Chine (RPC) dans les négo­cia­tions inter­na­tio­nales et plus par­ti­cu­liè­re­ment dans le cadre des orga­ni­sa­tions ou forums inter­na­tio­naux dont la RPC est à pré­sent membre (OMC, ONU, FMI, G‑20, APEC, ASEAN +3, BRICS, etc.). Cette puis­sance chi­noise (re-)trouvée sus­cite autant d’enthousiasme que de craintes dans les chan­cel­le­ries étran­gères. D’aucuns per­çoivent les oppor­tu­ni­tés offertes par son ouver­ture et sa san­té éco­no­mique. D’autres (voire les mêmes) ne sont tou­te­fois pas insen­sibles aux risques que fait peser ce par­te­naire à pré­sent deve­nu incon­tour­nable. Bref, si la (ré-)émergence de la RPC ne fait aucun doute, les cer­ti­tudes se dis­sipent lorsqu’il s’agit de cer­ner les grandes orien­ta­tions de sa poli­tique étrangère.

Ce constat a façon­né la manière dont ce dos­sier a été éla­bo­ré. Chaque auteur a levé un coin du voile sur la (ré-)émergence chi­noise, en déco­dant les (in-)certitudes entou­rant les enjeux clés sus­ci­tés par cette der­nière. En guise d’épilogue, cette der­nière contri­bu­tion s’interroge sur les conclu­sions géné­rales qu’il y a lieu de tirer au départ de ces éclai­rages par­ti­cu­liers. Pre­miè­re­ment, elle sou­ligne la stra­té­gie mise en place par la Chine pour ras­su­rer ses par­te­naires. Une démarche ras­su­rante appa­rait comme indis­pen­sable au main­tien d’un déve­lop­pe­ment chi­nois rapide qui per­met à Pékin de faire entendre sa voix sur la scène inter­na­tio­nale. Deuxiè­me­ment, cet épi­logue revient sur les défis internes qui accom­pagnent l’accession de la Chine au sta­tut de grande puis­sance mon­diale. En effet, ces der­niers appellent à des réponses et équi­libres sub­tils dans le chef des auto­ri­tés de Pékin. De sorte que la manière dont la RPC gère (ou non) l’interaction entre enjeux internes et externes déter­mine le conte­nu de sa poli­tique étran­gère. Troi­siè­me­ment, nous ten­te­rons d’adopter un point de vue plus pros­pec­tif afin de déter­mi­ner quel(s) avenir(s) peut poten­tiel­le­ment nous réser­ver cette (ré-)émergence chi­noise mâti­née de défis internes et externes plus ou moins conséquents.

La Chine : une puissance rassurante ?

La Chine fait face aujourd’hui à une ques­tion cen­trale : com­ment uti­li­ser sa puis­sance (re-) nais­sante ? Une ques­tion qui se pose pour tout État lorsque sa puis­sance lui offre, outre un accrois­se­ment de ses espaces et de ses res­sources, l’opportunité de pro­mou­voir ses valeurs et objec­tifs clés. Nous iden­ti­fions au cœur de la poli­tique étran­gère de la Chine une volon­té de s’assurer que ses par­te­naires déve­loppent une vision posi­tive de son émer­gence. Ce n’est, en effet, qu’en assu­rant le déve­lop­pe­ment de son soft power que la RPC peut assu­rer la dura­bi­li­té et sta­bi­li­té de son sys­tème poli­tique, éco­no­mique et social.

Le concept de soft power a été intro­duit par Joseph Nye dans son ouvrage Bound to Lead : The Chan­ging Nature of Ame­ri­can Power dans lequel il défi­nit le soft power comme étant la capa­ci­té d’obtenir ce que l’on veut via la per­sua­sion et l’attraction plu­tôt que par des moyens de coer­ci­tion ou de paye­ments. Autre­ment dit, le soft power tra­duit en termes de rela­tions inter­na­tio­nales ce que le sex-appeal est à la séduc­tion. Deux argu­ments per­mettent de sou­te­nir que la RPC doit s’attacher à déve­lop­per son soft power.

