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Questions sur l’intégrité dans la recherche
Avec une fréquence qui doit nous inquiéter, les médias rapportent de multiples écarts de conduite chez ceux dont le métier est de développer la recherche scientifique. Existerait-il une science immorale ? La question n’est pas vraiment nouvelle. Néanmoins, le contexte des dernières décennies s’est radicalisé. Et il faut se demander si et pourquoi les conditions d’exercice de la recherche au sein de ce qu’on appelle la « société de la connaissance » n’intensifient pas une dérive vers des produits intellectuels frelatés. La pénétration des techniques de la communication et du marketing fait que la science est désormais contaminée par l’industrie de la fraude, affirme Henri Atlan. Cela viendrait approfondir encore la tendance à la concurrence entre les praticiens du travail scientifique de plus en plus financés par le secteur commercial. Entrainé dans la course de la mondialisation, il emporterait l’université avec elle. L’analyse des causes de la fraude intellectuelle n’est pas dissociable de ce que sont ses sources sociales et culturelles. Lorsque dans une société donnée, il s’agit surtout de « gagner » et de parvenir au succès par la compétition, les promesses de gloire, de puissance ou d’enrichissement qu’elle fait miroiter à ses membres constituent une source structurelle de tensions et de rivalités qui pousse certains à la fraude.
« Peut-il y avoir une science immorale ? » À la suite du célèbre mathématicien Henri Poincaré qui inspira les conceptions du savoir défendues par le Cercle de Vienne1, Anne Fagot-Largeault (2011) reprend cette question à sa manière. L’interrogation peut sembler incongrue, dit-elle, tant on nous a habitués à reconnaitre dans la science un « amour de la vérité » qui, en soi, est déjà toute une morale ! Pourtant, il faut l’entendre. Parce qu’avec une fréquence qui doit nous inquiéter, les médias nous rapportent de multiples écarts de conduite chez ceux dont le métier est actuellement de développer la recherche scientifique. La fraude intellectuelle s’avèrerait plus répandue qu’on ne l’admet d’ordinaire et s’accroitrait même. Certes, les scientifiques n’ont jamais été plus que d’autres les parangons de la vertu. Hier comme aujourd’hui peu d’entre eux sans doute se sont contentés de vivre dans le ciel des idées pures. Néanmoins, le contexte des dernières décennies s’est radicalisé et il faut se demander si les conditions contemporaines d’exercice de la recherche n’intensifient pas une dérive vers des « produits intellectuels » frelatés. Typiques hélàs de ce que l’on appelle la « société de la connaissance », ils apparaissent comme bien autre chose que des connaissances au service de l’humanité : ce sont des pseudo-savoirs avec lesquels, par la ruse ou le mensonge, leurs auteurs cherchent à tirer un avantage strictement personnel.
Fagot-Largeault observe que c’est dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale que la figure du savant « héros de la vérité » a commencé à s’obscurcir. Et qu’au début des années 1980, c’est aux États-Unis que s’est systématisée une réserve au sujet de la probité des chercheurs. Qu’est-ce qui a contribué à cette évolution de l’image que l’on se faisait jusque-là des artisans de la science ?
À partir du siècle des Lumières, le discours scientifique s’était montré capable de développer avec succès une vision de l’avenir concurrente de celle proposée par la religion, et le « savant » en était venu à occuper une place très particulière dans l’imaginaire collectif. D’une certaine façon, il avait endossé une fonction démiurgique : sauver le monde ou le détruire. Or, après le moment où, en 1945, la bombe A fut utilisée à Hiroshima, apparurent les premiers doutes au sujet de ce qui se trouvait à la pointe du savoir scientifique : la maitrise de l’énergie atomique. Trente ans plus tard, toujours chargée d’assurer la transformation du monde, la même science s’est retrouvée au cœur de nouvelles interrogations : ses promoteurs adoptaient-ils des « conduites responsables » dans la mise en œuvre intensive de ses applications technologiques ? Ce furent les années de la catastrophe de Bhopal (1984) suivie par celle de Tchernobyl (1986), où le sociologue allemand Ulrich Beck (1986) souleva des questions inquiétantes au sujet de la modernité promue par la « société du risque ». On n’y échange plus seulement des « biens », disait-il, mais aussi des « maux ».
Par ailleurs, il n’est pas étonnant que ce soit dans la société nord-américaine, si libérale dans les latitudes qu’elle accorde à ses entrepreneurs, mais paradoxalement si soucieuse à l’égard du mensonge, où se multipliaient déjà les zones grises ou même noires d’une « industrie de la connaissance », que le puritanisme anglo-saxon ait poussé en premier à la dénonciation des manquements à la moralité… scientifique. Tout au long des décennies ultérieures, ces pratiques semblent néanmoins n’avoir fait que s’intensifier et s’internationaliser. Et on ne s’étonnera pas que ce soit dans le domaine éminemment rentable des sciences biomédicales que les premières mises en garde aient été formulées par les institutions attributrices des subventions aux scientifiques. Toutefois, la nécessité de s’assurer de la propreté de la recherche a rapidement dépassé ce seul domaine. Elle porte actuellement sur toutes les disciplines et concerne l’ensemble de la planète.
