Réforme de la formation initiale des enseignants en FWB ou « Le pays où l’on n’arrive jamais»…
Une réforme où il est à présent plus question de fonds que de fond… S’il fallait, en septembre 2020, donner une image de l’état actuel du dossier de la mise en œuvre de la réforme de la formation initiale des enseignants en Belgique francophone, peut-être pourrions-nous le comparer à une série faisant l’objet de rebondissements, inattendus et surprenants […]
Une réforme où il est à présent plus question de fonds que de fond…
S’il fallait, en septembre 2020, donner une image de l’état actuel du dossier de la mise en œuvre de la réforme de la formation initiale des enseignants en Belgique francophone, peut-être pourrions-nous le comparer à une série faisant l’objet de rebondissements, inattendus et surprenants voire incompréhensibles, acclamés ou bien décriés sur les réseaux sociaux. Les rebondissements qui caractérisent les étapes d’(in)opérationnalisation de cette réforme, pourtant votée en février 2019, sont plutôt inquiétants, mais symptomatiques de la très grande difficulté, en Belgique francophone, à faire avancer un dossier qui conditionne pourtant l’amélioration d’un système d’enseignement obligatoire en grande difficulté et la réalisation du Pacte pour un enseignement d’excellence.
Dernièrement, les commentateurs de cette série sont souvent les opérateurs de formation qui se positionnent, principalement dans la presse écrite. C’est à présent plutôt en fonction d’aspects budgétaires que de réelles considérations pédagogiques, sur mode « c’est essentiel…, mais c’est ruineux… compte tenu de nos propres revendications1 », que le débat a été relancé. Notre contribution est celle de chercheurs dans le domaine de la formation initiale des enseignants, impliqués directement dans sa mise en œuvre à l’université. Elle ne vise pas à examiner les aspects budgétaires dans la perspective très corporatiste qui a pu être observée les dernières semaines.
Notre objectif est double. Dans un premier temps, sur la base d’un autre format que celui de la carte blanche de revendication, il s’agit de prendre du recul par rapport au complexe, mais important chantier de la réforme de la formation initiale annoncée en Belgique francophone. Le second objectif vise à s’inscrire dans la lignée de certains textes ou parties d’ouvrages qui ont tenté de documenter les différentes évolutions et mécanismes sous-jacents — on pourrait dire « conceptions pédagogiques » — qui nourrissent la réflexion ou la discussion autour de la formation initiale des enseignants en Belgique francophone2.
Le point d’entrée de ce texte, après un rapide historique permettant de repréciser certaines dimensions essentielles et caractéristiques de ces évolutions, est le Décret relatif à la réforme de la formation initiale des enseignants, adopté en février 20193. Dans une perspective chronologique, un détour par la Déclaration de politique communautaire (DPC) de septembre 2019 permet de comprendre, si pas le virage, à tout le moins le freinage brutal qu’a vécu cette réforme… qui aurait dû être mise en œuvre à l’heure d’écrire ces lignes, c’est-à-dire, dès septembre 2020. La proposition de modification de ce décret (avant même sa mise en œuvre, ce qui n’est pas trivial), l’avant-projet de décret soumis pour avis à l’Ares, avant l’été 2020, est analysé. Parallèlement à cette présentation de textes de nature « politico-juridique », cet article entend également rapporter le positionnement de certains acteurs, ici les opérateurs de formation, vis-à-vis de ces différents épisodes.
D’où venons-nous ?
Depuis le rapport de la commission de Landsheere (1990) jusqu’à 2001, plusieurs projets de réformes de la formation initiale des enseignants ont été annoncés, sans que de réelles avancées ne puissent être constatées (Beckers, 1999). En 2001 et 2002, deux décrets redéfinissant la formation initiale des instituteurs et des régents ainsi que celle des agrégés de l’enseignement secondaire supérieur sont votés4. Si la question de l’universitarisation de la formation de tous les enseignants s’était posée dès le rapport de Landsheere, ces décrets maintiennent un système de formation différent selon le niveau d’enseignement auquel s’adressent les enseignants, tant du point de vue de l’opérateur (haute école du niveau maternel à secondaire inférieur et université pour les enseignants du secondaire supérieur)5 que de la conception même de ces formations (simultanée en haute école et consécutive, à la suite du master, via une agrégation, à l’université) ou du niveau de diplomation (premier cycle contre deuxième cycle + agrégation). Paradoxalement, ces formations concourent chacune au développement de treize compétences identiques chez tous les futurs enseignants, ce qui annonce une forme d’unicité du métier, sans parvenir cependant, à cette époque, à se matérialiser dans une formation réellement équivalente et harmonisée, à défaut d’être identique et unifiée.
