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Réfléchir ? À quoi bon ?
Nous vous avons régulièrement tenu au courant, ces derniers mois, de nos craintes quant à l’avenir du financement de La Revue nouvelle. C’est que publier une revue de réflexion, aujourd’hui, est loin d’être une sinécure.
Nous vous avons régulièrement tenu au courant, ces derniers mois, de nos craintes quant à l’avenir du financement de La Revue nouvelle. C’est que publier une revue de réflexion, aujourd’hui, est loin d’être une sinécure.
Notre équation est la suivante : tout notre contenu est produit bénévolement, puisqu’aucun·e de nos auteur·ices n’est rémunéré·e. Les membres de notre comité de rédaction ne sont pas davantage payés, pas même indemnisés pour leurs frais. Il en va bien évidemment de même pour nos administrateur·ices et pour nos deux codirecteurs. Toutes ces personnes indispensables à la parution de la Revue sont motivées par leur intérêt pour les thématiques que nous abordons, par leur désir de communiquer le fruit de leurs réflexions, par leur volonté de participer à la vie intellectuelle et démocratique de notre société, ou encore par leur implication dans l’aventure humaine qu’est la Revue.
Bien entendu, pour que la Revue paraisse, il faut y consacrer énormément de temps, aussi il n’est pas envisageable de tout faire reposer sur le bénévolat. C’est pourquoi deux personnes ont pour profession d’œuvrer à sa parution : notre rédactrice en chef et notre secrétaire de rédaction. Au rang des couts, il faut aussi compter, bien entendu l’imprimeur, la correction des textes, le loyer de nos bureaux, la création et le fonctionnement de notre site internet… et l’envoi des exemplaires papier.
Pour résumer, on peut dire que notre équilibre financier se construit comme suit : le soutien public (un poste « ACS » et la subvention de la Communauté française à la presse périodique non commerciale) assure la viabilité de l’équipe, tandis que les ventes couvrent les frais de production matérielle de la Revue. En outre, une part énorme de la valeur de la Revue est fournie par des prestations bénévoles.
Dans ce cadre, un soutien indirect (et méconnu) est fourni via des tarifs postaux préférentiels. En effet, dans le cadre de la concession postale consentie à Bpost, le gouvernement fédéral a prévu une subvention pour assurer à la presse une distribution à cout réduit et uniforme sur l’ensemble du territoire belge. Si l’essentiel de cette manne soutient la presse quotidienne, les revues non commerciales, comme la nôtre, en bénéficient également. Or, dans la perspective du renouvèlement de la concession, il a été prévu de mettre fin à ce système. Certes, un dispositif transitoire a été conçu, qui fonctionne sur la base de crédits d’impôts… mais nous sommes une asbl… nous ne payons donc quasiment pas d’impôts. On voit comment le système a été murement réfléchi !
C’est pour nous une catastrophe. Le surcout – difficile à quantifier avec précision tant l’évolution des tarifs est rendue incertaine par ce nouveau contexte – est de l’ordre de 15 à 20.000 € par an, soit près de 15 % de nos dépenses totales. De 4.500 €, nous pourrions ainsi potentiellement passer à près de 25.000 € de frais de port. Pour les compenser, il faudrait par exemple augmenter l’abonnement annuel de 50 €, ce qui revient à doubler le prix de la formule à tarif réduit (étudiants et demandeurs d’emploi) qui passerait de 50 à 100 € ! En termes de démocratisation de l’accès à la culture, on est loin du compte…
Qu’à cela ne tienne ! Passons donc au tout numérique ! Outre que cela impliquerait de renoncer à notre livraison papier – à laquelle nous tenons beaucoup –, c’est financièrement impossible. En effet, notre subvention de la Communauté française est soumise à des conditions, dont celle de diffuser sous format papier un certain nombre d’exemplaires. Lors des récentes discussions en vue de l’élaboration d’un décret fixant notre financement, il nous a même été refusé par le cabinet Linard (Ecolo) toute valorisation de la diffusion électronique. Ainsi, alors que notre disponibilité sur Cairn a très considérablement accru notre diffusion dans l’espace francophone – nous attendons encore les dernières données de l’année écoulée, mais le nombre de consultations de nos articles a très probablement triplé entre 2022 et 2023 –, il n’en est absolument pas tenu compte pour justifier le maintien de notre financement. Bref, nous sommes soutenus sur la foi de critères qui eussent été adéquats en 1990.
Mais si on évalue notre diffusion uniquement par rapport à cela et si, parallèlement, on œuvre au renchérissement de sa distribution, comment pourrions-nous nous en sortir ? On nous impose une diffusion papier minimale et on en quintuple le prix.
Bref, une fois de plus, force est de constater que le politique est incapable de mettre en œuvre une action cohérente. Bien évidemment, à tous les niveaux de pouvoir, on vous confirmera qu’il est essentiel d’œuvrer à la vitalité de notredémocratie, que l’on est conscient de l’importance de maintenir – voire de développer – des organes de presse réfléchissant sur les questions de société à l’échelle de la Belgique francophone, que l’on sait que tout cela a un prix quand celle-ci n’est forte que de 4,5 millions de têtes, que l’autonomie réflexive et démocratique des francophones de Belgique, elle, n’a pas de prix, et aussi que l’on n’ignore pas que La Revue nouvelle est un des piliers du paysage médiatique intellectuel belge, depuis bientôt 80 ans… Oh, oui, on est conscients de ça, à tous les niveaux de pouvoir et où que l’on se situe sur l’échiquier politique. Et l’on sait aussi que la Revue est un patrimoine organisationnel, que, si elle disparaissait, il serait quasiment impossible de créer un organe similaire, avec les mêmes réseaux, le même savoir-faire, la même qualité…
Mais lorsqu’il est question de réfléchir ensemble aux conditions d’un maintien de notre projet, les oreilles se ferment, les regards se détournent, les portes claquent… Du gouvernement de la Communauté qui semble ne pas savoir que des moyens de diffusion électronique se sont développés ces trente dernières années au gouvernement fédéral qui parait ignorer que des asbl publient des revues, pour la beauté du geste, sans espérer en tirer un profit et sans payer d’impôts, se dessine un panorama de l’incurie et de l’inculture politiques. Pourquoi se soucier des revues intellectuelles, culturelles et associatives, au fond ? Parce que, depuis 1945, nous scrutons, analysons et critiquons nos sociétés et leurs systèmes sociopolitiques ? Mais voyons, c’est une bonne raison pour nous laisser mourir. Qui, aujourd’hui, se soucie encore de la réflexion collective au point d’accepter de l’intégrer dans ses budgets ? Qui ? Cette question est sans doute des plus cruciales à la veille des élections.