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Référendum écossais…

Numéro 9/10 septembre/octobre 2014 - Autonomisme Écosse Royaume Uni UE (Union européenne) par Notte Edouard

septembre 2014

Une page bien étrange de l’histoire de l’UE pour­rait s’écrire : une nou­velle Écosse indé­pen­dante négo­ciant la conti­nui­té de ses enga­ge­ments avec l’UE (tout en sou­hai­tant conser­ver une union moné­taire avec l’Angleterre) pen­dant que l’Angleterre se pré­pa­re­rait à quit­ter défi­ni­ti­ve­ment l’UE… Une chose est sure, le réfé­ren­dum de sep­tembre ne lais­se­ra pas les choses inchan­gées au sein du Royaume-Uni et ris­que­rait bien de faire date dans l’histoire de l’Union européenne. 

Après la sor­tie du livre blanc sur le pro­jet d’indépendance por­té par le Scot­tish Natio­na­list Par­ty (SNP)1 le 26 novembre 2013, les débats démo­cra­tiques étaient res­tés éton­nam­ment calmes en Écosse et dans le reste du Royaume-Uni jusqu’au début de l’année 2014. À par­tir de fin février, les semaines ont été riches en décla­ra­tions et inter­ven­tions de tous bords venues sou­te­nir la cam­pagne Yes Scot­land et son pen­dant adverse, Bet­ter. Selon Scot­Cen2 , en décembre 2013, 57 % des citoyens seraient allés voter No contre 33 % Yes, lais­sant 10 % d’indécis. Les écarts se sont res­ser­rés depuis. Le 12 juin, selon la même source, on constate que 43 % se décla­raient contre l’indépendance, 36 % pour et 21 % des per­sonnes inter­ro­gées se disaient indé­cises. Cette pro­gres­sion de l’opinion publique reflète bien l’évolution géné­rale des der­niers mois qui a vu le « oui » se faire une place gran­dis­sante dans la part des inten­tions de votes exprimées. 

Cette évo­lu­tion s’est d’ailleurs tra­duite par une atti­tude plus nuan­cée, plus active et posi­tive de la cam­pagne Bet­ter Toge­ther, jugée jusqu’au début de l’année 2014 très fade, terne et essen­tiel­le­ment néga­tive, voire pas­sive. Face à la rhé­to­rique très convain­cante du lea­deur écos­sais Alex Sal­mond et à l’enthousiasme natio­na­liste en géné­ral qui ne ces­se­ra sans doute de croitre au fil de l’été3, les unio­nistes de Bet­ter Toge­ther viennent de se défi­nir à tra­vers un nou­veau slo­gan : No thanks ! La cam­pagne du No adopte un mes­sage sobre, clair et cour­tois, et dans la fou­lée nuance ses pro­pos, sur­tout depuis l’annonce faite par West­mins­ter qu’il y aura plus de dévou­tion après sep­tembre 2014 dans le cas de la vic­toire d’un No. 

La ques­tion, dont la for­mu­la­tion avait fait débat en 20134, est main­te­nant uni­voque : « Should Scot­land be an inde­pendent coun­try ? », « L’Écosse doit-elle deve­nir un pays indé­pen­dant ? » For­mule concise pour déci­der de l’avenir d’une nation lors du réfé­ren­dum consi­dé­ré par le Pre­mier ministre écos­sais, Alex Sal­mond, comme le pro­jet d’indépendance le plus démo­cra­tique jamais connu en Europe. De son côté, David Came­ron, farou­che­ment oppo­sé à l’indépendance, avait consen­ti au pro­jet réfé­ren­daire à condi­tion qu’il impose une réponse posi­tive ou néga­tive et qu’il ne soit pas décli­né sur dif­fé­rents scé­na­rios allant du sta­tut­quo à deux degrés de dévo­lu­tion5 éten­due des pou­voirs accor­dés au gou­ver­ne­ment écos­sais jusqu’à l’indépendance totale. Un oui ou un non qui lais­se­ra sans aucun doute sa marque dans l’histoire du Royaume-Uni, et dans celle, plus vaste, de l’Union européenne. 

