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Représenter Waterloo
À Liège, depuis novembre dernier, de la place du Marché, par Féronstrée, jusqu’au Grand Curtius, un parcours Napoléon retrace les évènements marquants des Cent-Jours et de la campagne de Belgique de l’empereur. L’exposition Waterloo au Grand Curtius est accessible gratuitement et un badge à l’effigie de Bonaparte remis au visiteur lui donne aussi l’accès gratuit au […]
À Liège, depuis novembre dernier, de la place du Marché, par Féronstrée, jusqu’au Grand Curtius, un parcours Napoléon retrace les évènements marquants des Cent-Jours et de la campagne de Belgique de l’empereur. L’exposition Waterloo au Grand Curtius est accessible gratuitement et un badge à l’effigie de Bonaparte remis au visiteur lui donne aussi l’accès gratuit au musée des Beaux-Arts, où il admirera le célèbre portrait de Napoléon Bonaparte en premier consul peint par Ingres pour la ville de Liège en 1804. Au Grand Curtius, outre quelques vitrines d’armes et objets d’époque, c’est un grand diorama qui évoque la bataille et nous confronte à la guerre, en miniature.
Jean-Pierre Leclercq a conçu lui-même dans un alliage de plomb et d’étain, les quelque 16.000 figurines de vingt-cinq millimètres peintes, peuplant son diorama de 21 mètres de long sur 5 de large. Ce Français, historien amateur et passionné de figurines, a commencé son diorama de Waterloo en 1987 et ne cesse depuis d’améliorer son œuvre. Elle représente le champ de bataille de la ferme d’Hougoumont à la Papelotte, le cœur de l’action dans cette journée mémorable.
Les dimensions des salles du Curtius ont contraint le collectionneur à scinder son diorama, exposant séparément l’attaque d’Hougoumont puis l’imposante charge de la cavalerie française sur l’infanterie de Wellington formée en carrés, climax spectaculaire de la bataille.
Leclercq s’est inspiré de la mémorable description de cette charge par Victor Hugo dans Les misérables, source majeure de l’imaginaire de la bataille dans la mémoire collective et aussi du panorama peint en 1912 par Louis Dumoulin à l’occasion du centenaire de la bataille, une œuvre énorme, toujours visitée aujourd’hui dans l’édifice circulaire érigé au pied de la butte du Lion. Leclercq aime souligner qu’il n’est pas un nostalgique de Napoléon. Figuriniste talentueux, il est aussi féru d’astronomie et de civilisations précolombiennes. L’intégralité du diorama (28 sur 5 mètres) sera ensuite exposée au musée de la Cavalerie de Saumur du 11 avril au 20 septembre 2015.
Amateur de peinture de batailles, Leclercq associe aussi sa pratique de l’art ancien du diorama de figurines militaires à son intérêt pour les grandes reconstitutions historiques hollywoodiennes. Un des plus grands évènements de l’histoire moderne, Waterloo est aussi un des derniers grands affrontements opposant des armées qui se déploient en ordre de bataille, drapeaux au vent, au son des tambours, et dont les masses compactes de soldats en viennent au face-à-face, se couchent en joue et se mesurent à la baïonnette, corps à corps, dans l’espace somme toute réduit d’un champ de bataille que les généraux en chef peuvent embrasser du regard. Un paysage de la guerre qu’on peut représenter en miniature, dans sa totalité.
En Angleterre, dès 1815, la victoire de Waterloo est l’objet de représentations tant à des fins commerciales que mémorielles. À Londres, le Waterloo Panorama, de Henry Barker est la première d’une série de peintures de la bataille réalisées à l’initiative d’artistes et entrepreneurs privés tout au long du XIXe siècle. Dans les années 1820, Philip Astley organise des reconstitutions « live » de la bataille, impliquant des centaines d’acteurs et figurants avec tirs d’artillerie, charges de cavalerie, etc. Mais la représentation la plus singulière de l’après-Waterloo est certainement le grand diorama conçu à partir de 1830 par un spécialiste du dessin topographique, le lieutenant William Siborne (1797 – 1849)1. Il passe d’abord huit mois sur le terrain à étudier le champ de bataille et écrit aux officiers anglais et alliés, ainsi qu’à l’état-major prussien pour mieux documenter les positions respectives et les mouvements des troupes sur le champ de bataille vers sept heures du soir, lorsque Napoléon joue son vatout et lance son ultime réserve, l’infanterie de la garde impériale, à l’assaut des lignes anglaises.
