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Rationalisation de l’offre universitaire et structuration du paysage

Numéro 7 - 2016 par Jean-Paul Lambert

novembre 2016

Quel bilan et quelles pers­pec­tives peut-on tirer de cin­quante ans de débats ? En quelques années, le « pay­sage uni­ver­si­taire » s’est consi­dé­ra­ble­ment sim­pli­fié, et les six uni­ver­si­tés fran­co­phones placent la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles dans la moyenne euro­péenne par rap­port au nombre d’étudiants. En ce qui concerne la ratio­na­li­sa­tion de l’offre, le main­tien de nom­breux cur­sus d’études peu fré­quen­tés et les uni­ver­si­tés « incom­plètes » han­di­capent le sys­tème d’enseignement uni­ver­si­taire. Cet ana­chro­nisme devrait être corrigé.

La « ratio­na­li­sa­tion de l’université » a fait l’objet, au cours des der­nières décen­nies, de mul­tiples débats, lois et décrets. Ce thème com­porte, comme on le ver­ra, deux dimen­sions recou­vrant des pré­oc­cu­pa­tions différentes.

Pour illus­trer l’évolution des débats, il est ins­truc­tif de se replon­ger dans les rap­ports « Welsch-Trois­fon­taines » (1976) et « Bod­son-Ber­leur » (1998). Ces rap­ports sont les deux seuls rap­ports de « sages » remis, à sa demande, à un ministre de l’Enseignement supé­rieur au cours des der­nières années, res­pec­ti­ve­ment par les rec­teurs Welsch (ULg) et Trois­fon­taines (FUNDP) et par les rec­teurs hono­raires Bod­son (ULg) et Ber­leur (FUNDP).

Sans sur­prise, cha­cun de ces docu­ments est mar­qué par le contexte et les pré­oc­cu­pa­tions spé­ci­fiques des res­pon­sables aca­dé­miques de l’époque, mais tous deux consacrent une atten­tion sou­te­nue aux thèmes de la « ratio­na­li­sa­tion de l’offre » uni­ver­si­taire et de la struc­tu­ra­tion du « pay­sage » uni­ver­si­taire. Ces deux concepts visent des réa­li­tés dif­fé­rentes : le pre­mier, la « ratio­na­li­sa­tion de l’offre », vise la dupli­ca­tion (ou la mul­ti­pli­ca­tion) des « petites sec­tions » (c’est-à-dire des cur­sus d’études pour les­quels la popu­la­tion étu­diante concer­née est rela­ti­ve­ment réduite) et ren­voie donc à la ques­tion d’une « spé­cia­li­sa­tion » éven­tuelle de toutes les uni­ver­si­tés1 ; le second, la struc­tu­ra­tion du « pay­sage » uni­ver­si­taire, porte sur le nombre (et l’opportunité de fusions éven­tuelles) d’universités en Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles.

Pour cha­cun de ces deux thèmes, nous résu­me­rons briè­ve­ment l’analyse et les recom­man­da­tions déve­lop­pées dans les deux rap­ports, avant d’exposer la situa­tion telle qu’elle se pré­sente aujourd’hui.

Rap­pe­lons tout d’abord, afin d’éclairer l’exposé, quelques élé­ments de base.

Tant en 1976 qu’en 1998, la Com­mu­nau­té fran­çaise comp­tait neuf uni­ver­si­tés : trois uni­ver­si­tés dites « com­plètes » car cou­vrant l’ensemble des domaines d’études et six uni­ver­si­tés dites « incom­plètes » (ou « spé­cia­li­sées », selon la ter­mi­no­lo­gie inter­na­tio­nale en vigueur) car ne cou­vrant qu’une par­tie du spectre des domaines d’études.

Les domaines d’études uni­ver­si­taires sont au nombre d’une ving­taine, regrou­pés en trois grands « sec­teurs » que sont les sciences humaines et sociales, les sciences et les sciences de la santé.