C’est de cette extension du problème que témoigne la création de la Conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche, dont la première session s’est tenue à Lisbonne en 2007, la seconde en 2010 à Singapour et la dernière en mai de cette année à Montréal où l’un des aspects des débats a concerné la confiance ou la défiance qu’inspire la science en raison de ses liens avec les sphères économique, politique et médiatique. Comment comprendre les soupçons croissants qui pèsent sur ceux qui, aux yeux de l’opinion publique, devaient incarner la « science désintéressée » ? La fraude augmente-t-elle vraiment ? Pour quelles raisons ? Quelles sont les réactions possibles face à cette réalité qui concerne tous les citoyens puisque, dans les démocraties modernes, on les invite à faire confiance aux données de la science ? La figure de l’«intellectuel qui éclaire le peuple » est-elle l’une des formes contemporaines de l’abus de pouvoir ?
Une ère de la fraude scientifique ?
« Bienvenue dans l’ère de la fraude intellectuelle », titrait ironiquement en France un article du périodique Sciences Humaines (2012) à propos de trois cas récents de fraude en psychologie sociale. Ce n’était pourtant là que la découverte un peu tardive de ce que la délinquance en col blanc n’est pas l’apanage des seuls banquiers, tradeurs et autres affairistes. Au pays de Voltaire, n’était-ce pas en 2001 déjà qu’Alain Minc, éminent intellectuel théoricien de la « mondialisation heureuse », fut condamné par le tribunal de grande instance de Paris pour la contrefaçon honteuse de sa biographie de Spinoza ? Dans ce pays où l’on avait longtemps affirmé une exception française en la matière, il ne fallut toutefois que quelques semaines de plus pour que la déconvenue du périodique connaisse un ricochet médiatique qui fit grand bruit : l’«affaire » du plagiat commis par Gilles Bernheim, le grand rabbin de ce pays. Certains ont cru pouvoir argumenter que ce dernier cas avait malgré tout quelque vertu puisqu’il permettait de voir que même des autorités morales tenues à un devoir d’exemplarité peuvent être gagnées par la fièvre des nouveaux faussaires de l’esprit. Pas de quoi fouetter un chat soutinrent d’autres, puisqu’à peine quelques semaines auparavant, la ministre allemande de l’éducation et de la recherche (un comble!) avait été contrainte de démissionner à la suite de la découverte de certaines falsifications dans sa thèse de doctorat en philosophie. Il faudrait donc se rendre à l’évidence : les publications et les diplômes risquent bien aujourd’hui de n’être plus que des accessoires de pacotille qui habillent l’autorité des élites sociales.
On se trouve assurément aujourd’hui dans une conjoncture où l’usurpation de mérites intellectuels fait figure d’imposture publique. Et leur mise en lumière scandalise le citoyen ordinaire en quête de repères dans un monde mouvant et complexe. Mais si l’innocence perdue des intellectuels, petits ou grands, incite à la vigilance, faut-il pour autant prétendre que ces nouveaux faussaires ont envahi l’espace de la connaissance ? Sans doute peut-on conjecturer qu’à l’université, tant les enseignants que les étudiants ne bénéficient d’aucune immunité et que, pour la plupart, ils s’avèrent être les enfants de leur époque. Mais les affirmations que l’on généralise à propos de la vénérable institution ne sont-elles pas un peu rapides ? Il faut tenter de prendre la mesure du phénomène avant d’affirmer que la tromperie intellectuelle aurait pris une dimension systémique.
Posons la question autrement : de quel esprit du temps la fraude scientifique telle qu’elle se manifeste actuellement serait-elle l’expression ? N’est-ce pas une illusion au sujet du passé que de voir notre époque comme celle d’un enfermement systémique de la science où la fraude s’accroitrait quantitativement et couvrirait des pratiques de plus en plus graves ? Ne pas apporter de réponse unilatérale demande tout d’abord de se rappeler que les fraudes scientifiques existèrent bel et bien par le passé et que certaines manifestèrent une ampleur ou une audace édifiante.
