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Quelle éducation technologique pour le tronc commun ?

Numéro 4/5 avril-mai 2014 par Francis Tilman

mai 2014

L’é­du­ca­tion à la tech­nique est consi­dé­rée comme essen­tielle dans l’é­la­bo­ra­tion du tronc com­mun de l’en­sei­gne­ment secon­daire, mais les fina­li­tés de cet ensei­gne­ment se révèlent très diverses. Les cla­ri­fier ‘impose afin d’o­pé­rer des choix d’ob­jec­tifs édu­ca­tifs, ce qui exige de mener un débat de fond : quel type de sujet doit être for­mé par l’école ?

La ques­tion du tronc com­mun dans l’enseignement secon­daire est à l’ordre du jour. Chez tous les acteurs qui y sont favo­rables, l’éducation à la tech­nique est esti­mée essen­tielle et doit avoir une place de choix dans le pro­gramme de for­ma­tion. Mais de quoi parle-t-on ? Pour les uns, il s’agit de com­prendre les « rap­ports tech­niques de pro­duc­tion dont l’évolution gou­verne les contra­dic­tions sociales et poli­tiques [de notre socié­té capi­ta­liste]», de « sen­si­bi­li­ser les jeunes par rap­port aux dan­gers poten­tiels de cer­taines tech­no­lo­gies », d’«aiguiser leur sens cri­tique par rap­port à la sur­con­som­ma­tion de tech­no­lo­gies », de don­ner de « véri­tables cours théo­riques [pour pou­voir] vrai­ment savoir la dif­fé­rence entre un moteur élec­trique et un moteur à explo­sion [par exemple]», de « déve­lop­per des ate­liers de concep­tion et de pro­duc­tion tech­no­lo­gique dans une grande varié­té de domaines, comme : menui­se­rie, méca­nique, sou­dure, plom­be­rie, construc­tion, maçon­ne­rie, pla­fon­nage, pein­ture de bâti­ments, etc. ». Pour d’autres, il s’agit « de pra­ti­quer des acti­vi­tés manuelles » et de « déve­lop­per les com­pé­tences de la main (sic)». Pour d’autres encore, cette for­ma­tion doit être l’occasion de « visi­ter des usines, des fermes, des ser­vices », de « par­ti­ci­per à un tra­vail pro­duc­tif » ou encore, de « déve­lop­per l’art de conce­voir des tech­niques nou­velles ». On le voit, les fina­li­tés assi­gnées à la for­ma­tion tech­nique sont pour le moins diverses. Dif­fi­cile de mettre en place une stra­té­gie édu­ca­tive devant un tel panel d’intentions et qui, de plus, ne sont pas opérationnalisées.

Dans cet article, je vou­drais modes­te­ment éclai­rer le débat en mon­trant les dif­fé­rents objets et enjeux édu­ca­tifs que cou­vri­rait une édu­ca­tion que je qua­li­fie­rais de tech­no­lo­gique. Il me semble ain­si faire œuvre utile pour les défen­seurs de cette édu­ca­tion, dont je fais par­tie, car com­ment convaincre les scep­tiques sans pou­voir pré­ci­ser exac­te­ment ce que l’on vise et donc, com­ment pou­voir argu­men­ter de son bien­fon­dé sans avoir les idées claires ? Ensuite, com­ment pou­voir opé­ra­tion­na­li­ser les choix édu­ca­tifs dans des pro­grammes sans être pré­cis quant aux com­pé­tences que l’on veut faire acqué­rir par les élèves ?

Selon moi, il y a trois concep­tions contem­po­raines d’une édu­ca­tion tech­no­lo­gique qui n’est pas liée à une pré­pa­ra­tion pro­fes­sion­nelle1.

