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Règles et factions au sommet du Parti communiste

Numéro 4 Avril 2013 par Jérôme Doyon

avril 2013

La récente pas­sa­tion de pou­voir au sein du Par­ti montre les avan­cées de l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion de la poli­tique chi­noise. C’est la pre­mière fois qi’une telle tran­si­tion se fait de manière aus­si orga­ni­sée, un évè­ne­ment majeur puisque le nou­veau venu, Xi Jin­ping, est le pre­mier pré­sident à ne pas avoir été sélec­tion­né par les héros de la révo­lu­tion. Ce pro­ces­sus d’institutionnalisation du par­ti com­porte pour­tant ses limites, que l’exclusion de Bo Xilai illustre bien. De nou­veaux cli­vages socio­lo­giques et poli­tiques sont ain­si mis en lumière au centre du pou­voir chi­nois, et leur décryp­tage n’est encore que dans l’enfance de l’art.

Le XVIIIe congrès du Par­ti com­mu­niste chi­nois (PCC) qui s’est tenu à Pékin en novembre2012 a mar­qué l’avènement au pou­voir d’une cin­quième géné­ra­tion de diri­geants de la Répu­blique popu­laire de Chine, avec à sa tête Xi Jin­ping et Li Keqiang. Le PCC montre une nou­velle fois sa capa­ci­té à garan­tir une trans­mis­sion de pou­voirs rela­ti­ve­ment paci­fiée et ins­ti­tu­tion­na­li­sée. Le renou­vè­le­ment du corps diri­geant est une des pré­oc­cu­pa­tions prin­ci­pales du par­ti depuis la mort de Mao et les réformes éco­no­miques des années 1980. Le par­ti avait alors besoin de mettre en place des ins­ti­tu­tions qui per­met­taient de recru­ter des cadres ayant les com­pé­tences requises pour mettre en œuvre les réformes, et qui garan­tis­saient un rem­pla­ce­ment paci­fique des anciennes géné­ra­tions ayant connu la guerre civile. Les nou­velles géné­ra­tions, à com­men­cer par Jiang Zemin, ne pou­vaient s’appuyer sur l’aura que confère l’expérience révo­lu­tion­naire et devait ain­si déve­lop­per des formes ins­ti­tu­tion­na­li­sées de légitimation.

Le XVIIIe congrès confirme ce chan­ge­ment géné­ra­tion­nel et les pro­grès faits dans l’institutionnalisation de la trans­mis­sion de pou­voir. Alors que Jiang Zemin et Hu Jin­tao avaient été pré­sé­lec­tion­nés par Deng Xiao­ping, Xi Jin­ping est le pre­mier secré­taire géné­ral du PCC à ne pas avoir été dési­gné par les diri­geants issus de la guerre civile. De plus, les repré­sen­tants de la sixième géné­ra­tion de diri­geants ont été nom­més au bureau poli­tique du PCC : Sun Zheng­cai et Hu Chun­hua, tous deux âgés de qua­rante-neuf ans. Ils n’ont connu la Révo­lu­tion cultu­relle qu’enfants et pour­raient ame­ner un nou­veau style de direc­tion en 2022.

Nous allons reve­nir sur les trans­for­ma­tions qui ont eu lieu au som­met du PCC depuis les années 1980, ce que Cheng Li décrit comme « le plus rapide et mas­sif chan­ge­ment d’élites poli­tiques au sein d’un régime dans l’histoire de l’humanité1 ». Nous pour­rons ain­si mettre en lumière les règles ins­ti­tu­tion­nelles et frac­tures socio­lo­giques qui défi­nissent la direc­tion du PCC, la plus grande orga­ni­sa­tion poli­tique au monde avec 83 mil­lions de membres.

