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Regards critiques sur les enjeux du travail

Numéro 11 Novembre 2007 par Michel Capron

novembre 2007

Deux points de vue dif­fé­rents, mais sans doute com­plé­men­taires, res­sortent de d’ou­vrages parus récem­ment. D’une part, Isa­belle Fer­re­ras inves­tigue l’ex­pé­rience de tra­vail au sein de la socié­té des ser­vices ; d’autre part, Xavier Dupret, Hen­ri Hou­ben et Erik Ryd­berg dénoncent les attaques dont fait l’ob­jet le monde du tra­vail de la part des puis­sances éco­no­miques et poli­tiques domi­nantes en Europe. Cha­cun à sa manière porte un regard sur l’u­ni­vers du tra­vail, l’un plus socio­lo­gique, l’autre plus militant.

La curio­si­té intel­lec­tuelle d’I­sa­belle Fer­re­ras1 l’a ame­née à s’in­ter­ro­ger sur ce que repré­sente le tra­vail contem­po­rain dans l’é­co­no­mie des ser­vices en menant l’en­quête chez les cais­sières de super­mar­ché, dont le tra­vail appa­rait à prio­ri à conte­nu banal et peu pro­met­teur de pro­grès dans la car­rière pro­fes­sion­nelle. Reli­sant, de manière cri­tique, l’é­vo­lu­tion du tra­vail et le regard por­té sur ce phé­no­mène par les socio­logues et phi­lo­sophes du tra­vail, Fer­re­ras envi­sage une approche nova­trice pour le sec­teur des ser­vices. Je me limi­te­rai ici à reprendre les dif­fé­rentes carac­té­ris­tiques du tra­vail dans le cas pré­cis des cais­sières qu’elle estime, en fin de compte, pou­voir étendre aux autres fonc­tions de ce type dans le sec­teur ter­tiaire. D’emblée, l’au­teure sou­ligne son pro­pos : nous mon­trer com­ment même un tra­vail répé­ti­tif pré­sente un carac­tère expres­sif, public et poli­tique. Qu’est-ce à dire ?

Un travail qui a du sens

Le rap­port au tra­vail des cais­sières est tout d’a­bord expres­sif, c’est-à-dire qu’il recèle un sens essen­tiel­le­ment lié à l’ex­pé­rience du tra­vail et non à son conte­nu : son tra­vail insère la cais­sière dans un tis­su de rela­tions sociales exté­rieures au foyer ; il lui per­met d’être utile au fonc­tion­ne­ment de la socié­té et de l’en­tre­prise, mais aus­si au client ; enfin le tra­vail lui per­met d’as­su­mer sa vie de manière auto­nome, ce qui n’ex­clut pas un rap­port ins­tru­men­tal au tra­vail comme source de reve­nus qui n’est tou­te­fois pas domi­nant à ses yeux.

En deuxième lieu, le rap­port au tra­vail dans le sec­teur des ser­vices pré­sente un carac­tère public. Dans le cadre de l’en­quête, le tra­vail de la cais­sière (tra­vail à temps par­tiel à horaires variables, bali­sé par des conven­tions col­lec­tives de tra­vail) la met en rela­tion non seule­ment, dans le cadre d’in­te­rac­tions pri­vées, avec ses col­lègues et la hié­rar­chie, mais aus­si et sur­tout direc­te­ment avec le client dans une inter­ac­tion à carac­tère public. C’est que la direc­tion du super­mar­ché orga­nise celui-ci selon une logique domes­tique, puis­qu’elle requiert de la part des cais­sières une double sou­mis­sion : aux normes dic­tées par la hié­rar­chie et aux dési­rs émis par la clien­tèle, avec le risque d’ar­bi­traire qu’elle inclut, même tem­pé­ré par une cer­taine bien­veillance dans les rela­tions inter­per­son­nelles (le régime domes­tique est alors dit « familier »).

Or il res­sort de l’en­quête que les employées aspirent en fait à un régime d’in­te­rac­tion civique avec la clien­tèle (incluant un res­pect mutuel) et à un régime civique démo­cra­tique par rap­port aux col­lègues et à la hié­rar­chie (incluant l’é­ga­li­té de res­pect et de trai­te­ment et la pos­si­bi­li­té d’in­ter­ve­nir dans les déci­sions qui les concernent). Selon Isa­belle Fer­re­ras, on se trouve là dans une sphère publique qui concerne les rela­tions entre per­sonnes citoyennes au sein de la socié­té, qui entre dans le cadre du tra­vail au sein de l’en­tre­prise de ser­vices et se trouve imman­qua­ble­ment confron­tée au régime d’in­te­rac­tion domes­tique, qui relève de la sphère pri­vée et que le mana­ge­ment entend imposer.