Un cur­sus d’études désigne un pro­gramme d’études spé­ci­fique pro­po­sé au sein d’un domaine d’études. Une grande majo­ri­té de domaines pro­posent plu­sieurs cur­sus d’études, tant en pre­mier qu’en deuxième cycle, les nombres de cur­sus pro­po­sés étant tou­te­fois net­te­ment supé­rieurs dans le deuxième cycle. Les popu­la­tions étu­diantes des divers cur­sus sont d’importance très variable, allant — pour l’ensemble de la FWB — de quelques dizaines pour les cur­sus les moins fré­quen­tés à plu­sieurs mil­liers pour les cur­sus les plus fré­quen­tés. Dès lors qu’un cur­sus peu fré­quen­té est orga­ni­sé simul­ta­né­ment par plu­sieurs uni­ver­si­tés, il donne lieu à l’apparition de « petites sec­tions », dans les­quelles les condi­tions d’encadrement sont certes favo­rables pour les étu­diants, mais dont l’organisation et le main­tien sont cou­teux pour les uni­ver­si­tés concer­nées, d’où l’attention appor­tée à ces situa­tions dans une pers­pec­tive de la « ratio­na­li­sa­tion de l’offre ». Mais la vision d’une « orga­ni­sa­tion ration­nelle de l’offre » doit aus­si mener à s’interroger sur les sec­tions situées à l’autre extré­mi­té du spectre des tailles : l’existence de « grandes » sec­tions résulte de l’organisation, dans les cur­sus très fré­quen­tés, par un nombre (sans doute trop) limi­té d’universités. Dans ces « grandes » sec­tions, les nombres d’étudiants sont tels que les condi­tions d’encadrement (et de sui­vi) des étu­diants se trouvent inévi­ta­ble­ment dégradées.

Pour des rai­sons his­to­riques, la toute grande majo­ri­té des cur­sus est pro­po­sée simul­ta­né­ment dans les trois uni­ver­si­tés com­plètes et seule une mino­ri­té de ceux-ci est pro­po­sée (en ver­tu des habi­li­ta­tions octroyées) dans les uni­ver­si­tés incomplètes.

La « rationalisation de l’offre » universitaire ou la multiplication des « petites sections » : la question de la « spécialisation » des universités

L’analyse du rap­port Welsch-Trois­fon­taines (1976) est super­fi­cielle. Certes, les auteurs recon­naissent d’emblée la per­ti­nence d’une éven­tuelle (et très rela­tive) « spé­cia­li­sa­tion » des uni­ver­si­tés com­plètes, mais pour lui oppo­ser, tout aus­si­tôt, une réponse caté­go­rique « Limi­ter les ini­tia­tives des uni­ver­si­tés com­plètes en matière d’enseignement serait reve­nir sur le prin­cipe repris dans la loi d’expansion de 1965 de l’“universalité” des universités ».

Les auteurs plaident donc pour la voie d’une concer­ta­tion inter­uni­ver­si­taire, mais pour sou­li­gner aus­si­tôt l’ampleur des dif­fi­cul­tés à sur­mon­ter et conclure qu’on ne peut trop attendre d’une telle concertation.

L’analyse du rap­port Bod­son-Ber­leur (1998) est un peu plus appro­fon­die car les auteurs se donnent la peine de dres­ser une liste des « petites sec­tions » en dis­tin­guant celles qui, n’étant orga­ni­sées que par une seule uni­ver­si­té, méritent un sta­tut pri­vi­lé­gié de « pro­tec­tion », sous peine de pri­ver la Com­mu­nau­té fran­çaise de toute capa­ci­té d’enseignement et de recherche dans les domaines concer­nés. Pour les « petites sec­tions » répli­quées par plu­sieurs uni­ver­si­tés, les auteurs res­tent éva­sifs puis passent à un autre sujet. Il faut attendre le der­nier cha­pitre pour voir appa­raitre, dans un para­graphe inti­tu­lé « Pas d’utopie », la réponse des auteurs à la ques­tion « Ne convien­drait-il pas que les uni­ver­si­tés “com­plètes” se spé­cia­lisent, fût-ce (très) par­tiel­le­ment ? ». La réponse est aus­si caté­go­rique que lapi­daire : « Cela n’aurait aucune chance d’être accep­té » car, comme le rap­pellent les auteurs « Nos plus anciennes uni­ver­si­tés ont été fon­dées pour se faire contrepoids ».

On aura com­pris que le sujet est « poli­ti­que­ment déli­cat ». Il n’est donc pas sur­pre­nant que, sur cette ques­tion de la « ratio­na­li­sa­tion de l’offre », les choses n’aient pas évo­lué depuis la rédac­tion de ces rap­ports. Exa­mi­nons donc la situa­tion actuelle.

