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Quelle autorité compétente en Belgique ?

Numéro 1 Janvier 2012 par Julien Pieret

janvier 2012

Comme tout dis­po­si­tif inédit, le ser­vice citoyen n’é­chappe pas au débat ins­ti­tu­tion­nel : quelle serait l’au­to­ri­té, fédé­rale, com­mu­nau­taire ou régio­nale, com­pé­tente pour orga­ni­ser un tel ser­vice ? Cette ques­tion néces­site une réponse assu­rée en vue d’ins­crire dura­ble­ment le ser­vice citoyen dans le pay­sage ins­ti­tu­tion­nel belge. Il sera plai­dé, contre l’a­vis du Conseil d’É­tat, que le pou­voir fédé­ral devrait être cette auto­ri­té dès l’ins­tant où l’or­ga­ni­sa­tion d’un tel ser­vice pas­se­ra préa­la­ble­ment par l’a­mé­na­ge­ment de règles — fis­cales et rela­tives au droit du tra­vail et de la sécu­ri­té sociale — rele­vant de ses com­pé­tences. Ce constat n’en­lève rien à la per­ti­nence de réflé­chir à des méca­nismes coopé­ra­tifs per­met­tant aux enti­tés fédé­rées de par­ti­ci­per elles aus­si à l’a­ven­ture du ser­vice citoyen.

Nous pour­rions appor­ter à la ques­tion posée une réponse de bon sens : ain­si, avec la Pla­te­forme pour le Ser­vice Citoyen, il est pos­sible de plai­der pour la com­pé­tence de l’autorité fédé­rale en vue de garan­tir une cer­taine uni­for­mi­té au dis­po­si­tif qui semble, compte tenu de la phi­lo­so­phie qui l’anime, pré­ci­sé­ment exi­ger une orga­ni­sa­tion et une direc­tion com­munes quelle que soit la par­tie du ter­ri­toire natio­nal où se déroule effec­ti­ve­ment un tel ser­vice. Soit. Cepen­dant, per­sonne n’ignore qu’en Bel­gique, la com­plexi­té dia­bo­lique de l’ingénierie ins­ti­tu­tion­nelle fait rare­ment bon ménage avec le bon sens et les solu­tions qu’il paraît à prio­ri indiquer…

Dans cette brève contri­bu­tion, nous sou­hai­te­rions mettre à plat ce débat en indi­quant quels élé­ments juri­diques semblent effec­ti­ve­ment sou­te­nir la thèse d’une com­pé­tence de l’autorité fédé­rale. À cette fin, nous revien­drons sur la posi­tion avan­cée par le Conseil d’État qui sou­tient, à l’inverse, que les Com­mu­nau­tés seraient les auto­ri­tés com­pé­tentes pour orga­ni­ser un ser­vice citoyen. À notre estime, les argu­ments fon­dant une telle posi­tion ne sont guère convain­cants. Il n’est cepen­dant pas cer­tain qu’en son état actuel, la prin­ci­pale pro­po­si­tion de loi, dépo­sée récem­ment au Sénat et visant à fixer le cadre légal d’un tel ser­vice, puisse ame­ner le Conseil d’État à revoir sa copie. Un tra­vail de jus­ti­fi­ca­tion plus abou­ti de la com­pé­tence de l’autorité fédé­rale demeure donc encore néces­saire. Dans cette pers­pec­tive, il semble pos­sible, sinon sou­hai­table, de s’inspirer de la légis­la­tion cadre sur le volon­ta­riat qui repose sur un sys­tème d’articulation féconde entre l’uniformité induite par une com­pé­tence fédé­rale sur les prin­ci­paux aspects du volon­ta­riat et la légi­time auto­no­mie des enti­tés fédé­rées en vue de moda­li­ser le tra­vail volon­taire dans les asso­cia­tions met­tant en œuvre les poli­tiques publiques pour les­quelles elles sont compétentes.