La « quasi-institutionnalisation » de la politique chinoise après Deng Xiaoping

En l’absence de méca­nismes démo­cra­tiques, pas­ser le pou­voir d’une géné­ra­tion de diri­geants à une autre est un des pro­blèmes fon­da­men­taux des régimes auto­ri­taires, et beau­coup dis­pa­raissent faute d’y par­ve­nir. Par sou­ci de pré­ser­ver le régime et de déve­lop­per des sou­tiens face aux vieux cadres révo­lu­tion­naires, Deng Xiao­ping a favo­ri­sé l’entrée de cadres jeunes et édu­qués en fai­sant évo­luer les cri­tères de recru­te­ment et pro­mo­tion. En 1980, il lance un appel en faveur des « quatre trans­for­ma­tions » (sihua), le corps des cadres devait être trans­for­mé par la pro­mo­tion d’individus à la fois « révo­lu­tion­naires, jeunes, édu­qués et ayant une spé­cia­li­sa­tion tech­nique ». L’idée était d’attirer des cadres à la fois « rouges » et « experts ». Dans le cou­rant de la décen­nie, le PCC a alors impo­sé de nou­veaux stan­dards, par exemple la moi­tié des nou­velles recrues chaque année devaient être âgées de moins de trente-cinq ans.

Ces trans­for­ma­tions à l’échelle du par­ti ont per­mis une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion des tran­si­tions de pou­voir et un chan­ge­ment géné­ra­tion­nel au som­met après le départ pro­gres­sif de Deng Xiao­ping entre1987 et1992. L’abolition en 1992 de la Com­mis­sion cen­trale de conseil est sym­bo­lique de cette tran­si­tion. Elle ras­sem­blait les « huit immor­tels », des diri­geants révo­lu­tion­naires qui, avec Deng Xiao­ping à leur tête, conser­vaient le cœur du pou­voir au som­met du PCC. Fina­le­ment, il est iro­nique de pen­ser que, dans la période post-Tia­nan­men, les efforts de Deng Xiao­ping aient été fon­da­men­taux pour la moder­ni­sa­tion du PCC alors que lui-même opé­rait lar­ge­ment en dehors des ins­ti­tu­tions et conser­vait énor­mé­ment de pou­voir après son départ offi­ciel en 1987.

La mise en place de voies de sortie et le renouvèlement régulier de l’équipe dirigeante

Une étape fon­da­men­tale dans le déve­lop­pe­ment de règles per­met­tant une pas­sa­tion paci­fique de pou­voirs est l’institutionnalisation de voies de sor­tie pour les anciens cadres. Alors que pou­voir à vie ou purge étaient la règle sous Mao, des méca­nismes de mise à la retraite des cadres se déve­loppent dans les années 1980. Ce n’est tou­te­fois qu’en 1997 qu’une limite d’âge claire est fixée pour les membres du bureau poli­tique. D’abord de sep­tante ans, elle est rame­née à soixante-huit ans en 2002. Le jeu sur les limites d’âge et sa mise en appli­ca­tion res­tent alors très poli­ti­sés. Jiang Zemin aurait sou­te­nu une baisse de la limite d’âge à soixante-huit au XVIe congrès du par­ti afin de for­cer Li Rui­huan, alors pré­sident de la Confé­rence consul­ta­tive poli­tique du peuple chi­nois, à prendre sa retraite. Jiang lui-même a par ailleurs bafoué la règle en res­tant à la tête de la Com­mis­sion mili­taire cen­trale jusqu’à ses sep­tante-six ans. La mise en place de la règle des soixante-huit ans a alors pris du temps mais elle est res­pec­tée au XVIIIe congrès.