Former l’utilisateur intelligent

La pre­mière est celle de l’utilisateur intel­li­gent. Quelles sont les com­pé­tences dont nous avons besoin pour nous ser­vir effi­ca­ce­ment et de manière auto­nome des machines à notre dis­po­si­tion ? Quelles com­pé­tences faut-il pour mai­tri­ser les machines domes­tiques et pou­voir « négo­cier » avec elles, c’est-à-dire pour les mettre au ser­vice de nos inten­tions tout en tenant compte des contraintes qu’elles imposent ? Négo­cier avec une tech­nique, c’est inter­agir avec elle, réa­li­ser des ajus­te­ments réci­proques, des arran­ge­ments. C’est refu­ser la pers­pec­tive de subor­di­na­tion par laquelle on accepte toutes les pres­crip­tions impli­cites de son mode d’emploi officiel.
Mais négo­cier avec les tech­niques ne se fait pas avec n’importe les­quelles d’entre elles. Nous pou­vons dis­tin­guer les sys­tèmes tech­no­lo­giques fer­més et les sys­tèmes tech­no­lo­giques ouverts.

Les pre­miers sont des ins­tru­ments conçus de telle façon que nous ne pou­vons en tirer que des ser­vices limi­tés. Le télé­phone por­table, le four à micro-ondes, la machine à laver, le ther­mo­stat, la télé­vi­sion, etc., ne per­mettent que quelques choix limi­tés par des fonc­tions restreintes.

Par contre, les sys­tèmes tech­no­lo­giques ouverts, comme toutes les variantes des ordi­na­teurs, ont la pos­si­bi­li­té d’être pro­gram­més pour l’exécution de ser­vices spé­ci­fiques et ori­gi­naux, selon les dési­rs de l’utilisateur qui ques­tion­ne­ra l’appareil pour savoir s’il est capable de satis­faire ses attentes. L’instrument peut dès lors s’inscrire dans des pro­jets sociaux riches et variés.

La ten­ta­tion est grande d’utiliser une didac­tique pro­cé­du­rale, du type mode d’emploi, pour faire acqué­rir les com­pé­tences de l’utilisateur. Si cette der­nière, qui ne vise qu’à faire acqué­rir des gestes et des enchai­ne­ments stan­dar­di­sés, est com­pa­tible avec les tech­no­lo­gies fer­mées, elle est contre-indi­quée pour l’apprentissage de la mai­trise des tech­niques ouvertes. Nous pou­vons par­ler ici d’une néces­saire didac­tique compréhensive.

Pour mai­tri­ser l’outil, nous avons donc besoin de démarches qui per­mettent de com­prendre l’outil. Com­prendre l’outil, c’est pou­voir modé­li­ser sa logique, son fonc­tion­ne­ment, dans un lan­gage sym­bo­lique com­mu­ni­cable. Peu importe si ce modèle n’est pas conforme aux stan­dards des concep­teurs. Ce qui importe, c’est d’avoir une repré­sen­ta­tion de « com­ment ça fonc­tionne », d’en être conscient, de pou­voir la mobi­li­ser dans l’usage de la machine et de pou­voir l’expliquer à d’autres. Com­prendre l’outil, c’est aus­si iden­ti­fier les méca­nismes phy­siques et chi­miques mobi­li­sés par la tech­nique (qui ont une inci­dence sur son usage), choi­sir ration­nel­le­ment une tech­nique en fonc­tion d’une ana­lyse de besoins, savoir lire et com­prendre un mode d’emploi, entre autres pour ins­tal­ler la machine, se don­ner une repré­sen­ta­tion des mani­pu­la­tions dan­ge­reuses, mettre au point un pro­gramme d’entretien, etc.

Ces com­pé­tences cog­ni­tives ren­voient à des com­pé­tences trans­ver­sales géné­rales comme savoir modé­li­ser, savoir s’approprier et uti­li­ser dif­fé­rents lan­gages, savoir faire bon usage du spé­cia­liste, savoir uti­li­ser des méta­phores et des ana­lo­gies pour construire une repré­sen­ta­tion opé­ra­tion­nelle, etc.