D’hier à aujourd’hui
On sait que Grégoire Mendel (1849 – 1902), ce moine botaniste père fondateur de la génétique moderne, n’hésita pas dans ses expériences sur les plantes hybrides. Il « arrangea les choses » pour que sur la totalité de ses petits pois sélectionnés, leur nombre corresponde de plus près à la théorie de l’hérédité qu’il voulait accréditer. Non moins instructive fut la mise en scène par Charles Dawnson (1864 – 1916) de l’affaire de l’«homme de Piltdown ». Cet archéologue « découvrit » en 1912 dans le Sussex un fossile qui constituait le chainon manquant dans les connaissances disponibles à l’époque au sujet de la lignée humaine. Quarante ans plus tard, on s’aperçut qu’il s’agissait d’une falsification intégrale. Un enjeu nationaliste explique sans doute cette fraude célèbre : l’Angleterre des années 1900 était pauvre en découvertes archéologiques et avait besoin de tenir son rang dans le domaine de la science. Lyssenko (1898 – 1976) illustre d’une autre manière comment la fraude scientifique devient politique. Cet ingénieur agronome parvint à discréditer ses rivaux dans l’Union soviétique stalinienne en produisant des connaissances collant idéologiquement avec ce que le dictateur voulait pour son pays. Plus près de nous enfin, l’affaire des fossiles de l’Himalaya révélée en 1989 : le paléontologue penjabi Viswa Jit Gupta de l’université de Chandigarh était parvenu depuis 1971 à publier quatre-cent-cinquante articles à leur sujet qui étaient truffés d’invraisemblances et de mensonges. Certains des sites où il prétendait les avoir trouvés n’avaient tout simplement pas d’existence et plusieurs des fossiles exhibés provenaient du Maroc ou avaient été achetés dans des boutiques à Paris.
Vouloir faire triompher une théorie, s’inféoder à un pouvoir politique ou simplement chercher à combler sa vanité, furent assurément des motivations actives par le passé, et on ne peut prétendre qu’elles ont disparu. Mais pour illustrer la transition entre ce qu’aurait été la fraude scientifique ancienne et ce qu’elle serait devenue actuellement, on évoquera trois autres cas qui firent parler d’eux.
C’est en 1988 qu’en France, l’immunologiste Jacques Benveniste (1935 – 2004) entraine un énorme écho avec la publication de son article sur la « mémoire de l’eau ». Il y soutient que l’eau qui a été mise en contact avec certaines substances conserve une empreinte de leurs propriétés alors même que ces substances ne s’y retrouvent statistiquement plus. Tant cette hypothèse allait à l’encontre des certitudes établies de la physique et de la chimie, que la controverse fut immense. Elle illustre presqu’à la perfection non pas ce qu’est le mensonge dans la recherche contemporaine — personne parmi ses détracteurs n’a jamais sérieusement soutenu qu’il soit un fraudeur —, mais ce qu’y sont devenues les conditions de sa production, ses dogmes et l’environnement économico-institutionnel dans lesquels elle se passe. Parce que Benveniste tendait à avaliser la position des tenants de l’homéopathie et que ses recherches avaient été financées en partie par une firme spécialisée dans la production de ce genre de médicaments, certains l’accuseront d’avoir succombé à un conflit d’intérêts. Et comme la difficulté de reproduire systématiquement ses expériences constitue le principal reproche adressé à son étude, on parla de pseudo-science, de protocole expérimental controversé, de publication de travaux insuffisamment validés et d’intervention délétère des médias dans le débat scientifique. Bien que l’enquête ne mît en évidence aucune faute flagrante, il dut néanmoins quitter l’Insern pour pouvoir poursuivre ses recherches. Le professeur Luc Montagnier, associé à la découverte du virus du sida et prix Nobel de médecine 2008, n’a pas caché l’intérêt que gardaient pour lui les travaux de Benveniste. En 2009, il leur apporta un soutien clair en affirmant qu’à ses yeux, la biologie moléculaire avait atteint des limites et qu’elle n’expliquait pas tout. Certains phénomènes comme l’homéopathie, dit-il, restent mystérieux… Si l’on commence par nier ces phénomènes, il ne se passera rien.
Tout autre est le cas du Sud-Coréen Hwang Woo-suk, réputé pour ses recherches sur les cellules souches à l’université de Séoul. Il prétendit avoir réussi le premier clonage humain, mais en 2005, on découvrit les falsifications de ses travaux. Finalement inculpé pour détournement de fonds, il fut condamné à deux ans de prison. Cela ne l’a pas empêché de réapparaitre plus tard dans une fondation où, moyennant le versement de 100.000dollars, il propose le clonage de chiens. Récemment, il s’est retrouvé associé à une entreprise qui tente de faire revivre une carcasse de bébé mammouth découverte dans le permafrost sibérien. On rappellera enfin le cas du physicien allemand Jan Hendrick Schön qui, dans le domaine des nanotechnologies, avait obtenu divers prix scientifiques internationaux entre 1997 et 2001. Suspecté par des collègues, il dut reconnaitre avoir falsifié diverses données de ses recherches en vue de fournir des preuves plus convaincantes de ses résultats. Il avait voulu faire une carrière spectaculaire, mais l’université de Constance le révoqua en affirmant qu’il y avait là une « conduite déshonorante » et la « plus importante fraude en physique depuis cinquante ans ».
La fraude scientifique augmente-t-elle ?