Justice démocratique

Cette confron­ta­tion révèle, selon l’au­teure, la nature poli­tique du tra­vail qui s’ar­ti­cule autour du concept de jus­tice démo­cra­tique qui requiert à la fois que cha­cun soit trai­té selon les mêmes normes et que cha­cun puisse par­ti­ci­per, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, aux déci­sions qui le concernent. Les cais­sières sont sen­sibles, dans leur tra­vail quo­ti­dien, aux dis­pa­ri­tés créant des situa­tions d’in­jus­tice : les fraudes des clients, l’ar­bi­traire de la hié­rar­chie inter­mé­diaire favo­ri­sant les « chou­choutes » au détri­ment des autres, etc. La flexi­bi­li­té du tra­vail, qu’il s’a­gisse des horaires ou de la poly­va­lence, consti­tue à cet égard un point sen­sible. C’est là qu’ap­pa­rait l’as­pect poli­tique de l’ex­pé­rience du tra­vail puis­qu’on peut consi­dé­rer que les enjeux sur les­quels porte la flexi­bi­li­té consti­tuent en quelque sorte un bien com­mun aux cais­sières, dont la répar­ti­tion inter­pelle le cri­tère du juste, de l’in­ser­tion équi­table de cha­cune dans le col­lec­tif de tra­vail qu’elles forment.

Expression collective

Or cette aspi­ra­tion à une jus­tice démo­cra­tique ne par­vient pas à s’ex­pri­mer sur un plan col­lec­tif et ce pour plu­sieurs rai­sons. C’est que l’emprise du régime d’in­te­rac­tion domes­tique divise les tra­vailleuses : celles qui sont favo­ri­sées tiennent à gar­der leurs avan­tages, tan­dis que les autres ne par­viennent pas à s’ex­traire de leurs res­sen­ti­ments et frus­tra­tions pour dépas­ser les conflits inter­per­son­nels et s’at­ta­quer col­lec­ti­ve­ment au régime domes­tique lui-même.

Et l’au­teure de conclure : « Il n’y a donc pas d’ac­tion col­lec­tive signi­fi­ca­tive dans les maga­sins, pas de mou­ve­ments de tra­vailleurs capables d’exi­ger la fin du régime domes­tique en vigueur » (p. 186). Or, para­doxa­le­ment, le taux de syn­di­ca­li­sa­tion est éle­vé dans les super­mar­chés enquê­tés. On peut donc se poser la ques­tion : com­ment se fait-il que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales ne par­viennent pas à ame­ner les tra­vailleuses à dépas­ser leur expé­rience indi­vi­duelle où elles res­sentent en creux la nature poli­tique des effets néga­tifs du régime domes­tique, pour accé­der à la reven­di­ca­tion col­lec­tive d’une ges­tion de l’en­tre­prise selon un régime civique démocratique ?

Cette ques­tion, Fer­re­ras l’exa­mine dans le cha­pitre V de son ouvrage. Elle cri­tique d’a­bord les deux visages du mana­ge­ment un visage civique d’en­tre­prise citoyenne vers l’ex­té­rieur et un ensemble de stra­té­gies qui visent, en interne, à pro­mou­voir acti­ve­ment le régime domes­tique, qu’il s’a­gisse de mar­ke­ting, de ges­tion des res­sources humaines ou d’investissements.

Elle aborde ensuite ce qu’elle qua­li­fie d’« englue­ment » syn­di­cal. Si les cais­sières recon­naissent l’im­por­tance des orga­ni­sa­tions syn­di­cales dans leur rôle de contre­poids col­lec­tif face aux stra­té­gies patro­nales et leur rôle d’as­su­rance et d’in­for­ma­tion en cas de pro­blèmes indi­vi­duels, elles ne sont tou­te­fois pas prêtes à s’im­pli­quer acti­ve­ment dans l’ac­tion syndicale.