La mise en place de règles de sor­tie per­met alors un renou­vè­le­ment régu­lier et orga­ni­sé des diri­geants de l’État-Parti. Depuis 1977, les congrès du PCC se tiennent tous les cinq ans, comme l’impose la consti­tu­tion du par­ti. Des rema­nie­ments par­tiels du Bureau poli­tique, et de son Comi­té per­ma­nent, qui inclut la poi­gnée de diri­geants les plus impor­tants, se font à chaque congrès, et les véri­tables pas­sa­tions de pou­voir tous les dix ans. À cette occa­sion, l’équipe diri­geante est renou­ve­lée et un nou­veau secré­taire géné­ral est nom­mé. Le secré­taire géné­ral est désor­mais com­plè­te­ment inté­gré à la direc­tion col­lec­tive, il n’est plus au-des­sus des règles ins­ti­tu­tion­nelles comme l’étaient Mao ou Deng. Une ascen­sion gra­duelle du futur « numé­ro un » s’est d’ailleurs pro­gres­si­ve­ment ins­tau­rée. Hu Jin­tao et Xi Jin­ping ont ain­si sui­vi des tra­jec­toires simi­laires : dix ans avant de mon­ter au som­met, l’aspirant devient membre du Bureau poli­tique, et ensuite du Comi­té per­ma­nent. Il obtient par la suite la vice-pré­si­dence de l’État, la vice-pré­si­dence de la Com­mis­sion mili­taire cen­trale, la pré­si­dence de l’école cen­trale du par­ti, et enfin la direc­tion du secré­ta­riat du Comi­té cen­tral. À ce congrès, il devient secré­taire géné­ral du Par­ti et obtient théo­ri­que­ment dans la fou­lée la pré­si­dence de la Répu­blique et celle de la Com­mis­sion mili­taire cen­trale. Ce sché­ma devrait à prio­ri se repro­duire d’ici 2022 avec Hu Chun­hua ou Sun Zheng­cai qui viennent d’être pro­mus au Bureau poli­tique du PCC. Ce pro­ces­sus gra­duel per­met d’évaluer et de for­mer les futurs diri­geants et, si besoin est, de mettre d’autres per­son­na­li­tés en avant.

C’est cepen­dant la pre­mière fois avec Xi Jin­ping que les évè­ne­ments s’enchainent de manière aus­si fluide. Alors que le pas­sage de Jiang Zemin à Hu Jin­tao en 2002 consti­tuait la pre­mière tran­si­tion sans purge depuis la fon­da­tion de la Répu­blique popu­laire en 1949, Jiang avait conser­vé la pré­si­dence de la Com­mis­sion mili­taire cen­trale. Ce poste est capi­tal car il garan­tit le contrôle de l’armée. Or en 2012, Hu Jin­tao a quit­té la Com­mis­sion mili­taire cen­trale en même temps que la direc­tion du PCC, pre­nant à prio­ri une pre­mière « retraite nue » (luo tui), Xi Jin­ping devant héri­ter de la pré­si­dence de la Répu­blique en mars. Ceci est d’autant plus impor­tant, que Xi n’a pas été pré­sé­lec­tion­né par Deng Xiao­ping comme le fut son prédécesseur.

Les limites de l’institutionnalisation et de la démocratie interne au Parti

Pour aller plus loin dans l’institutionnalisation des pas­sa­tions de pou­voir, des pro­cé­dés de « démo­cra­tie interne au par­ti » se déve­loppent. D’abord déve­lop­pée au niveau local, la pra­tique des « recom­man­da­tions démo­cra­tiques » par les cadres du par­ti a été uti­li­sée dans la sélec­tion de membres du Comi­té cen­tral du PCC et du Bureau poli­tique depuis 2007. Tou­te­fois la por­tée de ces pra­tiques est encore dif­fi­cile à cer­ner, de même que leurs impli­ca­tions réelles dans la sélec­tion des prin­ci­paux diri­geants. De nom­breuses études montrent en effet les limites de l’institutionnalisation de la poli­tique chi­noise et le rôle que jouent encore les liens infor­mels et factionnels.

Les déci­sions prises aux moments de tran­si­tion de pou­voir res­tent par­ti­cu­liè­re­ment opaques et peuvent ain­si être lues de manière très variée. La consti­tu­tion en novembre2012 de l’actuel Comi­té per­ma­nent du Bureau poli­tique, reflète l’ambivalence constante en pra­tiques poli­tiques for­melles et infor­melles. À pre­mière vue, la sélec­tion des membres du Comi­té per­ma­nent au-delà de Xi Jin­ping et Li Keqiang reflète une appli­ca­tion rigide de la règle de l’ancienneté : les membres du Bureau poli­tique qui ont été pro­mus sont ain­si ceux qui avaient le plus d’expérience, tout en étant dans la limite d’âge requise pour le poste. Cela semble être un exemple par­fait de l’institutionnalisation de la suc­ces­sion au som­met du PCC. Tou­te­fois, les jeux fac­tion­nels sont tou­jours omni­pré­sents. Le Comi­té per­ma­nent a en paral­lèle été réduit de neuf à sept membres lors du XVIIIe Congrès. Si un groupe res­treint est plus effi­cace pour prendre des déci­sions, ce chan­ge­ment serait plu­tôt le résul­tat de l’influence de Jiang Zemin, qui vou­lait garan­tir une plus grande marge de manœuvre à ses alliés au sein du Comi­té per­ma­nent en limi­tant l’entrée des par­ti­sans de Hu Jin­tao, plus jeunes en moyenne. Le pou­voir de négo­cia­tion de Hu Jin­tao aurait été mis à mal par la cou­ver­ture d’un acci­dent de voi­ture pro­vo­qué par le fils d’un de ses plus proches conseillers, Ling Jihua, qui a mené au ren­voi de ce der­nier. Tou­te­fois, Hu Jin­tao pour­ra poten­tiel­le­ment à son tour mettre en avant ses sou­tiens lors du pro­chain Congrès, pré­vu en 2017, au cours duquel cer­tains des membres actuels du Comi­té per­ma­nent devront prendre leur retraite.