Pre­miè­re­ment, la RPC a béné­fi­cié, dans une large mesure, des dyna­miques de la glo­ba­li­sa­tion. Depuis le début de la poli­tique d’ouverture et de réformes, c’est en effet la libé­ra­li­sa­tion gra­duelle des échanges com­mer­ciaux qui a per­mis à la Chine d’assurer son déve­lop­pe­ment rapide. Eu égard aux grandes inéga­li­tés au sein du pays, le main­tien d’un déve­lop­pe­ment rapide dans les années à venir conti­nue­ra à consti­tuer la source prin­ci­pale de légi­ti­mi­té du Par­ti com­mu­niste chi­nois (PCC). Ce déve­lop­pe­ment éco­no­mique res­te­ra ain­si for­te­ment faci­li­té, voire même condi­tion­né au pou­voir d’attraction de la RPC auprès des États tiers.

Deuxiè­me­ment, le déve­lop­pe­ment d’un soft power se veut aus­si néces­saire pour que la RPC puisse être recon­nue comme une puis­sance légi­time et acquière une voix qui porte et soit enten­due au sein des dif­fé­rents forums inter­na­tio­naux dont elle est membre. Dans ce contexte, la Chine doit régu­liè­re­ment poser le choix entre légi­ti­mer sa posi­tion au regard de l’ordre inter­na­tio­nal éta­bli — encore très sou­vent sous l’influence des démo­cra­ties libé­rales occi­den­tales — et pro­po­ser une voie alter­na­tive qui se vou­drait attrac­tive pour les autres pays émer­gents ou les pays en voie de développement.

Le soft power chi­nois se décline en dif­fé­rents volets. D’une part, Pékin insiste de façon crois­sante sur l’importance de sa diplo­ma­tie cultu­relle. Celle-ci inclut l’établissement d’instituts Confu­cius à l’étranger, la pro­mo­tion de l’apprentissage de la langue chi­noise ain­si que le déve­lop­pe­ment de dia­logues inter­cul­tu­rels avec ses par­te­naires1. Le but prin­ci­pal étant de créer une cer­taine empa­thie, de pous­ser à la com­pré­hen­sion sans tou­te­fois for­cer à l’adhésion. D’autre part, le soft power chi­nois se décline en un dis­cours diplo­ma­tique qui insiste sur les notions d’(harmonie et de pea­ce­ful deve­lop­ment afin de contre­dire les per­cep­tions d’une soi-disant menace chi­noise. La mul­ti­pli­ca­tion des dia­logues et par­te­na­riats pro­mus par le lea­deur­ship chi­nois, tant au niveau bila­té­ral que mul­ti­la­té­ral, ren­force cette idée d’émergence paci­fique. Enfin, la tra­jec­toire de déve­lop­pe­ment par­ti­cu­lier à la RPC est impres­sion­nante pour de nom­breux pays en voie de déve­lop­pe­ment. Le mode de déve­lop­pe­ment chi­nois se vou­drait être sin­gu­liè­re­ment attrac­tif et consti­tuer une alter­na­tive pour de nom­breux pays qui ne peuvent que remar­quer le suc­cès incon­tes­table du modèle éco­no­mique chi­nois dans la réduc­tion du taux de pauvreté.

Le déve­lop­pe­ment du soft power chi­nois semble néan­moins res­ter un échec. La per­cep­tion de la mon­tée en puis­sance chi­noise reste, en effet, très sou­vent néga­tive. D’une part, un manque fla­grant de com­pré­hen­sion mutuelle entre la Chine et ses par­te­naires pri­vi­lé­giés empêche le déve­lop­pe­ment de liens sin­cères de confiance. La mécon­nais­sance mutuelle reste le pro­blème prin­ci­pal pour Pékin qui peine à faire com­prendre ses inté­rêts et stra­té­gies. D’autre part, des contra­dic­tions fla­grantes entre les actions et le dis­cours de poli­tique étran­gère nuisent à la cré­di­bi­li­té du soft power chi­nois. En témoignent notam­ment l’agressivité crois­sante de la Chine en Asie pour la pro­tec­tion de ses inté­rêts sou­ve­rains ain­si que sa pré­sence gran­dis­sante dans le bas­sin sud du Mékong, le blo­cage des négo­cia­tions au sein du conseil de sécu­ri­té de l’ONU sur la ques­tion syrienne ain­si que l’augmentation des inves­tis­se­ments dans des sec­teurs stra­té­giques. Autant d’enjeux qui ne ras­surent pas les par­te­naires inter­na­tio­naux de la Chine. Ce déca­lage entre dis­cours (soft) et actes (hard) nous pré­sente la Chine en puis­sance comme les autres.