Toutes les fraudes scientifiques ne sont évidemment pas repérées, ne sont pas toutes du même genre, ni ne revêtent la même gravité. Dans la diversité des comportements considérés comme répréhensibles existe un accord pour en identifier trois principales : le « plagiat », qui consiste à ne pas indiquer la source de ce que l’on copie en faisant passer l’idée d’un autre pour la sienne, la « falsification » qui consiste à infléchir la présentation de certaines données dans un sens favorable à la thèse que l’on cherche à défendre, et la « fabrication » des résultats qui n’est rien d’autre que les inventer de toutes pièces. La réalité de la fraude recouvre cependant des choses plus diverses encore et sa définition continue d’être un objet de débats. C’est ce qui, au niveau international, a conduit les agences existantes à plutôt faire usage de la notion d’«intégrité de la recherche ». La confiance de l’opinion publique, argumentent-elles, est fondée sur l’existence de normes d’intégrité du milieu de la recherche et les chercheurs doivent se montrer responsables de la fiabilité de leurs travaux en se tenant à l’écart de pratiques contestables. Cette intégrité n’est évidemment garantie par aucun accord international parce que ce qui est acceptable dans un pays peut être considéré comme illégal dans un autre. La recommandation vise donc plutôt à ce que dans tous les pays, on s’achemine vers des principes et des obligations professionnelles similaires.
La confrontation avec le « modèle américain », qui met en œuvre une régulation centralisée régie par une loi criminalisant la fraude scientifique2, a fait prendre conscience de l’absence d’une vision européenne unifiée en la matière. En 2007, la Commission européenne a chargé un groupe d’experts de formuler des propositions à cet égard. Dans les différents pays de l’Union, il existe certes des chartes et comités d’éthique, mais il y en a peu où la législation en soit venue, comme au Danemark et en Norvège depuis 1992, à se doter des moyens de lutter contre les pratiques mensongères. L’Angleterre en 1997, l’Allemagne en 1998 et la France en 1999 ont commencé à se doter de différents codes et comités de contrôle. En Belgique, outre la loi de 1994 sur les « droits d’auteurs et droits voisins » (dont le plagiat scientifique), le Service fédéral de la politique scientifique a publié en 2009, à l’initiative des diverses académies de sciences, un code éthique de la recherche auquel toutes les universités adhèrent. C’est un texte de portée nationale comme il en existe aussi un aux Pays-Bas. Il reste cependant difficile d’évaluer l’efficacité de ces divers dispositifs.
La question des rapports entre l’activité scientifique et sa régulation étatique n’est pas un domaine des plus simples à prendre en charge. Si la fraude dans ce domaine est un objet de scandale public qui exige de fixer des règles, il faut aussi avoir conscience des dangers que représentent ses censeurs trop zélés (Ramunni, 2003). Le « régime de production des savoirs » constitue un domaine délicat qu’il s’agit de comprendre avant de vouloir administrativement le formater. Car s’y croisent contradictoirement les exigences de centralisation des politiques sociales, sanitaires et de la sécurité collective, et celles d’une créativité de la recherche qui s’encadre difficilement dans des systèmes de normes standardisées. Brièvement, on pourrait dire que s’y rencontrent le statut du « chercheur-fonctionnaire » et celui du « chercheur-entrepreneur ». Si l’on voit bien les impérieuses raisons qu’il y a à protéger la recherche de la capacité qu’ont les industries d’y imposer leurs vues, on ne peut minimiser pour autant la tentation permanente de l’«État stratège » cherchant à instrumentaliser plus ou moins subtilement les sciences au service de politiques. Dans cet autre domaine qu’est l’histoire, par exemple, les controverses autour du « négationnisme » ont montré que les enceintes parlementaires n’étaient pas le meilleur lieu pour déterminer le vrai du faux en science. Et pourtant, la question continue de se poser : une fois que la science devient une entreprise qui imite l’organisation industrielle, est-elle encore capable de s’autoréguler ?
Si des instruments de lutte contre la fraude ont commencé à être mis en place au cours des dernières décennies, c’est parce que des indices évidents indiquaient l’existence d’une augmentation de son volume. Le nombre de publications rétractées parce qu’elles reposaient sur des données falsifiées ou fabriquées était en constante croissance. Les enquêtes indiquent aussi que si plus de 90% de la population européenne affirme spontanément faire confiance à la science, cette opinion favorable décroit rapidement dès qu’elle sait que les recherches sont en lien avec l’industrie : 30% quand il s’agit du nucléaire, des OGM ou des nanotechnologies. L’opinion publique a été frappée par la gravité de la fraude apparue dans plusieurs études pharmacologiques liées à de grands laboratoires commerciaux. Ce sont là des manifestations de ce qu’Ulrich Beck appelle la « cuisine des poisons ». Et désormais, ce sont les neurosciences qui sont l’objet d’une attention particulière, en raison des financements colossaux dont bénéficie ce domaine : la manne du milliard d’euros allouée par la Commission européenne à l’Human Brain Project suscite apparemment une inflation d’études statistiquement peu crédibles et aux méthodologies douteuses.