Les annuaires du Cref2 per­mettent d’identifier, pour chaque cur­sus d’études, tant du pre­mier que du deuxième cycle, les popu­la­tions étu­diantes concer­nées et les uni­ver­si­tés orga­ni­sant effec­ti­ve­ment ce cur­sus. On peut alors, pour chaque cur­sus, cal­cu­ler la « taille moyenne » des sec­tions3. On peut alors clas­ser les cur­sus, selon la « taille moyenne » des sec­tions, dans diverses caté­go­ries de tailles, allant des « petites sec­tions » (moins de 50 étu­diants pour un cycle d’études) aux « grandes » (entre 200 et 250 étu­diants), sinon « très grandes sec­tions » (plus de 250 étudiants).

Cet exer­cice4 nous apprend que­la taille moyenne des sec­tions est net­te­ment plus impor­tante pour les cur­sus (moins nom­breux) du pre­mier cycle que pour ceux (plus nom­breux) du deuxième cycle. Au pre­mier cycle, seule une faible mino­ri­té de cur­sus donne lieu à des « petites sec­tions », une pro­por­tion impor­tante se retrou­vant clas­sée dans les « très grandes sections ».

Au deuxième cycle, la situa­tion se pré­sente très dif­fé­rem­ment selon les grands sec­teurs d’études. Le sec­teur des « sciences » se concentre qua­si exclu­si­ve­ment dans les « petites » sec­tions. Dans le sec­teur des « sciences humaines et sociales », les cur­sus se répar­tissent de façon uni­forme entre les diverses caté­go­ries de tailles tan­dis que, dans le sec­teur des « sciences de la san­té », on enre­gistre une concen­tra­tion aux deux extré­mi­tés du spectre des tailles.

On observe que, par le poids de l’histoire et de l’inertie du sys­tème, la qua­li­té des condi­tions d’encadrement (et de sui­vi) des étu­diants se trouve très inéga­le­ment répar­tie selon le « sec­teur » d’études dont relève l’étudiant, sans qu’aucun argu­ment, de nature péda­go­gique ou scien­ti­fique, ne puisse être invo­qué pour jus­ti­fier que, dans tel sec­teur d’études, presque tous les étu­diants béné­fi­cient de condi­tions d’encadrement les plus favo­rables tan­dis que, dans tel ou tel autre sec­teur d’études, une majo­ri­té des étu­diants sont invi­tés à (ou contraints de) s’entasser dans des « grandes », sinon « très grandes », sections.

Comme on le lira plus loin, une des recom­man­da­tions de cette étude pour­rait abou­tir à atté­nuer (tout au moins par­tiel­le­ment) cette dis­pa­ri­té des condi­tions d’étude.

La structuration du « paysage » universitaire

Pen­dant plus de qua­rante ans, le « pay­sage » uni­ver­si­taire a été orga­ni­sé selon les dis­po­si­tions de la loi dite d’«expansion uni­ver­si­taire » de 1965.

Avant de rap­pe­ler la por­tée de cette loi, resi­tuons-la dans le contexte de l’époque. Ce contexte était celui d’une véri­table « explo­sion » des popu­la­tions uni­ver­si­taires5, géné­rée prin­ci­pa­le­ment par le « baby boum » de l’après-guerre. Sub­mer­gées par cet afflux d’étudiants, les uni­ver­si­tés, tant du nord que du sud du pays, dénoncent la très nette insuf­fi­sance des capa­ci­tés d’accueil et appellent le gou­ver­ne­ment (à l’époque, encore natio­nal) à adop­ter les mesures qui s’imposent.

