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Réflexions d’un dimanche après-midi au Charlemagne. 20 février 2005
Ciels noirs et gris traversés de giboulées blanches. La gendarmerie place des chevaux de frise et des barbelés rue de la Loi. Les barrières Nadar sont inutiles. Il n’y aura pas de public pour cette rencontre au Sommet entre puissances démocratiques qui étrangement se joue à bureaux fermés. Sécurité d’abord ! Qu’est pour nous ce petit homme […]
Ciels noirs et gris traversés de giboulées blanches. La gendarmerie place des chevaux de frise et des barbelés rue de la Loi. Les barrières Nadar sont inutiles. Il n’y aura pas de public pour cette rencontre au Sommet entre puissances démocratiques qui étrangement se joue à bureaux fermés. Sécurité d’abord !
Qu’est pour nous ce petit homme qui porte ainsi la peur dans ses bagages ? Il a pourtant été tellement crâne, une fois passée la stupeur des attentats, sur les ruines de Ground zero. Brandira-t-il aussi un porte-voix pour parler aux agents de sécurité, aux policiers et aux officiels qui seuls auront accès à l’esplanade du Berlaymont le 22 février ? Pour les Américains, ce petit homme tantôt en gris, tantôt en bleu, est leur président, de bon ou de mauvais gré. Qu’importe son manque de stature morale et intellectuelle ! L’onction démocratique lui confère toute la légitimité que peut donner le vote du même nom, comme jadis aux rois de France l’huile de Reims. Le roi est mort ! Vive le roi ! Le président est élu ! Vive le président !
Va pour les Américains ! Quant à nous, Européens, il nous en faut davantage. Nous qui sommes hors de la portée des médias américains, que devons-nous penser de ce petit homme qui aime les chocolats belges ? On voudrait tellement qu’il ait l’autorité pour parler avec force de liberté, de justice, de démocratie, d’environnement ! Mais voilà, nous ne sommes pas convaincus : il est le président des États-Unis, mais nous, Européens, nous n’avons confiance ni dans sa bonne foi, ni dans son savoir-faire. Mais est-ce seulement à ce scepticisme dans lequel d’aucuns tiendront absolument à voir, pour se rassurer, le reflet de leurs catégories étroites — l’anti-américanisme, l’anti-atlantisme, voire une conception gaullienne de l’Europe — que tient le malaise devant l’accueil réservé à Bush ? Nos propres dirigeants ont-ils vraiment une meilleure idée sur l’organisation d’un monde plus juste et plus sûr ? Quelle foi ont-ils encore dans notre propre modèle pour mesurer désormais son succès à l’aune de la performance américaine ?
Dans l’univers du capitalisme de marché globalisé où l’intelligentsia déserte la politique pour les boardrooms, une nouvelle élite des affaires a‑historique et a‑morale classe les hommes politiques selon leur capacité à délivrer de la compétitivité, en Europe comme en Amérique. De ce point de vue, Kerry, style à part, aurait-il eu le loisir d’être très différent ? L’époque est pauvre en leaders visionnaires et d’envergure. On trouve de tels hommes en Asie, mais pour le moment plus chez nous. N’est-ce pas cela la source de notre malaise devant ce petit homme qui fait vider le Berlaymont en pleine semaine ? Cette déférence que nous lui marquons n’est-elle pas le miroir de notre propre faiblesse ? Celle-ci ne tient-elle pas d’abord au conformisme de pensée qui sévit au sommet de nos sociétés et à notre attachement à un ordre mondial insensiblement en train de basculer vers un nouvel ordre qu’un autre hémisphère — l’Asie — est en train d’inventer ? L’hégémonisme se meurt ! L’hégémonisme est mort ! Le monde se décentre vers l’Est. Un monde multipolaire émerge : l’Europe en sera-t-elle un pilier ? Ce n’est pas gagné d’avance. Mais cela vaut la peine d’essayer !
20 février 2005