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Quo vadis CD&V ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2008 par Liesbeth Van Impe

juillet 2008

Durant les quatre cents jours qui ont sui­vi les élec­tions du 10 juin, le CD&V a joué un rôle bizarre : tan­tôt moteur des négo­cia­tions à la recherche d’un com­pro­mis, tan­tôt ultime obs­tacle infran­chis­sable, tou­jours au moment cru­cial. À chaque fois, au der­nier moment, l’é­ter­nel futur Pre­mier ministre, plé­bis­ci­té par la Flandre, a dû consta­ter que son par­ti ne […]

Durant les quatre cents jours qui ont sui­vi les élec­tions du 10 juin, le CD&V a joué un rôle bizarre : tan­tôt moteur des négo­cia­tions à la recherche d’un com­pro­mis, tan­tôt ultime obs­tacle infran­chis­sable, tou­jours au moment crucial.

À chaque fois, au der­nier moment, l’é­ter­nel futur Pre­mier ministre, plé­bis­ci­té par la Flandre, a dû consta­ter que son par­ti ne le sui­vait plus.

Manque de direc­tion ? Jeux stra­té­giques et comble de cynisme poli­tique ? Preuve abso­lue de la domi­na­tion de la N‑VA ? Élec­to­ra­lisme sans aucun sens des res­pon­sa­bi­li­tés ? Ces hypo­thèses ont toutes été avan­cées, sans vrai­ment don­ner satis­fac­tion. La rai­son en est simple : il n’y a pas de réponse uni­voque à la ques­tion de savoir qui dirige le CD&V.

Ce constat peut sur­prendre. Leterme a pour­tant bien obte­nu 800 000 voix per­son­nelles, un score fabu­leux. Il a extrait son par­ti des cata­combes de l’op­po­si­tion vers le pou­voir à tous les niveaux. Il a pris sa revanche sur la période vio­lette en humi­liant la bête noire du CD&V, Guy Verhof­stadt. Le par­ti, qui lui doit presque tout, ne peut quand même pas se per­mettre de le pous­ser vers l’é­chec ? C’est pour­tant ce qu’il a fait, à plu­sieurs reprises.

La posi­tion de Leterme au sein de son par­ti est com­pli­quée. D’a­bord, il est incon­tour­nable. Même après ses échecs, l’i­dée de le rem­pla­cer est une sorte de sacri­lège. Les scé­na­rios de rem­pla­ce­ment par Her­man Van Rom­puy ou Kris Pee­ters n’é­taient jus­qu’i­ci que de la spé­cu­la­tion pure, sou­vent inven­tée par ses concur­rents poli­tiques. Leterme est intou­chable, encore plus chez les mili­tants que chez les parlementaires.

Cette posi­tion incon­tes­tée n’ins­pire pour­tant pas la doci­li­té de son par­ti. À vrai dire, Leterme n’est jamais plus ado­ré qu’au moment où il échoue. Inver­se­ment, on ne se méfie jamais autant de lui qu’au moment où il semble négo­cier avec suc­cès. La peur de la tra­hi­son du chef s’empare alors de tout le parti.

Cette peur a son his­toire, sur­tout dans les dos­siers com­mu­nau­taires. Le CVP a tou­jours eu son aile fla­min­gante. Ce n’est pas neuf. Mais le CVP a aus­si tou­jours été le par­ti du pou­voir et donc du com­pro­mis. Ce qui le sépa­rait des par­tis natio­na­listes, ce n’é­tait pas la convic­tion régio­na­liste, mais la ges­tion de l’É­tat et le prag­ma­tisme qu’elle impli­quait. Pour un Wil­fried Mar­tens ou un Jean-Luc Dehaene, il était tout à fait natu­rel de pas­ser du sta­tut de jeune Fla­mand radi­cal à celui d’homme d’É­tat belge. En tant que Pre­mier ministre, tous deux ont pro­fon­dé­ment réfor­mé l’É­tat, mais tou­jours en cher­chant le consen­sus et donc en déce­vant les ultras fla­mands. Dans les milieux radi­caux, le CVP est pro­gres­si­ve­ment deve­nu syno­nyme de tra­hi­son des exi­gences fla­mandes, mal­gré ses réa­li­sa­tions. Mais peu impor­tait, le CVP res­tait tou­jours le par­ti le plus grand, même après des élec­tions désas­treuses. Le sens du com­pro­mis n’é­tait jamais trop sévè­re­ment puni.