La vieille alliance

Le réfé­ren­dum qui se tien­dra en sep­tembre 2014 pose­ra aux Écos­sais une ques­tion simple, mais déci­sive pour l’avenir de la région qui fut une nation à pro­pre­ment par­ler avant l’union des cou­ronnes en 1707. Cette nation, au XXe siècle, ne ces­sa de reven­di­quer plus d’autonomie au point d’obtenir fina­le­ment l’établissement de son Par­le­ment et de son gou­ver­ne­ment, ins­ti­tués res­pec­ti­ve­ment en 1998 et en 1999 en ver­tu du Scot­land Act au début du gou­ver­ne­ment tra­vailliste de Tony Blair. Après le réfé­ren­dum de 1997, les Écos­sais s’étant majo­ri­tai­re­ment pro­non­cés en faveur d’un Par­le­ment à Edim­bourg, West­mins­ter pro­mul­gua la loi et concré­ti­sa ain­si leur volonté. 

Outre le fait que le ter­ri­toire qui nous inté­resse ait été une nation avant l’union des cou­ronnes d’Angleterre et d’Écosse, qu’il mani­feste une forte iden­ti­té cultu­relle, juri­dique et poli­tique enra­ci­née, entre autres, dans plu­sieurs siècles d’histoire ryth­més au fil des batailles contre les Anglais, et qu’en tant que nation, il se soit uni à la France bien avant de se marier avec l’Angleterre — The Audl Alliance6—, l’Écosse gagne­rait beau­coup à deve­nir indé­pen­dante. Du moins, c’est ce que défend le SNP. Ges­tion auto­nome du pétrole et de ses reve­nus en mer du Nord7, déve­lop­pe­ment et ges­tion auto­nome des éner­gies vertes, auto­no­mie fiscale per­met­tant une plus grande attrac­ti­vi­té pour les entre­prises inter­na­tio­nales, amé­lio­ra­tion du sys­tème social et sup­pres­sion d’une fisca­li­té liée à l’immobilier qui pèse très lourd sur la classe moyenne, mais aus­si sur les très faibles reve­nus8, « dénu­cléa­ri­sa­tion » du ter­ri­toire (prin­ci­pa­le­ment le ren­voi des mis­siles Tri­dent vers l’Angleterre). Tels sont les gains essen­tiels sou­li­gnés par le SNP et lar­ge­ment dif­fu­sés dans les médias écossais. 

Cepen­dant, der­rière ces vel­léi­tés indé­pen­dan­tistes, que jusqu’il y a peu West­mins­ter sem­blait rela­ti­vi­ser à outrance sur­tout depuis la recon­nais­sance de la part du gou­ver­ne­ment tra­vailliste en 1998, se des­sine un enjeu beau­coup plus impor­tant : qu’en est-il du sta­tut d’État membre de l’UE de la future nation indé­pen­dante ? Quelles seraient les consé­quences de ce pré­cé­dent inédit au sein de l’UE ?

L’Écosse et l’Union européenne

L’enjeu est de taille, non seule­ment pour l’Écosse et le Royaume-Uni, mais aus­si pour l’Union euro­péenne dans son ensemble, sans par­ler des enga­ge­ments du nou­veau pays vis-à-vis d’autres ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales9. Même si l’Écosse est inté­grée dans un État de plus de soixante mil­lions d’habitants, qui plus est, membre du club euro­péen depuis 1973, sou­hai­ter faire séces­sion sou­lève inévi­ta­ble­ment la ques­tion de l’appartenance de ce qui serait un nou­vel État à l’Union euro­péenne, voire de deux nou­veaux États (le reste du Royaume-Uni serait alors lui aus­si un nou­vel État selon cer­tains obser­va­teurs européens). 

