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Refonder le secondaire : pour un débat
Pour ce dossier de rentrée, La Revue nouvelle a voulu accueillir les premiers résultats de la réflexion que le groupe Meta1 a lancée voici quelque temps sur l’école secondaire. Cette démarche poursuit un objectif ambitieux, mais crucial : mettre en débat des analyses et propositions qui seraient à même de contribuer à la refondation de ce niveau d’enseignement. Le présent […]
Pour ce dossier de rentrée, La Revue nouvelle a voulu accueillir les premiers résultats de la réflexion que le groupe Meta1 a lancée voici quelque temps sur l’école secondaire. Cette démarche poursuit un objectif ambitieux, mais crucial : mettre en débat des analyses et propositions qui seraient à même de contribuer à la refondation de ce niveau d’enseignement.
Le présent dossier, qui ne constitue qu’une étape de ce projet, se compose de deux parties. La première, due à la plume de Francis Tilman, propose un diagnostic de la crise de l’enseignement secondaire en Communauté française qui veut se démarquer des explications souvent unilatérales privilégiant un seul angle de vue, nécessairement trop partiel. L’originalité de la perspective de ce premier texte est d’être, au contraire, systémique. Elle vise à se placer à la hauteur des problèmes détectés en prenant en compte l’ensemble des facteurs pouvant expliquer la situation. L’exercice est risqué : tel aspect sera nécessairement trop peu ou trop vite abordé, tel angle d’approche contesté. Mais on peut dire que l’analyse proposée se rapproche, mieux qu’aucune autre auparavant, de cet idéal systémique. Le diagnostic propose une vue d’ensemble cohérente où les différents aspects de la crise sont à la fois détaillés et articulés les uns aux autres. Il s’organise autour d’un double fil conducteur : les transformations culturelles qui touchent l’école et la manière dont elles sont vécues par les principaux protagonistes de la situation de classe : les élèves (et derrière eux leurs parents) et, surtout, les enseignants.
Bien plus que le fondamental en son amont et le supérieur en son aval, l’enseignement secondaire est profondément touché par une crise des finalités et un brouillage des missions, par les tensions voire les contradictions entre, d’une part, la culture (valeurs, normes, centres d’intérêt, modes de sociabilité…) des jeunes, transformée profondément par les médias modernes, en particulier la télévision et internet, et, d’autre part, la culture de l’institution scolaire. Le texte montre particulièrement bien la contradiction épistémologique entre la logique scolaire traditionnelle de transmission par le professeur de savoirs stables, formels, raisonnés, disciplinaire, à visée universelle, et la logique consumériste et individualiste actuellement en vigueur, où les savoirs sont relatifs, doivent être fonctionnels et faire sens immédiatement, où ils sont non pas transmis par des maîtres, mais construits par une myriade d’élèves singuliers « coachés » par des enseignants.
Loin d’avoir contribué à résoudre les problèmes et d’avoir allégé la pression sur le monde enseignant, le système institutionnel et politique n’a cessé de fuir en avant, aggravant encore la crise du secondaire de plusieurs manières. Structurellement tout d’abord, l’organisation du système scolaire en « quasi-marché » renforce la tendance consumériste des parents d’élèves. Ensuite et surtout, les réponses politiques à la crise de l’enseignement ont directement contribué à la remise en cause de la conception traditionnelle des savoirs et du métier d’enseignant. Ajoutant aux missions traditionnelles de l’école un ensemble de missions nouvelles, imposant une conception de l’enseignement comme acquisition de compétences à partir d’une pédagogie de la situation-problème devant obligatoirement conduire à la réussite, considérée comme un droit, les réformes successives répondent aux problèmes par des principes éthiques et didactiques abstraits et généraux ou par des catalogues de solutions techniques, plutôt qu’à partir des réalités du terrain. Elles placent la responsabilité de leurs difficultés sur les enseignants eux-mêmes. D’un côté, on exige d’eux de la réflexivité et de l’initiative ; de l’autre, on les inonde de directives bureaucratiques qui leur rappellent qu’avant d’être des artisans plus ou moins talentueux, ils sont d’abord des fonctionnaires. Cerise sur le gâteau, ils subissent enfin les pressions scientifiques des systèmes d’évaluation internationaux (tel Pisa) dont les résultats, largement répercutés dans les médias, proclament haut et fort que leurs élèves sont parmi les plus mal formés du monde industriel avancé. Bref, ils se sentent dépossédés de leur propre métier sur un bateau sans gouvernail ni direction claire et qui prend l’eau de toutes parts.
