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Relancer le débat sur le travail, le temps et donc le social

Numéro 4 Avril 2009 par Lechat Benoît

avril 2009

La crise éco­no­mique, la muta­tion éco­lo­gique, le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, ces trois défis ont au moins un point com­mun. Ils nous invitent à réflé­chir à nou­veaux frais à la ques­tion du tra­vail et du temps. Pour une région comme la Wal­lo­nie qui est res­tée constam­ment confron­tée à un impor­tant chô­mage struc­tu­rel, le défi est par­ti­cu­liè­re­ment urgent. Notam­ment parce […]

La crise éco­no­mique, la muta­tion éco­lo­gique, le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, ces trois défis ont au moins un point com­mun. Ils nous invitent à réflé­chir à nou­veaux frais à la ques­tion du tra­vail et du temps. Pour une région comme la Wal­lo­nie qui est res­tée constam­ment confron­tée à un impor­tant chô­mage struc­tu­rel, le défi est par­ti­cu­liè­re­ment urgent. Notam­ment parce qu’il ne fau­drait pas qu’aux recon­ver­sions ratées d’hier, s’a­joutent les recon­ver­sions ratées de demain. Mais d’autres régions euro­péennes sont confron­tées aux mêmes muta­tions et se heurtent aux limites du pro­duc­ti­visme, celles des éco­sys­tèmes comme des êtres humains.

Nous savons en effet que nous allons devoir repen­ser en pro­fon­deur nos modes de vie, c’est-à-dire à la fois nos manières de consom­mer et de pro­duire, mais aus­si de vivre en socié­té, en recon­nais­sance plus forte des liens de dépen­dance que nous entre­te­nons les uns par rap­port aux autres.

Aucun sec­teur de la vie active n’é­chap­pe­ra aux remises en ques­tion. Alors que pour cer­tains, le chô­mage conti­nue d’ap­pa­raître comme une inca­pa­ci­té, voire un refus d’a­dap­ta­tion à la com­pé­ti­tion éco­no­mique que l’on fait sur­tout por­ter par les indi­vi­dus, on voit bien aujourd’­hui que la réces­sion frappe peu ou prou tous les sec­teurs d’ac­ti­vi­té. Nombre de pro­fils de com­pé­tences que l’on pen­sait à l’a­bri du chô­mage, risquent de ne pas y échap­per. Cer­tains sec­teurs, comme l’au­to­mo­bile ou le trans­port aérien sont ou seront dou­ble­ment frap­pés par la crise de sur­pro­duc­tion et par leur inadap­ta­tion aux défis éco­lo­giques. Il faut donc y enta­mer sans attendre une recon­ver­sion qui per­met­tra à leurs tra­vailleurs d’exer­cer leurs com­pé­tences ailleurs, et sin­gu­liè­re­ment dans la réduc­tion aus­si glo­bale que rapide de nos émis­sions de gaz à effet de serre.

Mais autant que l’im­pact envi­ron­ne­men­tal de nos éco­no­mies, ce sont aus­si leurs impacts humains et sociaux qu’il est temps de com­men­cer à inter­ro­ger. Il n’y aurait guère d’in­té­rêt à impo­ser la même pres­sion com­pé­ti­tive sur les tra­vailleurs des sec­teurs émer­gents de l’é­co­no­mie verte que sur, par exemple, les tra­vailleurs de l’au­to­mo­bile où l’on a vu ces der­nières années les taux de sui­cide aug­men­ter d’une manière inquiétante.