Bien que dans le livre blanc de 670 pages publié par le SNP en novembre 2013, la ques­tion de son sta­tut d’État membre de l’UE soit abor­dée sur un ton très opti­miste, elle demeure de taille. Dans une décla­ra­tion poli­tique en jan­vier der­nier, Manuel Bar­ro­so expri­mait clai­re­ment le fait qu’une région de l’UE deve­nant une nou­velle nation indé­pen­dante devait refaire une demande d’adhésion auprès de l’UE confor­mé­ment aux trai­tés de celle-ci. On peut déduire des pro­pos du pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne une grande réserve à l’égard du pro­jet écos­sais, auquel font échos de sem­blables vel­léi­tés tant en Cata­logne, en Flandre, qu’en Corse… 

De manière inédite l’Écosse nous pose une nou­velle ques­tion de géo­po­li­tique euro­péenne : l’Europe serait-elle prête à favo­ri­ser les séces­sions dans ses plus grands États membres en per­met­tant à ce qui fut une région d’avoir un accès direct à Bruxelles et de peser direc­te­ment dans les pro­ces­sus de créa­tion de la légis­la­tion euro­péenne et dans celui des déci­sions de poli­tique supra­na­tio­nale prises à Bruxelles ? 

Dans ses réflexions publiées en décembre 2012, le diplo­mate bri­tan­nique Robert Cooper (alors conseiller du Ser­vice euro­péen d’action exté­rieure), com­pa­rant la crise de l’euro et la chute de l’Empire aus­tro-hon­grois, estime que « l’Union euro­péenne a si bien réus­si à créer un envi­ron­ne­ment dans lequel les petits États vivent confor­ta­ble­ment que la ten­ta­tion pour la Flandre, l’Écosse, la Cata­logne, et sans doute bien d’autres, de s’offrir le luxe de leurs propres États pour­rait deve­nir un cas de figure fré­quent à l’avenir10 ».

Selon lui, il n’y a rien de sur­pre­nant à ce phé­no­mène, d’une part, parce que « les petits États sont plus intimes, plus cohé­rents, plus proches des citoyens que les grands », d’autre part, parce que si la sécu­ri­té d’une grande armée et la pros­pé­ri­té d’un grand mar­ché rendent les grands très attrac­tifs, aujourd’hui l’Otan et l’UE apportent res­pec­ti­ve­ment l’une et l’autre aux petits. Selon cette ana­lyse, l’indépendance éven­tuelle de l’Écosse s’inscrit dans le conti­nuum de l’histoire de l’Europe, non sans sou­le­ver des ques­tions essen­tielles quant à l’avenir de l’UE et de son fonctionnement. 

Du point de vue du SNP, ini­tia­teur et prin­ci­pal pro­mo­teur de l’indépendance écos­saise, deve­nir indé­pen­dant et conser­ver son sta­tut d’État membre n’offrent que des avan­tages : l’Écosse aurait un com­mis­saire à Bruxelles, un ambas­sa­deur, un siège au Conseil euro­péen et elle siè­ge­rait aux réunions minis­té­rielles. Aujourd’hui en tant que région, l’Écosse ne dis­pose de rien de tout cela. Selon Robert Cooper, qui adopte l’analyse du SNP, la ques­tion est aus­si simple que cela. 