La « loi d’expansion uni­ver­si­taire » de 1965 visait à répondre à la fois aux besoins bud­gé­taires et aux besoins d’extension des infra­struc­tures, et donc des implan­ta­tions. Dans le cadre belge, cette réponse devait tenir compte des « équi­libres idéo­lo­giques » (entre ins­ti­tu­tions de l’État et ins­ti­tu­tions libres) ain­si que des équi­libres régio­naux. Sur le plan bud­gé­taire, la loi de 1965 octroya une aide impor­tante aux uni­ver­si­tés libres6 tout en accor­dant de larges com­pen­sa­tions aux uni­ver­si­tés de l’État. Sur le plan des exten­sions d’infrastructures et d’implantations, la loi de 1965 éten­dit des « habi­li­ta­tions géo­gra­phiques » (pour l’université catho­lique de Lou­vain, encore uni­taire à l’époque, dans le can­ton de Wavre, sur le ter­ri­toire de la ville de Cour­trai et sur le ter­ri­toire de la com­mune de Woluwe Saint-Lam­bert à Bruxelles ; pour l’université libre de Bruxelles, encore uni­taire à l’époque, dans le can­ton de Nivelles), orga­ni­sa le ren­for­ce­ment de l’offre uni­ver­si­taire à Anvers et à Mons et attri­bua la déno­mi­na­tion de « facul­té » à l’une ou l’autre école ou ins­ti­tut supé­rieur7.

Ce rap­pel est utile pour bien com­prendre la teneur — et la tona­li­té — du rap­port Welsch-Trois­fon­taines (1976), rédi­gé à un moment où les uni­ver­si­tés com­mencent à res­sen­tir les pre­miers effets des res­tric­tions bud­gé­taires consé­cu­tives à la crise de 1974. Les auteurs font, à diverses reprises, allu­sion aux dif­fi­cul­tés bud­gé­taires décou­lant de l’adoption de la « loi d’expansion uni­ver­si­taire » de 19658. Ils concentrent sur­tout leur ana­lyse, et leurs cri­tiques, sur trois cas. Le pre­mier cas concerne un pro­jet de loi visant à créer une « uni­ver­si­té du Hai­naut » par le regrou­pe­ment des trois ins­ti­tu­tions uni­ver­si­taires mon­toises (UMH, FPMS et Fucam). Les auteurs se montrent très cri­tiques à l’égard de ce pro­jet, qui sera fina­le­ment aban­don­né. Le deuxième cas concerne la facul­té des sciences agro­no­miques de l’État à Gem­bloux (Fusagx), dont on se rap­pel­le­ra que la « loi d’expansion uni­ver­si­taire » de 1965 avait pré­vu la pos­si­bi­li­té pour celle-ci de s’intégrer à l’ULg, mais qui tar­dait à faire le pas (elle ne le fera pas avant… 2008). Le troi­sième cas concerne la Fon­da­tion uni­ver­si­taire luxem­bour­geoise (Ful), centre de recherche et de for­ma­tion de troi­sième cycle (doc­to­rat) créé en 1971, qui avait fait mine, à l’époque, de reven­di­quer, pour lui-même, une sorte de mono­pole dans la recherche et la for­ma­tion de troi­sième cycle des sciences de l’environnement.

Les auteurs du rap­port Bod­son-Ber­leur (1998) consacrent un cha­pitre entier à « La struc­tu­ra­tion de l’enseignement uni­ver­si­taire ». Ils foca­lisent leur atten­tion et leurs cri­tiques sur quelques ins­ti­tu­tions qu’ils dési­gnent eux-mêmes comme les « ins­ti­tu­tions « points de mire ». Ces ins­ti­tu­tions (l’UMH, la FPMS et la Fusagx) sont celles qui, à l’époque, béné­fi­ciaient encore d’un sou­tien finan­cier pré­fé­ren­tiel pré­vu au tra­vers d’une dis­po­si­tion par­ti­cu­lière de la loi de finan­ce­ment de 1971. Les auteurs dénoncent ce sou­tien finan­cier pré­fé­ren­tiel (indu à leurs yeux), déve­loppent des consi­dé­ra­tions met­tant en cause l’efficacité et la qua­li­té des for­ma­tions et de la recherche de ces ins­ti­tu­tions, pour fina­le­ment débou­cher sur la recom­man­da­tion d’une inté­gra­tion de la Fusagx à l’ULg et d’une fusion de l’UMH, de la FPMS et des Fucam en vue de créer un « pôle mon­tois ». La réac­tion du Cref à la publi­ca­tion de ce rap­port sera très cri­tique, et celui-ci res­te­ra sans suite.

