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Regarder les enfants mourir

Numéro 6 Septembre 2024 - gaza guerre Israël Palestine par La Revue nouvelle

octobre 2024

Par les miracles des médias audio­vi­suels, nous voyons des enfants mou­rir par mil­liers, par mil­lions, depuis des décen­nies. Les enfants affa­més aux ventres gon­flés, ceux du Rwan­da sous les machettes, ceux du Sud-Kivu, du Kur­dis­tan ira­kien, de Syrie, ceux de l’exil reje­tés sur nos plages, nous les avons vus pié­ti­nés, aban­don­nés, déchi­que­tés, enrô­lés ou noyés. […]

Éditorial

Par les miracles des médias audio­vi­suels, nous voyons des enfants mou­rir par mil­liers, par mil­lions, depuis des décen­nies. Les enfants affa­més aux ventres gon­flés, ceux du Rwan­da sous les machettes, ceux du Sud-Kivu, du Kur­dis­tan ira­kien, de Syrie, ceux de l’exil reje­tés sur nos plages, nous les avons vus pié­ti­nés, aban­don­nés, déchi­que­tés, enrô­lés ou noyés. Est-ce donc ce qui fait que nous sommes deve­nus apathiques ?

Aujourd’hui, alors que l’État d’Israël tue chaque jour, sans dis­cri­mi­na­tion, femmes, enfants, vieillards, civils inno­cents, jour­na­listes, tra­vailleurs huma­ni­taires, nous pro­tes­tons mol­le­ment. Un embar­go ? Une exclu­sion des réseaux inter­na­tio­naux, de l’Eurovision, des Jeux olym­piques, même ? Que nenni !

Sur place, la situa­tion est com­pli­quée ? Bien enten­du. L’attaque du 7 octobre fut atroce et la déten­tion d’otages est cri­mi­nelle ? Et com­ment ! Il y a des ter­ro­ristes dans la bande de Gaza ? Évidemment !

Mais que ne com­pre­nons-nous plus aux droits que nos socié­tés ont ima­gi­nés pour ne plus se déchi­rer, pour pen­ser que cela pour­rait atté­nuer en quoi que ce soit les crimes de guerre et contre l’humanité qui sont com­mis là-bas ? Les droits fon­da­men­taux et le droit huma­ni­taire sont ce que leur nom indique : des fon­de­ments de notre rap­port au monde, des tri­buts payés à notre huma­ni­té com­mune. Com­ment ima­gi­ner qu’ils puissent être condi­tion­nés, que l’on puisse s’en déga­ger parce que ce serait l’autre qui aurait com­men­cé ? Qu’on en finisse avec ces arguties !

Oui, un État peut déri­ver. N’importe quel État, d’ailleurs. Ce dont nous avons été capables dans le pas­sé, ce qui se des­sine ici, dans les dis­cours de nos fas­cistes bien de chez nous, nous en donne une bonne idée. Et, pré­ci­sé­ment, lorsqu’un État dérive, et sa socié­té avec lui, le droit inter­na­tio­nal et les liber­tés fon­da­men­tales sont de maigres, certes, mais indis­pen­sables garde-fous. Et la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale porte la lourde res­pon­sa­bi­li­té de rap­pe­ler à l’ordre et, notam­ment, de contraindre au res­pect des popu­la­tions civiles.

Mais voi­là, notre gou­ver­ne­ment fédé­ral est en affaires cou­rantes, l’Europe a d’autres chats à fouet­ter, les uns et les autres se demandent com­ment ins­tru­men­ta­li­ser la situa­tion… les États-Unis sont en pleine cam­pagne élec­to­rale… et les enfants de Gaza meurent, sont muti­lés, affa­més, mar­qués à jamais par la ter­reur et le deuil.

L’heure n’est pas à déter­mi­ner si un géno­cide est en cours ou s’il ne s’agit « que » de crimes de guerre. Elle n’est pas davan­tage à déci­der si la solu­tion à deux États s’impose, ou, au contraire, n’a pas de sens. Elle n’est pas non plus à démê­ler ce qui tint de la pro­vo­ca­tion, quand les bornes furent dépas­sées ni qui déci­da quelles exac­tions. Sous nos yeux, un peuple est rayé de la carte, mas­sa­cré, lit­té­ra­le­ment. Ces crimes sont le fait d’une socié­té qui s’abime dans cette vio­lence, car per­sonne, pas même le bour­reau, ne peut sor­tir indemne d’une telle hor­reur. C’est l’humanité de tous, dans la région et bien au-delà, qui est défi­gu­rée. C’est aus­si la nôtre qui est en jeu, nous qui pro­cla­mons par­tout que nous sommes huma­nistes, épris de Jus­tice et de paix. La souillure n’épargne personne.

Com­ment les popu­la­tions de Gaza se relè­ve­ront-elles de l’épreuve ? Et les popu­la­tions israé­liennes ? Et nous ?

Puisqu’aucune norme, aucun appel à la rai­son, aucune hor­reur des bour­reaux face à ce qu’ils ont accom­pli ne semble pou­voir stop­per les assas­sins, puisqu’il y va de la vie des Gazaouis, mais aus­si de la digni­té de tous, avons-nous d’autre choix que de contraindre ? Il nous faut étouf­fer l’État cri­mi­nel, l’isoler, boy­cot­ter son éco­no­mie et sa socié­té, pous­ser à la chute le pou­voir en place.

Fau­dra-t-il que nous n’ayons plus le cou­rage d’endurer le spec­tacle de la mort des enfants de Gaza pour que nous ayons celui d’enfin agir et de nous mon­trer dignes de nos pré­ten­tions huma­nistes ? Quand donc serons-nous dégou­tés du sang dans lequel nos socié­tés baignent ?

La Revue nouvelle


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