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Réfléchir ? À quoi bon ?

Numéro 1 Février 2024 par La Revue nouvelle

février 2024

Nous vous avons régu­liè­re­ment tenu au cou­rant, ces der­niers mois, de nos craintes quant à l’avenir du finan­ce­ment de La Revue nou­velle. C’est que publier une revue de réflexion, aujourd’hui, est loin d’être une sinécure.

Éditorial

Nous vous avons régu­liè­re­ment tenu au cou­rant, ces der­niers mois, de nos craintes quant à l’avenir du finan­ce­ment de La Revue nou­velle. C’est que publier une revue de réflexion, aujourd’hui, est loin d’être une sinécure.

Notre équa­tion est la sui­vante : tout notre conte­nu est pro­duit béné­vo­le­ment, puisqu’aucun·e de nos auteur·ices n’est rému­né­ré·e. Les membres de notre comi­té de rédac­tion ne sont pas davan­tage payés, pas même indem­ni­sés pour leurs frais. Il en va bien évi­dem­ment de même pour nos administrateur·ices et pour nos deux codi­rec­teurs. Toutes ces per­sonnes indis­pen­sables à la paru­tion de la Revue sont moti­vées par leur inté­rêt pour les thé­ma­tiques que nous abor­dons, par leur désir de com­mu­ni­quer le fruit de leurs réflexions, par leur volon­té de par­ti­ci­per à la vie intel­lec­tuelle et démo­cra­tique de notre socié­té, ou encore par leur impli­ca­tion dans l’aventure humaine qu’est la Revue.

Bien enten­du, pour que la Revue paraisse, il faut y consa­crer énor­mé­ment de temps, aus­si il n’est pas envi­sa­geable de tout faire repo­ser sur le béné­vo­lat. C’est pour­quoi deux per­sonnes ont pour pro­fes­sion d’œuvrer à sa paru­tion : notre rédac­trice en chef et notre secré­taire de rédac­tion. Au rang des couts, il faut aus­si comp­ter, bien enten­du l’imprimeur, la cor­rec­tion des textes, le loyer de nos bureaux, la créa­tion et le fonc­tion­ne­ment de notre site inter­net… et l’envoi des exem­plaires papier.

Pour résu­mer, on peut dire que notre équi­libre finan­cier se construit comme suit : le sou­tien public (un poste « ACS » et la sub­ven­tion de la Com­mu­nau­té fran­çaise à la presse pério­dique non com­mer­ciale) assure la via­bi­li­té de l’équipe, tan­dis que les ventes couvrent les frais de pro­duc­tion maté­rielle de la Revue. En outre, une part énorme de la valeur de la Revue est four­nie par des pres­ta­tions bénévoles.

Dans ce cadre, un sou­tien indi­rect (et mécon­nu) est four­ni via des tarifs pos­taux pré­fé­ren­tiels. En effet, dans le cadre de la conces­sion pos­tale consen­tie à Bpost, le gou­ver­ne­ment fédé­ral a pré­vu une sub­ven­tion pour assu­rer à la presse une dis­tri­bu­tion à cout réduit et uni­forme sur l’ensemble du ter­ri­toire belge. Si l’essentiel de cette manne sou­tient la presse quo­ti­dienne, les revues non com­mer­ciales, comme la nôtre, en béné­fi­cient éga­le­ment. Or, dans la pers­pec­tive du renou­vè­le­ment de la conces­sion, il a été pré­vu de mettre fin à ce sys­tème. Certes, un dis­po­si­tif tran­si­toire a été conçu, qui fonc­tionne sur la base de cré­dits d’impôts… mais nous sommes une asbl… nous ne payons donc qua­si­ment pas d’impôts. On voit com­ment le sys­tème a été mure­ment réflé­chi !

C’est pour nous une catas­trophe. Le sur­cout dif­fi­cile à quan­ti­fier avec pré­ci­sion tant l’évo­lu­tion des tarifs est ren­due incer­taine par ce nou­veau contexte est de l’ordre de 15 à 20.000 € par an, soit près de 15 % de nos dépenses totales. De 4.500 €, nous pour­rions ain­si poten­tiel­le­ment pas­ser à près de 25.000 € de frais de port. Pour les com­pen­ser, il fau­drait par exemple aug­men­ter l’abonnement annuel de 50 €, ce qui revient à dou­bler le prix de la for­mule à tarif réduit (étu­diants et deman­deurs d’emploi) qui pas­se­rait de 50 à 100 € ! En termes de démo­cra­ti­sa­tion de l’accès à la culture, on est loin du compte…