La Chine : une puissance rassurée ?

Afin de se pré­ve­nir d’une vision trop opti­miste qui garan­ti­rait le déve­lop­pe­ment et le suc­cès du siècle chi­nois, il nous appa­rait indis­pen­sable d’évoquer les pro­blèmes sys­té­miques internes aux­quels fait face la socié­té chi­noise. Ces dif­fi­cul­tés ont, en effet, un impact direct sur la capa­ci­té de la Chine d’agir et d’avoir de l’influence sur la scène internationale.

D’une part, la sta­bi­li­té du pou­voir poli­tique et le main­tien du pou­voir du PCC — fort de ses 80 mil­lions de membres — sont condi­tion­nés au main­tien d’une crois­sance éco­no­mique forte et à l’amélioration des équi­libres sociaux. Dans ce contexte, les dif­fé­rentes fac­tions du PCC voient leur pou­voir contraint par la quête d’une légi­ti­mi­té par résul­tats (out­put legi­ti­ma­cy) qui pal­lie autant que faire se peut à l’absence de légi­ti­mi­té démo­cra­tique (input legi­ti­ma­cy) du régime chi­nois. Telle est la teneur du contrat social (qua­li­fié de « man­dat du ciel » dans la tra­di­tion confu­cia­niste) qui assure le lien entre le peuple et ses diri­geants. Des inté­rêts diver­gents au sein du Par­ti com­mu­niste, l’augmentation du mécon­ten­te­ment popu­laire, la néces­si­té d’accroitre la trans­pa­rence du pou­voir confrontent néan­moins ce régime auto­ri­taire à un para­doxe com­plexe : c’est seule­ment en garan­tis­sant la pro­tec­tion des liber­tés indi­vi­duelles et en éta­blis­sant un État de droit que le régime peut aujourd’hui espé­rer garan­tir sa survie.

D’autre part, si le déve­lop­pe­ment éco­no­mique de la Chine pen­dant la période de réformes peut légi­ti­me­ment se tar­guer d’avoir sor­ti de la pau­vre­té des cen­taines de mil­lions de per­sonnes, il est aujourd’hui clair que la tra­jec­toire de déve­lop­pe­ment a engen­dré des dis­pa­ri­tés éco­no­miques de plus en plus accrues. L’existence d’un cli­vage gran­dis­sant entre les zones urbaines et rurales, entre les régions côtières, cen­trales et occi­den­tales se veut aujourd’hui de plus en plus frap­pante. À ces divi­sions géo­gra­phiques viennent se gref­fer les dif­fi­cul­tés de cer­taines mino­ri­tés eth­niques — les plus notables et connues étant pro­ba­ble­ment les Tibé­tains et les Uigurs — à être recon­nues par le modèle socioé­co­no­mique chinois.

À cela s’ajoutent les pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux crois­sants aux­quels le pays fait face. La Chine est deve­nue le pre­mier émet­teur de gaz à effets de serre dans le monde, sur­pas­sant les États-Unis. Le pays compte à pré­sent seize des vingt villes les plus pol­luées dans le monde comme en témoignent les régu­liers records de pics de pol­lu­tion atteints dans les métro­poles chi­noises. Une dépen­dance forte à des sources éner­gé­tiques hau­te­ment pol­luantes (par­ti­cu­liè­re­ment le char­bon), l’élargissement constant du parc auto­mo­bile chi­nois (800.000 nou­velles imma­tri­cu­la­tions pour la seule ville de Pékin en 2010), la pré­sence de petites et moyennes entre­prises hau­te­ment pol­luantes dans de nom­breuses régions ont bien sûr un impact signi­fi­ca­tif sur l’empreinte éco­lo­gique chi­noise. La ques­tion envi­ron­ne­men­tale est ain­si en passe de deve­nir, dans de nom­breuses villes, une ques­tion de san­té publique et de sta­bi­li­té avant d’être un choix poli­tique ou idéo­lo­gique pour un déve­lop­pe­ment durable.