La position problématique du Conseil d’État : les communautés sont compétentes

C’est à l’occasion de l’examen par­le­men­taire d’une pro­po­si­tion de loi, aujourd’hui tom­bée en cadu­ci­té et qui visait à orga­ni­ser un ser­vice citoyen volon­taire1, que la sec­tion de légis­la­tion du Conseil d’État fut invi­tée à tran­cher le débat rela­tif à la com­pé­tence pour gérer un tel ser­vice. Cette pro­po­si­tion pré­voyait la créa­tion, au sein du minis­tère de l’Intérieur, d’une com­mis­sion de l’éducation à la citoyen­ne­té char­gée de l’organisation du ser­vice citoyen volon­taire (art. 2 de la pro­po­si­tion), com­mis­sion com­po­sée pari­tai­re­ment de repré­sen­tants de l’État fédé­ral et de repré­sen­tants du sec­teur asso­cia­tif (art. 3), et char­gée d’agréer les orga­nismes d’accueil et de les mettre en contact avec des can­di­dats au ser­vice volon­taire (art. 4). Dans ce texte, le ser­vice volon­taire s’adressait aux per­sonnes âgées de dix-huit à trente ans domi­ci­liées en Bel­gique (art. 6) et était pré­vu pour une durée de trois à douze mois (art. 7) et ce, dans plu­sieurs sec­teurs — san­té, culture, envi­ron­ne­ment, sécu­ri­té… — (art. 8). En outre, le texte pré­voyait des méca­nismes per­met­tant d’éviter la concur­rence entre l’offre de ser­vice volon­taire et le mar­ché de l’emploi, et fixait les moda­li­tés concrètes de réa­li­sa­tion du ser­vice (en termes de durée heb­do­ma­daire de temps de tra­vail, d’obligations contrac­tuelles, de salaire, d’assurance ou de régime de mala­die professionnelle).

Alors qu’à aucun moment dans le texte de la pro­po­si­tion, la ques­tion de l’autorité com­pé­tente ne sem­blait faire l’objet d’une contro­verse2, le Conseil d’État va d’initiative sou­le­ver cette ques­tion pour conclure à l’incompétence du légis­la­teur fédé­ral en vue d’organiser un tel ser­vice. Le Conseil d’État com­mence son rai­son­ne­ment en décla­rant que l’objet de la pro­po­si­tion exa­mi­née consti­tue « une matière en soi3» ; autre­ment dit, il s’agit d’un domaine ne pou­vant être rat­ta­ché de prime abord à une com­pé­tence d’ores et déjà attri­buée à l’une ou l’autre auto­ri­té. Si nous allions jusqu’au bout de cette logique, alors sans doute fau­drait-il recon­naitre la com­pé­tence de l’autorité fédé­rale au nom de sa com­pé­tence de prin­cipe pour les matières dites rési­duelles, autre­ment dit pour celles qui ne font pas l’objet d’une attri­bu­tion expresse au béné­fice d’une enti­té fédé­rée4. Or tel serait le cas d’une matière nou­velle qui, par défi­ni­tion, n’a pu être attri­buée aux Régions ou aux Com­mu­nau­tés. Ce ne sera cepen­dant pas le rai­son­ne­ment sui­vi par le Conseil d’État qui va tâcher, au-delà de sa pre­mière consi­dé­ra­tion, d’identifier les com­pé­tences aux­quelles il serait pos­sible d’associer le ser­vice citoyen volon­taire. Deux types de com­pé­tences semblent consti­tuer le cadre plus géné­ral dans lequel s’inscrirait un tel service.