Ces com­pé­tences cog­ni­tives peuvent s’acquérir à tra­vers l’usage et l’étude de telle ou telle machine. Mais la diver­si­té des machines est si grande qu’il n’est pas pos­sible de fami­lia­ri­ser l’élève avec l’usage de tous les objets tech­niques qu’il sera ame­né à uti­li­ser, d’autant moins qu’il faut le pré­pa­rer à uti­li­ser intel­li­gem­ment des machines qui n’existent pas encore. Le tra­vail sur des tech­niques concrètes est donc aus­si un pré­texte pour for­mer à l’attitude géné­rale du bon usage des machines, tra­vail qui exige de pas­ser par l’apprentissage du trans­fert et l’exercice de la méta­cog­ni­tion qui modé­lise les méca­nismes cog­ni­tifs. Cette méta­cog­ni­tion per­met alors de se rendre compte que nous avons affaire à des com­pé­tences trans­ver­sales uti­li­sables et uti­li­sées dans d’autres contextes, dans d’autres dis­ci­plines. Autre­ment dit, il y a prise de conscience de ce qu’est « être intel­li­gent ». Nous rejoi­gnons ici une for­ma­tion plus géné­rale aux com­pé­tences trans­ver­sales, dont cer­taines se retrouvent dans la liste des com­pé­tences géné­riques du socle des compétences.

Obser­vons que l’utilisateur intel­li­gent dont nous par­lons est celui qui uti­lise des machines domes­tiques. Mais ce qui est dit de l’usagé pri­vé est éga­le­ment vrai pour l’opérateur uti­li­sant des machines dans un cadre pro­fes­sion­nel. Dès lors, si l’on veut com­prendre une des dimen­sions de la réa­li­té du tra­vail, à savoir le savoir-faire pro­fes­sion­nel, il est pos­sible d’enquêter sur l’exercice de l’un ou l’autre métier et d’appliquer les grilles construites pour l’usage domes­tique à l’usage pro­fes­sion­nel. Voi­là une manière intel­li­gente de com­prendre le tra­vail sans pour autant ren­trer dans une for­ma­tion professionnelle.

Former le citoyen lucide et critique

La deuxième concep­tion est celle du citoyen lucide et critique.

For­mer le citoyen lucide, c’est per­mettre à tout un cha­cun de pen­ser la tech­nique. Pen­ser la tech­nique, c’est d’abord connaitre les pro­duits de la tech­nique. Une his­toire des grands déve­lop­pe­ments tech­niques semble être l’axe autour duquel pour­rait s’organiser la décou­verte du foi­son­ne­ment des ins­tru­ments et des pra­tiques tech­niques. On peut aus­si ana­ly­ser une tech­nique, depuis le moment de l’innovation jusqu’à sa dis­pa­ri­tion, en pas­sant par sa dif­fu­sion et se rendre compte qu’il en est de même de chaque technique.

Cette approche his­to­rique serait l’occasion de com­prendre que l’émergence de tech­niques et leur dif­fu­sion ne sont pas le fruit du hasard, mais la conjonc­tion d’une série de fac­teurs éco­no­miques et sociaux qui se com­binent avec un rai­son­ne­ment pro­pre­ment tech­nique. On peut appré­hen­der cette dimen­sion sys­té­mique en consi­dé­rant les tech­niques au moins de trois façons.

Les tech­niques sont des sys­tèmes de pro­duc­tion. Pour­quoi, dans quels contextes les conçoit-on ? Com­ment les pro­duit-on ? Qui les pro­duit ? Pour­quoi les produit-on ?
Les tech­niques sont aus­si des sys­tèmes de consom­ma­tion ? Qui les achètent ? Dans quelle logique et par quel méca­nisme de mar­ché sont-elles dif­fu­sées ? Quels pro­fits retirent les dif­fu­seurs des techniques ?

Enfin, les tech­niques sont des sys­tèmes d’utilisation. Que repré­sentent ces objets par­ti­cu­liers pour ceux qui les achètent ? Com­ment les uti­lisent-ils ? Quelles trans­for­ma­tions du mode de vie sont entrai­nées par l’adoption de cer­taines tech­niques ? Quelles consé­quences maté­rielles ces uti­li­sa­tions induisent-elles (déchets, impact écologique…)? 

Il importe que les jeunes (et moins jeunes) com­prennent aus­si que les tech­niques engendrent des tech­no­lo­gies. Sans vou­loir jouer sur les mots pour le plai­sir, je vou­drais dis­tin­guer, d’un côté les machines (le moteur à explo­sion ou inter­net, par exemple) et leur fonc­tion­ne­ment, que j’appelle tech­nique et, de l’autre, l’objet tech­nique et les pro­cé­dures qui y sont asso­ciées, repla­cées dans un envi­ron­ne­ment éco­no­mique et social, que j’appelle tech­no­lo­gie. En somme, la tech­no­lo­gie englobe une orga­ni­sa­tion sociale, condi­tion de l’usage d’une ou de plu­sieurs tech­niques simul­ta­nées et coor­don­nées. Ain­si, le che­min de fer est bien plus que des loco­mo­tives, des logi­ciels de contrôle, des infra­struc­tures adap­tables, etc.
Ces réflexions sont à mener à par­tir de l’étude d’une tech­nique par­ti­cu­lière, par exemple le smart­phone, les OGM ou la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée. Mais, ici aus­si, il faut com­prendre que l’enjeu édu­ca­tif est d’étudier un objet tech­nique don­né comme entrée dans une pro­blé­ma­tique plus géné­rale qui exige le trans­fert des modé­li­sa­tions réa­li­sées à par­tir de l’analyse d’un cas par­ti­cu­lier à d’autres réa­li­tés technico-sociales.

Il reste à déve­lop­per la dimen­sion du citoyen cri­tique comme acteur social, celui qui réagit aux constats inac­cep­tables qu’il éta­blit. Cet enjeu rejoint une com­pé­tence trans­ver­sale plus géné­rale (la com­pé­tence citoyenne) qui peut être pour­sui­vie à par­tir d’autres dis­ci­plines, mais qui trouve dans l’étude de la dimen­sion éco­no­mi­co-sociale des tech­no­lo­gies un point de départ pré­cieux. Quels sont les mou­ve­ments sociaux qui se mobi­lisent autour de l’implantation ou du déve­lop­pe­ment de telle ou telle tech­no­lo­gie ? Pour­quoi se mobi­lisent-ils ? Qui les com­pose ? Quelles sont les stra­té­gies pour­sui­vies ? Etc.

Former le concepteur efficace

La troi­sième concep­tion d’une édu­ca­tion tech­no­lo­gique est la for­ma­tion du concep­teur effi­cace. Ce der­nier est un indi­vi­du capable de conce­voir et de por­ter un pro­jet tech­nique, d’imaginer et de réa­li­ser des ins­tru­ments tech­niques. Il s’agit de com­prendre la tech­nique en étant soi même un fabri­cant de machine. C’est une autre manière de ren­trer dans la culture tech­nique, celle qui ne voit pas le monde comme quelque chose à com­prendre, mais comme quelque chose à trans­for­mer, y com­pris maté­riel­le­ment. D’une manière plus géné­rale, cette culture appar­tient à la culture du projet.

La culture tech­nique, c’est pou­voir sai­sir ou mieux encore pou­voir for­mu­ler un pro­blème tech­nique et com­prendre com­ment rai­sonne un créa­teur d’objet tech­nique, à tra­vers quel lan­gage, en mobi­li­sant quelle théo­rie, avec quelle logistique.
Dans un cadre sco­laire, les objets tech­niques à réa­li­ser ne peuvent être que modestes, pour dif­fé­rentes rai­sons. Mais les réa­li­sa­tions seront néan­moins de vraies machines même si elles s’apparentent à des modèles réduits, comme des pro­grammes de pilo­tage de mini-auto­mates, des cli­gno­tants pour vélo, le lan­ce­ment d’une fusée, un sys­tème de frei­nage pour une planche à rou­lettes, un sys­tème d’épuration des eaux, une pro­duc­tion d’électricité en uti­li­sant l’eau ou le vent, etc.
La créa­tion de machines peut se réa­li­ser en col­la­bo­ra­tion avec le cours de science, non seule­ment pour y pui­ser dans le savoir consti­tué par cette dis­ci­pline, mais aus­si pour la fabri­ca­tion d’instruments de mesure néces­saires pour tes­ter des hypo­thèses que les élèves ont avan­cées pour expli­quer une réa­li­té phy­sique2.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’artisanat au sens strict, conce­voir et réa­li­ser des machines est l’occasion de se col­ti­ner avec le tra­vail manuel et avec les exi­gences de savoir-faire que la fabri­ca­tion maté­rielle rigou­reuse exige.

C’est aus­si l’occasion de déve­lop­per les capa­ci­tés men­tales à por­tée trans­ver­sale liées à la créa­ti­vi­té et à la démarche com­plexe de réso­lu­tion de pro­blèmes. Par cette der­nière, on s’inscrit dans des démarches de construc­tion de savoirs avec la spé­ci­fi­ci­té qu’il s’agit non pas de trou­ver une solu­tion abs­traite à une ques­tion for­melle, démarche propre aux diverses sciences natu­relles ou humaines, mais d’arriver à un résul­tat maté­riel : il faut que cela « marche ». La for­ma­tion du concep­teur effi­cace est ain­si un for­mi­dable entrai­ne­ment au déve­lop­pe­ment cog­ni­tif et l’occasion de s’interroger sur la fina­li­té d’une tech­nique puisque la concep­tion d’une machine néces­site d’être au clair sur la fonc­tion que l’on veut qu’elle remplisse.

Les autres dimensions de formation technique

Pour cer­tains, la tech­nique dans le tronc com­mun, c’est aus­si l’expérience du tra­vail manuel. Je pense que l’activité du concep­teur effi­cace réa­li­sant sa machine et, d’une manière plus géné­rale, la conduite de pro­jets maté­riels qui peuvent être menés dans d’autres cours (comme une pièce de théâtre), sont l’occasion de pra­ti­quer le tra­vail manuel, mais sont aus­si l’occasion d’y réflé­chir, tant sur son sens que sur son orga­ni­sa­tion. Ici encore, il est pos­sible de trans­fé­rer ces décou­vertes liées aux pro­jets maté­riels réa­li­sés à l’école, aux acti­vi­tés pro­duc­tives éco­no­miques en géné­ral et ain­si sen­si­bi­li­ser le jeune à l’expérience sociale du tra­vail manuel (pro­ces­sus de pro­duc­tion, divi­sion du tra­vail, hiérarchie…).

La com­pré­hen­sion du tra­vail pro­duc­tif dans sa dimen­sion sociale, sou­hai­tée par cer­tains, ne consti­tue pas pour moi, à pro­pre­ment par­ler, une édu­ca­tion à la tech­nique. La décou­verte du monde du tra­vail dans le tronc com­mun a certes plei­ne­ment sa place, mais il s’agit là d’un objec­tif dif­fé­rent, bien que com­plé­men­taire à celui de l’éducation tech­no­lo­gique. Les stages d’observation, avec immer­sion, exploi­tés avec des grilles de lec­ture construite aux cours de sciences humaines et préa­la­ble­ment appro­priées, sont sans doute le type de démarches péda­go­giques le plus adé­quat pour atteindre cet objec­tif. Ils ouvrent sur une com­pré­hen­sion de l’organisation du tra­vail, ce qui consti­tue une autre dimen­sion de la vie sociale et de la for­ma­tion citoyenne.

Un objec­tif plus éloi­gné encore de l’éducation tech­no­lo­gique réside dans le sou­ci de faire com­prendre les logiques à l’œuvre dans les rap­ports sociaux de pro­duc­tion et com­ment le sys­tème capi­ta­liste orga­nise et condi­tionne la vie des citoyens à tra­vers un sys­tème de consom­ma­tion qui ren­force son fonc­tion­ne­ment. L’étude de la tech­nique comme sys­tème de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, évo­qué plus haut, per­met d’entrer dans cette pro­blé­ma­tique mais cette der­nière dépasse la seule for­ma­tion tech­no­lo­gique. Cet objec­tif, à bien défi­nir, doit donc être pour­sui­vi à tra­vers d’autres démarches.

Conditions pour définir des objectifs d’éducation technologique pour le tronc commun

Pour déter­mi­ner les pro­grammes d’une édu­ca­tion tech­no­lo­gique dans le tronc com­mun, il faut être au clair sur les dif­fé­rentes dimen­sions de cette édu­ca­tion3. C’est ce que j’ai essayé de faire ici. Mais la cla­ri­fi­ca­tion des conte­nus ne suf­fit pas pour faire des choix d’objectifs édu­ca­tifs qui, faut-il le rap­pe­ler, sont poli­tiques. Pour trou­ver un rela­tif consen­sus, il faut remon­ter plus haut et défi­nir le type de sujet que l’école doit for­mer et défi­nir dans quelle socié­té on veut le voir évo­luer. Nous ne pou­vons faire l’économie de ce débat de fond.

Un rela­tif accord sur les inten­tions édu­ca­tives géné­rales une fois acquis, il devient pos­sible de se déci­der sur les dimen­sions concrètes de l’éducation tech­no­lo­gique que l’on veut déve­lop­per et, par­tant, affi­ner ses objec­tifs en défi­nis­sant des com­pé­tences ter­mi­nales en la matière, et en éla­bo­rant un cadre orga­ni­sa­tion­nel pour les atteindre, c’est-à-dire une grille horaire et des pro­grammes. Quant aux démarches didac­tiques à mobi­li­ser pour atteindre les com­pé­tences déci­dées, elles seront faciles à choi­sir dans la caisse à outils exis­tante si les objec­tifs à atteindre sont clairs… à la condi­tion tou­te­fois de connaitre ces démarches !

  1. Je rai­sonne ici dans la pers­pec­tive d’un tronc com­mun jusqu’à quinze ou seize ans, plu­ri­dis­ci­pli­naire offrant une édu­ca­tion inté­grale. Voir une pré­sen­ta­tion des buts et de l’organisation de ce tronc com­mun chez Til­man Fr., Groo­taers D., Dufour B. (coll.), La muta­tion de l’école secon­daire. Ques­tions de sens. Pro­po­si­tions d’action, Cou­leur Livres, 2011.
  2. La tech­nique et la science res­tent deux dis­ci­plines dif­fé­rentes, même si elles se touchent dans cer­taines démarches comme les tech­nos­ciences. Elles se dis­tinguent par leur visée, par l’intention qui les anime. La démarche scien­ti­fique cherche à expli­quer le monde et pour cela éta­blit des lois, des modèles abs­traits ren­dant compte de cette réa­li­té. La tech­nique cherche elle à trans­for­mer cette der­nière. Pour cela, elle doit mettre au point des pro­cé­dures et des pro­ces­sus, incor­po­rés dans des objets actifs, pour obte­nir d’agir maté­riel­le­ment sur le réel.
  3. Plu­sieurs défen­seurs du tronc com­mun qua­li­fient celui-ci, d’une manière géné­rale, d’enseignement poly­tech­nique. Ils entendent par là un ensei­gne­ment qui vise le déve­lop­pe­ment de toutes les dimen­sions de l’individu et pas seule­ment le logi­co-mathé­ma­tique et les langues. Il vaut mieux, dans ce cas, par­ler d’enseignement inté­gral et de limi­ter l’usage du mot poly­tech­nique à son sens pre­mier à savoir qui concerne, qui uti­lise plu­sieurs tech­niques. L’éducation tech­no­lo­gique, telle que je la déve­loppe ici, est évi­dem­ment polytechnique.

Francis Tilman


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