Enfin, il serait dif­fi­cile de men­tion­ner les dif­fi­cul­tés internes sans mettre en avant la cor­rup­tion ram­pante à tous les degrés de l’État. La lutte contre la cor­rup­tion est d’ailleurs deve­nue une des prio­ri­tés du régime qui y voit une menace contre son auto­ri­té et la sta­bi­li­té sociale et poli­tique du pays. Ain­si, le nou­veau secré­taire géné­ral du Par­ti com­mu­niste chi­nois, Xi Jin­ping a argu­men­té, lors de la récente trans­mis­sion de pou­voir : « Nous devons prendre la réso­lu­tion de com­battre tous les phé­no­mènes de cor­rup­tion, de punir tous les offi­ciels cor­rom­pus et d’éradiquer de façon per­ma­nente les sources qui nour­rissent la cor­rup­tion. L’objectif étant de gagner la confiance du peuple grâce à des résul­tats concrets. » L’établissement d’un État de droit aux carac­té­ris­tiques chi­noises — enten­dez sans sépa­ra­tion stricte des pou­voirs — est l’instrument qui tente d’être mis en place aujourd’hui par le régime pour contrer ce phénomène.

Dans ce contexte, la Chine entend mener une poli­tique étran­gère qui prend en consi­dé­ra­tion ses impé­ra­tifs domes­tiques afin de sta­bi­li­ser sa socié­té natio­nale. L’impact de ces dif­fi­cul­tés internes sur la poli­tique étran­gère chi­noise est double. D’une part, l’incertitude poli­tique, par­ti­cu­liè­re­ment à un moment de tran­si­tion poli­tique, pousse le régime à agir avec pru­dence sur des sujets sen­sibles et à refu­ser des chan­ge­ments stricts dans sa poli­tique étran­gère. L’exemple récent de la dis­pute ter­ri­to­riale pour les iles Diaoyu/Senkaku en mer de Chine orien­tale est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant à cet égard. Il témoigne que la fra­gi­li­té poli­tique du pays peut conduire les diri­geants à suivre la mou­vance natio­na­liste afin d’assoir et de pro­té­ger leur pou­voir. Ce qui n’est pas sans risque dans l’environnement de sécu­ri­té sen­sible que connait l’Asie du Nord-Est. D’autre part, l’incertitude et la pré­ca­ri­té éco­no­miques d’une par­tie de la popu­la­tion conduisent la Chine à reven­di­quer son sta­tut de pays en voie de déve­lop­pe­ment dans ses rela­tions exté­rieures. C’est ain­si que la Chine n’entend pas jouer un rôle proac­tif et direc­tif dans la crise finan­cière mon­diale — par exemple, en rééva­luant sa devise le ren­min­bi (RMB). Ce sta­tut de pays en voie de déve­lop­pe­ment contraste avec la volon­té chi­noise d’assoir sa réémer­gence dans l’arène inter­na­tio­nale et l’empêche d’acquérir le pres­tige et l’influence d’une véri­table grande puissance.

La réémergence de la Chine : vers une ouverture des possibles ?

Nous avons démon­tré dans ce dos­sier que la mon­tée en puis­sance de la Chine dans dif­fé­rents domaines est aujourd’hui une réa­li­té. Nous avons aus­si entre­pris d’établir les dif­fi­cul­tés pour la Chine de ras­su­rer ses par­te­naires mais aus­si de se ras­su­rer face à cette émer­gence sans pré­cé­dent. Mais quel(s) futur(s) laisse entre­voir cette (ré-)émergence chi­noise sur la scène internationale ?