Tout d’abord, en se fon­dant sur l’insistance avec laquelle les auteurs de la pro­po­si­tion de loi font réfé­rence aux « jeunes » dans leur expo­sé des motifs, le Conseil d’État en conclut que le ser­vice citoyen ferait par­tie des ins­tru­ments rela­tifs à la poli­tique de la jeu­nesse pour laquelle les Com­mu­nau­tés sont com­pé­tentes5. Ce rai­son­ne­ment semble par trop rapide pour empor­ter la totale convic­tion. En effet, si la poli­tique de la jeu­nesse est effec­ti­ve­ment une com­pé­tence très lar­ge­ment aux mains des Com­mu­nau­tés, celle-ci se décline en deux volets6. Pre­miè­re­ment, dans le cadre des poli­tiques d’aide à la jeu­nesse, celles-ci s’adressent prio­ri­tai­re­ment aux mineurs, c’est-à-dire aux per­sonnes âgées de moins de dix-huit ans. Il suf­fit de prendre connais­sance de la défi­ni­tion du « jeune » pré­vue par le décret qui orga­nise cette poli­tique en Com­mu­nau­té fran­çaise7 ou des docu­ments stra­té­giques de l’administration de l’aide à la jeu­nesse de la Com­mu­nau­té fran­çaise pour obte­nir confir­ma­tion de ce point8. Deuxiè­me­ment, certes, au titre de ses com­pé­tences cultu­relles, la Com­mu­nau­té orga­nise une série de ser­vices qui peuvent concer­ner des « jeunes » âgés de plus de dix-huit ans. Cepen­dant, on consta­te­ra que les mineurs d’âge res­tent très lar­ge­ment les cibles pri­vi­lé­giées dans le cadre de cette poli­tique de la jeu­nesse9. Or, on rap­pel­le­ra que la pro­po­si­tion de loi exa­mi­née par le Conseil d’État ne pré­voyait la pos­si­bi­li­té de réa­li­ser un ser­vice citoyen que pour les indi­vi­dus âgés de dix-huit à trente ans, autre­ment dit que pour des per­sonnes exclu­si­ve­ment majeures. Dès lors, exci­per de l’emploi du terme « jeune » dans l’exposé des motifs d’une pro­po­si­tion de loi pour en conclure à la com­pé­tence com­mu­nau­taire appa­rait trop méca­nique pour suf­fire à lui seul à conclure à la com­pé­tence des Com­mu­nau­tés. Ce pre­mier argu­ment ne semble dès lors guère convain­cant ; que dire alors du second ?

En effet, le Conseil d’État va iden­ti­fier un second lien per­met­tant d’associer le ser­vice volon­taire aux com­pé­tences com­mu­nau­taires : il s’agit de la notion de culture. « Le rat­ta­che­ment du dis­po­si­tif envi­sa­gé aux com­pé­tences des Com­mu­nau­tés dans les matières cultu­relles trouve un appui cer­tain dans le rap­pro­che­ment que l’on peut faire entre le conte­nu des consi­dé­ra­tions pré­ci­tées des déve­lop­pe­ments de la pro­po­si­tion à l’examen et l’explication du mot “culture”», et le Conseil d’État de citer cette expli­ca­tion telle que pro­non­cée par le dépu­té Pierre Wigny en 1971 au moment d’accorder aux Com­mu­nau­tés nais­santes leurs pre­mières com­pé­tences cultu­relles : « La culture, c’est la pos­si­bi­li­té pour les hommes de s’intéresser à une autre chose qu’à leur tra­vail et, par consé­quent, d’avoir une vie inté­res­sante même lorsqu’ils sont libres10. » Cette argu­men­ta­tion laisse son­geur. D’un point de vue stric­te­ment juri­dique — et on n’en demande pas davan­tage au Conseil d’État —, il semble en effet par­ti­cu­liè­re­ment étrange d’identifier le fon­de­ment de la com­pé­tence com­mu­nau­taire en matière de ser­vice citoyen dans une seule décla­ra­tion poli­tique non exempte d’un cer­tain lyrisme for­mu­lée trente ans aupa­ra­vant par un dépu­té, par ailleurs grand arti­san du déve­lop­pe­ment du réseau des mai­sons de la culture et ancien ministre fédé­ral de la Culture fran­çaise. Du reste, si tant est qu’une conclu­sion juri­dique puisse être déduite d’une telle décla­ra­tion, alors, vu son conte­nu, fau­drait-il consta­ter qu’une par­tie signi­fi­ca­tive de com­pé­tences actuel­le­ment exer­cées par l’autorité fédé­rale ou les Régions devrait être trans­fé­rée aux Com­mu­nau­tés compte tenu de la très large accep­ta­tion du terme « culture » que pro­pose cette déclaration…

