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Quo vadis CD&V ?
Durant les quatre cents jours qui ont suivi les élections du 10 juin, le CD&V a joué un rôle bizarre : tantôt moteur des négociations à la recherche d’un compromis, tantôt ultime obstacle infranchissable, toujours au moment crucial. À chaque fois, au dernier moment, l’éternel futur Premier ministre, plébiscité par la Flandre, a dû constater que son parti ne […]
Durant les quatre cents jours qui ont suivi les élections du 10 juin, le CD&V a joué un rôle bizarre : tantôt moteur des négociations à la recherche d’un compromis, tantôt ultime obstacle infranchissable, toujours au moment crucial.
À chaque fois, au dernier moment, l’éternel futur Premier ministre, plébiscité par la Flandre, a dû constater que son parti ne le suivait plus.
Manque de direction ? Jeux stratégiques et comble de cynisme politique ? Preuve absolue de la domination de la N‑VA ? Électoralisme sans aucun sens des responsabilités ? Ces hypothèses ont toutes été avancées, sans vraiment donner satisfaction. La raison en est simple : il n’y a pas de réponse univoque à la question de savoir qui dirige le CD&V.
Ce constat peut surprendre. Leterme a pourtant bien obtenu 800 000 voix personnelles, un score fabuleux. Il a extrait son parti des catacombes de l’opposition vers le pouvoir à tous les niveaux. Il a pris sa revanche sur la période violette en humiliant la bête noire du CD&V, Guy Verhofstadt. Le parti, qui lui doit presque tout, ne peut quand même pas se permettre de le pousser vers l’échec ? C’est pourtant ce qu’il a fait, à plusieurs reprises.
La position de Leterme au sein de son parti est compliquée. D’abord, il est incontournable. Même après ses échecs, l’idée de le remplacer est une sorte de sacrilège. Les scénarios de remplacement par Herman Van Rompuy ou Kris Peeters n’étaient jusqu’ici que de la spéculation pure, souvent inventée par ses concurrents politiques. Leterme est intouchable, encore plus chez les militants que chez les parlementaires.
Cette position incontestée n’inspire pourtant pas la docilité de son parti. À vrai dire, Leterme n’est jamais plus adoré qu’au moment où il échoue. Inversement, on ne se méfie jamais autant de lui qu’au moment où il semble négocier avec succès. La peur de la trahison du chef s’empare alors de tout le parti.
Cette peur a son histoire, surtout dans les dossiers communautaires. Le CVP a toujours eu son aile flamingante. Ce n’est pas neuf. Mais le CVP a aussi toujours été le parti du pouvoir et donc du compromis. Ce qui le séparait des partis nationalistes, ce n’était pas la conviction régionaliste, mais la gestion de l’État et le pragmatisme qu’elle impliquait. Pour un Wilfried Martens ou un Jean-Luc Dehaene, il était tout à fait naturel de passer du statut de jeune Flamand radical à celui d’homme d’État belge. En tant que Premier ministre, tous deux ont profondément réformé l’État, mais toujours en cherchant le consensus et donc en décevant les ultras flamands. Dans les milieux radicaux, le CVP est progressivement devenu synonyme de trahison des exigences flamandes, malgré ses réalisations. Mais peu importait, le CVP restait toujours le parti le plus grand, même après des élections désastreuses. Le sens du compromis n’était jamais trop sévèrement puni.
Aujourd’hui, la peur de la trahison est toujours là, mais elle est beaucoup plus aiguë, parce que cette certitude de l’époque du CVP — le pouvoir garanti — a complètement disparu. C’est qu’en 1999, l’impensable est arrivé : un gouvernement sans chrétiens-démocrates. L’échec de l’équipe Verhofstadt n’est pas venu aussi vite qu’escompté. Il a fallu attendre huit longues années pour revenir au 16 rue de la Loi. L’explication selon laquelle quelques poulets intoxiqués (et la frénésie médiatique qu’ils avaient provoquée) suffisaient à comprendre cette catastrophe s’avérait au moins incomplète. Depuis, le CD&V n’a plus qu’une seule certitude : le pouvoir regagné peut être très vite reperdu. Son sens proverbial du compromis est la première victime de cette évolution.
La N‑VA, entre autres
Le problème est double. D’un côté, il y a une véritable radicalisation flamande au sein du CD&V. Le fait que le retour au pouvoir s’est d’abord produit au niveau flamand, en 2004, y est pour quelque chose. Yves Leterme est le premier chef de gouvernement fédéral qui s’est formé avant tout au niveau régional. Le point de vue y est tout à fait différent : le gouvernement flamand a de l’argent, il est exempt de grandes tensions idéologiques et il peut donc se profiler comme un niveau politique ambitieux. Le seul obstacle : le fédéral, le cadre strict qu’il impose sur les Régions, le manque de compétences. Le niveau flamand est presque par définition un niveau frustré, où l’on voudrait faire beaucoup plus, mais où l’on se heurte presque systématiquement aux limites de la structure fédérale. Il est donc peu surprenant qu’un homme politique formé à ce niveau constate qu’il faille réformer une fois de plus l’état.