Quelques années plus tard, en 2004, le décret « Bologne », plus largement consacré à l’enseignement supérieur, fait « naitre » un master à finalité didactique au sein duquel la formation à l’enseignement (l’agrégation) se trouve intégrée, sans la remplacer en tant que telle (les étudiants ayant toujours l’opportunité de réaliser un master disciplinaire suivi de l’agrégation). Cette modification des parcours reconnait ainsi qu’il est possible, voire souhaitable, qu’un étudiant inscrit à l’université puisse faire le choix du métier d’enseignant alors même qu’il est encore en formation dans sa discipline. Ce faisant, ce décret permet de commencer plus tôt sa formation professionnelle et facilite l’accès au métier d’enseignant. L’allongement inscrit dans le décret « Bologne » de certaines formations de deuxième cycle, qui passent d’une licence en quatre ans à un master en cinq ans, notamment dans les domaines qui conduisent le plus à l’enseignement, est en quelque sorte neutralisé, sans grignoter la place des disciplines qui y sont également renforcées.
Un vent de changement : le décret de février 2019 définissant la « nouvelle » formation initiale des enseignants
Informé, notamment par le rapport de recherche de De Graef et ses collègues6, des différents « problèmes » caractérisant la formation initiale de ses enseignants (coexistence de deux modèles de formation, orientation de second choix vers la formation à l’enseignement, difficulté à persister dans la profession…), et sur la base du travail préparatoire réalisé par le Groupe des quatre opérateurs (GT4O)7, le politique (en l’occurrence le ministre en charge de l’enseignement supérieur)8 parvient, non sans atermoiements, à faire adopter, en février 2019, en toute fin de législature, un texte revisitant fortement la formation initiale des enseignants.
S’il fallait pointer deux des idées-forces du décret, ce sont alors les termes « masterisation » et « harmonisation » (de la formation) qu’il faudrait souligner. L’un des changements majeurs concerne le parcours de tous les futurs enseignants se destinant à enseigner de la maternelle à l’enseignement secondaire inférieur puisqu’il s’allonge d’un an (quatre années) et une cinquième année de spécialisation pourrait même être réalisée (sans pour autant être obligatoire, faute de consensus entre partenaires de la majorité précédente et malgré leur Déclaration de politique communautaire 2014 – 2019). Cette formation passe ainsi au niveau 7 du Cadre de certification, soit le master.
Concernant les enseignants du secondaire supérieur, une proposition forte concrétisant le principe d’unicité du métier est élaborée : la formation à l’enseignement pourra être entreprise, à l’université, dès la première année de bachelier (via la section 4), moyennant 30 crédits « pédagogiques » sur les 180 que compte le bachelier de la discipline qui y correspond… sur le modèle des « mineures » déjà pratiqué par certaines universités9.
Pour mettre en œuvre l’ensemble de ces évolutions fondamentales, les opérateurs de formation (université et haute école) seront engagés dans un processus de codiplomation et chacun de ces opérateurs interviendra tant dans les enseignements de bachelier que de master, selon des répartitions fixes, précisées par le décret. Un budget spécifique, hors financement des institutions d’enseignement supérieur et de leur refinancement, est prévu et des modalités particulières sont également décidées pour répartir les moyens adéquats.
Afin d’agir sur un autre aspect du système éducatif générateur de difficultés scolaires pour les élèves (ici le phénomène de rupture pédagogique entre les niveaux d’enseignement), le décret rompt avec les empans classiques de formation (enseignant strictement formé à l’enseignement maternel, enseignant primaire strictement formé à l’enseignement primaire…) en privilégiant le principe de « tuilage ». L’enseignant maternel (entendu comme l’étudiant réalisant la future section 1) pourra ainsi intervenir au début de l’enseignement primaire ; l’enseignant du secondaire inférieur (entendu comme l’étudiant réalisant la future section 3) pourra, quant à lui, intervenir à la fin de l’enseignement primaire…
Bien informés de la mise en œuvre imminente de cette réforme, les différents consortiums (les regroupements de hautes écoles avec une ou plusieurs universités) avaient par ailleurs déjà entamé, de manière intense, la préparation du déploiement de ces nouvelles formations.