La volonté confirmée des parlementaires : la compétence de l’autorité fédérale

Cet argu­men­taire11 ne semble guère avoir convain­cu les par­le­men­taires dési­rant cou­ler le ser­vice citoyen dans le moule d’une légis­la­tion fédé­rale12. En effet, récem­ment, un séna­teur a dépo­sé une nou­velle pro­po­si­tion de loi rela­tive à cette matière13. L’auteur de ce texte pré­tend d’emblée avoir tenu compte de « cer­taines remarques for­mu­lées par le Conseil d’État14 », mais confirme bel et bien l’option consis­tant à éri­ger l’autorité fédé­rale comme com­pé­tente en vue d’organiser un ser­vice citoyen. En réa­li­té, cette pro­po­si­tion récente consti­tue la repro­duc­tion, qua­si mot pour mot, de la pro­po­si­tion pré­cé­dente qui s’était atti­ré les foudres du Conseil d’État. La seule dif­fé­rence, mais elle est d’importance, est que, cette fois, la com­mis­sion char­gée de mettre le ser­vice citoyen en musique est ins­ti­tuée non plus au sein du minis­tère de l’Intérieur, mais bien au sein du Ser­vice public fédé­ral Sécu­ri­té sociale15. Ce fai­sant, l’auteur de ce texte tente de conso­li­der l’ancrage fédé­ral de ce ser­vice. Nous ne sommes pas cer­tains, tant s’en faut, que cette tac­tique puisse être sus­cep­tible de convaincre le Conseil d’État ; néan­moins, il est tout à fait envi­sa­geable que ce der­nier ne soit pas ame­né à se pro­non­cer sur ce nou­veau texte : éma­nant d’un par­le­men­taire, ce texte ne doit pas être impé­ra­ti­ve­ment sou­mis à l’avis de la sec­tion de légis­la­tion du Conseil d’État à l’inverse d’un texte éma­nant d’un membre du gou­ver­ne­ment fédé­ral. L’avenir nous dira si ce texte, dont l’examen par­le­men­taire semble être au point mort, sera sus­cep­tible de cris­tal­li­ser une majo­ri­té par­le­men­taire sans que ne soit sou­le­vée la ques­tion de la com­pé­tence ins­ti­tu­tion­nelle et, le cas échéant, sans que le Conseil d’État ne soit sai­si pour remettre un avis sur ce texte. À nos yeux, ce der­nier gagne­rait, quoi qu’il en soit, à davan­tage jus­ti­fier le choix de l’autorité fédé­rale comme auto­ri­té com­pé­tente pour orga­ni­ser un ser­vice citoyen. À cette fin, l’analyse de la loi sur le volon­ta­riat consti­tue un pré­cieux précédent.

Le précédent de la loi sur les droits des volontaires : un argument pour la compétence de l’autorité fédérale

Bien enten­du, nous n’ignorons pas la dif­fé­rence entre le volon­ta­riat tel qu’il est orga­ni­sé, de façon géné­rique, par la loi du 3 juillet 2005 rela­tive aux droits des volon­taires et la spé­ci­fi­ci­té d’un ser­vice citoyen volon­taire tel qu’envisagé par ses pro­mo­teurs, membres de la socié­té civile ou d’une assem­blée légis­la­tive. Il n’en demeure pas moins qu’à nos yeux, le rai­son­ne­ment adop­té lors de l’élaboration d’un régime juri­dique visant l’engagement volon­taire pour­rait oppor­tu­né­ment ins­pi­rer les débats rela­tifs à la mise sur pied d’un ser­vice citoyen.

