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Réforme du Code pénal sexuel. La Belgique décriminalise le travail du sexe
Le 18 mars 2022, une petite révolution a eu lieu loin des feux des projecteurs. La réforme du Code pénal sexuel a été adoptée et, avec elle, la décriminalisation du travail du sexe. Elle concerne des milliers de personnes qui exercent le travail du sexe et les libère d’un carcan légal dont l’étroitesse et la rigidité ont […]
Le 18 mars 2022, une petite révolution a eu lieu loin des feux des projecteurs. La réforme du Code pénal sexuel a été adoptée et, avec elle, la décriminalisation du travail du sexe. Elle concerne des milliers de personnes qui exercent le travail du sexe et les libère d’un carcan légal dont l’étroitesse et la rigidité ont largement été dénoncées. C’est la fin d’années d’abolitionnisme en matière de prostitution en Belgique.
Le système abolitionniste a souvent été taxé d’hypocrite vis-à-vis du travail du sexe parce qu’il ne criminalisait pas l’activité, mais bien tous les moyens de la pratiquer. Il faisait l’objet, depuis de nombreuses années, de tentatives de réforme. Coincé dans un débat dépassant largement les frontières de notre pays, l’État belge a été tiraillé, dès le tournant du XXIe siècle, entre la position libérale de ses voisins hollandais et allemands, ayant adopté un système de légalisation du marché du sexe, et la position radicale de la Suède et de la France ayant opté pour le modèle de pénalisation des clients. La proposition adoptée en mars a emprunté une troisième voie en s’inspirant du modèle néozélandais : celle de la décriminalisation du travail du sexe. Cela fait de la Belgique le premier pays européen qui opte pour un système qui ne pénalise pas la prostitution, mais ne la légalise pas non plus.
Que recouvre concrètement cette décriminalisation qui est effective depuis ce 1er juin 2022 ? La prostitution n’était pas interdite dans l’ancien Code pénal sexuel, mais toute partie tierce tirant profit de l’activité de la prostitution d’autrui était passible d’une condamnation pour proxénétisme. S’entourer d’un·e comptable, engager un·e graphiste pour faire son site web, avoir un chauffeur qui veille et surveille le temps de la passe ou, même, louer un appartement pouvaient constituer des infractions pénales. Cette criminalisation des activités connexes exposait les travailleur·euses du sexe, soit au risque de se voir demander des sommes anormalement élevées par des prestataires de services ou des propriétaires de logement pour « compenser » le risque encouru, soit à celui de les priver de ces services. Le nouveau Code pénal sexuel permet potentiellement de renverser les positions de force et de mieux protéger les travailleur·euses du sexe : les acteurs peu scrupuleux ne peuvent plus brandir la répression du proxénétisme pour justifier les pratiques abusives, tandis que les travailleur·euses du sexe peuvent désormais s’appuyer sur l’incrimination du profit anormal de la prostitution d’autrui. Par ailleurs, la réforme s’accompagne d’une volonté de mieux protéger les victimes de traite des êtres humains (tout en distinguant cette dernière du travail du sexe).
Aux yeux des travailleur·euses du sexe, de nombreuses organisations de terrain, de militant·es et de scientifiques, cette réforme est une avancée majeure qui devrait amener une amélioration des conditions d’exercice du travail du sexe et, en filigrane, sur un potentiel recul de la stigmatisation qui l’entoure.
Pour un grand nombre d’acteur·trices, le pas suivant doit être la reconnaissance du travail du sexe par le droit social, ce qui ne pouvait s’envisager sans décriminalisation. Sur ce point, le risque de levée de boucliers est important ; l’argument dominant est qu’un tel statut ne bénéficierait finalement qu’à une poignée de personnes qui rempliraient les conditions administratives et qui désireraient y avoir recours parce qu’iels « assument » l’activité. Dès lors, la formalisation de ce statut risquerait de créer des hiérarchies entre travailleur·euses du sexe et d’aggraver (si c’est encore possible) la situation de celles et ceux qui passent sous les radars, parce qu’iels exercent leur activité au noir et dans des conditions risquées et précaires. Ces inquiétudes sont légitimes et sensées car, on le sait, la prostitution ou le travail du sexe recouvrent une diversité de situations telle qu’elle résiste à toute simplification. Mais, là encore, des chantiers intéressants méritent d’être ouverts. On peut examiner, par exemple, en quoi une reconnaissance légale du travail du sexe pourrait avoir un impact positif sur les personnes qui n’ont pas de statut de séjour, à quelles conditions et avec quels moyens.
La décriminalisation, qui est entrée en vigueur le 1er juin, pose encore des défis quant à son opérationnalisation concrète. Il peut en effet demeurer un écart entre un texte de loi et sa mise en application et il est essentiel de s’assurer que certains des acteurs en présence ne subvertissent pas l’esprit du système qui se met en place. On pense particulièrement aux communes qui pourraient continuer de reléguer le travail du sexe à la marge des territoires urbains sous prétexte des nuisances qu’il occasionne et des obstacles qu’il pose dans les ambitions locales de promotion immobilière et du territoire.
Mais, pour l’heure, cette réforme constitue une réelle victoire pour les travailleur·euses du sexe. Si les défis liés à sa mise en œuvre sont nombreux, elle a l’intérêt de faire reculer, dans les textes, la stigmatisation et les discriminations qu’iels subissent tous les jours et qui entravent leur accès à des droits fondamentaux comme celui de se loger, d’être aidé·es et accompagné·es dans leur quotidien, et de subvenir à leurs besoins.