Mise à l’arrêt brutal : la Déclaration de politique communautaire de 2019
Entre l’adoption du décret en février 2019 et sa mise en œuvre opérationnelle en septembre 2020, se tiennent des élections législatives. À l’issue de celles-ci, une nouvelle équipe en place (comprenant notamment certains anciens partenaires de la majorité), sans aucune communication préalable sur le sujet, annonce dans sa Déclaration de politique communautaire (DPC 2019 – 2024): « En accord avec l’Ares, la formation initiale des enseignants sera postposée d’un an. Le gouvernement demandera à l’Ares d’utiliser ce délai afin de :
- Examiner la capacité opérationnelle de la mise en œuvre de la réforme par les établissements d’enseignement supérieur.
- Le cas échéant, adapter la réforme quant à ses modalités et sa mise en œuvre.
- Évaluer le cout d’organisation de la réforme de la formation initiale des enseignants et son intégration dans la trajectoire budgétaire. »
S’agissant, dans cet article, de documenter l’évolution du dossier, il semble nécessaire de questionner, triplement, cette prise de position politique qui aura l’effet d’une réelle onde de choc, à tout le moins dans le monde de la formation des enseignants.
Le premier aspect que l’on peut questionner est le positionnement de l’Ares supposée favorable à cette décision : nombre d’opérateurs se sont étonnés de cette affirmation, considérant que ce sont ces opérateurs eux-mêmes qui, en quelque sorte, « composent » l’Ares et que nulle trace de cette approbation n’a pu être trouvée.
Le deuxième élément de questionnement réside dans l’annonce par le gouvernement, neuf mois après que le vote du Décret, anticipé plusieurs mois auparavant par les opérateurs, de se soucier de leur capacité organisationnelle à mettre en place cette réforme. Cette préoccupation semble avoir été formulée sans, visiblement, avoir réalisé de concertations systématiques auprès de ces opérateurs puisque quelques jours seulement après la parution du texte de la DPC 2019 – 2024, le quotidien Le Soir publiait une carte blanche signée par deux-cent-soixante acteurs de la formation initiale (hautes écoles et universités) intitulée « Réforme de la formation initiale des enseignants : de la méprise au mépris ? ». Cette carte blanche, outre la mise en avant de l’attachement du secteur à cette réforme, rappelait, par ces mots « ne nous faites pas faire marche arrière », à quel point cette mise en œuvre était effective et à quelques encablures, seulement, d’un aboutissement.
Le troisième élément de questionnement est en lien avec l’aspect de soutenabilité financière du projet. D’aucuns se seront en effet étonnés de constater qu’une équipe politique en place10 tienne à « refaire les calculs » permettant d’estimer le cout de l’addition que représente la mise en œuvre de cette réforme. Douze mois plus tard, en septembre 2020, cette question reste cependant en suspens. En cause, certainement les discussions et les inconnues sur ce qui génèrera les vrais couts de la réforme : à savoir, le paiement du salaire de dizaines de milliers d’enseignants à un nouveau barème… 401… (?)… dont le « juste prix » n’est à ce jour pas encore connu11. Reste également comme inconnue, la proportion d’enseignants qui pourraient s’orienter vers la cinquième année et obtenir, de ce fait, le barème 501 des collègues du secondaire supérieur ou des détenteurs d’un master en sciences de l’éducation. On le voit, le cout direct, lié à l’organisation de la formation, n’est en fait pas le cœur du problème. L’appréhension de certains décideurs académiques porte sur l’accroissement du financement de l’enseignement obligatoire, doté à la suite de la réforme, d’enseignants qualifiés au niveau master, au détriment du financement de l’enseignement supérieur, notoirement mal financé et en situation de définancement structurel par étudiant.
Dix mois plus tard, avant-projet de décret, modifiant le décret réformant la formation initiale des enseignants : des changements radicaux, mais peu argumentés
Alors que la DPC 2019 – 2020 a été particulièrement brutale pour les opérateurs de formation, s’ensuit une période étrangement silencieuse durant laquelle la communication politique (et singulièrement ministérielle12) entraine, chez les opérateurs de formation, une démobilisation des équipes en charge de la mise en œuvre de cette réforme prévue à la rentrée 2020.