La décla­ra­tion de Bologne de juin 1999 don­ne­ra le coup d’envoi du « pro­ces­sus de Bologne » visant à créer un « espace euro­péen de l’Enseignement supé­rieur ». En Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles fut adop­té, le 31 mars 2004, le décret dit « de Bologne » qui trans­po­sait les recom­man­da­tions de la Décla­ra­tion de 1999, en modi­fiant la struc­ture des cur­sus d’études (pre­mier cycle — trois ans — de « bache­lier » sui­vi d’un deuxième cycle — deux ans — de « mas­ter ») et en intro­dui­sant le sys­tème euro­péen de cré­dits (ECTS).

Le décret Bologne ins­ti­tuait en outre trois « aca­dé­mies uni­ver­si­taires ». Furent ain­si créées l’académie « Wal­lo­nie-Bruxelles » asso­ciant l’ULB, l’UMH et la FPMS, l’académie « Wal­lo­nie-Europe » asso­ciant l’ULg et la Fusagx et l’académie « Lou­vain » asso­ciant l’UCL, les FUNDP, les Fusl et les Fucam. Ces aca­dé­mies, au sein des­quelles chaque uni­ver­si­té conser­vait son auto­no­mie, visaient, selon le décret, à encou­ra­ger les col­la­bo­ra­tions entre les membres jusqu’à conduire, le cas échéant, à des fusions (encou­ra­gées par le tra­vers d’incitants finan­ciers) au sein d’une même académie.

Avant même l’adoption du décret Bologne, avait eu lieu, par décret du 28 jan­vier 2004, l’intégration de la FUL à l’ULg.

La dyna­mique des col­la­bo­ra­tions enga­gées au sein des Aca­dé­mies a effec­ti­ve­ment abou­ti à plu­sieurs fusions et/ou intégrations.

La Fusagx a opté pour une inté­gra­tion à l’ULg, sanc­tion­née par décret du 28 novembre 2008. L’UMH et la FPMS ont fusion­né, pour don­ner nais­sance à l’université de Mons (UMons), en ver­tu du même décret du 28 novembre 2008. Les Fucam ont opté pour une inté­gra­tion à l’UCL (deve­nant le cam­pus UCL-Mons) par conven­tion pre­nant effet au 14 sep­tembre 2011.

Le mou­ve­ment de fusions-absorp­tions enga­gé au sein des aca­dé­mies s’est arrêté
là. Au sein de l’académie Wal­lo­­nie-Bruxelles, l’UMons n’a pas souhaité
fusion­ner avec l’ULB et, au sein de l’aca-
démie Lou­vain, les FUNDP et les Fusl, échau­dées par l’échec du pro­jet de cons-titu­tion d’une nou­velle « UCLou­vain », n’ont pas sou­hai­té — au contraire des Fucam — se voir inté­grées dans l’UCL.

Le décret Pay­sage du 7 novembre 2013, qui a suc­cé­dé au décret Bologne, orga­nise une struc­tu­ra­tion du « pay­sage de l’Enseignement supé­rieur » dans son ensemble, en vue de répondre à deux objec­tifs prin­ci­paux. D’une part, réduire le rela­tif cloi­son­ne­ment entre les divers types d’enseignement supé­rieur par l’instauration d’une « aca­dé­mie de recherche et l’enseignement Supé­rieur » (Ares), « cou­pole » asso­ciant tous les acteurs pour consul­ta­tion et débats sur les ques­tions d’intérêt com­mun. D’autre part, encou­ra­ger la col­la­bo­ra­tion entre les éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur en matière de ser­vices et de par­tage d’infrastructure au pro­fit des étu­diants, au sein de « pôles aca­dé­miques » défi­nis selon un cri­tère géographique.

Ce décret Pay­sage n’introduit cepen­dant aucune dis­po­si­tion concer­nant la « ratio­na­li­sa­tion des uni­ver­si­tés », selon les deux dimen­sions exa­mi­nées ici.

Bilan et perspectives

Quel bilan peut-on tirer quant à la « ratio­na­li­sa­tion de l’université » à l’issue de notre exa­men de cin­quante ans de débats, rap­ports, lois et décrets ?

Le contraste est frap­pant entre la dimen­sion « ratio­na­li­sa­tion de l’offre » uni­ver­si­taire, qui ren­voie à la ques­tion d’une (très rela­tive) « spé­cia­li­sa­tion » éven­tuelle des uni­ver­si­tés com­plètes, et la dimen­sion du « pay­sage » uni­ver­si­taire, qui ren­voie à la ques­tion du nombre — et de l’opportunité de fusions éven­tuelles — d’universités.