Sir John Grant, l’ancien repré­sen­tant per­ma­nent du Royaume-Uni à Bruxelles, lui aus­si consi­dère que tel est le cœur du débat : être ou ne pas être à Bruxelles. Lors de son inter­ven­tion en 2012 à la Royal Socie­ty of Edin­burgh, qui m’a été rap­por­tée par le consul géné­ral de France, il n’a été ques­tion que de cela, et jamais il n’a été fait réfé­rence à l’argument, cher aux unio­nistes en Écosse et à West­mins­ter, selon lequel les inté­rêts de l’Écosse seraient bien mieux défen­dus à Bruxelles par un pays de la taille du Royaume-Uni.
De plus, le SNP, se confor­mant aux ana­lyses de Grant et Cooper, rap­pelle qu’en deve­nant indé­pen­dante, l’Écosse dou­ble­rait le nombre de ses dépu­tés euro­péens : d’une popu­la­tion de 5,3 mil­lions d’habitants, elle aurait sans doute 13 dépu­tés (comme le Dane­mark avec 5,5 mil­lions d’habitants) au lieu des 7 qu’elle offre pour l’instant au contin­gent des dépu­tés bri­tan­niques. Elle aurait aus­si un com­mis­saire euro­péen et son chef d’État serait à la table de négo­cia­tions du Conseil européen.
Sans aucun doute, sa repré­sen­ta­tion directe à Bruxelles au sein des ins­ti­tu­tions de l’UE conso­li­de­rait la défense de ses spé­cifi­ci­tés propres : un sec­teur de la pêche gigan­tesque, une agri­cul­ture puis­sante et dyna­mique, un poten­tiel éner­gé­tique et envi­ron­ne­men­tal par­mi les plus pro­met­teurs en Europe (si l’Écosse dis­pose d’un accès unique au gaz et au pétrole de la mer du Nord depuis Aber­deen, elle s’est aus­si fixée comme objec­tif pour 2015 de pro­duire 50 % de son élec­tri­ci­té à par­tir d’énergies renou­ve­lables et 100 % d’ici 2020).
Selon Nico­la Stur­geon, vice-Pre­mière ministre et ministre de la San­té au gou­ver­ne­ment écos­sais, par ailleurs membre active du SNP depuis 1986, la ques­tion de la néces­si­té d’un nou­veau pro­ces­sus d’adhésion à l’UE ne se pose pas direc­te­ment. Lors d’une confé­rence don­née à l’université d’Edimbourg au Centre de droit consti­tu­tion­nel le 16 juin der­nier, elle répon­dit à ma ques­tion de manière extrê­me­ment claire, mais détour­née. Elle signa­la que rien ne spé­cifie dans les trai­tés de l’Union euro­péenne qu’une région
deve­nue un État indé­pen­dant devrait être reje­tée de l’UE. De plus, elle rap­pe­la que le sec­teur de la pêche, ceux de l’agriculture et de l’énergie sont déjà tel­le­ment inté­grés à l’UE qu’on aurait du mal à ima­gi­ner une réelle ces­sa­tion des liens exis­tants, sans oublier qu’il y a en Écosse pas moins de 150 000 res­sor­tis­sants euro­péens non bri­tan­niques par­mi ses rési­dents per­ma­nents, sans comp­ter les 15 000 étu­diants euro­péens non bri­tan­niques. Fina­le­ment elle se réfé­ra à l’article 48 du trai­té de Lis­bonne, qui pré­voit que tout État membre, le Par­le­ment euro­péen ou la Com­mis­sion peuvent sou­mettre au Conseil des pro­jets ten­dant à la révi­sion des trai­tés (il le fau­drait puisque l’arsenal légis­la­tif euro­péen n’offre rien pour répondre direc­te­ment à la situa­tion qu’une Écosse indé­pen­dante crée­rait de fait).
Le cas de figure d’un réfé­ren­dum posi­tif impli­que­rait de recou­rir à cette pro­cé­dure, assez lourde, puisqu’elle impose la mise en place d’une conven­tion inter­gou­ver­ne­men­tale et la ratifi­ca­tion de toutes modi­fi­ca­tions des trai­tés par tous les États membres11. On ima­gine assez faci­le­ment que cela pour­rait sou­le­ver cer­taines réac­tions de véto, mais pour­tant, Nico­la Stur­geon est très confiante : l’indépendance écos­saise ne serait effec­tive que le 21 mars 2016 (après les élec­tions légis­la­tives bri­tan­niques et sur­tout, juste avant les légis­la­tives écos­saises de mai 2016), ce qui lais­se­rait dix-huit mois aux repré­sen­tants écos­sais pour tra­ver­ser le pro­ces­sus de négo­cia­tions néces­saire par lequel serait réglée la ques­tion de son appar­te­nance à l’UE, mais aus­si ses liens avec le reste du Royaume-Uni. 