Pour rap­pel, la loi du 3 juillet 2005 visait à four­nir un cadre glo­bal aux per­sonnes enga­gées de façon béné­vole dans une struc­ture asso­cia­tive16. Or, aucune contro­verse ne semble avoir été sou­le­vée quant à la vali­di­té de la com­pé­tence de l’autorité fédé­rale en cette matière lors des débats par­le­men­taires ayant pré­si­dé à l’élaboration et l’adoption de cette légis­la­tion17. Tout au plus fut évo­quée, dans le rap­port par­le­men­taire rela­tif aux textes alors à l’examen, la pos­si­bi­li­té pour les enti­tés fédé­rées d’obliger cer­taines asso­cia­tions actives dans les sec­teurs rele­vant de leurs com­pé­tences res­pec­tives d’organiser une cou­ver­ture assu­ran­tielle pour leurs membres béné­voles qui s’ajouterait au régime nor­mal et géné­rique pré­vu par la loi fédé­rale. Il fut même pré­vu que le ministre fédé­ral des Affaires sociales contacte ses homo­logues régio­naux et com­mu­nau­taires afin de les sen­si­bi­li­ser à la ques­tion du finan­ce­ment de l’assurance des membres volon­taires18. D’autres ques­tions, plus spé­ci­fiques aux sec­teurs du sport ou de la culture, furent éga­le­ment évo­quées et ren­voyées aux ini­tia­tives que les Com­mu­nau­tés pour­raient prendre en ces matières afin de pré­voir un sta­tut adap­té et le cas échéant plus pro­tec­teur encore que le cadre glo­bal four­ni par la loi fédérale.

Cette ana­lyse fut confir­mée par la sec­tion de légis­la­tion du Conseil d’État dans le texte de son avis rela­tif à l’une des pro­po­si­tions de loi en cette matière. En effet, le Conseil y confirme la com­pé­tence du légis­la­teur fédé­ral dans la mesure où les prin­ci­pales dis­po­si­tions de la loi à l’examen règlent cer­tains aspects du sta­tut de volon­taire qui relèvent des com­pé­tences réser­vées ou attri­buées à l’autorité fédé­rale (ain­si, les prin­cipes gou­ver­nant la res­pon­sa­bi­li­té des volon­taires, la néces­si­té que leurs acti­vi­tés soient cou­vertes par une assu­rance ou, notam­ment, les déro­ga­tions que ce sta­tut implique en matière de droit du tra­vail). Par­tant, cette légis­la­tion modi­fie ou per­met de déro­ger à une série de lois et règle­ments fédé­raux rela­tifs aux matières pré­ci­tées. Le Conseil expri­ma cepen­dant une réserve : les élé­ments plus spé­ci­fiques se rap­por­tant aux volon­taires enga­gés dans la mise en œuvre d’une poli­tique com­mu­nau­taire ou régio­nale doivent être trai­tés par les auto­ri­tés res­pon­sables de cette poli­tique19.

C’est d’ailleurs cette solu­tion qui semble actuel­le­ment se déga­ger de la pra­tique. En effet, la Com­mu­nau­té fla­mande a adop­té un décret visant pré­ci­sé­ment à orga­ni­ser, d’un point de vue plus spé­ci­fique, le béné­vo­lat dans le cadre de la mise en œuvre d’une poli­tique com­mu­nau­taire20. On note­ra d’ailleurs que ce décret pré­cise, en son article 2, qu’il vise les orga­ni­sa­tions uti­li­sant des béné­voles pour la réa­li­sa­tion de leur objet social s’inscrivant dans les matières visées à l’article 5, § 1er, I et II de la loi spé­ciale de réformes ins­ti­tu­tion­nelles du 8 aout 1980 qui attri­buent, res­pec­ti­ve­ment, la san­té et l’aide aux per­sonnes aux Com­mu­nau­tés. Ce décret fait d’ailleurs réfé­rence à la loi de 2005 sur les droits des volon­taires puisque l’accord signé entre un béné­vole et une asso­cia­tion fla­mande l’employant doit reprendre les don­nées impo­sées par cette légis­la­tion cadre. Pour le reste, le décret fixe les condi­tions et la pro­cé­dure à suivre pour les asso­cia­tions en vue de s’adjoindre le tra­vail de volontaires.