Dans ce texte, les aspects institutionnels ne sont toutefois abordés que dans la mesure où ils compliquent la vie des enseignants. La manière dont, par leur travail et leur vision des choses, les acteurs institutionnels (pouvoirs organisateurs, inspecteurs, responsables des réseaux, pouvoirs publics, directions d’établissements, départements pédagogiques des hautes écoles et agrégations universitaires…) produisent concrètement le système scolaire n’est pas analysée ici. On ne peut en faire le reproche aux auteurs dont la réflexion est volontairement centrée sur l’expérience de ceux qui font effectivement classe et dont les nécessités (comme des finalités claires et réalistes ainsi que la levée des malentendus entre enseignants et élèves) doivent constituer le point de départ d’une réflexion sur le fonctionnement du système institutionnel et sur les fonctions de ses composantes et de ses agents. Tel est en effet le « bon sens » que doit emprunter dorénavant la réflexion : partir des nécessités du bas, qui, loin d’être « au ras des pâquerettes », doivent construire au quotidien le lien pratique entre les contingences de l’école réelle et ses finalités pour les élèves comme pour la société.
La seconde partie, rédigée cette fois par les trois animateurs de Meta, Barbara Dufour, Dominique Grootaers et Francis Tilman, est encore plus risquée puisqu’elle s’avance sur le terrain des propositions. Une fois encore, Meta a en toute cohérence cherché à placer les pistes qu’il avance à la hauteur des problèmes détectés et de l’analyse qu’il en a faite. Mais par quel bout prendre les difficultés profondes que rencontre l’enseignement secondaire alors que ces difficultés font système au point de déboucher sur de réels cercles vicieux dans lesquels les acteurs se trouvent coincés ? Meta propose de distinguer quatre grands domaines qui doivent être repensés de manière approfondie : les objectifs généraux d’apprentissage de l’école secondaire, l’organisation ainsi les structures de cet enseignement, la pratique du métier de professeur et les méthodes pédagogiques. Le texte que nous publions dans ce dossier se centre sur le seul premier aspect. Les deux domaines suivant seront abordés dans des publications à télécharger sur les sites internet de Meta et de La Revue nouvelle, tandis que le dernier fera l’objet d’un travail de recherche de plus longue haleine.
Par la clarification qu’ils poursuivent et leur ambition, les objectifs pédagogiques avancés dans ce dossier susciteront immanquablement le débat qu’espèrent leurs auteurs. Meta propose d’orienter l’école secondaire sur le plan pédagogique autour de quatre principes. Si le premier, l’éducabilité, constitue un des principes sur lesquels les discours qui justifient les réformes actuelles se fondent, les trois suivants constituent de réelles ruptures. Les auteurs proposent tout d’abord d’abandonner le « puérocentrisme » pour privilégier une conception où l’élève doit être certes moteur de son apprentissage, mais n’est pas le producteur et le juge du contenu de cet apprentissage. Autre idée fondamentale : rompre avec une vision individualiste de la relation pédagogique, qui doit être « d’emblée incluse dans une dimension collective et un contexte social ». Enfin, il s’agirait de « simplifier les missions de l’enseignement pour se centrer sur le cœur de la cible », le développement des multiples formes d’intelligence et l’éducation au vivre ensemble, quitte à renvoyer à d’autres acteurs certaines missions aujourd’hui confiées à l’école.
Les deux parties qui structurent ce dossier sont donc à lire comme des invitations à l’analyse, la critique et la relance de nouvelles idées, dans une démarche de débat collectif. Ce débat se structurera dans les mois qui viennent autour de trois grandes étapes : la sollicitation de réactions aux analyses et propositions avancées, tout particulièrement via le site internet de Meta ; leur discussion au sein d’une journée d’études début 2009 ; et la publication de l’ensemble des contributions produites autour de ce projet de refondation de l’école secondaire.