Malgré ce nouveau climat de défiance, il demeure néanmoins difficile d’affirmer avec certitude que la fraude scientifique s’accroit réellement. Dans la communauté des chercheurs, elle est généralement considérée comme marginale, mais les enquêtes récentes mettent en cause cette opinion. Les principales investigations disponibles proviennent des États-Unis. La synthèse qu’en donne Eliot Marschall (2000), dans le magazine Science, met en évidence que le nombre de ceux qui avouent avoir fraudé plus ou moins gravement dans au moins l’une de ces trois catégories de pratiques pénalisées varierait, selon les sources, de 1 à 35% parmi les scientifiques en activité. Ils seraient les plus nombreux dans les sciences biologiques et médicales (35%), moins nombreux dans les sciences humaines (16%) et plus rares dans les sciences dites dures (15 à 1%). La prévalence de ces pratiques se situerait entre 1 et 2% du total des articles scientifiques publiés. S’il demeure difficile de déterminer si la fréquence de la fraude reste relativement stable et si son augmentation apparente n’est qu’un effet mécanique de la multiplication du nombre des chercheurs, on ne peut cependant pas s’étonner que l’on en soit venu à parler d’une « culture de la fraude ». Car même s’il n’y a que 2% des articles scientifiques qui sont l’objet d’une falsification découverte et que cela peut paraitre une faible proportion, aux États-Unis cela concerne toutefois quelque 8.000 personnes sur les 400.000 financées sur des fonds fédéraux. Et lorsque 35% de scientifiques d’une discipline admettent, sous anonymat, avoir commis des fautes déontologiques, cela constitue une proportion énorme.
En Europe, bien que l’on y reprenne l’affirmation selon laquelle toutes les études indiquent que les fraudes scientifiques sont en augmentation, les données sur le volume quantitatif de la fraude restent très lacunaires sinon absentes. Ce sont des publications américaines (Ferric C. Fang, 2012) qui nous apprennent, par exemple, que, dans le domaine des sciences de la vie et si l’on se fie au nombre des articles scientifiques rétractés, après les États-Unis, ce sont l’Allemagne et le Japon qui arrivent en tête, suivis directement par la Chine dont on dit que le plagiat et la fabrication de données y sont devenus un sport national. Viennent ensuite le Royaume-Uni et d’autres pays européens comme la France et l’Italie. Par le biais d’informations ponctuelles dans les médias, on sait aussi qu’au cours des dernières années, en France, en Allemagne et en Angleterre, se sont multipliées des enquêtes judiciaires au sein des universités où l’on soupçonne des professeurs d’avoir participé à diverses malversations permettant la délivrance de grades académiques indus dans différentes disciplines.
En Belgique, on ne dispose pas de données publiques fiables sur l’ampleur qu’aurait la fraude scientifique. On doit s’y contenter des cas que les médias mettent en lumière. Ainsi, le mensuel EOS Wetenschap publiait en mars 2013 les résultats d’une enquête montrant que, dans les universités flamandes, un chercheur sur douze en sciences médicales admettait être prêt à falsifier une recherche. Au même moment, un biologiste de la VUB était licencié à la suite de la découverte de l’importance de la fraude qu’il pratiquait depuis de nombreuses années. À l’ULB, de graves soupçons de falsification de données planent actuellement sur un chercheur chevronné en toxicologie. On rappellera enfin la suspicion de fraude qui, en 2012 à l’UCL, a pesé sur un gynécologue de renommée internationale lors de la publication de certains de ses travaux en matière de greffe de tissus ovariens. Y a‑t-il eu faute ou omission de signalement de certaines informations ? Ici, c’est sans doute la rivalité entre chercheurs qui est intervenue. On observe donc que la jalousie entre eux n’est pas absente et qu’ils peinent à résister aux pressions qui, en vue de briller, les poussent parfois à publier dans la hâte.
Pourquoi frauder ?
Les raisons pour lesquelles nombre de chercheurs s’adonnent à la fraude partout dans le monde sont-elles très différentes de celles qui poussent les coureurs cyclistes à prendre des substances qui améliorent leurs performances ? Ce qui ne manque pas de frapper, c’est qu’au cours des vingt dernières années, la multiplication des contrôles n’a pas plus enrayé la fraude qui affecte la publication des articles dans les revues scientifiques qu’elle n’est parvenue à s’opposer au dopage des sportifs. Comme si les uns et les autres, malgré les barrages mis en place, étaient de plus en plus nombreux à avoir besoin de mettre le système à l’épreuve, espérant certes ne pas être découverts, mais décidés à le braver. Dans le « monde darwinien de la recherche », selon l’expression de Fagot-Largeault, exhiber des résultats qui retiennent l’attention constitue une nécessité si l’on veut rester dans la compétition. Publier est devenu une obligation incontournable, et on s’y donne d’autant plus facilement un coup de pouce furtif à soi-même que l’on estime être entouré de rivaux qui n’hésitent pas à en faire autant.
