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Reniement proportionnel

Numéro 4 - 2017 par Anathème

mai 2017

Les Fran­çais sont des idiots. Voi­là qui est dit, reste à le démon­trer, ce qui ne devrait prendre que quelques lignes, en cette période post et pré­élec­to­rale fran­çaise. À l’heure où nous écri­vons ces lignes, la pré­si­den­tielle s’est ache­vée par la vic­toire presque écla­tante d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen. Le Fran­çais, qui aime à se faire peur, […]

Billet d’humeur

Les Fran­çais sont des idiots.

Voi­là qui est dit, reste à le démon­trer, ce qui ne devrait prendre que quelques lignes, en cette période post et pré­élec­to­rale fran­çaise. À l’heure où nous écri­vons ces lignes, la pré­si­den­tielle s’est ache­vée par la vic­toire presque écla­tante d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen. Le Fran­çais, qui aime à se faire peur, va main­te­nant par monts et par vaux, cla­mant que la démo­cra­tie l’a empor­té, que la bête est morte, que les méchants sont défaits et que le Front natio­nal ne tar­de­ra pas à s’effondrer. Sur le champ de ruines qu’est la poli­tique fran­çaise — un PS à l’agonie, des Répu­bli­cains lami­nés, une gauche radi­cale plus divi­sée que jamais —, le coq gau­lois salue le petit matin bla­fard comme si se levait l’aube d’un monde nou­veau. C’est beau. Par­fois, l’idiotie flatte l’œil.

Nous qui obser­vons le mari­got fran­çais de quelque dis­tance pou­vons, une fois n’est pas cou­tume, nous per­mettre de juger nos voi­sins pour leur bêtise. Il est ain­si un domaine dans lequel nous avons des leçons à leur don­ner : celui de la réac­tion à la mon­tée de l’extrême droite.

Conve­nons-en tout d’abord : le pro­blème de l’extrême droite ne réside pas dans ses idées — qu’elle par­tage désor­mais avec une très large part du spectre poli­tique —, mais dans le fait qu’elle capte des voix qui, de toute éter­ni­té, appar­tiennent à d’autres par­tis. Et, puisqu’elle en vole à tous les mou­ve­ments, elle est un pro­blème pour l’ensemble de l’échiquier poli­tique. On n’aime jamais voir s’assoir à une table, tou­jours trop chi­che­ment gar­nie, un nou­veau convive à l’appétit gar­gan­tuesque. On note­ra qu’En Marche!, le mou­ve­ment d’Emmanuel Macron, pose un pro­blème par­fai­te­ment iden­tique : il est un acteur de plus dans un jeu à somme nulle.

Face à une telle situa­tion, nos voi­sins ont opté pour deux stra­té­gies : la dia­bo­li­sa­tion et le ral­lie­ment. La dia­bo­li­sa­tion semble avoir sur­tout tou­ché le FN, même si une par­tie des par­ti­sans du « ni… ni…» au second tour ten­daient à en étendre le champ jusqu’à Emma­nuel Macron pré­sen­té comme por­teur d’une autre forme de tota­li­ta­risme, celui des mar­chés, ou comme une des causes de la mon­tée de l’extrême droite. Les ral­lie­ments à Macron furent cepen­dant nom­breux, le plus emblé­ma­tique étant celui de Manuel Valls qui, en traitre magni­fique (mais trop voyant, déci­dé­ment), man­gea sa parole et sou­tint la can­di­da­ture du jeune énarque contre celle de son core­li­gion­naire, Benoît Hamon. Sen­tant le vent tour­ner, bien d’autres per­son­na­li­tés de tous bords rejoi­gnirent Macron. Marine Le Pen put, elle, comp­ter sur moins de ral­lie­ments : Chris­tine Bou­tin n’est pas néces­sai­re­ment un cadeau et Nico­las Dupont-Aignant n’apportait que ses 5% de voix du pre­mier tour. De part et d’autre, cepen­dant, on fit preuve d’une admi­rable abné­ga­tion, oubliant ins­tan­ta­né­ment qu’hier encore, on se conspuait d’abondance. D’autres ral­lie­ments à Marine Le Pen eurent lieu, bien plus nom­breux et dis­crets, sous la forme d’emprunts de pans entiers de son pro­gramme ou de sa rhé­to­rique. Y a‑t-il plus bel hom­mage à un créa­teur que de se voir plagié ?