Ce pro­blème clas­sique, inhé­rent au syn­di­ca­lisme de masse dans notre pays, est cepen­dant par­ti­cu­liè­re­ment aigu dans le cas des cais­sières. D’une part, comme dans bien d’autres sec­teurs, les reven­di­ca­tions syn­di­cales portent essen­tiel­le­ment sur les aspects quan­ti­fiables (salaires, temps de tra­vail etc.), sou­vent au détri­ment des aspects qua­li­ta­tifs du tra­vail (orga­ni­sa­tion du tra­vail, exer­cice du pou­voir, qua­li­té et inté­rêt du tra­vail), qui pèsent cepen­dant for­te­ment sur l’ex­pé­rience de tra­vail des cais­sières. D’autre part, l’ac­tion syn­di­cale se heurte à un ensemble de fac­teurs cultu­rels et sociaux qui la freinent : une inca­pa­ci­té chez les tra­vailleuses à iden­ti­fier clai­re­ment l’ac­teur déten­teur du pou­voir face à qui se posi­tion­ner, la per­cep­tion de ce que, natu­rel­le­ment, les femmes entre elles se jalousent, sont hypo­crites et inca­pables de s’en­tendre, l’ac­cep­ta­tion de la supré­ma­tie du client, la marge réduite pour orga­ni­ser des réunions vu le temps par­tiel et la flexi­bi­li­té des horaires.

Enfin, un fonc­tion­ne­ment des orga­ni­sa­tions syn­di­cales qua­li­fié de « régime com­man­dé » — homo­logue au régime domes­tique de l’en­tre­prise — où les délé­gués et affi­liés ont un sen­ti­ment d’in­ca­pa­ci­té de pou­voir peser sur les déci­sions de leur orga­ni­sa­tion2 qui, une fois prises, doivent être exé­cu­tées. Ce fai­sant, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales n’a­gissent pas selon un régime civique démo­cra­tique « … qui per­met­trait de res­pec­ter le carac­tère poli­tique du tra­vail, au tra­vers de la mise en place de dis­po­si­tifs par­ti­ci­pa­tifs déli­bé­ra­tifs, eux seuls sus­cep­tibles de per­mettre la construc­tion d’un rap­port poli­tique col­lec­tif au tra­vail » (p. 214).

Des enjeux à concilier

L’au­teure observe cepen­dant que des ini­tia­tives syn­di­cales com­mencent à se faire jour qui s’o­rientent vers la pra­tique d’un régime démo­cra­tique par­ti­ci­pa­tif et déli­bé­ra­tif, mais il reste du che­min à par­cou­rir pour dépas­ser l’emprise du régime domes­tique mis en place par la direc­tion vers l’ins­tau­ra­tion col­lec­tive d’un régime civique démo­cra­tique dans les entre­prises de ser­vices. En conclu­sion, tout en syn­thé­ti­sant les résul­tats de sa recherche, Fer­re­ras sou­ligne notam­ment la néces­si­té de relier, dans la sphère éco­no­mique de l’en­tre­prise, l’en­jeu de la redis­tri­bu­tion (la juste rému­né­ra­tion du tra­vail) et l’en­jeu de la recon­nais­sance (le res­pect de la digni­té citoyenne de la tra­vailleuse et du tra­vailleur) où les orga­ni­sa­tions syn­di­cales ont un rôle cru­cial à jouer.

Cette brève pré­sen­ta­tion de l’ou­vrage d’I­sa­belle Fer­re­ras est évi­dem­ment loin d’é­pui­ser toutes les richesses, théo­riques et pra­tiques, qu’il recèle. Sa recherche inter­pelle notam­ment les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, eu égard à leur res­pon­sa­bi­li­té de faire accé­der, dans l’é­co­no­mie des ser­vices mar­chands, leurs affi­liés à la conscience col­lec­tive des démarches à effec­tuer pour atteindre ce que l’au­teure qua­li­fie de « régime civique démo­cra­tique » au sein de leurs entre­prises. Cet ouvrage mérite d’être lu par celles et ceux qui, à titre d’ac­teurs ou actrices, d’ob­ser­va­teurs ou obser­va­trices, s’in­té­ressent à l’a­na­lyse de l’ex­pé­rience du tra­vail dans la socié­té des services.