Ce type d’anecdote montre la rela­tive fai­blesse poli­tique des diri­geants en fonc­tion qui doivent jon­gler entre dif­fé­rents groupes et influences. Même à la retraite, les anciens diri­geants res­tent ain­si très influents au som­met du pou­voir. Cela est signi­fi­ca­tif du main­tien des rela­tions fac­tion­nelles et inter­per­son­nelles au som­met du PCC, sou­li­gnant la « qua­si-ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion » de la poli­tique chi­noise selon l’expression de Joseph Fews­mith2.

Une évolution des clivages au sommet

La diversification des cadres dirigeants

Les réformes ins­ti­tu­tion­nelles mises en avant jusqu’ici vont de pair avec une diver­si­fi­ca­tion du recru­te­ment du par­ti. Par son carac­tère spec­ta­cu­laire, c’est le recru­te­ment d’entrepreneurs pri­vés au sein du PCC depuis les années 1980 qui a été prin­ci­pa­le­men­tre­mar­qué. En par­ti­cu­lier, après que Jiang Zemin l’autorise offi­ciel­le­ment en 2002 via sa théo­rie des « trois repré­sen­ta­tions » (sange dai­biao). Au-delà des tra­vailleurs et pay­sans, le par­ti repré­sente désor­mais les « forces sociales pro­duc­tives », l’«avancement cultu­rel » et les « inté­rêts fon­da­men­taux de la majo­ri­té ». Tou­te­fois les entre­pre­neurs ne repré­sentent qu’une infime par­tie des recru­te­ments et cela devient d’autant plus vrai au som­met de la hié­rar­chie par­ti­sane. D’après Bruce Dick­son, sur 2,42 mil­lions de nou­velles recrues en 2004, le PCC ne comp­tait que 894 entre­pre­neurs. Et il n’y a qu’un seul entre­pre­neur par­mi les nou­veaux membres du Comi­té central.

La trans­for­ma­tion du PCC va bien au-delà des entre­pre­neurs. Dans le cadre des « quatre moder­ni­sa­tions », entre 1980 et 1986, plus de 1,3 mil­lion de cadres recru­tés avant 1949 ont pris leur retraite et 469.000 diplô­més de l’université ont été nom­més aux éche­lons inter­mé­diaires et cen­traux. Para­doxa­le­ment, la valo­ri­sa­tion des diplô­més uni­ver­si­taires a d’abord mené à une trans­for­ma­tion aris­to­cra­tique du régime. Dans les années 1980, les enfants des cadres de haut niveau, les « princes rouges », étaient sou­vent les seuls à cor­res­pondre aux nou­veaux cri­tères de pro­mo­tion. Ils avaient connu les meilleures écoles et étaient entrés jeunes à la Ligue des jeu­nesses com­mu­nistes ou au PCC, ne lais­sant aucun doute sur leur loyau­té. Ils pou­vaient aus­si pro­fi­ter des rela­tions de leurs parents pour être pro­mus. Ain­si de nom­breux « princes » sont deve­nus les secré­taires per­son­nels de cadres de haut niveau alors que leurs parents étaient encore en vie, un poste qui ouvre faci­le­ment les plus hautes strates du pou­voir. Ce fut le cas de Xi Jin­ping. Son père, Xi Zhongxun était vice-Pre­mier ministre, et a per­mis à son fils de deve­nir le secré­taire du ministre de la Défense, Geng Biao en 1979. Un haut niveau d’éducation et une ori­gine aris­to­cra­tique ren­daient les princes à la fois « rouges » et « experts », en fai­sant ain­si les meilleurs can­di­dats pour être promus.