Ce n’est que cinq à six mois plus tard, en janvier et février 2020, que de vagues électrochocs seront mis en œuvre, auprès des opérateurs de formation, afin de recueillir quelques informations sur le contenu et les modalités de mise en œuvre de la réforme. Faisant suite à cette fausse tentative de réanimation, le statut de la réforme, à venir ou non, est à nouveau maintenu dans un état léthargique pour une nouvelle période de cinq mois se clôturant, en juillet 2020, par la diffusion d’un avant-projet de décret modifiant le décret de mise en œuvre de la réforme.
Cet avant-projet de décret, loin d’être cosmétique, modifie en profondeur certains aspects de la réforme, sans apaiser les interrogations par rapport à la soutenabilité du projet des plus inquiets. Ces modifications s’articulent autour de huit axes, succinctement mentionnés à la suite : précisions des objectifs et des compétences à atteindre, modification de la composition et des missions de l’instance en charge du pilotage, modification de la répartition des crédits de formation, mise en adéquation des appariements vis-à-vis des travaux du Pacte pour un Enseignement d’Excellence, précisions quant au test de maitrise de la langue française, élaboration d’une quatrième année de formation essentiellement composée de stages, suppression de la formation à l’enseignement dès l’entrée à l’université (bachelier section 4), simplification des masters de spécialisation (cinquième année).
Si certaines de ces modifications sont incontestablement pertinentes (notamment en ce qui concerne la simplification des « nouveaux » masters de spécialisation introduits par le décret) ou utiles (précisions des objectifs que poursuit la formation13) et/ou techniques, sans implications majeures sur la philosophie initiale du texte (mise en adéquation des appariements, modification de la Cocofie (Commission de coordination de la formation initiale des enseignants, de l’enseignement obligatoire, de promotion sociale et secondaire artistique à horaire réduit) et précision quant au test de maitrise de la langue), d’autres entrainent des modifications radicales des éléments fondateurs du texte voté en février 2019.
L’harmonisation… pas pour tout de suite
Le premier principe remis en question par cet avant-projet de décret, alors qu’il est poursuivi depuis plus de vingt ans, est celui de l’harmonisation de la formation. Même si les parcours proposés (les sections 1 à 3 versus la section 4) affichaient certaines différences notables, la possibilité laissée aux étudiants entrant à l’université de se destiner au métier d’enseignant résonnait symboliquement comme un message fort, y compris pour les partenaires des hautes écoles. L’actuelle proposition (à savoir permettre l’entame de cette formation au niveau du master) n’est qu’une modification, somme toute légère, des actuels masters à finalité didactique. Cette revendication est avancée par certaines universités, mais pas par toutes… L’avant-projet n’en dit rien, mais semble bien avoir tranché sur le mode : « les jeunes ne savent qu’ils veulent devenir enseignants en entrant à l’université », alors que d’autres sont persuadés de devenir médecin ou ingénieur, des mois avant leur entrée et s’y préparent…
Derrière l’apparente question des crédits…
Au travers de la question des crédits (répartition, volume par axe, volume par type d’opérateur), plusieurs impacts majeurs se cachent, au-delà de son caractère « comptable ». Le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, dans son avant-projet, sans qu’il n’en fournisse la moindre justification, modifie radicalement l’architecture de la formation des enseignants se destinant à l’enseignement secondaire supérieur (section 4). Ainsi, en substance, on observe une montée en puissance des crédits dédiés aux aspects disciplinaires et à la communication, tandis que les crédits liés au cœur du métier, à savoir, les aspects pédagogiques et didactiques et aux sciences humaines et sociales, surtout, se font largement détrousser14.
Quelle image de l’enseignant l’avant-projet de décret renvoie-t-il ? Une périphrase, à peine caricaturale, décrit cet enseignant comme celui « qui connait bien sa matière et qui en parle bien…, mais qui se préoccupe peu, voire très peu, des mécanismes d’apprentissage sous-jacents et des moyens à mettre en œuvre pour dépasser les difficultés éprouvées par ses élèves ». Cette conception de l’enseignant renvoie à une vision dépassée d’un « maitre savant » usant de « pratiques transmissives coupables de magistrocentrisme et d’indifférence aux différences15 » parce que non outillé pour y faire face.