Dans son ouvrage De la fraude (2010), le biologiste et philosophe Henri Atlan affirme que la science est désormais « contaminée par l’industrie du mensonge ». La pénétration des techniques de communication et de marketing dans la transmission de l’information scientifique fait qu’elle n’est plus à l’abri des dérapages frauduleux adoptés avec une apparente indifférence par un grand nombre. Or, dit-il, dans cette manière de rabattre les produits de la science sur des jeux d’intérêts, il y a une dénaturation du langage. Donc aussi une dénaturation des rapports avec la vérité et une fragilisation de la démocratie soumise à des objectifs commerciaux ou idéologiques.
Concurrence, intérêt économique, marketing et techniques de communication : l’activité scientifique se trouve aux prises avec une réalité complexe où les responsabilités se partagent entre les individus, les administrations publiques et les entreprises aux objectifs souvent contradictoires. Car c’est le célèbre mot d’ordre « publiez ou périssez », pratiquement imposé aux chercheurs par les instances gouvernementales à l’aide d’instruments d’évaluation bibliométrique de leur « production », qui a poussé nombre d’entre eux à publier toujours plus. En principe, il s’agissait de purger les laboratoires des scientifiques médiocres et « non rentables ». Le résultat obtenu fut cependant tout autre : pour « sauver leur peau », plus d’un s’est affranchi des règles éthiques et on a vu fleurir la « science frauduleuse ». La littérature universitaire s’est de cette façon ensevelie elle-même sous une monstrueuse avalanche de publications redondantes, dissimulée sous des intitulés différents et que seuls les programmes spécialisés des machines digitales s’avèrent désormais capables d’inventorier et comparer. L’ironie de la situation est toutefois que ce sont les mêmes instances, initialement incitatrices de cette excroissance maligne, qui se voient à terme chargées d’une sorte de police des mœurs qui traque les imposteurs. En Allemagne, par exemple, l’État en est venu à modifier la législation en vue de protéger les « lanceurs d’alertes » dénonciateurs des cas de fraude scientifique. Le prestigieux institut Max Planck, quant à lui, a établi une charte de la guidance des chercheurs qui, au trop fameux adage « publiez ou périssez », substitue maintenant cet autre : « Publiez mieux et moins. »
L’irruption massive de recherches financées par des entreprises commerciales n’a, par ailleurs, fait qu’accélérer le pilotage de travaux orientés par une présumée « demande sociale » souvent réduite aux intérêts de l’économie marchande. Sommée de trouver une correspondance entre le savoir et les critères de l’efficacité productive, une part importante de la science contemporaine s’est dès lors conçue elle-même comme si elle était un produit au service de la société de consommation. Tout cela donne évidemment à réfléchir sur ce qu’on appelle la « société de la connaissance » érigée en idéal dans le traité de Lisbonne. La demande de savoirs y est devenue un important facteur de production, un enjeu fondamental dans la compétition économique qui pousse à privilégier ceux qui sont « vraiment utiles ». Le vieux modèle de l’industrialisation s’étant relativement épuisé, la demande d’innovation technologique susceptible d’être prise en charge par la « recherche-développement » est devenue un facteur stratégique. Parallèlement, dans les carrières universitaires, la compétition entre les individus est devenue de plus en plus féroce. La compétence de ceux que l’université cherche à recruter s’y apparente bien moins à celle des « savants » qu’à celle des « experts » ou des « techniciens » hyperspécialisés dans un domaine des connaissances susceptibles de se traduire dans des technologies brevetables et commercialisables.
Un constat s’impose : à bien des égards, la dynamique de la mondialisation économique a emporté l’université avec elle, et il n’est pas outrancier de se demander si, pour une très large part, elle n’est pas tombée aux mains des agents exécuteurs de la rationalité instrumentale. C’est en tout cas la question que posait Jean Ladrière (2000) lorsqu’il disait que c’est cette raison-là qui tente de prendre totalement le contrôle de l’institution universitaire et que ce n’est que dans la mesure où cette dernière lui prête son soutien que, de leur côté, ceux qui en tirent le plus de profits lui apportent leur appui en termes de moyens. Pour les jeunes chercheurs d’aujourd’hui, cela se traduit partout dans la course folle aux demandes de subvention, aux partenariats dans des réseaux interuniversitaires, aux conférences et colloques internationaux où il s’agit surtout de se placer parce qu’ils sont autant d’indicateurs d’excellence et de productivité dans ce que Burton R. Clarck (1998) appelle l’«université entrepreneuriale ». Très tôt, nombre des jeunes qui s’y engagent sont happés par un courant qui les rend précocement cyniques, concurrents entre eux et parfaitement indifférents aux divorces intellectuels et moraux dont souffre l’institution qui pourtant les fait vivre. C’est en son sein que fatalement se multiplient les faussaires qui, au besoin, bâtiront leur carrière sur le mensonge.