Capital contre travail

L’ou­vrage de Xavier Dupret, Hen­ri Hou­ben et Erik Ryd­berg3 est issu de débats avec des délé­gués de la CNE Indus­trie, avec la par­ti­ci­pa­tion active du Gre­sea. Il s’at­taque à des ques­tions d’ac­tua­li­té liées aux rela­tions entre capi­tal et tra­vail. Le ton est inci­sif, le lan­gage très clair. C’est en quelque sorte un pam­phlet argu­men­té qui passe à la mou­li­nette pacte de soli­da­ri­té entre les géné­ra­tions, norme sala­riale, pro­ces­sus de Lis­bonne, col­lu­sions entre groupes patro­naux et Com­mis­sion euro­péenne. La trame de ces ana­lyses cri­tiques ? Dénon­cer en appe­lant un chat un chat les pres­sions exer­cées par le milieu patro­nal, avec la com­pli­ci­té de l’É­tat fédé­ral et de l’U­nion euro­péenne, pres­sions à la baisse des salaires et à la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail sous pré­texte d’aug­men­ter le taux d’emploi pour assu­rer en défi­ni­tive la com­pé­ti­ti­vi­té des entreprises.

Selon les auteurs, c’est bien à la réa­li­sa­tion de cet objec­tif que concourent les dif­fé­rents pactes et poli­tiques mis en œuvre ces der­nières années. En effet, si l’on exa­mine le pacte de soli­da­ri­té entre les géné­ra­tions, le pacte de com­pé­ti­ti­vi­té et, dans la fou­lée, l’ac­cord inter­pro­fes­sion­nel 2007 – 2008, que constate-t-on ? Mal­gré les mises en garde et les résis­tances syn­di­cales, ces accords consti­tuent une mise en condi­tion de l’o­pi­nion publique : se faire à l’i­dée qu’il faut tra­vailler plus long­temps, que le finan­ce­ment des pen­sions est en péril, que le han­di­cap sala­rial par rap­port aux éco­no­mies concur­rentes est à cor­ri­ger d’ur­gence et qu’à défaut les délo­ca­li­sa­tions menacent.

Un état désactivé

D’où l’i­dée qu’il faut abso­lu­ment une modé­ra­tion sala­riale pour sau­ver la com­pé­ti­ti­vi­té de nos entre­prises (lar­ge­ment dépen­dantes par ailleurs de mul­ti­na­tio­nales) et que, pour créer de l’emploi, il faut abais­ser signi­fi­ca­ti­ve­ment les charges sociales qui pèsent sur les entre­prises. On connait le résul­tat : s’il y a créa­tion d’emplois, ce sont sur­tout des emplois pré­caires payés au tarif mini­mum tan­dis que les béné­fices des entre­prises décollent. Or ces béné­fices, au lieu de les réin­ves­tir dans la for­ma­tion, l’in­no­va­tion et la recherche et déve­lop­pe­ment poten­tiel­le­ment créa­trices d’emplois, on les uti­lise plu­tôt à rému­né­rer lar­ge­ment les actionnaires.

Ajou­tons à cela les stra­té­gies visant, sous pré­texte de retour au métier de base des entre­prises, à accroitre la sous-trai­tance et le recours à l’in­té­rim, à allon­ger la durée du tra­vail à salaire inchan­gé, à faire jouer à plein les mul­tiples flexi­bi­li­tés et, ce fai­sant, à divi­ser les tra­vailleurs et à affai­blir et contour­ner les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. Et, pour cou­ron­ner le tout, les poli­tiques publiques d’ac­ti­va­tion des chô­meurs amènent à accroitre le nombre de tra­vailleurs sur le mar­ché du tra­vail et donc à inten­si­fier la concur­rence entre eux et la pres­sion à la baisse sur les salaires.

Ces dif­fé­rentes attaques contre le monde du tra­vail sont lar­ge­ment confor­tées par les poli­tiques néo­li­bé­rales déve­lop­pées au niveau de l’U­nion euro­péenne. Ain­si, le som­met de Lis­bonne (2000) visait à consti­tuer l’é­co­no­mie euro­péenne comme la plus com­pé­ti­tive du monde par l’ac­crois­se­ment du taux d’emploi — en fait, le déve­lop­pe­ment du temps par­tiel et des autres formes de tra­vail aty­pique -, l’al­lon­ge­ment de la car­rière au moins jusque soixante-cinq ans et la pro­mo­tion de toutes les formes de flexi­bi­li­té et d’employabilité : le tra­vailleur, prié de veiller constam­ment à sa for­ma­tion, devient un pion qu’on embauche ou qu’on rejette au gré des varia­tions de la conjonc­ture et des commandes.