Promouvoir une telle vision de l’enseignant c’est faire fi des réalités actuelles de terrain. Aujourd’hui, dans sa classe (ou ses classes), l’enseignant doit pouvoir faire face à de multiples défis dont le principal concerne la gestion d’un groupe classe hétérogène, rassemblant des élèves aux profils variés, présentant ou non des difficultés d’apprentissage (voire des troubles d’apprentissage) plus ou moins importants. Que penser alors d’un enseignant qui maitriserait parfaitement certains contenus de matières, mais pas nécessairement ceux qui doivent être enseignés, sans parvenir à les transposer en tenant compte du profil de ses élèves ? De même, comment l’enseignant pourra-t-il aider ses élèves à apprendre s’il ne parvient pas à identifier les causes des difficultés d’apprentissage ou à déceler un éventuel trouble des apprentissages ?
La contrepartie comptable accordée aux hautes écoles poursuit le détricotage de l’architecture générale, jusqu’à l’absurde comme on va le voir. Dans cette même vague de modifications majeures nullement étayées, l’architecture de la quatrième année de formation (celle dite de « master ») pour les sections 1 à 3, devrait, au sens de l’avant-projet de décret, être composée d’au moins 28 crédits de l’axe pratique (sur 55 pour l’ensemble de la formation pratique). Le seul embryon d’argument réside peut-être dans la référence à la consultation d’autres modèles nationaux de formation…, mais étant donné que la direction prise par cet avant-projet de décret tend à ressembler à un modèle « à la française », essuyant par ailleurs de nombreuses critiques dans le monde scientifique, nous espérons croire qu’il ne s’agit pas là d’un choix conscient en référence à ce « modèle » fort perfectible.
Quels seraient les impacts de la mise en œuvre d’une telle conception de la formation ? À tout le moins, des étudiants de dernière année se retrouveraient durant au moins la moitié de l’année en stage, voire plus, considérant que la seule autre activité incontournable de la dernière année est le mémoire à hauteur de 15 crédits. Comment dès lors envisager une réelle, cohérente et, surtout, encadrée16, montée en puissance des aspects liés à la pratique au sein de la formation ? Comment corriger le tir en dernière année de formation si des lacunes devaient être observées ? Que reste-t-il du modèle de l’alternance intégrative prônée jusqu’alors ? Que répondre à ceux qui pourraient prétendre que, sans le dire, il s’agirait, à bas couts, de résoudre la question de la pénurie dans l’enseignement en proposant un modèle « à la française » éculé, sans assurer un statut de fonctionnaire stagiaire rémunéré et reconnu aux « stagiaires » de dernière année, privés de maitres de stage et placés en responsabilité de classe, précisément comme lorsque la formation pédagogique avait totalement disparu, sous le quinquennat de Sarkozy ?
Parallèlement à la modification de la ventilation des crédits liés à l’axe pratique, une autre volonté du texte viserait, sans l’imposer, à permettre de modifier la clef de répartition des crédits bachelier-master dispensés par l’université (dans les sections 1 à 3), actuellement organisés selon la fourchette 30/30, en passant à 20/40 crédits.
À nouveau, la lecture de cette proposition n’est pas sans poser question : comment comprendre la volonté politique d’amener les universités à davantage prendre en compte les aspects pratique de la formation des maitres (non pas qu’elles ne le fassent pas déjà dans le cadre des agrégations et master didactique, mais bien parce que cela diminue de facto leur impact sur la formation « théorique », scientifique et disciplinaire des futurs enseignants)? On observerait alors une formation davantage théorique en bachelier, assurée principalement par les hautes écoles et une année de master, principalement pratique, assurée par les universités.
Et l’attractivité dans tout ça ?
Cet avant-projet avance donc des propositions inattendues ou peu, voire pas, consensuelles (voir par exemple, la position des syndicats dans leur note en front commun du 28 aout 2020), d’autres aspects nécessitant pourtant des éclairages qui restent cruellement sans réponse. C’est le cas de la question de l’attractivité de cette formation initiale… pour les enseignants actuellement en fonction.
Les opérateurs de formation le savent, le défi qui se cache derrière ce projet est de parvenir à accueillir, voire à absorber, les dizaines de milliers d’enseignants actuellement en fonction qui choisiraient de poursuivre la formation en quatre ou en cinq ans. À ce jour, aucune information quant à cette mise en œuvre n’a été avancée, et elle ne pourra pas uniquement se résoudre par la fixation d’un barème, attractif ou pas ! En effet, la question de l’accès (et de la valorisation de l’expérience par exemple) devra nécessairement être prise en compte, ce que ne fait pas le décret et ce que ne résout pas plus l’avant-projet.