Qu’à cela ne tienne ! Pas­sons donc au tout numé­rique ! Outre que cela impli­que­rait de renon­cer à notre livrai­son papier – à laquelle nous tenons beau­coup –, c’est finan­ciè­re­ment impos­sible. En effet, notre sub­ven­tion de la Com­mu­nau­té fran­çaise est sou­mise à des condi­tions, dont celle de dif­fu­ser sous for­mat papier un cer­tain nombre d’exemplaires. Lors des récentes dis­cus­sions en vue de l’élaboration d’un décret fixant notre finan­ce­ment, il nous a même été refu­sé par le cabi­net Linard (Eco­lo) toute valo­ri­sa­tion de la dif­fu­sion élec­tro­nique. Ain­si, alors que notre dis­po­ni­bi­li­té sur Cairn a très consi­dé­ra­ble­ment accru notre dif­fu­sion dans l’espace fran­co­phone – nous atten­dons encore les der­nières don­nées de l’année écou­lée, mais le nombre de consul­ta­tions de nos articles a très pro­ba­ble­ment tri­plé entre 2022 et 2023 –, il n’en est abso­lu­ment pas tenu compte pour jus­ti­fier le main­tien de notre finan­ce­ment. Bref, nous sommes sou­te­nus sur la foi de cri­tères qui eussent été adé­quats en 1990.

Mais si on éva­lue notre dif­fu­sion uni­que­ment par rap­port à cela et si, paral­lè­le­ment, on œuvre au ren­ché­ris­se­ment de sa dis­tri­bu­tion, com­ment pour­rions-nous nous en sor­tir ? On nous impose une dif­fu­sion papier mini­male et on en quin­tuple le prix.

Bref, une fois de plus, force est de consta­ter que le poli­tique est inca­pable de mettre en œuvre une action cohé­rente. Bien évi­dem­ment, à tous les niveaux de pou­voir, on vous confir­me­ra qu’il est essen­tiel d’œuvrer à la vita­li­té de notre­dé­mo­cra­tie, que l’on est conscient de l’importance de main­te­nir – voire de déve­lop­per – des organes de presse réflé­chis­sant sur les ques­tions de socié­té à l’échelle de la Bel­gique fran­co­phone, que l’on sait que tout cela a un prix quand celle-ci n’est forte que de 4,5 mil­lions de têtes, que l’autonomie réflexive et démo­cra­tique des fran­co­phones de Bel­gique, elle, n’a pas de prix, et aus­si que l’on n’ignore pas que La Revue nou­velle est un des piliers du pay­sage média­tique intel­lec­tuel belge, depuis bien­tôt 80 ans… Oh, oui, on est conscients de ça, à tous les niveaux de pou­voir et où que l’on se situe sur l’échiquier poli­tique. Et l’on sait aus­si que la Revue est un patri­moine orga­ni­sa­tion­nel, que, si elle dis­pa­rais­sait, il serait qua­si­ment impos­sible de créer un organe simi­laire, avec les mêmes réseaux, le même savoir-faire, la même qualité…

Mais lorsqu’il est ques­tion de réflé­chir ensemble aux condi­tions d’un main­tien de notre pro­jet, les oreilles se ferment, les regards se détournent, les portes claquent… Du gou­ver­ne­ment de la Com­mu­nau­té qui semble ne pas savoir que des moyens de dif­fu­sion élec­tro­nique se sont déve­lop­pés ces trente der­nières années au gou­ver­ne­ment fédé­ral qui parait igno­rer que des asbl publient des revues, pour la beau­té du geste, sans espé­rer en tirer un pro­fit et sans payer d’impôts, se des­sine un pano­ra­ma de l’incurie et de l’inculture poli­tiques. Pour­quoi se sou­cier des revues intel­lec­tuelles, cultu­relles et asso­cia­tives, au fond ? Parce que, depuis 1945, nous scru­tons, ana­ly­sons et cri­ti­quons nos socié­tés et leurs sys­tèmes socio­po­li­tiques ? Mais voyons, c’est une bonne rai­son pour nous lais­ser mou­rir. Qui, aujourd’hui, se sou­cie encore de la réflexion col­lec­tive au point d’accepter de l’intégrer dans ses bud­gets ? Qui ? Cette ques­tion est sans doute des plus cru­ciales à la veille des élections.

La Revue nouvelle


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