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Quoi de neuf ? Les sciences humaines et sociales !
« Il est grand temps d’abandonner l’illusion que la technologie sauvera l’humanité. » Le propos est iconoclaste, surtout lorsqu’il sort de la bouche de Máire Geoghegan-Quinn, la commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation. « Nous avons jusqu’ici largement privilégié les sciences exactes et les approches technologiques pour répondre aux défis du futur. Ce fut notamment le cas avec […]
« Il est grand temps d’abandonner l’illusion que la technologie sauvera l’humanité. » Le propos est iconoclaste, surtout lorsqu’il sort de la bouche de Máire Geoghegan-Quinn, la commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation. « Nous avons jusqu’ici largement privilégié les sciences exactes et les approches technologiques pour répondre aux défis du futur. Ce fut notamment le cas avec le programme FET Flagship (Future and Emerging Technologies, NDLR) qui a abouti à miser 1 milliard d’euros en dix ans sur la recherche sur le graphène et la simulation informatique du cerveau humain. Mais il est temps de nous pencher sur les sciences humaines et sociales, elles ont autant, voire plus, à nous apprendre. »
Ambitieux programme de recherche
La Commission européenne vient donc de décider de consacrer 1 milliard d’euros sur dix ans à la recherche en sciences humaines. Quatre projets internationaux devront être sélectionnés à la mi-2014. Selon le communiqué diffusé par la Commission, ils devront chercher « à améliorer notre connaissance des phénomènes sociaux, culturels et psychologiques qui détermineront la capacité de la société européenne à réagir aux défis qui s’imposent à elle ». La priorité sera donnée aux approches interdisciplinaires et à la mise sur pied d’instruments et de théories transversales susceptibles d’une application dans de multiples domaines. Il est fait appel à la combinaison d’approches multiples, notamment qualitatives, afin de mettre en place des processus « permettant une réelle compréhension des phénomènes étudiés ».
À titre d’exemple, le communiqué mentionne : « L’évolution des structures familiales, des comportements en matière d’emploi, des habitudes de consommation, des formes de militance politique et associative, des modalités de recours à diverses pratiques thérapeutiques, des types de productions et de consommations médiatiques, des formes d’expressions culturelles, des formes de rapports au religieux, etc. »
À quoi bon développer de nouveaux matériaux si les gens en ont peur et refusent de les utiliser ? Pourquoi chercher la source d’énergie miraculeuse alors que nous connaissons si peu Les déterminants des comportements de consommation ? Quelle est l’utilité d’un développement industriel s’il s’opère sans rapport avec les facteurs pesant sur l’emploi, la formation et l’insertion sociale ? À quoi peut servir la voiture de demain quand on ne connait ni les raisons de l’usage actuel de l’automobile ni les facteurs influant sur son poids dans la culture occidentale ? D’une manière générale, l’on peut s’interroger sur le sens qu’il y a à chercher à développer des téléphones portables plus performants lorsqu’on en sait si peu sur le sentiment d’insécurité, sur la récidive, sur l’intégration sociale des personnes d’origine étrangère, sur les nouvelles formes de famille et de vie collective, sur les facteurs pesant sur la santé mentale, sur le bien-être au travail/en maison de retraite/à l’école, sur les comportements de pollution…
Quelle terrible présomption que de croire qu’il suffira de créer des postes dans des industries technologiques flambant neuves pour régler le problème de l’emploi. Quelle horrible pauvreté que celle d’une civilisation qui prête plus d’attention au graphène qu’aux fondements de sa culture et à ses développements actuels : théâtre, littérature, cinéma, langues vivantes et mortes sont autant d’éléments de notre environnement qui nous aident davantage à donner sens à notre expérience individuelle et collective qu’un cristal de carbone de l’épaisseur d’un atome.
Une révolution des mentalités
Il était temps, grand temps que l’on prît conscience de notre terrible ignorance en matière de sciences humaines et sociales, que l’on acceptât notre condition d’êtres de sens et que l’on consentît à dépasser la simplicité des mécaniques et des statistiques pour nous confronter enfin à des interrogations et à des méthodologies complexes.
N’ayons pas peur des mots, nous assistons à une révolution des mentalités. Après avoir consacré des milliards au financement de la recherche fondamentale en sciences exactes et appliquées, après n’avoir juré que par le progrès technologique, la compétitivité, l’innovation et la concurrence industrielle mondiale, un acteur politique de premier plan prend conscience de la complexité du monde qui l’entoure. Et voilà qu’après avoir laissé les miettes des financements européens aux sciences humaines et sociales, la Commission annonce son intention d’opérer un revirement radical.
Bien entendu, David Cameron s’est déjà fendu d’une déclaration interrogeant « les retombées concrètes des angoisses existentielles d’une Commission dont on se demande si elle est bien à même de juger des préoccupations des citoyens britanniques » et appelant à « l’établissement d’une répartition juste des budgets qui tienne compte à la fois du poids respectif des membres de l’Union européenne, mais aussi de l’excellence et de l’importance de leur secteur dans la recherche en sciences humaines et sociales ».
Espérons que ce revirement de la Commission ne sera pas une simple lubie et qu’il inspirera d’autres acteurs publics. Il est en effet plus que temps que nous sortions des âges barbares et que nous investissions dans la connaissance, celle qui mène à la compréhension. Une connaissance vraiment utile.