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Robin des Bois et l’impuissance politique francophone

Numéro 07/8 Juillet-Août 2011 par Lechat Benoît

juillet 2011

On pour­rait se conten­ter d’in­vo­quer la fatigue d’une fin de man­dat pré­si­den­tiel ou le stress pro­duit par de mau­vais son­dages. Mais il faut dépas­ser ces expli­ca­tions — géné­ra­le­ment per­ti­nentes — qui ont été avan­cées par les com­men­ta­teurs poli­tiques pour expli­quer l’en­tê­te­ment de la pré­si­dente du CDH Joëlle Mil­quet à vou­loir remettre en ques­tion le décret « Robin des bois ». Car en […]

On pour­rait se conten­ter d’in­vo­quer la fatigue d’une fin de man­dat pré­si­den­tiel ou le stress pro­duit par de mau­vais son­dages. Mais il faut dépas­ser ces expli­ca­tions — géné­ra­le­ment per­ti­nentes — qui ont été avan­cées par les com­men­ta­teurs poli­tiques pour expli­quer l’en­tê­te­ment de la pré­si­dente du CDH Joëlle Mil­quet à vou­loir remettre en ques­tion le décret « Robin des bois ». Car en l’es­pèce, cette attaque publique d’un accord pour­tant d’ores et déjà voté — ce qui est peu habi­tuel — est avant tout symp­to­ma­tique de la dif­fi­cul­té extrême dans laquelle se trouvent les par­tis fran­co­phones face à la remise en cause de la loi de finan­ce­ment par les négo­cia­teurs fla­mands au niveau fédé­ral. Mais der­rière ce refus com­pré­hen­sible d’une négo­cia­tion du finan­ce­ment des enti­tés fédé­rées qui se sol­de­rait par une réduc­tion de leurs moyens, ne retrouve-t-on pas en réa­li­té une cer­taine inca­pa­ci­té col­lec­tive à remettre en ques­tion un grand nombre de tabous qui règlent le fonc­tion­ne­ment de la socié­té fran­co­phone belge depuis plu­sieurs décennies ?

On ne tran­che­ra pas ici la ques­tion de savoir si ce décret est plus lourd d’ef­fets per­vers que réel­le­ment effi­cace, même si les risques sont patents : stig­ma­ti­sa­tion des écoles sco­la­ri­sant les publics les plus défa­vo­ri­sés, fer­me­ture des autres par une sélec­tion interne accen­tuée, etc. Il était cer­tai­ne­ment plus facile et accep­table d’oc­troyer un peu plus de moyens aux écoles dont les publics sont en dif­fi­cul­té sociale et sco­laire quand toutes les écoles béné­fi­ciaient du refi­nan­ce­ment comme en 2001 : aujourd’­hui, rha­biller les unes implique plus clai­re­ment de désha­biller les autres. On retien­dra sim­ple­ment que des déci­sions bud­gé­taires dif­fi­ciles vont struc­tu­rel­le­ment se mul­ti­plier tout pro­chai­ne­ment, à moins d’i­ma­gi­ner que la remise en cause des méca­nismes de soli­da­ri­té finan­cière que contient le fédé­ra­lisme belge puisse être repous­sée ad vitam aux calendes.

Pour­tant Joëlle Mil­quet — appa­rem­ment sans concer­ta­tion aucune avec les ministres de son par­ti dans les gou­ver­ne­ments de la Com­mu­nau­té fran­çaise et de la Région wal­lonne — a décré­té qu’il y avait des « marges » bud­gé­taires per­met­tant d’é­vi­ter le recours au dis­po­si­tif de redis­tri­bu­tion. Sa sor­tie a aus­si­tôt sus­ci­té de vives réac­tions des autres par­tis de la majo­ri­té. Même les syn­di­cats ensei­gnants avec les­quels une négo­cia­tion par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile était en cours ont expri­mé leur éton­ne­ment. Ne leur avait-on pas seri­né qu’il n’y avait aucune marge pour accor­der les aug­men­ta­tions sala­riales récla­mées par les ensei­gnants ? Quelques jours plus tard, un accord social négo­cié par l’en­semble du gou­ver­ne­ment inté­grait pour­tant de nou­velles mesures, notam­ment de dimi­nu­tion du nombre d’é­lèves par classe et de reva­lo­ri­sa­tion des primes de fin d’an­née de 200 euros. Les marges bud­gé­taires seront ponc­tion­nées sur les moyens qui avaient été pré­vus pour finan­cer la for­ma­tion et l’ac­com­pa­gne­ment des nou­veaux entrants dans la pro­fes­sion. Il n’est pas sûr que cela soit le meilleur signal à envoyer à une com­mu­nau­té édu­ca­tive qui peine à recru­ter de jeunes ensei­gnants et sur­tout à les garder…