En effet, Nico­la Stur­geon, comme tous les membres du SNP et la majo­ri­té des Écos­sais, n’imagine ni sor­tir d’une union moné­taire avec l’Angleterre (le pounds) et entre­voit encore moins l’adoption de l’euro. Tout le monde, ou presque, est d’accord pour res­ter dans l’UE, mais per­sonne, à part les Greens écos­sais, n’imagine perdre la livre bri­tan­nique… On le voit, les ques­tions sont com­plexes et les posi­tions sont par­fois contradictoires. 

Son statut d’État membre ? Entre déclarations politiques et analyses juridiques… 

Reve­nons-en quelque peu à la ques­tion de son appar­te­nance à l’UE. Récem­ment dans une inter­view à la BBC, ali­men­tant le débat sur la ques­tion du sta­tut du nou­vel État, Bar­ro­so, sans faire allu­sion à aucune situa­tion spé­cifique selon ses dires, sou­li­gnait le fait que « nous sommes une union d’États. S’il y a un nou­vel État, celui-ci doit bien sûr faire acte de can­di­da­ture et en négo­cier les condi­tions avec les autres États membres ». 

C’est ici que les points de vue divergent le plus entre le SNP et les unio­nistes bri­tan­niques (essen­tiel­le­ment anglais, les unio­nistes écos­sais se ran­geant du côté du SNP concer­nant ce point d’analyse pré­cis) : pour les natio­na­listes écos­sais, l’indépendance de l’Écosse entrai­ne­rait la dis­so­lu­tion de l’union conclue en 1707 entre les royaumes d’Angleterre et d’Écosse, et, par voie de consé­quence, la néces­si­té pour les deux nou­veaux États « suc­ces­seurs » de l’ancien de refaire acte de can­di­da­ture auprès de l’UE. Pour les unio­nistes, la pers­pec­tive est tout autre : il s’agirait d’une séces­sion d’une région à par­tir d’un État uni, celle-ci ferait du nou­veau Royaume-Uni le « conti­nua­teur » de l’ancien et de la nou­velle Écosse, le « suc­ces­seur », alors seul État à devoir faire acte de can­di­da­ture à l’UE.

On com­pren­dra aisé­ment que les unio­nistes reprennent la posi­tion du pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne pour défaire l’opinion des indé­pen­dan­tistes selon laquelle l’adhésion de la nou­velle nation serait sujette à des négo­cia­tions entre l’UE et l’Écosse avant le jour 1 de son indé­pen­dance, sans devoir pas­ser par une nou­velle demande d’adhésion.

Sans clore le débat, les spé­cia­listes s’accordent néan­moins sur le constat sui­vant : com­ment en effet pour­rait-on envi­sa­ger la sus­pen­sion pure et simple de la coopé­ra­tion com­mu­nau­taire et encou­ra­ger le désordre éco­no­mique et social qui en décou­le­rait en Europe et au Royaume-Uni si c’est pour rapi­de­ment res­tau­rer cette coopé­ra­tion éco­no­mique, poli­tique et sociale ? 

Dans ce sens, la vice-Pre­mière écos­saise Nico­la Stur­geon s’est impo­sée comme cham­pionne de la com­mu­ni­ca­tion du SNP dans son dis­cours d’escorte du livre blanc de 2013, décla­rant de manière très prag­ma­tique qu’il est très diffi cile d’envisager une inter­rup­tion aus­si brève soit-elle de la coopé­ra­tion com­mu­nau­taire concer­nant une Écosse indé­pen­dante. En effet, de ce point de vue, les liens semblent bien trop denses et com­plexes pour être remis en cause. L’Écosse compte, répé­tons-le, 15 000 étu­diants euro­péens non bri­tan­niques sujets aux même frais d’inscription que les Écos­sais (c’est-à-dire un accès qua­si gra­tuit aux uni­ver­si­tés), 150 000 res­sor­tis­sants euro­péens non bri­tan­niques qui tra­vaillent libre­ment sur le ter­ri­toire, sans par­ler des navires euro­péens qui pêchent dans les eaux ter­ri­to­riales écos­saises, qui res­tent le pre­mier domaine mari­time de l’UE offrant les eaux les plus pois­son­neuses, ni les mul­ti­na­tio­nales euro­péennes impli­quées dans son sec­teur éner­gé­tique foisonnant. 

En conclu­sion, toute inter­rup­tion de ses liens pro­fonds avec l’UE serait absurde d’autant plus que l’Écosse sou­hai­te­ra clai­re­ment réin­té­grer l’UE et y a bien évi­dem­ment voca­tion. Même David Edward, ancien juge de la Cour de jus­tice de l’UE, unio­niste convain­cu, défend pour­tant le point de vue des natio­na­listes écos­sais confor­mé­ment à ce qu’il décla­ra à la BBC Scot­land en décembre 2012 : « Une Écosse indé­pen­dante ne sor­ti­rait à aucun moment de l’Union euro­péenne car la pour­suite de ses liens com­mu­nau­taires serait négo­ciée avant sa sor­tie effec­tive du Royaume-Uni, un nou­veau trai­té d’adhésion ne serait pas néces­saire, à la place, les trai­tés exis­tants seraient amen­dés au tra­vers du pro­ces­sus de négo­cia­tion12 ».

« Je ne me pro­nonce pas quant à savoir si l’Écosse ou le reste du Royaume-Uni, ou l’une et l’autre, devien­draient des États suc­ces­seurs en droit inter­na­tio­nal conven­tion­nel. Cette ques­tion pour­rait être per­ti­nente par rap­port à d’autres rela­tions scel­lées par trai­tés, mais elle ne l’est pas en matière d’Union euro­péenne. Sur ces hypo­thèses, mon opi­nion est que, en accord avec leurs obli­ga­tions d’agir de bonne foi, de coopé­rer sin­cè­re­ment et d’être soli­daires, les ins­ti­tu­tions de l’UE et tous les États membres (y com­pris le Royaume-Uni tel qu’il existe), seraient obli­gés d’entamer des négo­cia­tions, avant que la sépa­ra­tion ne prenne effet, pour déter­mi­ner l’avenir des rela­tions des par­ties dis­tinctes de l’ancien Royaume-Uni avec les autres États membres au sein de l’UE. Le résul­tat de telles négo­cia­tions, sauf si elles échouaient com­plè­te­ment, serait l’amendement de com­mun accord des trai­tés exis­tant, mais cer­tai­ne­ment pas un nou­veau Trai­té d’adhésion. »

Même si les conser­va­teurs sou­lignent le fait que ce que nous dit Sir Edward, c’est qu’il y aura des négo­cia­tions et qu’il n’y aura pas de recon­duc­tion auto­ma­tique de son sta­tut de membre de l’UE, il n’en demeure pas moins que l’opinion de l’éminent juge écos­sais fait main­te­nant auto­ri­té et, si elle ne ras­sure peut être pas la majo­ri­té des citoyens quant à la néces­si­té de faire ce grand saut dans l’inconnu que pré­sente l’indépendance, elle a le mérite d’être neutre et de ratio­na­li­ser le débat sur cette ques­tion cru­ciale. Elle pour­rait convaincre cer­tains indé­cis ou, du moins, per­mettre de faire un choix infor­mé sur la ques­tion européenne.

Fracture politique entre l’Écosse et l’Angleterre

Pour ter­mi­ner sur le volet euro­péen, on pour­rait ima­gi­ner que la nou­velle donne par­le­men­taire euro­péenne à la suite des élec­tions de mai der­nier influence elle aus­si le vote de sep­tembre 2014. En effet, pour la pre­mière fois, par­mi les six sièges écos­sais au Par­le­ment euro­péen, on compte un repré­sen­tant Ukip13 à côté des deux SNP, des deux Labour, les Libe­ral Demo­crates ayant per­du le leur. Ce par­le­men­taire Ukip est le seul écos­sais a sié­gé main­te­nant à Bruxelles et Stras­bourg par­mi un contin­gent de vingt-quatre dépu­tés euro­péens Ukip, les vingt-deux autres étant anglais, le der­nier gal­lois. Cette situa­tion est due au fait que 10 % des élec­teurs écos­sais avaient voté Ukip, contre plus de 30 % en Angle­terre. On observe le même sché­ma avec les nombres d’eurodéputés conser­va­teurs : dix-huit conser­va­teurs anglais pour un écos­sais, ce qui fait échos au fait que les conser­va­teurs sont majo­ri­taires à West­mins­ter, mais dans l’opposition au Par­le­ment écos­sais14. . On ne vote ni Tory ni Ukip en Écosse…

C’est clair, les élec­tions euro­péennes ont mis en lumière des diver­gences d’opinions fortes de part et d’autre de la fron­tière qui sépare l’Écosse de l’Angleterre. Cette divi­sion n’est pas neuve, elle est même struc­tu­relle au pay­sage poli­tique bri­tan­nique. Tou­te­fois, la manière dont les élec­tions euro­péennes l’ont rap­pe­lée mani­feste une frac­ture poli­tique qui pour­rait résoudre les indé­cis à voter oui pour toutes les rai­sons « euro­péennes » que nous avons men­tion­nées ci-des­sous. Sans oublier que tout cela se joue avec pour toile de fonds la remise en cause radi­cale enta­mée par David Came­ron de la par­ti­ci­pa­tion du Royaume-Uni à l’UE… À condi­tion d’être réélu, ce der­nier s’est fer­me­ment enga­gé à réa­li­ser un réfé­ren­dum sur la sor­tie de l’UE en 2017. Si le réfé­ren­dum écos­sais laisse encore pla­ner de nom­breux doutes, celui de David Came­ron, s’il devait avoir lieu, pour­rait bien rem­por­ter une vic­toire, sur­tout dans le sud du Royaume. Une page bien étrange de l’histoire de l’UE s’écrirait alors… ■

