Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Réaction en chaine à Tihange

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Michel Genet

février 2013

Mar­di 20 novembre der­nier, le centre de crise du minis­tère de l’Intérieur vient de lan­cer un exer­cice gran­deur nature de simu­la­tion d’accident nucléaire à Tihange. Comme on a refu­sé à Green­peace d’être « embed­ded » avec la presse par­mi les dif­fé­rents acteurs de l’exercice, nous avons dû nous conten­ter d’envoyer quatre obser­va­teurs, tout à fait pas­sifs et vague­ment vêtus d’une veste […]

Mar­di 20 novembre der­nier, le centre de crise du minis­tère de l’Intérieur vient de lan­cer un exer­cice gran­deur nature de simu­la­tion d’accident nucléaire à Tihange. Comme on a refu­sé à Green­peace d’être « embed­ded » avec la presse par­mi les dif­fé­rents acteurs de l’exercice, nous avons dû nous conten­ter d’envoyer quatre obser­va­teurs, tout à fait pas­sifs et vague­ment vêtus d’une veste Green­peace. Pour nous, durs de durs, habi­tués à de vraies actions — tou­jours non vio­lentes, mais par­fois confron­ta­tives — où on passe par-des­sus les bar­rières, on monte sur les che­mi­nées de Tihange ou de Doel ou on bloque un convoi de déchets nucléaires, autant dire que la jour­née s’annonce pai­sible et sans histoires.

Quelle sur­prise, du coup, quand vers 11 heures, notre ser­vice de presse inter­rompt une réunion de rou­tine : « Bel­ga vient d’annoncer que l’exercice était sus­pen­du, car des acti­vistes de Green­peace ont péné­tré à l’intérieur de la cen­trale ! » Sidé­rés par cette nou­velle, nous sai­sis­sons nos GSM pour appe­ler notre équipe sur place qui, comme nous, tombe des nues, tar­tines de midi à la main, non loin de l’hôtel de ville cher à Anne-Marie Lizin.

Pen­dant que notre ser­vice médias se bat avec toute la presse belge — allez fran­co­phone — qui ne cesse d’appeler, on décide de contac­ter le direc­teur du centre de crise : après de longues minutes d’attente, on me le passe et je me rends compte que je suis sur haut­par­leur : Moment ver­ti­gi­neux : j’imagine tout le QG de l’opération rete­nant son souffle pour entendre nos condi­tions et autres exi­gences ! Rien de cela, je pré­cise juste que nos quatre col­la­bo­ra­teurs mangent sage­ment leurs tar­tines à Huy et que non, vrai­ment, nous n’avons envoyé per­sonne à l’intérieur de la cen­trale. Un peu scep­tique dans un pre­mier temps, mon inter­lo­cu­teur finit par me croire.

Entre­temps, la RTBF veut un démen­ti fil­mé, la radio a déjà appe­lé trois fois, Elec­tra­bel se déchaine contre nous sur Twit­ter, haha, nous ne nous lais­sons pas faire et nous ins­tal­lons aus­si­tôt une « war room » pour ripos­ter, la presse conti­nue d’appeler… jusqu’à ce que, vers 14 heures 30, l’exercice reprenne officiellement.

Pas de Green­peace à l’intérieur, donc, mais pas d’explication claire non plus… On évoque le fait que les auto­ri­tés se seraient lais­sé abu­ser par des jeunes qu’eux-mêmes auraient sol­li­ci­tés pour par­ti­ci­per à l’exercice. Le trouble est d’ailleurs à son comble puisque, par­mi les jour­na­listes qui ont assailli d’appels notre ser­vice de presse, se trouvent des étu­diants de l’IHECS char­gés de jouer le rôle de la presse et d’informer la popu­la­tion minute par minute d’un stu­dio mis en place pour eux : les gars se prennent tel­le­ment au jeu qu’ils veulent aus­si nous inter­vie­wer. La mise en abyme semble sans limite…

Jusqu’au moment où, en fin de jour­née, on me passe un appel du direc­teur du centre de crise. Aus­si­tôt, je mets le haut­par­leur (!) pour l’entendre me dire qu’il a envoyé lui-même un démen­ti à Bel­ga et qu’en confé­rence vidéo avec les gou­ver­neurs de Liège, Namur et Luxem­bourg, il a pris la peine de pré­ci­ser que Green­peace n’était pour rien dans cette affaire. Le remer­ciant sin­cè­re­ment de sa cor­rec­tion, je lui glisse dis­crè­te­ment : « Mais sait-on ce qui s’est pas­sé fina­le­ment ? » Après un petit « hum » gêné de l’autre côté de la ligne, on me raconte que le direc­teur de la cen­trale, un peu ner­veux appa­rem­ment, a aper­çu des « per­sonnes qui revê­taient des cos­tumes de pom­piers » et a cru qu’il s’agissait d’activistes de Green­peace ! La police locale n’a pas infir­mé, Bel­ga s’est jeté sur le scoop et on a même été jusqu’à envoyer un héli­co pour véri­fier que plus aucun intrus n’était pré­sent à l’intérieur de la centrale.

Cha­cun pour­ra conclure comme il veut sur les ratés risibles d’un exer­cice pour rire et ce qu’ils pour­raient don­ner lors d’un vrai acci­dent ou sur l’emballement tout aus­si risible de la presse, ampli­fiée par cette twit­to­sphère qui, comme un pou­let sans tête, s’est embal­lée pour presque rien : le réel était, en tout cas, plus fort que la fic­tion ce jour-là.

Michel Genet


Auteur