Aujourd’­hui, la peur de la tra­hi­son est tou­jours là, mais elle est beau­coup plus aiguë, parce que cette cer­ti­tude de l’é­poque du CVP — le pou­voir garan­ti — a com­plè­te­ment dis­pa­ru. C’est qu’en 1999, l’im­pen­sable est arri­vé : un gou­ver­ne­ment sans chré­tiens-démo­crates. L’é­chec de l’é­quipe Verhof­stadt n’est pas venu aus­si vite qu’es­comp­té. Il a fal­lu attendre huit longues années pour reve­nir au 16 rue de la Loi. L’ex­pli­ca­tion selon laquelle quelques pou­lets intoxi­qués (et la fré­né­sie média­tique qu’ils avaient pro­vo­quée) suf­fi­saient à com­prendre cette catas­trophe s’a­vé­rait au moins incom­plète. Depuis, le CD&V n’a plus qu’une seule cer­ti­tude : le pou­voir rega­gné peut être très vite reper­du. Son sens pro­ver­bial du com­pro­mis est la pre­mière vic­time de cette évolution.

La N‑VA, entre autres

Le pro­blème est double. D’un côté, il y a une véri­table radi­ca­li­sa­tion fla­mande au sein du CD&V. Le fait que le retour au pou­voir s’est d’a­bord pro­duit au niveau fla­mand, en 2004, y est pour quelque chose. Yves Leterme est le pre­mier chef de gou­ver­ne­ment fédé­ral qui s’est for­mé avant tout au niveau régio­nal. Le point de vue y est tout à fait dif­fé­rent : le gou­ver­ne­ment fla­mand a de l’argent, il est exempt de grandes ten­sions idéo­lo­giques et il peut donc se pro­fi­ler comme un niveau poli­tique ambi­tieux. Le seul obs­tacle : le fédé­ral, le cadre strict qu’il impose sur les Régions, le manque de com­pé­tences. Le niveau fla­mand est presque par défi­ni­tion un niveau frus­tré, où l’on vou­drait faire beau­coup plus, mais où l’on se heurte presque sys­té­ma­ti­que­ment aux limites de la struc­ture fédé­rale. Il est donc peu sur­pre­nant qu’un homme poli­tique for­mé à ce niveau constate qu’il faille réfor­mer une fois de plus l’état.

La radi­ca­li­sa­tion est donc l’ex­pres­sion de convic­tions poli­tiques sin­cères. Le fait que les deux dépar­te­ments à inci­dents per­ma­nents de Verhof­stadt II, Jus­tice et Finances, aient été gérés par des ministres fran­co­phones, qui ne fai­saient que rare­ment l’ef­fort de se jus­ti­fier en Flandre, a ren­for­cé l’i­mage d’un pays où la mau­vaise ges­tion est l’a­pa­nage du Sud. Une cari­ca­ture, certes, mais une cari­ca­ture qui résonne for­te­ment en Flandre. Si seule­ment on nous lais­sait faire…

De l’autre côté, ce posi­tion­ne­ment poli­tique a tou­jours eu son côté stra­té­gique. Les gou­ver­ne­ments de Verhof­stadt se sont carac­té­ri­sés par la faible place consa­crée aux débats com­mu­nau­taires. Les reven­di­ca­tions fla­mandes, qui se pré­sentent de façon pres­sante toutes les x années, étaient bien tou­jours là, mais, en gros, Verhof­stadt les igno­rait. Le com­mu­nau­taire ne l’a d’ailleurs presque jamais pas­sion­né. Avec la résur­rec­tion du pro­blème BHV, à tra­vers la redé­fi­ni­tion des cir­cons­crip­tions élec­to­rales, Verhof­stadt a cepen­dant don­né une arme puis­sante à ses adver­saires. Un CD&V qui devait se réin­ven­ter serait fla­mand ou ne serait pas.

Aux élec­tions, la stra­té­gie s’est avé­rée effi­cace. Au-delà des convic­tions poli­tiques, l’in­tran­si­geance com­mu­nau­taire est deve­nue une néces­si­té stra­té­gique. Une ques­tion de cré­di­bi­li­té. L’i­mage de l’an­cien CVP, qui cher­chait les com­pro­mis et finis­sait par se faire mas­sa­crer aux élec­tions, hante désor­mais le par­ti. La proxi­mi­té des élec­tions de 2009 pose le pro­blème de façon aiguë. L’o­pi­nion publique fla­mande, radi­ca­li­sée avec chaque dis­cours élec­to­ral, n’ac­cepte plus de com­pro­mis nuan­cé. Le CD&V a créé lui-même les condi­tions qui l’empêchent aujourd’­hui de trou­ver une sor­tie élé­gante. (La proxi­mi­té des élec­tions affecte d’ailleurs aus­si pro­fon­dé­ment les par­tis fran­co­phones. La lutte entre MR en PS para­lyse la poli­tique au sud du pays, où seul un front de refus total et donc d’im­mo­bi­lisme peut réunir tous les par­tis. C’est un élé­ment des négo­cia­tions que le CD&V ne contrôle pas, mais qui a eu son effet dévastateur.)

