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Rien qu’un peu de bonne volonté

Numéro 11 Novembre 2012 par Anathème

décembre 2014

« Qui veut sa croute doit pou­voir la gagner », lui ai-je dit. Il fal­lait qu’il com­prenne : je pou­vais lui don­ner sa pitance pen­dant un moment, par pure bon­té, mais il fal­lait à tout prix évi­ter qu’il compte trop des­sus. Pour son propre bien. Savoir que les cailles lui tom­be­ront rôties dans la bouche lui est néfaste. Il […]

« Qui veut sa croute doit pou­voir la gagner », lui ai-je dit. Il fal­lait qu’il com­prenne : je pou­vais lui don­ner sa pitance pen­dant un moment, par pure bon­té, mais il fal­lait à tout prix évi­ter qu’il compte trop des­sus. Pour son propre bien.

Savoir que les cailles lui tom­be­ront rôties dans la bouche lui est néfaste. Il y va de sa digni­té. Sa nature est-elle donc d’être un assis­té ? Ou est-elle plu­tôt de conser­ver ou de res­tau­rer son auto­no­mie, sa capa­ci­té à rebon­dir, à se tirer des mau­vais pas, à assu­rer lui-même sa survie ?

Il fal­lait qu’il com­prenne, voyez-vous, le main­te­nir sous per­fu­sion n’aurait d’autre résul­tat que de le pri­ver défi­ni­ti­ve­ment de ses capa­ci­tés à agir par lui-même et à s’autodéterminer. Rien n’y fit.

Mais allez lui faire com­prendre ça ! J’ai ten­té d’être plus péda­go­gique : puisqu’on est ce qu’on mange, vou­lait-il vrai­ment être ce que je déci­de­rais qu’il soit en lui four­nis­sant sa nour­ri­ture ? Ou pré­fé­rait-il choi­sir son des­tin, voler de ses propres ailes ? Pas davan­tage de réactions.

Il n’est pour­tant pas dif­fi­cile de com­prendre que le remède peut être pire que le mal et qu’il est de la nature de cha­cun de trou­ver les moyens de s’assumer. Certes, je ne le nie pas, cela peut être dif­fi­cile, mais je n’exigeais pas tout de lui et immé­dia­te­ment. Un signe de bonne volon­té, la preuve qu’il cher­chait à conqué­rir son auto­no­mie auraient pu me suf­fire dans un pre­mier temps. Je ne sou­haite pas le mettre à la rue, mais le gui­der, le coa­cher. Apprendre à se lever de bonne heure, à faire sa toi­lette de manière rai­son­nable, puis à sor­tir à la recherche d’opportunités aurait déjà été un pas dans la bonne direc­tion. Et qu’importe que la chasse soit infruc­tueuse. Pensez-vous !

Il est bien évident que Rome ne s’est pas faite en un jour et que la pre­mière étape est de prou­ver sa bonne volon­té. Je repas­se­rai : il m’a regar­dé de l’œil le plus indif­fé­rent qui soit, comme s’il était sourd. Ou demeu­ré. Ou muré dans la convic­tion que mon des­tin était de le ser­vir et de pré­ve­nir son moindre désir.

Et là, c’en fut trop. Ah il me pre­nait pour la poire de ser­vice ? Eh bien, il allait voir ! Désor­mais, plus de cro­quettes tant qu’il n’aurait pas appor­té la preuve de ses ten­ta­tives de déni­cher quelque proie par lui-même. Ne serait-ce qu’un maigre mulot. Ou un oiseau tom­bé du nid.

Ce chat me ren­dra fou !

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.