Entre dia­bo­li­sa­tion et ral­lie­ments, les tac­tiques poli­tiques fran­çaises sont res­pon­sables de l’état lamen­table du pay­sage poli­tique hexa­go­nal au len­de­main du second tour. Ain­si Manuel Valls est-il reje­té tant par En Marche!, qui le refuse sur ses listes, que par ses anciens cama­rades qui ont enta­mé une pro­cé­dure d’exclusion du PS. Nico­las Dupont-Aignant, lui, semble avoir per­du ce qui lui res­tait de cré­di­bi­li­té, tan­dis que le FN paraît être au bord de l’explosion. Les ten­sions induites par ces stra­té­gies menacent d’avoir rai­son d’une bonne part de l’échiquier poli­tique hexagonal.

Ah, si seule­ment les Fran­çais, plu­tôt que de s’enfermer dans leur auto­sa­tis­fac­tion cou­tu­mière, s’étaient mon­trés capables de prendre exemple sur notre sagesse ! Disons-le sans plus attendre : la cause de leurs maux est leur atta­che­ment aux scru­tins majo­ri­taires. L’élection du pré­sident de la Répu­blique ne peut être pro­por­tion­nelle, bien enten­du, mais les légis­la­tives qui s’annoncent pro­mettent déjà de voir s’accentuer encore les frac­tures que nous venons de décrire, cela par la faute d’un sys­tème élec­to­ral inadéquat.

Certes, nous ne pou­vons que res­ter per­plexes face à l’obstination répu­bli­caine d’un peuple aus­si pro­fon­dé­ment roya­liste que le peuple fran­çais alors qu’il pour­rait se débar­ras­ser d’un scru­tin délé­tère. Mais, bien plus, nous souf­frons de les voir s’entêter à refu­ser un scru­tin légis­la­tif pro­por­tion­nel qui serait por­teur de la confu­sion dont la France a besoin.

Qu’il suf­fise à nos voi­sins de jeter un œil chez nous. Nous avons dû accueillir de nou­veaux joueurs à la table de la cra­pette démo­cra­tique, mais nous avons su com­po­ser avec eux. C’est ain­si que l’extrême droite fla­mande a réus­si là où Marine Le Pen a échoué : en créant un par­ti por­teur des idées tra­di­tion­nelles des natio­na­listes fla­mands, mais, bien enten­du, par­fai­te­ment fré­quen­table. Le par­ti natio­na­liste dia­bo­lique ori­gi­nel, le Vlaams Belang, est main­te­nu, pour que la dis­tinc­tion soit bien claire, mais ses membres furent accueillis à bras ouverts. La démo­cra­tie est une ques­tion d’étiquette, pas d’engagement per­son­nel, ne l’oublions pas ! Le méca­nisme est dia­ble­ment effi­cace puisque, sans faire de meilleurs résul­tats que le FN fran­çais, la N‑VA est au pou­voir à tous les niveaux.

On voit ain­si que la droite fran­co­phone, qui avait eu quelque hési­ta­tion, s’est rapi­de­ment ren­du compte de la sté­ri­li­té de la dia­bo­li­sa­tion pour céder avec délice à la pro­po­si­tion d’une allé­chante manne de maro­quins minis­té­riels. Le pari de Dupont-Aignant réus­si, voi­là l’exemple que nous vous offrons, amis fran­çais, et, qui plus est, sans néces­si­té de se mettre trop visi­ble­ment au ser­vice de l’adversaire d’hier !

La dis­per­sion des voix, l’absence de second tour et la néces­si­té de coa­li­tions ont pour ver­tu d’éviter les fâcheuses pola­ri­sa­tions fran­çaises et d’épargner à nos édiles l’alternative mor­ti­fère entre le ral­lie­ment et la dia­bo­li­sa­tion. Plus encore, le sys­tème pro­por­tion­nel sup­prime lar­ge­ment l’angoisse d’avoir choi­si le mau­vais camp : on peut choi­sir plu­sieurs camps suc­ces­si­ve­ment et même simultanément.

Il est ain­si pos­sible d’être les meilleurs amis des fas­cistes sans devoir, pour autant, faire un choix défi­ni­tif. Car, ne l’oublions pas, demain, la gauche repren­dra peut-être vigueur et il fau­dra tour­ner casaque. Le risque que la gauche fasse la fine bouche ? Mais il est nul ! Hier encore, la droite tra­vaillait avec elle, main dans la main, pré­pa­rant le ter­rain à la coa­li­tion avec l’extrême droite, semant sur le che­min de celle-ci des pétales de rose.

Ne croyez plus les idiots qui vous parlent de front répu­bli­cain, de valeurs intan­gibles, de cli­vages indé­pas­sables, il est temps de vous rendre à l’évidence : seule la confu­sion, là, est réel­le­ment effi­cace. Et confortable.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.