À ce stade, seule la cinquième année de la formation semble faire l’objet de réflexions quant aux conditions d’accès. À ce sujet, notons l’apparition d’un critère qui n’avait jamais été utilisé jusqu’alors en formation initiale : celui de l’ancienneté professionnelle (de cinq ans), nécessaire pour accéder à ce master de spécialisation. Une lecture fine de cet avant-projet montre également qu’un certain flou existe quant à la nécessité, pour les enseignants déjà en fonction, d’attendre (après le master) cinq années d’expérience avant de pouvoir s’inscrire à cette formation… En dehors de l’aspect symbolique de la décision de faire attendre encore cinq ans ceux qui totalisent parfois des dizaines d’années d’expérience pour entreprendre leur cinquième année, l’absence de précision laisse les opérateurs de formation dans une totale incertitude par rapport à l’année à partir de laquelle ils pourront organiser cette cinquième année : dès 2025 – 2026, si l’expérience antérieure à l’obtention du master est comptabilisée ou seulement cinq ans plus tard.
Pour quelles réactions ?
Qu’en est-il des positionnements vis-à-vis de ce dossier ? Difficile de répondre complètement et pour l’ensemble des opérateurs car les écrits sur le sujet sont rares. Quelques-uns, récents, sont néanmoins à épingler car ils révèlent le tir de barrage — peut-être même un torpillage orchestré à travers un premier tir de deux navires amiraux universitaires et ensuite l’appui de la flottille d’une trentaine de relais facultaires — que subit la réforme de la formation initiale des enseignants ; aussi nourri soit-il, il ne constitue qu’une expression de la difficulté à mettre en œuvre cette réforme, celle-ci étant davantage devenue un enjeu de négociations financières de la part des universités qu’un enjeu de société pour ces acteurs.
Il s’agit pour le premier texte, d’une publication, non concertée de deux recteurs (UCLouvain et ULiège) parue en juillet 2020, dans L’Écho, sous le titre : « Réforme de la formation des enseignants : stop aux dégâts collatéraux ». Ce texte, s’il annonce ne pas remettre en question l’intérêt de réfléchir à la formation initiale des enseignants, plaide cependant pour une priorisation des dossiers auxquels doit s’atteler la Fédération Wallonie-Bruxelles. À ce sujet, la position des auteurs est claire : l’enjeu du refinancement général des universités leur apparait comme « plus » prioritaire que celui d’une réforme ambitieuse de la formation des enseignants. Entendez là, « pourquoi pas une réforme de la formation des enseignants, mais plus tard… si on a les sous » ! Cet argument risque fort de pouvoir être mobilisé chaque fois qu’une nouvelle demande d’habilitation est formulée, quand bien même la formation peut être jugée comme essentielle.
C’est le même argument que l’on retrouve deux mois plus tard, le 15 septembre, dans Le Soir, dans une version « doyens ». Il s’agit d’une carte blanche intitulée « La nouvelle formation initiale des enseignants, un projet susceptible de ruiner les universités », signée par trente-et-un doyens. Cette carte blanche revient sur l’inconnue de taille continuant de planer sur la réforme, à savoir que, « bien que les discussions soient en cours depuis quatre ans, pas une seule simulation financière rigoureuse n’a pu être proposée aux universités ». Si cette carte blanche réunit trente-et-un doyens, le reste du texte, ne propose, malheureusement, aucune alternative, aucun argument de fond, aucune avancée sur le dossier tant les propositions formulées sont vagues et/ou non étayées, à l’image de ces deux extraits : « au final, pourquoi une proposition si complexe alors que des alternatives moins onéreuses et plus simples existent ? » […]
« Pire, selon certains analystes, ce projet pourrait tout simplement ruiner les finances des universités. Pour d’autres, il pourrait carrément couler les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans son ensemble. »
Le lecteur intéressé par le sujet, à la lecture de ces extraits, ne peut s’empêcher de se poser les questions suivantes : si des alternatives simples et moins onéreuses existent, quelles sont-elles s’agit-il et pourquoi ne pas les présenter et en montrer le bienfondé ? Et si des analystes (et des doyens) ont accès à des informations financières, à ce stade non divulguées, pourquoi ne pas en dire davantage… ou ne rien dire du tout ?