Selon Sté­pha­nie Balme, l’ascension des « princes rouges » est un phé­no­mène à double tran­chant. Tout en per­met­tant une cer­taine conti­nui­té dans la direc­tion du par­ti, cela sou­ligne le carac­tère aris­to­cra­tique et pré­da­teur du régime. Les pra­tiques népo­tiques sont un des prin­ci­paux élé­ments menant au sou­lè­ve­ment de Tia­nan­men en 1989. Le PCC a alors pris conscience du cout de ces pra­tiques pour sa légi­ti­mi­té. Il a ain­si pris des mesures pour limi­ter le recours aux postes de secré­taire et s’est concen­tré sur le recru­te­ment des étu­diants direc­te­ment à l’université. Le pour­cen­tage de membres du par­ti par­mi les étu­diants en licence, qui était le cœur du mou­ve­ment de 1989, est pas­sé de 0,8% en 1990 à 2,5% en 1995.

Bien que jouant tou­jours un rôle impor­tant, les rela­tions fami­liales deviennent pro­gres­si­ve­ment moins impor­tantes dans les années 2000 en ce qui concerne la pro­mo­tion des diri­geants, per­met­tant une plus grande diver­si­té de pro­fils. Par ailleurs, alors que les tech­no­crates (défi­nis comme ayant étu­dié les sciences dures) for­maient la majo­ri­té du lea­deur­ship sous Jiang Zemin, depuis les années 2000, une plus grande diver­si­té se des­sine quant aux expé­riences uni­ver­si­taires des diri­geants chi­nois. Cette évo­lu­tion et diver­si­fi­ca­tion des pro­fils font alors évo­luer les groupes et zones de frac­tures au sein du groupe dirigeant.

La disparition des clivages politiques au sommet ?

Chez les diri­geants de l’époque maoïste, les conflits se lisaient prin­ci­pa­le­ment en termes poli­tiques de « conser­va­teurs » et de « réfor­mistes ». Cela en par­ti­cu­lier lors de grands tour­nants poli­tiques comme le Grand bond ou la Révo­lu­tion cultu­relle. Désor­mais, au sein d’une élite poli­tique diver­si­fiée, ce sont les cli­vages socio­lo­giques qui sont mis en avant par les spé­cia­listes. Ce sont donc des groupes basés sur des ori­gines régio­nales ou fami­liales com­munes ou bien des expé­riences sco­laires ou pro­fes­sion­nelles par­ta­gées qui fon­de­raient les cli­vages au sein du PCC. Des cher­cheurs comme Cheng Li ou Bo Zhiyue opposent ain­si le groupe des « princes » à une fac­tion consti­tuée des anciens diri­geants de la Ligue des jeu­nesses com­mu­nistes, avec à sa tête Hu Jin­tao, qui était secré­taire de la Ligue dans les années 1980. Cheng Li sou­ligne la por­tée poli­tique de ce qua­si « bipar­tisme ». Il décrit les anciens de la Ligue des jeu­nesses com­mu­nistes comme au cœur d’une « coa­li­tion popu­liste » s’intéressant en par­ti­cu­lier à déve­lop­per les poli­tiques sociales en Chine, par oppo­si­tion à la « coa­li­tion éli­tiste » repré­sen­tée en par­ti­cu­lier par les « princes ». Cette super­po­si­tion de cli­vages socio­lo­giques et poli­tiques est tou­te­fois extrê­me­ment dif­fi­cile à véri­fier. De plus, la récente affaire Bo Xilai ne semble pas confir­mer cette grille de lecture.