Sans jamais l’a­vouer expres­sé­ment, la pos­ture de Mme Mil­quet a pour­tant été jugée — off the record — car­ré­ment irres­pon­sable, au moment où l’en­jeu prin­ci­pal de la négo­cia­tion com­mu­nau­taire en cours est de pré­ser­ver autant que faire se peut les moyens exis­tants des enti­tés fédé­rées fran­co­phones, pré­vus par la loi spé­ciale de finan­ce­ment de jan­vier 1989. Rap­pe­lons que, en 2001, cette der­nière a inté­gré non seule­ment une aug­men­ta­tion des dota­tions (le fameux « refi­nan­ce­ment »), mais en même temps leur sou­mis­sion plus forte au prin­cipe « res­pon­sa­bi­li­sant » de répar­ti­tion en fonc­tion du ren­de­ment de l’im­pôt au détri­ment du prin­cipe « soli­daire » de finan­ce­ment égal sur la base du nombre d’é­lèves. En l’oc­cur­rence, la han­tise non dite de tous les par­tis fran­co­phones est de devoir un jour assu­mer les réajus­te­ments bud­gé­taires qui décou­le­ront auto­ma­ti­que­ment d’un ren­for­ce­ment de l’au­to­no­mie fis­cale et du prin­cipe de « res­pon­sa­bi­li­sa­tion », sans par­ler des trans­ferts de com­pé­tences sans trans­ferts inté­graux des moyens y affé­rant. Les quelque 8 mil­lions d’eu­ros en jeu dans le décret Robin des Bois ne sont que gouttes d’eau à côté des masses bud­gé­taires que les enti­tés fran­co­phones for­te­ment endet­tées, à com­men­cer par la Com­mu­nau­té fran­çaise (rebap­ti­sée fac­ti­ce­ment Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles et à contre-temps, comme l’a jus­te­ment dénon­cé Madame Mil­quet), risquent bien de devoir épar­gner dans les pro­chaines décen­nies. Après avoir fina­le­ment, mais trop tar­di­ve­ment, com­pris et admis l’er­reur his­to­rique qui a consis­té à pré­tendre n’être deman­deurs de rien face à la Flandre, les poli­tiques fran­co­phones vont-ils une nou­velle fois céder, avec l’as­sen­ti­ment de leur propre opi­nion publique, à la ten­ta­tion de l’a­veu­gle­ment col­lec­tif face à l’ur­gence de réformes des struc­tures et de choix bud­gé­taires en Wal­lo­nie et à Bruxelles ? Le désa­veu qui guette nos res­pon­sables est de nature com­pa­rable à celui que subissent ailleurs en Europe les gou­ver­ne­ments grecs ou espa­gnols inca­pables de se sous­traire aux exi­gences de réduc­tion des dépenses publiques qu’ont impo­sées tant leur incu­rie que la dic­ta­ture des mar­chés financiers.

En 1988, après des années de résis­tance, le PSC, alors pré­si­dé par Gérard Deprez, avait fini par accep­ter la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de l’en­sei­gne­ment en échange de l’ins­crip­tion dans la Consti­tu­tion des garan­ties du pacte sco­laire. Long­temps, son par­ti s’y était oppo­sé, en relayant le slo­gan « ni rouge ni pauvre », uti­li­sé par cer­tains repré­sen­tants de l’en­sei­gne­ment libre catho­lique, pour expri­mer leur crainte d’être mino­ri­sé dans un pay­sage sco­laire fran­co­phone encore lar­ge­ment domi­né par l’en­sei­gne­ment offi­ciel. Les bases juri­diques des réseaux ont été un temps pré­ser­vées, on ne pou­vait en dire autant des bud­gets de l’en­sei­gne­ment et de la paix sociale dans les dix ans qui ont suivi.

À un moment où les Wal­lons et les Bruxel­lois ont besoin de remettre à plat l’en­semble de leurs ins­ti­tu­tions, de leurs moyens, comme de leurs poli­tiques, va-t-on retom­ber dans les défenses des prés car­rés ? Ce serait un cal­cul à très courte vue. Car si la réforme de l’É­tat ne doit pas abou­tir à relan­cer sous quelque forme que ce soit les guerres sco­laires ou autres, les fran­co­phones ne peuvent plus repor­ter un débat en pro­fon­deur sur la bonne affec­ta­tion des deniers publics à l’in­té­rieur de toutes les ins­ti­tu­tions fran­co­phones. Un tel débat devra imman­qua­ble­ment por­ter sur la manière la plus mobi­li­sa­trice sur le plan social et démo­cra­tique de faire tom­ber les murs inté­rieurs qui cloi­sonnent encore la socié­té belge francophone.

10 juin 2011

Lechat Benoît


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