Si certains arguments financiers en défaveur de la mise en place de la réforme sont systématiquement évoqués dans les cartes blanches, d’autres sont étonnamment tus. Tant qu’à mettre à l’avant-plan des aspects financiers (au détriment des aspects pédagogiques), il s’avère tout aussi important de questionner le cout actuel de la formation des enseignants. Alors que l’on sait qu’un enseignant sur cinq quitte la profession durant sa première année (et un enseignant sur trois durant les cinq premières années), quid du cout de cette formation spécifique qui ne profitera, in fine, à aucun élève ? En prenant du recul et en envisageant la situation sur le plus long terme, on peut également questionner le cout (financier, bien sûr, mais surtout humain et sociétal) du système actuel, presque à bout de souffle, notamment caractérisé par un important malêtre des enseignants (dont une partie pour burn-out et stress)… sans omettre l’impact de cette situation sur le parcours scolaire des élèves et du redoublement dont notre système reste le champion du monde des pays industrialisés.
N’en jetez plus…
Si notre article devait être totalement complet, il se ferait également l’écho, de ceux qui regrettent que la formation initiale à venir risque de moins jouer le rôle d’ascenseur social que d’aucuns lui attribuaient…, mais ce serait certainement un exercice délicat à réaliser car, tout en reconnaissant l’importance de cette préoccupation en ce qui concerne l’enseignement supérieur, il faudrait sans doute aussi rappeler que l’enjeu de la réforme de la formation initiale n’est pas, d’abord ou exclusivement, d’assurer l’ascenseur social pour les futurs enseignants, mais bien de tout mettre en œuvre afin que cet ascenseur social fonctionne pour les bénéficiaires ultimes du système, à savoir leurs élèves…
Dans cette veine des aspects non traités ici, il faudrait sans doute également rappeler les différentes tentatives de mise à mort de tout test diagnostic de maitrise de la langue digne de ce nom17 à l’entrée en formation (dont l’échec n’a pour seule conséquence, à court terme, que de suivre un cours de maitrise de la langue supplémentaire!) alors même que la maitrise insuffisante de la langue d’enseignement est identifiée comme une source importante d’échec par l’évaluation de 2012. Ici encore, il aurait été difficile de le faire sans mettre ce scénario en perspective d’un système éducatif souvent pris en exemple (la Finlande, pour la citer), où pour accéder à la formation d’enseignant, un examen d’entrée (couplé à une interview pour ceux ayant réussi l’examen) ne portant pas seulement sur la maitrise de la langue, n’est réussi que par environ un candidat sur dix18. Ce faisant, cette discussion élargirait sans doute le débat autour des examens d’entrée : celui de médecine/dentisterie que la Fédération Wallonie-Bruxelles ne voulait pas vraiment et celui des facultés de sciences appliquées que la même Fédération n’a jamais réussi à supprimer, malgré au moins une déclaration de politique communautaire en ce sens.
Redorer l’image de l’enseignant et de l’école dans la société ne passera pas uniquement par une revalorisation salariale ou une masterisation. Cela passera aussi par la mise en œuvre d’une formation complète, de qualité, à laquelle se destinent par choix, et non par relégation ou résignation, les futurs enseignants. Il est de notre responsabilité de citoyens et de chercheurs de dessiner cette formation… ou d’en soutenir les esquisses lorsqu’elles se présentent. L’avant-projet de décret de cet été ne semble pas vraiment suivre cette voie.
Il a été difficile, pour la référence culturelle inscrite dans le titre (celui d’un roman d’André Dhotel), de faire un choix. Les auteurs ont hésité avec Le Pays du sourire car, « comme chacun sait, dans Le Pays du sourire, le titre est prometteur, mais l’on ne rit guère » ou le Pays de fort fort lointain où désespère d’arriver un jour l’Ane dans Shrek. Au lecteur, après avoir pris connaissance de l’article, de faire le choix du titre qui lui semble le plus judicieux !
- La référence est ici faite aux deux « sorties » dans la presse, l’une parue en juillet 2020 dans L’Écho et signée par deux recteurs (UCLouvain et ULiège), l’autre, parue en septembre 2020 dans Le Soir et signée par trente-et-un doyens. Ces articles sont au cœur de la partie 4 de cette contribution. On pourrait y ajouter, même si le texte est plus nuancé et documenté, la récente opinion du recteur honoraire Lambert dans La Libre Belgique du 29 septembre 2020.