La « société de la connaissance », c’est donc cela : celle où l’activité de recherche est pleinement devenue un facteur de la production. Et au sein de l’université, c’est par l’adoption d’une posture conforme à ses exigences que nombre de chercheurs en viennent à produire des connaissances fallacieuses. En dehors des falsificateurs avérés qui, dans les sciences humaines comme dans celles de la nature, inventent de toutes pièces leurs « découvertes », le bluff ostentatoire se trouve aussi chez ceux qui truquent leur CV, plagient des collègues, empruntent discrètement les idées de leurs étudiants et collaborateurs, omettent de mentionner les résultats de ceux qui contredisent les leurs, « saucissonnent » au maximum la publication de leurs travaux et affectionnent les publications multi-auteurs qui permettent de gonfler leur bibliographie personnelle ou de bénéficier du co-prestige de ceux avec qui ils « travaillent en équipe ». Toutes ces pratiques qui ne procèdent pas nécessairement d’une volonté de tromper, témoignent néanmoins de la constitution d’un milieu où la probité est moins que jamais la vertu dominante.
Changer de culture
Sur ce fond de décorum académique, encore faut-il veiller à ne pas tomber dans un nouveau maccarthysme intellectuel. Le fait que certains, taraudés par l’idée de réussite, n’hésitent pas sur les moyens de trafiquer leurs travaux pour qu’ils servent mieux leurs convictions idéologiques, leurs intérêts personnels ou tout simplement leur vanité doit certes faire abandonner la vision idéaliste de l’activité intellectuelle comme celle qui consacre toute son énergie au débat voué à la recherche de la vérité. Il y a à reconnaitre que s’y poursuivent aussi des intérêts particuliers au travers d’une lutte pour l’hégémonie. Cela n’autorise pas pour autant l’ouverture d’une nouvelle chasse aux sorcières.
Or, ce risque n’est pas absent. On le voit, par exemple, dans les controverses actuelles sur le réchauffement climatique où des soupçons accablants opposent les partisans du GIEC à leurs adversaires climato-sceptiques. « Il faut se méfier non seulement du mensonge, mais aussi des puristes », affirme Henri Atlan (2010 b) qui en sait quelque chose à partir des réactions outrancières que lui valurent les réserves qu’il avait exprimées au sujet du statut de la « vérité scientifique » qui découle des modèles informatiques utilisés dans l’étude du climat. Pour ce spécialiste de la modélisation des systèmes complexes, et en particulier ceux qui ne peuvent pas être empiriquement expérimentés à grande échelle, le problème n’est pas de réaliser un « bon modèle », mais bien qu’il en existe trop susceptibles d’expliquer les mêmes observations. Il ne faudrait donc pas qu’une régence de la science « politiquement correcte » pousse les chercheurs à demeurer dans les procédures méthodologiques et les domaines balisés d’une recherche qui les met à l’abri des risques et aventures d’une science véritablement créatrice. Il n’est pas évident de mettre en œuvre les critères de la « bonne science » sans courir le risque qu’ils ne soient à l’origine d’un enfermement idéologique.
Ce que met en lumière une telle controverse, c’est bien sûr qu’il faut faire une distinction claire entre le débat au sein du GIEC (ce qui relève des sciences) et le débat sur le GIEC et sur les décisions collectives que devraient susciter ses travaux (ce qui relève de choix politiques, économiques et culturels). Mais ce qui y est mis en lumière, en outre, c’est que s’il faut certes plaider pour une science qui échappe aux convergences d’intérêts ou de convictions entre ceux qui la produisent et ceux qui la financent, peu de scientifiques sont en réalité mobilisables pour fournir des diagnostics complètement indépendants de la vision particulière qu’ils ont du monde dans lequel, comme tout un chacun, ils vivent. Indéniablement, au-delà des affirmations de neutralité et d’indépendance de la science, la figure du chercheur engagé dans un champ de compétence inclut une dimension d’intérêt subjectif et d’inclination politique personnelle. Et sans doute faut-il admettre que cela est inévitable parce que la poursuite opiniâtre de connaissances scientifiques par des individus indifférents au devenir du monde est inimaginable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, comme il faut bien le constater, les expertises scientifiques participent largement à la polarisation des débats démocratiques plutôt qu’elles ne permettent d’y mettre un terme définitif. Comme le soutient le sociologue allemand Ulrich Beck (2002) dans la « société du risque », la réflexivité sociale et politique passe par une lutte entre experts et contre-experts.
Parce que même en tenant compte de leur autonomie, le comportement des individus n’est jamais dissociable des valeurs qui servent de référence générale dans une société donnée, l’analyse des causes de la fraude intellectuelle n’est pas, elle non plus, dissociable de ce que sont ses sources sociales et culturelles. Le sociologue américain Robert K. Merton (1965) avait très tôt identifié cette dimension des choses dans ses études sur l’adaptation des conduites. C’est, disait-il, la contradiction entre les standards économiques et culturels diffusés par la société, et la distribution inégale des moyens dont dispose chacun pour atteindre les objectifs ainsi rendus enviables qui contribue à faire exister une diversité de conduites « conformes » ou « déviantes ». Lorsque dans une société donnée, il s’agit surtout de « gagner » et de parvenir au succès par la compétition, les promesses de gloire, de puissance ou d’enrichissement qu’elle fait miroiter à ses membres constituent une source structurelle de tensions et de rivalités qui pousse certains à la fraude. On pourrait même soutenir que la mise en œuvre de moyens frauduleux, mais efficaces, même si elle est officiellement condamnée, y est implicitement récompensée. Une exaltation sociale exagérée des succès personnels entraine, au sens littéral du mot, une « démoralisation » des individus. Ainsi, un système qui valorise la mobilité sociale des individus et qui se focalise culturellement sur l’issue de la compétition entre eux, pèse sur les choix des individus et incite certains à transgresser les règles du jeu. Les comportements illégaux, loin d’être anormaux, y deviennent alors un phénomène très commun.