Où se trouve la N‑VA dans toute cette his­toire ? Loin de vou­loir mini­mi­ser l’im­pact qu’a eu Bart De Wever, il faut insis­ter sur le fait que le pro­blème au sein du car­tel est plus grand que celui posé par la N‑VA. Celle-ci n’a fait que ren­for­cer les ten­dances déjà pré­sentes au sein du CD&V. Au niveau idéo­lo­gique, la N‑VA se met natu­rel lement du côté des plus intran­si­geants. Le sens du com­pro­mis y est encore plus mal vu. Du côté stra­té­gique, la menace per­ma­nente d’une rup­ture dans le car­tel a de quoi effrayer le CD&V. Sans la N‑VA, le CD&V est un par­ti de taille moyenne. Avec la N‑VA, il domine la poli­tique fla­mande. En outre, les scé­na­rios où la N‑VA quitte le CD&V et rejoint la Lijst Dede­cker font office de cau­che­mar élec­to­ral pour le CD&V. À l’au­tomne 2007, au moment où le CD&V hési­tait sur un accord pos­sible, la N‑VA a sub­ti­le­ment indi­qué ses limites. Cela a suf­fi à réveiller toute la par­tie du CD&V qui pense la même chose. Aucun pré­sident de par­ti, même pas Leterme lui-même, ne pou­vait aller à contre-cou­rant. Le même scé­na­rio s’est répé­té en juillet 2008 comme en novembre 2007.

On peut certes repro­cher à Yves Leterme de n’a­voir jamais véri­ta­ble­ment essayé de for­cer les choses au sein de son par­ti. Mais vu sa situa­tion, il n’est pas cer­tain qu’un coup de force aurait pu vrai­ment chan­ger l’is­sue de la discussion.

Comment sortir de l’imbroglio ?

L’es­poir que l’an­cien CVP revienne est vain. On l’a vu pen­dant les mis­sions de Jean-Luc Dehaene et Her­man Van Rom­puy en juillet et sep­tembre 2007. Certes, les deux « vieux » sont res­pec­tés. Leurs mérites pas­sés sont recon­nus. Mais leurs solu­tions d’a­pai­se­ment ne satis­font plus. Dehaene et Van Rom­puy, qui se disent eux­mêmes « d’une autre géné­ra­tion poli­tique », ne peuvent plus for­cer les choses.

Qu’est-ce qui peut encore sau­ver le CD&V, sinon un accord satis­fai­sant ? Le par­ti n’a plus de scé­na­rios opti­maux. Les der­niers son­dages le prouvent d’ailleurs : il perd des élec­teurs par­tout. Ceux qui pensent qu’a­près une année, il faut aus­si par­ler d’autre chose que le com­mu­nau­taire (c’est l’aile proche de l’ACW) s’en vont vers le SP.A et l’O­pen VLD. Ceux qui pensent qu’il faut tenir debout et, si besoin en est, faire écla­ter le pays, se laissent séduire par le VB et, sur­tout, la Lijst Dede­cker. Le CD&V perd dans tous les cas de figure.

Seule la convic­tion qu’il n’a pas d’autre option que de conti­nuer à cher­cher un com­pro­mis, pour­rait mener le CD&V à don­ner plus de temps à Leterme. De nou­velles élec­tions ne seraient pas seule­ment dif­fi­ciles à défendre juri­di­que­ment, tant qu’il n’y a pas de solu­tion pour BHV, mais elles ris­que­raient aus­si de com­pli­quer encore plus les choses. La radi­ca­li­sa­tion de l’o­pi­nion publique fla­mande (et fran­co­phone), expri­mée aux élec­tions, pour­rait créer une situa­tion où la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment fédé­ral stable serait encore plus difficile.

Gagner du temps, c’est pro­ba­ble­ment la seule chose que le CD&V peut encore essayer. Mais après un an de négo­cia­tions, un nou­veau délai pose un pro­blème de cré­di­bi­li­té de plus en plus grand. Sur­tout quand les par­tis fran­co­phones ne font aucun effort pour camou­fler qu’on n’est tou­jours nulle part, même si cette fois ils semblent avoir enfin com­plè­te­ment inté­gré la néces­si­té d’une grande réforme, du moins dans les dis­cours enten­dus au len­de­main de la troi­sième démis­sion d’Yves Leterme.

De part et d’autre de la fron­tière lin­guis­tique, le com­pro­mis reste compromettant.

Le plus pro­bable est que le CD&V pour­suive dans la voie ouverte depuis un an. Intran­si­geant, radi­cal. Sans savoir où abou­tir. « On ne sait pas où l’on va. Mais on y va tout droit. » Une expres­sion fré­quem­ment citée en ce mois de juillet 2008 au sein d’un par­ti qui se croit tou­jours syno­nyme de « bonne ges­tion », mais qui n’ar­rive plus à gouverner.

Liesbeth Van Impe


Auteur

Liesbeth Van Impe est journaliste au quotidien flamand [De Morgen->http://www.demorgen.be/].