Les auteurs nous montrent que tout cela n’est pas tom­bé du ciel, mais résulte notam­ment de l’in­fluence crois­sante des lob­bies indus­triels, notam­ment de la Table ronde des indus­triels euro­péens et du Groupe consul­ta­tif sur la com­pé­ti­ti­vi­té qui déve­loppent d’in­tenses concer­ta­tions avec la Com­mis­sion euro­péenne pour inflé­chir, avec suc­cès, ses poli­tiques dans un sens favo­rable aux entre­prises. Mais que deviennent alors les États natio­naux dans tout cela ? Le juge­ment des auteurs est sans appel : « … l’É­tat est deve­nu un acteur actif dans la recherche de la com­pé­ti­ti­vi­té et dans la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail. C’est un État socia­le­ment désac­ti­vé, un État dont l’ac­ti­visme épouse celui du mar­ché » (p. 81).

Inventer de nouveaux rapports de force

Face à un tableau aus­si sombre, les auteurs et les syn­di­ca­listes son­dés estiment que des solu­tions de résis­tance existent, per­met­tant d’in­ven­ter de nou­veaux rap­ports de force, et ce sur dif­fé­rents ter­rains. Il s’a­git tout d’a­bord d’ac­qué­rir une connais­sance plus fine des poli­tiques mises en œuvre par les entre­prises et ce notam­ment en ana­ly­sant leurs bilans sociaux en fonc­tion de plu­sieurs cri­tères : l’é­vo­lu­tion de l’emploi, la rota­tion du per­son­nel, la durée du tra­vail, l’é­vo­lu­tion des salaires, la pré­ca­ri­sa­tion de l’emploi et la mon­tée de l’intérim.

En pous­sant plus loin, on peut déter­mi­ner le taux d’ex­ploi­ta­tion des tra­vailleurs (le rap­port entre le cash flow et la masse sala­riale), mais aus­si éva­luer l’im­pact de la fis­ca­li­té et le volume des divi­dendes ver­sés aux action­naires. Autre étape : s’at­ta­quer à la sous-trai­tance en veillant à ali­gner ses condi­tions de tra­vail sur celles de l’en­tre­prise-mère, une manière de com­battre les divi­sions entre tra­vailleurs. On peut aus­si cher­cher à contrô­ler le rap­port entre les réduc­tions de charges sociales et la créa­tion réelle d’emplois. Enfin, outre la réac­ti­va­tion de la reven­di­ca­tion de réduc­tion du temps de tra­vail sans perte de salaire et avec embauche, l’ef­fort doit être por­té au niveau euro­péen, à com­men­cer par les comi­tés d’en­tre­prise euro­péens qui peuvent contri­buer à créer des liens entre syn­di­ca­listes aux cultures diverses, dans l’op­tique de l’é­bauche d’un réseau de contre­pou­voir syndical.

Ces lignes de résis­tance ne sont sans doute pas neuves, mais leur conjonc­tion et sur­tout l’in­for­ma­tion et la moti­va­tion des tra­vailleurs dans ce sens peuvent per­mettre de croire en un fré­mis­se­ment, indi­ca­tif de ce que la conjonc­ture change et que de nou­velles formes de résis­tance sont en ges­ta­tion. C’est en tout cas la convic­tion des auteurs.

On l’au­ra com­pris : ce petit ouvrage n’est pas ano­din. Il veut d’a­bord secouer les consciences endor­mies en pré­sen­tant le revers de la médaille que les forces éco­no­miques et poli­tiques domi­nantes tentent d’o­bli­té­rer. Il s’a­gi­rait tou­te­fois de creu­ser davan­tage les dif­fé­rentes pistes de décryp­tage ouvertes, ce qui débou­che­rait sur des remises en ques­tion, sans doute plus nuan­cées, mais non moins interpelantes.

  1. Fer­re­ras, Cri­tique poli­tique du tra­vail. Tra­vailler à l’heure de la socié­té des ser­vices, Paris, Presses de la Fon­da­tion natio­nale des sciences poli­tiques, 2007, 273 p.
  2. J’a­vais, en son temps, consa­cré un article à « L’u­to­pie de la démo­cra­tie syn­di­cale », dans Poli­tique, n° 27, décembre 2002, p. 16- 19.
  3. X. Dupret, H. Houen, E. Ryd­berg, Capi­tal contre tra­vail. L’of­fen­sive sur les salaires, Char­le­roi, Cou­leur Livres, 2007, 96 p.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.