Comment ne pas reconnaitre dans cette perception de Merton ce que, dans la société actuelle, on peut considérer comme la « source socioculturelle de la triche », une sorte de triomphe de l’intelligence amorale ? Elle affecte aussi bien les élites intellectuelles de l’université que n’importe qui d’autre : le sujet individuel moderne épris de réalisation de lui-même, en vue de figurer parmi les gagnants d’une époque dont il a avalé toutes les représentations conventionnelles, se hisse parmi les meilleurs à l’aide des instruments de la compétitivité clandestine. Nombre de ceux qui étaient voués à produire de la vérité produisent alors du mensonge.
La mise en lumière de la fraude intellectuelle ne doit pas être simplement un objet de scandale pour l’opinion. Elle doit également faire naitre une volonté de transformer le contexte socioculturel qui la suscite ou l’intensifie ainsi que les cadres règlementaires, administratifs et institutionnels qui lui permettent de se perpétuer. Comme le pense Fagot-Largeault (2011), il est sans doute urgent de rendre le monde de la recherche moins darwinien. Mais suffira-t-il pour changer sa culture que les universités dispensent des programmes inculquant aux générations montantes les règles de la conduite du scientifique responsable, qu’elles mettent en place des codes de déontologie ainsi que d’efficaces instruments de dissuasion de la fraude et que, en outre, elles en viennent à sélectionner leur personnel et à promouvoir leur carrière au fil du temps à partir de critères moins absurdes que le volume de leur production ?
Les pouvoirs politiques se sont toujours intéressés aux sciences et à leurs développements qui leur offraient des outils permettant de transformer la nature et la vie sociale. Cela toutefois en les faisant éventuellement mentir, rappelle Dominique Pestre (2007). Par ailleurs, dit-il, la science moderne s’est dite en mesure d’écarter les errements de la philosophie et de dire la vérité du monde. Mais la science n’est pas plus démocratique par nature qu’elle n’est elle-même « naturellement là ». Et si on ne l’articule pas avec les questions d’hégémonie, les rapports de pouvoir ou les ambitions des individus, on ne parvient pas à comprendre les contradictions qui s’y développent ou les manipulations qui s’y constituent. Parce qu’il n’y a pas moins d’intérêts en jeu dans la production des savoirs que dans les autres domaines de la vie collective, nous devons abandonner l’illusion d’un monde scientifique épargné par les tensions et l’arrivisme des appétits personnels. Ils ne reflètent à bien des égards que ceux de la société et de l’époque où elle se déploie. Dans l’analyse du problème, ce n’est dès lors pas le chercheur isolé, tricheur potentiel, qui doit être placé au cœur de l’interrogation. Mais bien tout ce qui concourt à définir le contexte de son activité. Certes la science moderne suppose un individu autonome et libre. Mais la logique de la science et celle de la démocratie ne peuvent rester en opposition. La recherche demande donc d’être incluse dans les termes d’un « contrat social » qui la préserve d’un « antidémocratisme méritocratique » où sa liberté est contaminée par la liberté de tromper. Ce changement de culture peut-il s’entrevoir dans le cadre de la société de la connaissance et de l’innovation où, comme l’ont montré certains épisodes récents de concurrence et d’espionnage scientifique, l’«État-stratège » lui-même pousse les chercheurs à faire usage « si besoin est » de moyens frauduleux pour que leur science rejoigne ses intérêts géoéconomiques et géopolitiques de puissance ? (Moinet, 2009)
- Le Cercle de Vienne, dont Bertrand Russel, Albert Einstein et Ludwig Wittgenstein furent également des inspirateurs, est un club de savants qui, de 1923 à 1936, a défendu en philosophie des sciences le programme du positivisme logique. Pour ce courant qui eut une grande influence durant le siècle passé, la connaissance scientifique se doit d’être empirique et formelle.
- La qualification de « faute criminelle » pour certaines pratiques dans le domaine scientifique s’est traduite, comme on le sait, dans d’importants procès aux États-Unis, notamment vis-à-vis du lobby cigarettier. Mais ce ne sont pas seulement les conséquences publiques néfastes que le mensonge peut avoir en aval qui sont pénalisées dans ce pays. La loi intervient aussi en amont comme dans le fait de n’attribuer de crédit public de recherche qu’aux candidats qui, moyennant un contrat d’assurance, seront à même de rembourser le crédit en cas d’inconduite scientifique.