Retardé dans son œuvre par le manque de financement public, Siborne finit par réaliser un diorama de quelque 40 mètres carrés comptant dans son état d’origine plus de 80.000 figurines de dix millimètres en alliage de plomb et d’argent, toutes minutieusement peintes. Il est finalement exposé à partir d’octobre 1838 à l’Egyptian Hall de Londres. Pendant la construction de sa maquette, Siborne s’est attiré l’hostilité du duc de Wellington. En effet, ses recherches historiques et son diorama remettent en question la version officielle de la bataille établie par les lettres de Wellington. Criblé de dettes et marginalisé par la cabale menée en sous-main par le duc, Siborne sera finalement contraint de retirer de son diorama la masse des figurines représentant les 40.000 Prussiens de Blücher dont l’irruption sur le champ de bataille entraina la défaite française. Après la mort de Siborne, sa grande maquette du champ de bataille entre enfin en 1851 au United Service Museum et est exposée depuis 1971 au National Army Museum. Siborne est aussi l’auteur d’un historique de la campagne de 1815 en France et en Belgique, extrêmement bien documenté, ainsi que d’un « nouveau » diorama de Waterloo, plus petit, figurant la grande charge de la cavalerie anglaise sur le corps d’armée de Drouet d’Erlon et qu’il expose en compagnie de son grand diorama à l’Egyptian Hall pour le trentième anniversaire de la bataille en 1845.
Sorti en salles en mai dernier, Waterloo, l’ultime bataille, du réalisateur Hugues Lanneau, retrace avec brio la dernière campagne de Napoléon et la bataille du 18 juin. Ce docu-fiction belge sur « L’histoire sanglante et humaine de la bataille qui a changé le destin du monde » s’appuie sur les témoignages écrits de combattants, français, anglais et belges, s’intéressant au vécu des soldats en campagne et à leur expérience du champ de bataille, « avec la peur, la souffrance et la mort omniprésente2. » Parallèlement à cette « petite histoire » qui, très vite, plonge le spectateur dans l’horreur, les témoignages d’historiens et de spécialistes des reconstitutions historiques permettent de mieux contextualiser les grandes phases de la bataille et d’élucider certains de ses « mystères ». Comme le souligne le producteur, Willy Perelsztejn : « Depuis le Waterloo de Sergueï Bondartchouk en 1970, il n’existe aucun grand film sur cette bataille qui continue à faire couler tant d’encre et que des milliers de livres racontent dans les moindres détails. Tous les cinq ans à Mont-Saint-Jean, le grand spectacle de reconstitution de la bataille est largement couvert par la presse écrite et télévisée internationale. Waterloo est la bataille dont tout le monde a entendu parler, mais dont peu de gens connaissent l’histoire. C’est en grimpant la butte du Lion avec mes enfants et en leur racontant l’histoire de la bataille que m’est venue l’idée de ce film ! Un film ludique, créatif, et aussi instructif qu’un documentaire, mais avec du suspense, comme dans un thriller ! »
Comme dans Modus operandi (2008), son documentaire sur la Shoah en Belgique, Hugues Lanneau fait un usage novateur des documents visuels d’époque dont il parvient à faire des protagonistes à part entière grâce à la mise en scène, à la photographie et aux effets spéciaux. Mais, c’est par le détour de la fiction que le film exprime le mieux le duel titanesque opposant Bonaparte à Wellington, interprété par deux comédiens bruxellois (Michel Schillaci et Dorian Salkin). Filmés en studio, de part et d’autre d’une grande maquette du champ de bataille, les deux chefs d’armée positionnent leurs troupes et se préparent au combat. Concentrés, ils déplacent avec précision les unités compactes de leurs petits soldats de plomb sur le terrain vallonné de cette fascinante « table de jeu de la guerre ». Le Kriegspiel du 18 juin 1815, finale des guerres napoléoniennes !
Cette trouvaille fascinante de la mise en scène permet d’évoquer l’affrontement décisif entre les deux grands chefs de guerre. Elle inscrit aussi le film dans la filiation avec les grandes traditions de représentation de Waterloo. De fait, ce « docu-thriller » raconte l’histoire de la défaite de Napoléon en s’inventant un univers visuel à partir des principaux modes de représentation de la bataille : peintures et gravures, maquette et figurines, extraits de films historiques et en particulier du Waterloo de Bondartchouk (pour les plans larges du combat et les charges de cavalerie), prises de vues documentaires de la reconstitution de la bataille de Waterloo en juin 2010 et enfin séquences de « fiction » tournées par Lanneau en 2013 avec des « reconstituteurs », habitués à rejouer « l’histoire vivante » des guerres napoléoniennes. S’ajoutant aux procédés classiques du documentaire historique, narration en voix off et interventions de spécialistes de la bataille, cette approche créative d’un sujet à première vue si rabâché, fait de Waterloo, l’ultime bataille un film novateur et captivant, très pédagogique aussi dans son souci de faire comprendre la bataille au grand public et aussi dans sa volonté de la faire voir dans toute sa réalité, tout en se gardant du voyeurisme macabre et de la surenchère de violences armées qui caractérisent trop souvent les films de guerre. La commercialisation en DVD de ce remarquable documentaire belge est annoncée pour début 2015.
- Peter Hofschröer, Wellington’s Smallest Victory : The Duke, the Model Maker and the Secret of Waterloo, Faber and Faber, 2004.
- Une production Les Films de la mémoire et Création et Mémoire, coproduction RTBF, Arte, Bataille de Waterloo 1815 asbl et Wallimage.