- Beckers J. (1999), La formation initiale des jeunes enseignants en Communauté française de Belgique : Une affaire à rebondissement, Puzzle, 6, p. 10 – 11. Bocquillon M., Demeuse M. et Derobertmasure A. (2017), « Histoire d’une réforme en cours : La formation initiale des enseignants en communauté française de Belgique », Administration & Éducation, 154(2), p. 137 – 144, https://cutt.ly/kgs0wkq. Derobertmasure A. et Demeuse M. (2017), « Chapitre 4. Réformer la formation initiale des enseignants en Belgique francophone : une accélération bien lente… ou trop rapide », dans Julie Desjardins éd., Comment changent les formations d’enseignants : Recherches et pratiques (p. 71 – 82), De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, Belgique.
- Même si celle-ci a déjà été décrite dans la presse, il semble ici utile pour la compréhension générale de l’évolution de ce texte, d’en rapporter les points majeurs. Décret du 7 février 2019 définissant la formation initiale des enseignants (Communauté française de Belgique).
- Fourez G. (2002), « Les formations initiales des enseignants », La Revue nouvelle, n°9, p. 96 – 103.
- Ce traitement différent est bien plus large que ce que nous évoquons ici puisque la formation des enseignants de l’artistique ou de l’enseignement technique ou professionnel devrait aussi faire l’objet d’un développement spécifique.
- Degraef V., Mertens A., Rodriguez J., Franssen A. et Van Campenhoudt L. (2012), « Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles. Bruxelles », Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique.
- Ce groupe intègre des représentants des quatre opérateurs actuels de la formation (universités, hautes écoles, écoles supérieures des arts et enseignement de promotion sociale).
- Ministre Jean Claude Marcourt (PS).
- Comme le précise, par exemple, l’UCLouvain, « À l’UCLouvain, le programme de premier cycle (bachelier) se décline généralement en une “majeure” (150 crédits), qui assure la formation correspondant à l’intitulé du diplôme, et une “mineure” (30 crédits). Conçue comme un ensemble cohérent de cours et en fonction du choix effectué par l’étudiant·e, la mineure poursuit plus particulièrement un des objectifs suivants : l’initiation à une autre discipline ; l’accès à un master différent de celui induit par la majeure choisie ; le complément à la majeure ; la sensibilisation à un enjeu de société ».
- Qui plus est, comme dit précédemment, une équipe comprenant certains anciens partenaires de la majorité précédente.
- Même si des estimations, du simple au sextuple en passant par une estimation à mi-chemin entre ces extrêmes ont été de nombreuses fois avancées dans la presse (cf. les estimations du cabinet Marcourt, les estimations du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec) et les estimations d’une équipe de chercheurs de l’université de Namur).
- La ministre en charge de ce dossier est désormais Valérie Glatigny (MR).
- Même si, prenant ce référentiel pour acquis, la compétence liée à la « recherche » est rendue précaire ; en effet, parmi les différentes facettes enseignantes valorisées, celle de l’enseignant-chercheur se trouve amoindrie, pour ne pas dire absente. À titre illustratif, mais symbolique, il est par exemple difficile, s’agissant de connecter les UE du programme à ces compétences, de parvenir à y connecter l’UE… mémoire !
- Au passage, la section 4 devient le cursus pour lequel la liberté des pouvoirs organisateurs se voit la plus réduite.
- Maulini O. (1999), [« La gestion de classe. Considérations théoriques autour d’une notion bien (trop?) pratique », consulté le 27 septembre 2020.
- Sur la question l’accompagnement et de l’encadrement des stagiaires, l’avant-projet ne remet pas en question une avancée fondamentale, celle de mettre en place un certificat de formation des maitres de stage (même si le lien entre l’obtention de ce certificat et la mise en œuvre, dans les faits, de ce statut reste flou). Bien que nécessaire, ce certificat ne fait l’objet d’aucun financement, laissant aux participants ou aux opérateurs à prendre en charge le cout de l’opération.
- Certains ayant même défendu que le niveau de maitrise du français à l’entrée en formation aurait pu/dû être d’un niveau B2, d’une échelle par ailleurs utilisée dans le cadre de l’évaluation du niveau en langue… étrangère !
- Paronen P. et Lappi O. (2018), Finnish teachers and principals figures, Finish National Agency for Survey, Helsinki, Juvenes Print.