Com­men­çons par cette seconde dimen­sion. En l’espace de quelques années, le « pay­sage » uni­ver­si­taire en Bel­gique fran­co­phone, qui se com­po­sait de neuf uni­ver­si­tés (par­mi les­quelles trois uni­ver­si­tés com­plètes) aux­quelles s’ajoutait une Fon­da­tion uni­ver­si­taire, s’est radi­ca­le­ment sim­pli­fié, les ins­ti­tu­tions « mono­fa­cul­taires » ou « mono­dis­ci­pli­naires » ayant fusion­né avec plus grand qu’elles. Ne sub­sistent plus que les trois uni­ver­si­tés com­plètes et trois uni­ver­si­tés « incom­plètes » (ou « spé­cia­li­sées », selon la ter­mi­no­lo­gie inter­na­tio­nale) qui, toutes trois, couvrent un large spectre de domaines d’études. Avec six uni­ver­si­tés pour quelque 4,6 mil­lions d’habitants, la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles dis­pose d’un sys­tème uni­ver­si­taire qui compte désor­mais un nombre d’universités com­pa­rable à celui que comptent (en rap­port avec leur popu­la­tion res­pec­tive) tous nos voi­sins européens.

Reve­nons à la pre­mière dimen­sion, celle de la « ratio­na­li­sa­tion de l’offre » uni­ver­si­taire. L’examen révèle que, comme il y a qua­rante ans, sub­sistent de nom­breux cur­sus d’études (dont la très grande majo­ri­té n’est orga­ni­sée que par les uni­ver­si­tés com­plètes) qui, tout en étant peu (voire très peu) peu­plés, sont répli­qués par plu­sieurs uni­ver­si­tés. Le main­tien de ces sec­tions coute cher, en géné­ral, aux uni­ver­si­tés orga­ni­sa­trices. Face à ce constat, les « sages » de 1976 comme ceux de 1998 s’interrogeaient sur l’opportunité d’un éven­tuel « par­tage des tâches » entre uni­ver­si­tés qui, de ce fait, pour­raient ne plus demeu­rer abso­lu­ment « com­plètes ». Qu’en pen­ser ? La réponse doit prendre en consi­dé­ra­tion le chan­ge­ment de contexte. L’environnement uni­ver­si­taire d’aujourd’hui se dis­tingue radi­ca­le­ment de celui du siècle écou­lé par l’importance majeure prise par la dimen­sion inter­na­tio­nale. Que l’on songe au pro­ces­sus de Bologne, à l’arrivée toni­truante des « ran­kings » inter­na­tio­naux ou à l’émergence d’excellentes uni­ver­si­tés dans de grands pays nou­vel­le­ment indus­tria­li­sés, toutes nos uni­ver­si­tés sont doré­na­vant condam­nées à confor­ter leur visi­bi­li­té et leur cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nales. Or l’expérience montre que, du point de vue de la visi­bi­li­té inter­na­tio­nale, le carac­tère « com­plet » d’une uni­ver­si­té est un atout, notam­ment (mais pas seule­ment) en rai­son des cri­tères adop­tés par les ran­kings les plus en vue. Il serait donc inop­por­tun de légi­fé­rer en vue de réduire d’autorité les répli­ca­tions, par les uni­ver­si­tés com­plètes, de cur­sus peu fréquentés.

Mais les mêmes contraintes de visi­bi­li­té et de cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nales pèsent évi­dem­ment sur les uni­ver­si­tés incom­plètes. Ces contraintes com­mandent de mettre fin à une dis­po­si­tion, reli­quat d’un pas­sé ancien, qui n’a aucun équi­valent dans le monde, est donc incom­pré­hen­sible pour des par­te­naires étran­gers poten­tiels et déforce, dès lors, très sévè­re­ment nos uni­ver­si­tés incom­plètes. Il s’agit de la dis­po­si­tion qui voit ces uni­ver­si­tés habi­li­tées (pour cer­tains domaines d’études) pour le pre­mier cycle, pour les deuxièmes cycles « de spé­cia­li­sa­tion » (advan­ced mas­ters) et pour le troi­sième cycle (doc­to­rat), sans l’être pour le deuxième cycle ini­tial ! Le main­tien de ce qu’il faut bien appe­ler un ana­chro­nisme consti­tue, pour nos uni­ver­si­tés incom­plètes et leurs étu­diants, un han­di­cap struc­tu­rel qui les déforce et, par là même, déforce notre sys­tème uni­ver­si­taire dans son ensemble.