Ce futur nous appa­rait comme étant celui de tous les pos­sibles, le meilleur comme le pire. D’une part, cette Chine (ré-)émergente est inti­me­ment liée à ses par­te­naires. Son inter­dé­pen­dance en matière éco­no­mique avec les pays déve­lop­pés (UE, États-Unis, Japon, Corée), mais aus­si en matière éner­gé­tique avec les pays en voie de déve­lop­pe­ment (Afrique, Amé­rique latine), oblige Pékin à agir dans un cadre inter­na­tio­nal et à inté­grer les contraintes qui le struc­turent. Ain­si, ce n’est qu’en res­pec­tant les règles, en col­la­bo­rant avec ses par­te­naires, que la Chine par­vien­dra à garan­tir le main­tien et la dura­bi­li­té de sa réémer­gence. La vio­la­tion de cer­tains droits fon­da­men­taux ou des pra­tiques confi­nant au pro­tec­tion­nisme sou­lignent que la quête néces­saire de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale demeure inache­vée. D’autre part, l’absence d’un modèle de déve­lop­pe­ment poli­tique, éco­no­mique, social et nor­ma­tif cohé­rent témoigne de la pos­si­bi­li­té de réorien­ter le modèle chi­nois. La Chine reste aujourd’hui un pays incer­tain à l’avenir impar­fai­te­ment défi­ni. L’aventure post-maoïste n’a ain­si pas encore ouvert la voie à une réflexion sur la place de l’individu par rap­port au sys­tème. La Chine vit ain­si sa révo­lu­tion indus­trielle sans avoir réel­le­ment vécu ou pen­sé sa révo­lu­tion « huma­niste ». Le pays est tou­jours en quête d’une cohé­rence, de la défi­ni­tion d’un nou­veau contrat social made in Chi­na.

Dans ce contexte, la Chine peut prendre de nom­breuses direc­tions qui dépen­dront aus­si bien du contexte inter­na­tio­nal que de l’évolution de la sta­bi­li­té interne du pays. Cette Chine des pos­sibles consti­tue-t-elle une menace ou une oppor­tu­ni­té ? Il nous semble qu’elle est avant tout une oppor­tu­ni­té aus­si bien pour la Chine que pour ses par­te­naires, par­ti­cu­liè­re­ment l’Union euro­péenne. En effet, l’interdépendance oblige la Chine à res­pec­ter le cadre nor­ma­tif inter­na­tio­nal quand sa puis­sance mon­tante contraint ses par­te­naires à repen­ser l’architecture d’un sys­tème inter­na­tio­nal peu en phase avec l’évolution des équi­libres mon­diaux. Il s’agit là d’une oppor­tu­ni­té unique pour réfor­mer les struc­tures de la gou­ver­nance glo­bale et rendre ces der­nières plus repré­sen­ta­tives de la diver­si­té qui carac­té­rise les rela­tions inter­na­tio­nales contem­po­raines. Une réforme plus néces­saire que jamais à une époque où les enjeux majeurs (ter­ro­risme inter­na­tio­nal, chan­ge­ment cli­ma­tique, crise éco­no­mique et finan­cière) ont une échelle glo­bale et ne peuvent trou­ver une réponse effi­cace que dans la col­la­bo­ra­tion internationale.

La Chine des pos­sibles consti­tue aus­si une menace, mais avant tout une menace pour elle-même. En effet, le XXe siècle a été pour le pays un siècle de rup­tures, notam­ment en rai­son de la mise en place de la poli­tique d’ouverture et de réformes. Ain­si, sans avoir fait table rase de l’héritage poli­tique de la période maoïste — le lea­deur­ship actuel tenant encore sa légi­ti­mi­té des struc­tures de pou­voir éta­blies à la suite de la révo­lu­tion de 1949 —, le pays s’est ouvert au monde et est pro­gres­si­ve­ment confron­té à des par­te­naires défen­dant des prin­cipes et modèles poli­tiques, éco­no­miques ou encore moraux dif­fé­rents. Une telle contra­dic­tion a été jusqu’à pré­sent cana­li­sée et contrô­lée, dans une large mesure, par le régime com­mu­niste. Il est néan­moins cer­tain que les ten­sions géné­rées par cette ouver­ture sont dif­fi­ci­le­ment sou­te­nables à long terme. Ce n’est donc qu’en résol­vant ces ten­sions, en ins­tau­rant de pro­fondes réformes, que la Chine pour­ra assu­rer sa sta­bi­li­té interne, gage d’un com­por­te­ment loyal et pré­vi­sible envers ses par­te­naires internationaux.

  1. Un « people-to-people dia­logue » a ain­si été éta­bli dans les rela­tions entre l’Union euro­péenne et la Chine en 2012. Il consti­tue à pré­sent le troi­sième pilier du par­te­na­riat stratégique.

Matthieu Burnay


Auteur

Michaël Maira


Auteur

Membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle