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Rédactions multimédias : une révolution de façade ?

Numéro 9 Septembre 2009 par Arnaud Grégoire

septembre 2009

Orga­ni­sa­tion du tra­vail, sta­tut du jour­na­liste et même cadre légal, les bou­le­ver­se­ments appa­rus avec les nou­veaux médias sont nom­breux. Ils ques­tionnent la pro­fes­sion au plus pro­fond et insé­cu­risent les jour­na­listes. Entre risques réels et oppor­tu­ni­tés rêvées, il y a lieu de regar­der les choses avec un peu de sang-froid.

Dossier

Les nou­veaux médias — soit Inter­net pour l’essentiel — ont fait leur appa­ri­tion chez nous dans le milieu des années nonante. Les groupes de presse ou de l’audiovisuel, sous la pres­sion d’une inno­va­tion tech­no­lo­gique à laquelle ils ne pou­vaient se sous­traire, s’y sont atta­qués avec des stra­té­gies plus ou moins claires, mais tou­jours pru­dentes et qui, dans la grande majo­ri­té des cas, étaient por­tées par des col­la­bo­ra­teurs situés plu­tôt à la marge du navire ami­ral com­po­sé des jour­na­listes « traditionnels ».

Les newsrooms

La donne a tou­te­fois radi­ca­le­ment chan­gé ces trois der­nières années. Les médias numé­riques sont, au fil des ans, appa­rus comme un vec­teur indis­pen­sable de dif­fu­sion de l’information pro­duite par les groupes de presse, qui ont alors mis en œuvre des stra­té­gies plus volon­ta­ristes, por­tées par des col­la­bo­ra­teurs — jour­na­listes et cadres — qui sont pas­sés des zones péri­phé­riques des entre­prises média­tiques au cœur même de celles-ci. Fait symp­to­ma­tique entre tous : la mul­ti­pli­ca­tion des « news­rooms » qui ont pous­sé comme des cham­pi­gnons au sein des rédactions.

Le sché­ma est le même dans la grande majo­ri­té des médias : un ensemble de bureaux — sou­vent dis­po­sés de manière cir­cu­laire — ras­semble les prin­ci­paux res­pon­sables d’édition (papier, TV…), en ce com­pris un membre du per­son­nel en charge d’Internet. Les objec­tifs sont clairs : faire cir­cu­ler l’information entre les dif­fé­rents ser­vices et la dif­fu­ser dès que pos­sible sur le canal le plus adé­quat et dans la forme la plus adaptée.

Qu’il s’agisse d’une grande salle de rédac­tion com­mune à l’ensemble des jour­na­listes et du concept d’«info 360°» à la RTBF, de la rédac­tion bi-média et de son desk chez Ros­sel ou encore de la « sou­coupe » de Vers l’Avenir à Namur, la ten­dance lourde est la même et va vers l’intégration des res­sources jour­na­lis­tiques des dif­fé­rents sup­ports pour assu­rer la cohé­rence d’un pro­jet édi­to­rial deve­nu plei­ne­ment multimédia.

La struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle des rédac­tions se décline dans les dif­fé­rents médias selon un sché­ma type résu­mé comme suit : un rédac­teur en chef géné­ral, des res­pon­sables d’édition, des jour­na­listes dédiés aux opé­ra­tions d’édition pour chaque sup­port et des jour­na­listes spé­cia­li­sés par matière.

« Un rédac­teur en chef com­mun, une ligne édi­to­riale com­mune », insis­tait Pas­cal Bel­paire lorsqu’il était à la tête de la rédac­tion de Vers l’Avenir. Ou, pour Phi­lippe Laloux, chef d’édition char­gé des nou­veaux médias au jour­nal Le Soir : une seule ligne édi­to­riale décli­née sur les dif­fé­rents sup­ports. « Nous jouons la stra­té­gie de la marque », sou­ligne-t-il1.

Au Soir, selon Daniel Cou­vreur, le délé­gué de l’Association des jour­na­listes pro­fes­sion­nels (AJP), on se dit plu­tôt satis­fait de la stra­té­gie Inter­net, qui a été mise en place en concer­ta­tion avec la direc­tion. Alain Vaes­sen, pré­sident de la socié­té des jour­na­listes de la RTBF, rele­vait de son côté, après deux mois de fonc­tion­ne­ment de la rédac­tion « 360°», que celle-ci ne pré­sente pas d’inconvénient majeur, même si il y a les satis­faits et les moins satis­faits, comme lors de tout chan­ge­ment. Mais pour­quoi, se deman­dait Vaes­sen, avoir atten­du de cas­ser les murs pour inté­grer les rédac­tions ? Les rédac­teurs Web sont res­tés des années durant à l’écart des jour­na­listes radio et TV alors que des liens struc­tu­rels auraient pu être mis en place dès la créa­tion d’une édi­tion en ligne.

Quelle stratégie au quotidien ?

D’une manière géné­rale, les avan­cées en faveur des nou­veaux médias et de l’intégration des rédac­tions sont bien reçues. Pour­tant, der­rière ces cham­bou­le­ments de mobi­lier et ces grandes décla­ra­tions stra­té­giques de conver­gence, il faut bien consta­ter, d’une part, que la ges­tion quo­ti­dienne des res­sources humaines édi­to­riales est sou­vent aléa­toire, dépend des bonnes volon­tés et varie en fonc­tion de contin­gences logis­tiques ou tem­po­relles et que, d’autre part, les pro­jets édi­to­riaux se can­tonnent la plu­part du temps à la décli­nai­son « Web » de la pro­duc­tion édi­to­riale exis­tante, sans autre inno­va­tion que celle d’être dif­fu­sée sur Internet.

Pire même, les édi­tions Inter­net peuvent être per­çues comme un moyen de faire du jour­na­lisme en ligne « au rabais », phé­no­mène qui implique un nivel­le­ment par le bas des pro­duc­tions édi­to­riales des­ti­nées au Web et le lis­sage des conte­nus des médias numé­riques. Nous revien­drons sur ce sujet plus loin.

Ain­si, à la RTBF, on signa­lait le manque de trans­pa­rence de la hié­rar­chie édi­to­riale et une impres­sion glo­bale d’improvisation dans le tra­vail au jour le jour. Si la ligne stra­té­gique prin­ci­pale est claire, son appli­ca­tion au quo­ti­dien n’a pas été bien pré­pa­rée. Chez IPM, Pierre-Fran­çois Lovens, alors délé­gué AJP à La Libre, expli­quait en octobre 2008 (au moment de l’étude AJP sur les nou­veaux médias): « La socié­té des rédac­teurs réclame depuis long­temps l’intégration de la rédac­tion Inter­net aux rédac­tions papier, mais nous ne voyons rien venir. » Il consta­tait par ailleurs que, si les jour­na­listes ont par le pas­sé mon­tré des réti­cences face aux nou­veaux médias, les freins ne viennent plus de leur côté aujourd’hui.

Au sein du groupe Rou­lar­ta enfin, on poin­tait la ges­tion vel­léi­taire de l’intégration papier/Web, avec des déci­sions orga­ni­sa­tion­nelles qui tiennent quelques jours puis s’estompent. Ou encore des erreurs fla­grantes dans les opé­ra­tions d’édition, dont le pla­giat pur et simple d’articles exclu­sifs repris sur d’autres sites d’actualité.

Autant de symp­tômes qui stig­ma­tisent les carences de la mise en place des stra­té­gies « nou­veaux médias ». Une étude menée par la NUJ — le syn­di­cat bri­tan­nique des jour­na­listes — sur les condi­tions de tra­vail des jour­na­listes confron­tés aux nou­veaux médias2 a mis en évi­dence une série de tra­vers et de risques qui ont aus­si été obser­vés lors des coups de sonde menés pour l’étude de l’AJP sur le sujet : aug­men­ta­tion du stress notam­ment à cause de la mul­ti­pli­ca­tion des tâches et de la pres­sion à une dif­fu­sion rapide, voir immé­diate ; sur­charge de tra­vail et horaires élas­tiques ; staffs inadap­tés ; rému­né­ra­tions à la traîne ; inex­pé­rience des jeunes jour­na­listes affec­tés à Inter­net ; manque de for­ma­tions aux nou­veaux médias des journalistes.

Au total, la NUJ relève que les plans mul­ti­mé­dias sont mal conçus et qu’ils influencent la san­té, la sécu­ri­té et la qua­li­té du tra­vail des jour­na­listes. Des échos simi­laires, d’une moins grande ampli­tude peut-être — mais cela est très dif­fi­cile à mesu­rer —, nous sont par­ve­nus des rédac­tions belges.

On pour­rait résu­mer et rendre visibles les dan­gers inhé­rents au tra­vail sur les nou­veaux médias au moyen du sché­ma ci-des­sous. Ce sché­ma reprend les dif­fé­rents inter­ve­nants du pro­ces­sus de pro­duc­tion et de dif­fu­sion de l’information et les flux d’information qui les relient. Les points numé­ro­tés marquent les dan­gers potentiels.

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Points 1 et 2 : Ces points marquent les risques liés aux jour­na­listes Web eux-mêmes, qui ne sont d’ailleurs pas tou­jours jour­na­listes. Ils sont sou­vent inex­pé­ri­men­tés, ou en tout cas ne peuvent avoir une connais­sance suf­fi­sante de toutes les matières qu’ils sont ame­nés à trai­ter. Peuvent-ils repé­rer une erreur dans une dépêche ? Trai­ter une info, même courte, sur un sujet qui ne leur est pas fami­lier, sans com­mettre d’erreur ? Peuvent-ils hié­rar­chi­ser judi­cieu­se­ment l’information ? Peuvent-ils, le cas échéant, la remettre en contexte, assu­rer la cohé­rence du mode de dif­fu­sion d’une infor­ma­tion avec le mode de dif­fu­sion de cette même infor­ma­tion sur les autres sup­ports du groupe ? Etc.

Point 3 : Si l’information qui par­vient au jour­na­liste Web émane d’une alerte en pro­ve­nance d’Internet ou d’un jour­na­liste mai­son, com­ment s’assurer que le jour­na­liste ne com­met­tra pas d’erreur de fond dans le trai­te­ment de l’info ? Com­ment s’assurer que les infor­ma­tions liées à la col­lecte de l’info seront bien res­pec­tées (telle per­sonne inter­viewée a deman­dé à ne pas être citée, par exemple)? Etc.

Point 4 : Dans le cas d’une infor­ma­tion trai­tée par le jour­na­liste « tra­di­tion­nel », plus spé­cia­li­sé dans la matière trai­tée, les risques sont inhé­rents au sur­croît de tra­vail et à la vitesse de dif­fu­sion exi­gée. Le temps de véri­fi­ca­tion est réduit, les risques d’erreur sont plus grands sous cette pres­sion sup­plé­men­taire. Sans même par­ler des éven­tuelles lacunes de for­ma­tion qui amè­ne­raient le jour­na­liste à s’exprimer de manière inadé­quate sur le Net.

Point 5 : La vitesse de dif­fu­sion de l’information est elle aus­si poten­tiel­le­ment géné­ra­trice d’erreurs. Comme sou­li­gné ci-des­sus, le temps de véri­fi­ca­tion est res­treint. Et bien sou­vent la vali­da­tion a prio­ri est dif­fi­ci­le­ment pra­ti­cable. Dans le cadre d’une dif­fu­sion qui veut tendre vers l’immédiateté, c’est la vali­da­tion a pos­te­rio­ri — après publi­ca­tion donc — qui prévaut.

Point 6 : Enfin, les nou­velles tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion faci­litent gran­de­ment les par­te­na­riats entre four­nis­seurs d’information et favo­risent l’intégration d’info en pro­ve­nance de sous-trai­tants. Com­ment s’assurer conti­nuel­le­ment de la fia­bi­li­té de ces infor­ma­tions ? Com­ment s’assurer de leur cohé­rence avec la ligne édi­to­riale et avec le trai­te­ment qui est fait d’un même champ d’investigation sur les autres sup­ports du groupe ? Enfin, du côté du four­nis­seur d’informations, com­ment s’assurer du bon trai­te­ment qui sera fait des don­nées qu’il livre ?

Par exemple, lorsque l’agence Bel­ga met à dis­po­si­tion d’une rédac­tion des cap­sules vidéos de ses repor­tages, avec pos­si­bi­li­té pour le média qui les récu­père d’y appo­ser son propre com­men­taire en voix off, voire d’effectuer un nou­veau mon­tage du sujet, com­ment s’assurer que les inten­tions ini­tiales de l’auteur ont bien été respectées ?

Dans la fou­lée de cette der­nière remarque, sou­li­gnons que la plu­part des médias en ligne s’appuient aujourd’hui, pour leur fil d’informations en tout cas, sur les flux de dépêches d’agences de presse. Le phé­no­mène est symp­to­ma­tique de l’indigence ou de la fri­lo­si­té des pro­jets édi­to­riaux. Il en découle une sorte de lis­sage de l’information dif­fu­sée et une moindre dif­fé­ren­cia­tion des médias entre eux.

Heu­reu­se­ment, chez nous, des efforts sont faits pour que des infor­ma­tions béné­fi­ciant d’un trai­te­ment mai­son ali­mentent de plus en plus les édi­tions numé­riques. On est tou­te­fois encore loin d’une pro­por­tion sen­si­ble­ment plus impor­tante de ces derniers.

Une autre piste de dif­fu­sion d’informations exclu­sives est celle offerte par les « user gene­ra­ted content » — ou conte­nus pro­duits par les uti­li­sa­teurs — (« citi­zen jour­na­lism », forum, blogs…). Ces types de conte­nus sont poten­tiel­le­ment de grande valeur en ce qu’ils sont par nature tout à fait propres à un média et non uti­li­sables sur d’autres sites Inter­net. Mais quelle est leur valeur journalistique ?

Revenir aux fondamentaux

Face à ces risques, il appa­raît vital d’en reve­nir aux fon­de­ments de la pro­fes­sion. Ce sont les règles de base du métier de jour­na­liste et de sa déon­to­lo­gie qui garan­tissent la sur­vie même de la pro­fes­sion — bien sûr —, mais sur­tout sa valeur ajou­tée, que l’on a ten­dance à perdre de vue aujourd’hui, et sa per­ti­nence dans un monde qui ploie sous l’information.

Le mes­sage est clair, répé­té par Benoît Gre­visse, direc­teur de l’École de jour­na­lisme de Lou­vain, il faut d’évidence s’adapter aux nou­veaux médias, mais aus­si en reve­nir aux fon­da­men­taux du métier. Ce n’est pas le pre­mier inter­naute venu qui embrasse le jour­na­lisme et, ce fai­sant, s’engage dans un par­cours pro­fes­sion­nel de plu­sieurs années ou plu­sieurs dizaines d’années, tisse au fil des ans un réseau de rela­tions et d’informateurs, s’attache à véri­fier et recou­per ses infor­ma­tions, suit des sujets sur le long terme, doit rendre des comptes à sa hié­rar­chie, à ses pairs, à son lec­to­rat, etc.

Vers un label ?

Dès lors, la ques­tion se pose de mettre en place une sorte de label qui cer­ti­fie le carac­tère jour­na­lis­tique pro­fes­sion­nel d’une édi­tion numé­rique. En France, le rap­port Tes­sier (« La presse au défi du numé­rique », février 2007) a abor­dé la ques­tion. Il en conclut notam­ment : « Pour de nom­breux titres, qui dis­posent de marques fortes et d’une cré­di­bi­li­té fon­dée sur des décen­nies de tra­vail de qua­li­té, le label appa­raît mani­fes­te­ment inutile. Les nou­veaux acteurs de l’information en ligne pré­fé­re­ront d’ailleurs peut-être pri­vi­lé­gier le ren­for­ce­ment de la cré­di­bi­li­té de leur marque auprès des inter­nautes, plu­tôt que de s’engager dans une démarche coû­teuse et aléa­toire de recherche d’un label. Sans comp­ter que la réac­tion des inter­nautes, dif­fi­cile à anti­ci­per, pour­rait bien être néga­tive face à un label offi­ciel, géré par les pou­voirs publics et les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, et qui pour­rait appa­raître comme une ten­ta­tive de contrôle ou d’encadrement d’un réseau dont les aspi­ra­tions liber­taires sont très fortes. »

Chez nous, la ques­tion est pen­dante depuis long­temps et aucune cer­ti­fi­ca­tion n’est encore envi­sa­gée sérieu­se­ment. On évoque la pos­si­bi­li­té que, dans la fou­lée du Conseil de déon­to­lo­gie qui vient de se créer en Com­mu­nau­té fran­çaise, les édi­teurs de médias numé­riques affichent sur leurs édi­tions le fait qu’ils res­pectent les règles déon­to­lo­giques du jour­na­lisme et se sou­mettent aux déci­sions dudit conseil.

Quelle que soit leur valeur ajou­tée, les jour­na­listes pro­fes­sion­nels souffrent pour­tant, dans une large pro­por­tion, d’une mau­vaise valo­ri­sa­tion de leur tra­vail. Le fait est par­ti­cu­liè­re­ment mar­quant du côté des indé­pen­dants. Et les jour­na­listes appe­lés à pro­duire un tra­vail mul­ti­mé­dia ne sont pas pour autant valo­ri­sés, alors que leurs com­pé­tences doivent se multiplier.

Le cadre légal lui-même est chan­geant et ne contri­bue pas à sécu­ri­ser les pro­fes­sion­nels. Nous n’entrerons pas dans les détails de cette matière com­plexe, mais évo­quons dans les grandes lignes la ques­tion des droits d’auteur. Ce mode de rému­né­ra­tion du tra­vail des jour­na­listes s’est retrou­vé au centre des pré­oc­cu­pa­tions ces der­nières années avec, du côté des édi­teurs, une course à l’obtention de ces­sions com­plètes de leurs droits par leurs col­la­bo­ra­teurs. Il s’agit, pour les patrons de presse, de se garan­tir les droits sur leurs pro­duc­tions, quel que soit le sup­port de diffusion.

Droits d’auteur en question

Coup de ton­nerre sup­plé­men­taire dans le ciel des droits d’auteur, un chan­ge­ment dans la légis­la­tion est inter­ve­nu fin 2008. Elle per­met de rému­né­rer les jour­na­listes en droits d’auteur dans une pro­por­tion sen­si­ble­ment plus grande qu’auparavant, avec un poids fis­cal net­te­ment moindre pour les édi­teurs et, par­tant, une contri­bu­tion aux coti­sa­tions sociales et pen­sions des rédac­teurs net­te­ment amoin­drie. Les asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles sont mon­tées au cré­neau pour com­battre les risques d’appauvrissement poten­tiel­le­ment induits par ces nou­velles régle­men­ta­tions fiscales.

Enfin, dès lors qu’il s’agit de médias élec­tro­niques, un autre front s’ouvre lar­ge­ment : celui de la per­cep­tion des droits sur la repro­duc­tion. Ici, le com­bat pour le res­pect des droits d’auteur est mené par la Socié­té des auteurs jour­na­listes. Les droits sur les pro­duc­tions écrites (les articles) sont défen­dus depuis plu­sieurs années déjà. Reste main­te­nant à défendre les droits sur les pro­duc­tions jour­na­lis­tiques sonores et audio­vi­suelles. Une bataille qui vient à peine de commencer.

Stric­to sen­su, la pro­blé­ma­tique des droits d’auteur n’est pas liée aux nou­veaux médias. Elle y prend tou­te­fois un relief par­ti­cu­lier dans le cas de la repro­duc­tion et du télé­char­ge­ment, mais aus­si dans le cas des par­te­na­riats et échanges d’information. Repre­nons l’exemple cité plus haut d’une cap­sule vidéo Bel­ga livrée à un édi­teur. Qu’en est-il des droits de l’auteur, et ici spé­ci­fi­que­ment de ses droits moraux, lorsque l’on sait que son œuvre pour­rait être com­plè­te­ment dénaturée ?

Le tableau n’est cepen­dant pas entiè­re­ment sombre. De l’avis des asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles comme des jour­na­listes eux-mêmes et de leurs repré­sen­tants et délé­gués au sein des rédac­tions, il faut tra­vailler avec les nou­veaux médias et pro­fi­ter des oppor­tu­ni­tés qu’ils offrent. Mais nous sommes encore loin d’avoir mis en place les modèles d’affaires ren­dant les édi­tions numé­riques pro­fi­tables. Sans doute les attentes sont-elles pla­cées un peu haut.

Bien sûr, Inter­net n’est pas le nou­vel Eldo­ra­do. Mais si on l’aborde pour ce qu’il est — un nou­veau canal de com­mu­ni­ca­tion et de dif­fu­sion — l’on peut en tirer de mul­tiples pro­fits. D’un point de vue indi­vi­duel tout d’abord, où l’acquisition de com­pé­tences et de savoirs spé­ci­fiques accroît l’employabilité dans le sec­teur des médias.

En ce qui concerne un groupe de presse, l’outil de com­mu­ni­ca­tion a modi­fié les modes de com­mu­ni­ca­tion et de recherche d’information. Uti­li­sé avec les pré­cau­tions néces­saires, le Net s’avère un outil de tra­vail jour­na­lis­tique d’une grande puissance.

Enfin, dès lors qu’il s’agit de pas­ser à l’étape de dif­fu­sion, c’est-à-dire de créer véri­ta­ble­ment une édi­tion numé­rique, il faut sans doute ne pas res­ter obnu­bi­lé par le clas­sique « jour­nal en ligne ». L’outil infor­ma­tique per­met le déploie­ment de ser­vices à forte valeur ajou­tée pour les lec­teurs, qu’ils soient pri­vés ou professionnels.

Les tech­no­lo­gies per­mettent de mettre en place, éven­tuel­le­ment autour d’un conte­nu édi­to­rial, une palette qua­si infi­nie de ser­vices qu’il est sou­vent plus facile de moné­ta­ri­ser (alertes, annonces, recherches dans des bases de don­nées, moteur de calculs…).

L’information, dans le cadre des médias numé­riques, ne doit plus être vue stric­te­ment comme un conti­nuum des­crip­tif ou nar­ra­tif, sous la forme de textes notam­ment, mais comme un ensemble de don­nées, faits ou chiffres, orga­ni­sés non plus linéai­re­ment, mais réti­cu­lai­re­ment. C’est l’organisation même de cet ensemble de micro-infor­ma­tions qui consti­tue la valeur ajou­tée d’un média.

Sans doute le salut du jour­na­lisme à l’ère du numé­rique passe-t-il notam­ment par l’abandon, dans une cer­taine mesure, du mode de dif­fu­sion dis­cur­sif tra­di­tion­nel pour s’engager dans un trai­te­ment de l’information fon­dé sur l’unité signi­fiante et le lien. Se fai­sant, il peut se posi­tion­ner de manière com­plé­men­taire aux sup­ports exis­tants, écrits ou audio­vi­suels, qui res­tent les médias par excel­lence du dis­cours et de la nar­ra­tion. En atten­dant une plus grande conver­gence de ces dif­fé­rents supports… 

  1. Ces cita­tions, de même que les autres cita­tions reprises dans cet article — sauf men­tion contraire — sont extraites de l’étude « Les nou­veaux médias en Bel­gique fran­co­phone : état des lieux, enjeux et pers­pec­tives jour­na­lis­tiques », Arnaud Gré­goire / Asso­cia­tion des jour­na­listes pro­fes­sion­nels, 17 octobre 2008 — le rap­port dis­po­nible sur Inter­net est com­plé­té de plu­sieurs vidéos mon­trant les « news­rooms » et d’interviews clés.
  2. « Sha­ping the Future », Natio­nal Union of Jour­na­lists], Com­mis­sion on Mul­ti-Media Wor­king, décembre 2007.

Arnaud Grégoire


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