Un exa­men appro­fon­di montre que la cor­rec­tion de cet ana­chro­nisme, tout en confor­tant la visi­bi­li­té et la cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nales de nos uni­ver­si­tés incom­plètes, de même que leur poten­tiel au ser­vice du (re)déploiement régio­nal, n’aurait aucun effet néga­tif sur les « grands équi­libres » de notre sys­tème uni­ver­si­taire. On véri­fie que, moyen­nant l’adoption de l’une ou l’autre « balise » pour des for­ma­tions par­ti­cu­liè­re­ment cou­teuses, le nombre de cur­sus poten­tiel­le­ment concer­nés est réduit. Il en est de même pour la popu­la­tion étu­diante concer­née, qui serait très infé­rieure à celle des étu­diants en archi­tec­ture qui ont inté­gré les uni­ver­si­tés à la ren­trée 2010, sans que cette inté­gra­tion ait alors don­né lieu à com­men­taires sur un quel­conque bou­le­ver­se­ment des équi­libres du système.

Au sur­plus, cette mesure se pré­sente comme « struc­tu­rel­le­ment jus­ti­fiée » car on véri­fie qu’elle por­te­rait essen­tiel­le­ment sur des cur­sus très fré­quen­tés, aux sec­tions clai­re­ment « sur­di­men­sion­nées », ce qui per­met­trait d’améliorer les condi­tions d’encadrement et de sui­vi « sous-opti­males » dont pâtissent actuel­le­ment les étu­diants concernés.

  1. Y com­pris des uni­ver­si­tés dites « com­plètes », les uni­ver­si­tés dites « incom­plètes » étant, de fac­to, spé­cia­li­sées.
  2. Conseil des rec­teurs fran­co­phones, dont la base de don­nées four­nit les sta­tis­tiques uni­ver­si­taires officielles.
  3. Celle-ci cor­res­pond au nombre moyen d’étudiants ins­crits à ce cur­sus, dans chaque université.
  4. Pour les rai­sons déjà évo­quées dans le rap­port Bod­son-Ber­leur, nous ne por­tons notre atten­tion que sur les cur­sus orga­ni­sés par au moins trois universités.
  5. Durant la décen­nie des années 1960, la popu­la­tion étu­diante des uni­ver­si­tés fran­co­phones a connu un taux de crois­sance annuel moyen de 7,8%! (10,9% pour les uni­ver­si­tés fla­mandes), rythme de crois­sance qui n’a plus jamais été réédi­té par la suite.
  6. Rap­pe­lons que, jusqu’à l’adoption de la loi de finan­ce­ment de 1971, les uni­ver­si­tés libres étaient net­te­ment moins bien finan­cées que leurs consœurs « de l’État ».
  7. L’École des mines et de la métal­lur­gie de Mons, créée en 1838, se voit dénom­mer Facul­té poly­tech­nique de Mons (FPMS). L’Institut agro­no­mique de l’État à Gem­bloux et l’École de méde­cine vété­ri­naire à Bruxelles (Cure­ghem) reçoivent éga­le­ment la déno­mi­na­tion de facul­té et se voient offrir la pos­si­bi­li­té d’être incor­po­rés à l’université de l’État à Liège. Seule l’École de méde­cine vété­ri­naire a fait, en 1969, usage de cette possibilité.
  8. Un des auteurs est alors rec­teur de l’ULg. La cri­tique de la loi de 1965 se com­prend mieux si l’on sait que les com­pen­sa­tions octroyées par cette loi aux uni­ver­si­tés de l’État furent sévè­re­ment rabo­tées deux ans plus tard, sus­ci­tant l’ire légi­time des deux uni­ver­si­tés d’État (ULg et UGent) qui se sont per­çues comme ayant été pro­pre­ment « flouées » par la loi de 1965.

Jean-Paul Lambert


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