Au moment où se pose de manière de plus en plus aiguë la ques­tion du finan­ce­ment de nos sys­tèmes de pen­sion, nous devons notam­ment refaire le lien entre les demandes de départ à la retraite de plus en plus pré­coce et l’é­vo­lu­tion de la qua­li­té du tra­vail. Celle-ci n’est peut-être pas seule­ment une ques­tion de bonnes condi­tions de tra­vail, mais aus­si plus fon­da­men­ta­le­ment, de sens que l’on inves­tit dans son acti­vi­té. Et cette ques­tion, toutes les pro­fes­sions sont aujourd’­hui de plus en plus ame­nées à se la poser, que l’on soit assis­tant social, jour­na­liste, ensei­gnant, méca­ni­cien, agri­cul­teur, maçon, ban­quier ou infor­ma­ti­cien. Car s’il est en effet tout à fait logique de s’in­ter­ro­ger sur la capa­ci­té de nos sys­tèmes de pen­sion à sup­por­ter l’im­pact finan­cier de l’al­lon­ge­ment de l’es­pé­rance de vie, on ne peut se conten­ter de pré­co­ni­ser sans plus un allon­ge­ment de la carrière.

Bien sûr, une par­tie de la réponse à cette ques­tion se trouve du côté du rap­port entre le capi­tal et le tra­vail et du ren­for­ce­ment de la démo­cra­tie éco­no­mique. La mise à mal du com­pro­mis for­diste inter­ve­nue depuis les années sep­tante a struc­tu­rel­le­ment réduit la part des tra­vailleurs dans la pro­duc­tion de richesse. La sécu­ri­té sociale et les pen­sions consti­tuent donc une manière de com­battre ce dés­équi­libre en conser­vant aux tra­vailleurs une part indi­recte des efforts qu’ils ont livrés tout au long de leurs exis­tences de tra­vailleur. Il faut donc ren­for­cer les pre­miers et deuxièmes piliers du sys­tème de pen­sion, et y faire contri­buer les reve­nus finan­ciers. Il faut éga­le­ment que dans les entre­prises, la concer­ta­tion sociale élar­gisse son champ d’ac­tion et puisse réel­le­ment inter­ro­ger la fina­li­té de l’ac­ti­vi­té économique.

Mais nous devons sur­tout recom­men­cer à débattre de l’or­ga­ni­sa­tion du temps de tra­vail et de sa néces­saire réduc­tion, que ce soit sur base volon­taire indi­vi­duelle ou sur base col­lec­tive. Nous devons nous res­sai­sir de ces pistes trop long­temps négli­gées, moins comme des outils pour lut­ter contre le chô­mage, que comme des moyens de repen­ser glo­ba­le­ment l’ar­ti­cu­la­tion entre le tra­vail, le temps et notam­ment le temps que nous avons à consa­crer à nos enga­ge­ments au ser­vice de la col­lec­ti­vi­té, dans et en dehors du tra­vail. À ce titre, aucune réflexion sur le tra­vail, son temps, ses condi­tions, ne peut être dis­jointe d’une réflexion sur son sens et sin­gu­liè­re­ment sur son « sens social », même si l’ex­pres­sion a, indé­nia­ble­ment, encore un petit côté ringard.

Les syn­di­cats ont un rôle fon­da­men­tal à jouer dans ce débat. Ils doivent se repo­ser la ques­tion de savoir si le temps n’est pas venu de don­ner enfin la prio­ri­té à la réduc­tion du temps de tra­vail par rap­port à l’aug­men­ta­tion du pou­voir d’a­chat. En effet, la vraie sub­ver­sion aujourd’­hui n’est-elle pas de s’af­fran­chir d’un rap­port de dépen­dance à la consom­ma­tion et de s’é­man­ci­per de la fic­tion de l’ho­mo eco­no­mi­cus (dont le bien-être est indexé sur la consom­ma­tion) dans laquelle conti­nue de nous main­te­nir la prio­ri­té accor­dée aux aug­men­ta­tions sala­riales, même s’il s’a­git aus­si de réduire la ten­sion sala­riale en ciblant les aug­men­ta­tions sur les reve­nus et allo­ca­tions les plus basses ? Cou­plé à une relance des ser­vices et des infra­struc­tures col­lec­tifs et non mar­chands, ce chan­ge­ment de prio­ri­té forme sans doute la condi­tion de pos­si­bi­li­té d’un vrai virage vers le déve­lop­pe­ment durable.-

Lechat Benoît


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