La radicalisation est donc l’expression de convictions politiques sincères. Le fait que les deux départements à incidents permanents de Verhofstadt II, Justice et Finances, aient été gérés par des ministres francophones, qui ne faisaient que rarement l’effort de se justifier en Flandre, a renforcé l’image d’un pays où la mauvaise gestion est l’apanage du Sud. Une caricature, certes, mais une caricature qui résonne fortement en Flandre. Si seulement on nous laissait faire…
De l’autre côté, ce positionnement politique a toujours eu son côté stratégique. Les gouvernements de Verhofstadt se sont caractérisés par la faible place consacrée aux débats communautaires. Les revendications flamandes, qui se présentent de façon pressante toutes les x années, étaient bien toujours là, mais, en gros, Verhofstadt les ignorait. Le communautaire ne l’a d’ailleurs presque jamais passionné. Avec la résurrection du problème BHV, à travers la redéfinition des circonscriptions électorales, Verhofstadt a cependant donné une arme puissante à ses adversaires. Un CD&V qui devait se réinventer serait flamand ou ne serait pas.
Aux élections, la stratégie s’est avérée efficace. Au-delà des convictions politiques, l’intransigeance communautaire est devenue une nécessité stratégique. Une question de crédibilité. L’image de l’ancien CVP, qui cherchait les compromis et finissait par se faire massacrer aux élections, hante désormais le parti. La proximité des élections de 2009 pose le problème de façon aiguë. L’opinion publique flamande, radicalisée avec chaque discours électoral, n’accepte plus de compromis nuancé. Le CD&V a créé lui-même les conditions qui l’empêchent aujourd’hui de trouver une sortie élégante. (La proximité des élections affecte d’ailleurs aussi profondément les partis francophones. La lutte entre MR en PS paralyse la politique au sud du pays, où seul un front de refus total et donc d’immobilisme peut réunir tous les partis. C’est un élément des négociations que le CD&V ne contrôle pas, mais qui a eu son effet dévastateur.)
Où se trouve la N‑VA dans toute cette histoire ? Loin de vouloir minimiser l’impact qu’a eu Bart De Wever, il faut insister sur le fait que le problème au sein du cartel est plus grand que celui posé par la N‑VA. Celle-ci n’a fait que renforcer les tendances déjà présentes au sein du CD&V. Au niveau idéologique, la N‑VA se met naturel lement du côté des plus intransigeants. Le sens du compromis y est encore plus mal vu. Du côté stratégique, la menace permanente d’une rupture dans le cartel a de quoi effrayer le CD&V. Sans la N‑VA, le CD&V est un parti de taille moyenne. Avec la N‑VA, il domine la politique flamande. En outre, les scénarios où la N‑VA quitte le CD&V et rejoint la Lijst Dedecker font office de cauchemar électoral pour le CD&V. À l’automne 2007, au moment où le CD&V hésitait sur un accord possible, la N‑VA a subtilement indiqué ses limites. Cela a suffi à réveiller toute la partie du CD&V qui pense la même chose. Aucun président de parti, même pas Leterme lui-même, ne pouvait aller à contre-courant. Le même scénario s’est répété en juillet 2008 comme en novembre 2007.
On peut certes reprocher à Yves Leterme de n’avoir jamais véritablement essayé de forcer les choses au sein de son parti. Mais vu sa situation, il n’est pas certain qu’un coup de force aurait pu vraiment changer l’issue de la discussion.
Comment sortir de l’imbroglio ?
L’espoir que l’ancien CVP revienne est vain. On l’a vu pendant les missions de Jean-Luc Dehaene et Herman Van Rompuy en juillet et septembre 2007. Certes, les deux « vieux » sont respectés. Leurs mérites passés sont reconnus. Mais leurs solutions d’apaisement ne satisfont plus. Dehaene et Van Rompuy, qui se disent euxmêmes « d’une autre génération politique », ne peuvent plus forcer les choses.
Qu’est-ce qui peut encore sauver le CD&V, sinon un accord satisfaisant ? Le parti n’a plus de scénarios optimaux. Les derniers sondages le prouvent d’ailleurs : il perd des électeurs partout. Ceux qui pensent qu’après une année, il faut aussi parler d’autre chose que le communautaire (c’est l’aile proche de l’ACW) s’en vont vers le SP.A et l’Open VLD. Ceux qui pensent qu’il faut tenir debout et, si besoin en est, faire éclater le pays, se laissent séduire par le VB et, surtout, la Lijst Dedecker. Le CD&V perd dans tous les cas de figure.
Seule la conviction qu’il n’a pas d’autre option que de continuer à chercher un compromis, pourrait mener le CD&V à donner plus de temps à Leterme. De nouvelles élections ne seraient pas seulement difficiles à défendre juridiquement, tant qu’il n’y a pas de solution pour BHV, mais elles risqueraient aussi de compliquer encore plus les choses. La radicalisation de l’opinion publique flamande (et francophone), exprimée aux élections, pourrait créer une situation où la formation d’un gouvernement fédéral stable serait encore plus difficile.
Gagner du temps, c’est probablement la seule chose que le CD&V peut encore essayer. Mais après un an de négociations, un nouveau délai pose un problème de crédibilité de plus en plus grand. Surtout quand les partis francophones ne font aucun effort pour camoufler qu’on n’est toujours nulle part, même si cette fois ils semblent avoir enfin complètement intégré la nécessité d’une grande réforme, du moins dans les discours entendus au lendemain de la troisième démission d’Yves Leterme.
De part et d’autre de la frontière linguistique, le compromis reste compromettant.
Le plus probable est que le CD&V poursuive dans la voie ouverte depuis un an. Intransigeant, radical. Sans savoir où aboutir. « On ne sait pas où l’on va. Mais on y va tout droit. » Une expression fréquemment citée en ce mois de juillet 2008 au sein d’un parti qui se croit toujours synonyme de « bonne gestion », mais qui n’arrive plus à gouverner.