L’ancien secré­taire du Par­ti de la muni­ci­pa­li­té auto­nome de Chong­qing, Bo Xilai, a été démis de toutes ses fonc­tions en octobre2012. Il était accu­sé de cor­rup­tion et de vio­la­tion majeure de la dis­ci­pline du Par­ti. Sa femme a paral­lè­le­ment été accu­sée du meurtre d’un homme d’affaires anglais, Neil Hey­wood, dans le cadre d’une his­toire d’extorsion de fonds. Bien que les détails de l’histoire res­tent flous, Bo Xilai est allé pro­ba­ble­ment trop loin en s’attaquant aux par­ti­sans de ses rivaux sous cou­vert d’une cam­pagne anti-mafia, ou en pré­sen­tant de manière bien trop évi­dente pour le contexte chi­nois ses ambi­tions poli­tiques. Au-delà d’une affaire cri­mi­nelle, il s’agit d’une purge politique.

Le cas de Bo Xilai est inté­res­sant car bien que « prince rouge », son père Bo Yibo fai­sant par­tie de la Com­mis­sion cen­trale de conseil sous Deng Xiao­ping, il s’est fait remar­quer par ses poli­tiques popu­listes. À un plan de poli­tiques sociales, notam­ment de larges inves­tis­se­ments dans les loge­ments sociaux, s’ajoutait une mobi­li­sa­tion des foules autour de thèmes néo­maoïstes. Le « modèle de Chong­qing » était alors vu comme en com­pé­ti­tion avec celui, plus libé­ral éco­no­mi­que­ment et à cer­tains égards poli­ti­que­ment, du Guang­dong, mis en avant par le secré­taire du par­ti de la pro­vince, Wang Yang, un proche de Hu Jin­tao. Cette affaire reflète alors de véri­tables débats de fond au som­met du pou­voir qui ne sont pas néces­sai­re­ment super­po­sables aux cli­vages socio­lo­giques. Rien ne per­met ain­si de pen­ser que les autres « princes » au sein de l’équipe diri­geante n’aient essayé de pro­té­ger Bo Xilai dans sa chute. Cette affaire nous laisse dans l’expectative, et sou­ligne à quel point la poli­tique au cœur du PCC reste une « boite noire3 ».

Nous avons vu les trans­for­ma­tions ins­ti­tu­tion­nelles qu’a connues le PCC depuis les réformes éco­no­miques des années 1980, de même que leurs limites. La qua­si-ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion ain­si mise en place va de pair avec une évo­lu­tion des groupes et cli­vages au som­met de la hié­rar­chie, remet­tant en cause les grilles de lec­tures conven­tion­nelles. L’affaire Bo Xilai est symp­to­ma­tique de ces évo­lu­tions et met en lumière les limites de l’encadrement de l’équipe diri­geante, de même que la sub­sis­tance des affron­te­ments poli­tiques au som­met. Elle met aus­si en avant une fois de plus le pro­blème majeur pour le PCC qu’est la cor­rup­tion. Une ques­tion que la nou­velle équipe semble vou­loir prendre à bras-le-corps. Ain­si au XVIIIe congrès, Hu Jin­tao, dans son der­nier dis­cours en tant que secré­taire géné­ral, a insis­té sur le fait que si le par­ti ne fait rien pour endi­guer ce mal, il court à sa perte. Au-delà des dis­cours, la mise en exa­men pour cor­rup­tion de Li Chun­cheng, qui venait juste d’être élu membre sup­pléant du Comi­té cen­tral, sou­ligne la déter­mi­na­tion de la nou­velle équipe. Reste à voir si cela se tra­dui­ra par de nou­veaux pro­grès dans l’institutionnalisation de la poli­tique chi­noise, vers davan­tage de contrôle sur les cadres de haut niveau.

  1. Li Cheng, China’s Lea­ders : The New Gene­ra­tion, Row­man and Lit­tle­field publi­shers Inc., 2001,p. 34.
  2. Fews­mith Joseph, « Elite poli­tics : the struggle for nor­ma­lit », dans Fews­mith (dir.), Chi­na today, Chi­na tomor­row, Row­man and lit­tle­field publi­shers, 2010, p. 149 – 164.
  3. Gode­ment Fran­çois, Que veut la Chine ?, Odile Jacob, 2012.

Jérôme Doyon


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