  1. Scotland’s future, le livre blanc du SNP, est dis­po­nible sur le site du gou­ver­ne­ment écossais
  2. Ins­ti­tut écos­sais indé­pen­dant de recherches en sciences sociales qui relaye sur son site une syn­thèse de don­nées sta­tis­tiques issues d’instituts bri­tan­niques et internationaux
  3. Rap­pe­lons que se tien­dront du 27 juillet au 3 aout les Com­mon­wealth Games, le plus grand évè­ne­ment spor­tif jamais orga­ni­sé en Écosse. Le gou­ver­ne­ment écos­sais entend uti­li­ser cette ving­tième édi­tion pour mettre en avant le savoir-faire et le pro­fes­sion­na­lisme du pays. Cer­tains disent que ce sera aus­si l’occasion de dif­fu­ser dans le monde une iden­ti­té celte pour se démar­quer des Anglais.Cela se fait déjà lors de n’importe quel évè­ne­ment spor­tif inter­na­tio­nal (l’année der­nière Alex Sal­mond avait sor­ti son dra­peau écos­sais pour saluer la vic­toire d’Andy Mur­ray à Wim­ble­don depuis la loge royale bri­tan­nique… enthou­siasme patrio­tique écos­sais qui fait encore cou­ler beau­coup d’encre aujourd’hui). Il est impos­sible d’anticiper les effets de com­mu­ni­ca­tion que pour­raient avoir les Com­mon­wealth Games sur ceux qui iront voter un mois plus tard. Une chose est sure, le sport occupe une place consi­dé­rable dans la culture écos­saise et divise même par­fois la socié­té de manière violente.
  4. La pre­mière for­mu­la­tion, « Do you agree that Scot-land should be an inde­pendent coun­try ? », avait été reje­tée par la com­mis­sion élec­to­rale bri­tan­nique la jugeant trop partiale.
  5. Les degrés inter­mé­diaires de dévo­lu­tions sont qua­lifiés de « Devo plus » (en plus des com­pé­tences actuelles, Londres cède­rait les pres­ta­tions sociales, les impôts sur le reve­nu et sur les socié­tés, les reve­nus des hydro­car­bures issus du pla­teau conti­nen­tal écos­sais) et de « Devo max » (selon lequel Londres ne conser­ve­rait que la défense et les affaires étran­gères ayant éga­le­ment cédé TVA, retraite et sécu­ri­té sociale).
  6. Le terme de « vieille alliance », Auld Alliance en écos­sais, désigne une alliance entre les royaumes de France, d’Écosse et de Nor­vège contre l’Angleterre. Même si elle se ter­mi­na offi­ciel­le­ment en 1560, elle consti­tue la base des rela­tions fran­co-écos­saises de 1295 à 1903. De plus il est inté­res­sant de consta­ter que la Nor­vège n’y fait jamais réfé­rence, contrai­re­ment à l’Écosse qui y trouve les racines de sa francophilie.
  7. Aber­deen, troi­sième plus grande ville écos­saise, est le cœur du sec­teur euro­péen du pétrole et du gaz et consti­tue une véri­table plaque tour­nante inter­na­tio­nale dans ce domaine. L’une des capi­tales mon­diales du golf aus­si. Donald Trump, le mil­liar­daire amé­ri­cain, vient d’ouvrir un ter­rain ultra-luxueux à deux pas de cet eldo­ra­do écos­sais du pétrole…
  8. La bed room tax impo­sée par les Tories de West­mins­ter est un impôt qui varie en fonc­tion du nombre de chambres des appar­te­ments et frappe de plein fouet les familles des loge­ments sociaux sous-occu­pés puisqu’elle consiste en une forme de péna­li­té pour sous-occu­pa­tion. Autant vous dire que cela a fait cou­ler beau­coup d’encre et déclen­ché quelques mani­fes­ta­tions : 3 000 per­sonnes à Glas­gow et 1 000 à Edin­burgh le 30 mars 2013, un homme s’est tran­ché la gorge en signe de pro­tes­ta­tion dans un bureau de ser­vices sociaux à Run­corn, ville du Che­shire, dans le nord de l’Angleterre. 3 000 per­sonnes pour une capi­tale indus­trielle comme Glas­gow, cela semble peu de notre point de vue, mais c’est non négli­geable pour un pays où on ne mani­feste pas ou du moins très rarement.
  9. Dans un contexte tota­le­ment dif­fé­rent, rap­pe­lons que la Slo­va­quie et la Répu­blique tchèque, États « suc­ces­seurs » de la Tché­co­slo­va­quie dis­soute en 1992, durent faire l’une et l’autre acte de can­di­da­ture à l’ONU, bien que la Tché­co­slo­va­quie en fît partie.
  10. Cooper R., « The Euro­pean Union and the Habs­burg Monar­chy », Euro­zine, 10 décembre 2012, http://bit.ly/1y4Apn.
  11. http://bit.ly/1sbeAo9.
  12. BBC Scot­land, http://bbc.in/1ATQa54. J’ai repro­duit cer­tains de ses pro­pos, car ils ont fait date dans le pro­ces­sus de cla­rifi­ca­tion de cette ques­tion épineuse.
  13. Ukip refuse tout rap­pro­che­ment avec le FN français.
  14. Le Par­le­ment écos­sais est com­po­sé de 65 dépu­tés SNP, 37 Labour, 15 Conser­va­tive, 5 Lib­dem, 2 Greens, 2 dépu­tés « indé­pen­dants » et 1 sans affi­lia­tion poli­tique, soit un total de 128 membres of the Scot­tish Par­lia­ment (MSP)

Notte Edouard


Auteur

Lecteur en langue et littérature à l'université d'Edimbourg (Wallonie Bruxelles International).