Cette construc­tion hybride où le légis­la­teur fédé­ral demeure com­pé­tent pour régler les aspects d’une poli­tique le concer­nant tout en lais­sant le soin aux enti­tés fédé­rées de moda­li­ser ce régime dans le cadre de la mise en œuvre de leurs poli­tiques ne semble pas faire l’objet de contes­ta­tion. En effet, d’une part, la loi de 2005 sur le droit des volon­taires n’a pas fait l’objet d’un recours devant la Cour consti­tu­tion­nelle qui aurait inter­ro­gé la vali­di­té de la com­pé­tence du légis­la­teur fédé­ral en cette matière21. D’autre part, le décret pré­ci­té adop­té par la Com­mu­nau­té fla­mande n’a pas plus fait l’objet d’une contes­ta­tion visant la com­pé­tence des auto­ri­tés fla­mandes rela­tives aux spé­ci­fi­ci­tés du béné­vo­lat dans le cadre de poli­tiques publiques pour les­quelles elles sont com­pé­tentes. On peut, sans trop de risque, déduire de cette absence de recours un consen­sus ins­ti­tu­tion­nel sur cette répar­ti­tion des com­pé­tences ména­geant tant la volon­té d’instaurer un régime social, fis­cal et assu­ran­tiel unique pour l’ensemble des volon­taires que la pos­si­bi­li­té d’aménagements tenant compte de l’orientation des poli­tiques publiques régio­nales ou communautaires.

Une piste pour l’avenir : le fédéralisme coopératif

Il semble dès lors que la solu­tion adop­tée en 2005 dans le cadre de la loi sur les droits des volon­taires pour­rait uti­le­ment faire office de pré­cé­dent pour les débats contem­po­rains rela­tifs à un ser­vice citoyen. Il appar­tien­drait, dans ce sché­ma, au légis­la­teur fédé­ral de fixer un régime uni­forme pour les per­sonnes impli­quées dans la réa­li­sa­tion d’un tel ser­vice. Afin d’éviter toute contes­ta­tion, les élé­ments cen­traux de ce régime devraient viser des matières pour les­quelles l’autorité fédé­rale est indu­bi­ta­ble­ment com­pé­tente (ain­si, les ques­tions liées au droit du tra­vail ou au régime fis­cal des volon­taires). Ensuite, selon leurs propres prio­ri­tés, les enti­tés fédé­rées seraient invi­tées à moda­li­ser ce régime en vue de tenir compte des spé­ci­fi­ci­tés des struc­tures actives dans la mise en œuvre de poli­tiques leur appar­te­nant. Moda­li­ser ne signi­fie­rait pas ici de modi­fier le régime fixé par une loi fédé­rale — par défi­ni­tion, si l’autorité fédé­rale est com­pé­tente sur ce point, cela implique la non-com­pé­tence des enti­tés fédé­rées sur ce même point —, mais bien de pré­voir, le cas échéant, com­ment et à quelles fins les struc­tures sou­te­nues par les enti­tés fédé­rées pour­raient accueillir des volon­taires citoyens.

Enfin, en vue de défi­ni­ti­ve­ment conso­li­der une telle arti­cu­la­tion entre les com­pé­tences fédé­rales et fédé­rées impli­quées par la mise sur pied d’un ser­vice citoyen et, par­tant, d’éviter toute contes­ta­tion ulté­rieure, la piste de la signa­ture d’un accord de coopé­ra­tion entre auto­ri­té fédé­rale et enti­tés fédé­rées méri­te­rait d’être explo­rée. L’accord de coopé­ra­tion est un dis­po­si­tif clé de notre sys­tème fédé­ral22 : il per­met d’organiser l’exercice paral­lèle de com­pé­tences certes dif­fé­rentes, mais à ce point imbri­quées qu’elles par­ti­cipent d’une matière plus glo­bale. Ain­si, pour ne prendre qu’un exemple bien connu, la ges­tion conjointe du centre fédé­ral fer­mé pour mineurs ayant com­mis un fait qua­li­fié infrac­tion d’Everberg fit l’objet d’un accord de coopé­ra­tion en vue, notam­ment, de par­ta­ger, concrè­te­ment, les com­pé­tences (essen­tiel­le­ment sécu­ri­taires) du per­son­nel enga­gé par l’autorité fédé­rale et celles (péda­go­giques) assu­mées par le per­son­nel éma­nant des Com­mu­nau­tés. On pour­rait tout à fait ima­gi­ner qu’un accord soit conclu en vue, d’une part, de dis­tin­guer concrè­te­ment ce qui, dans le cadre de l’organisation d’un ser­vice citoyen, relève de l’autorité fédé­rale de ce qui se rap­porte aux com­pé­tences des enti­tés fédé­rées, d’autre part, de pré­voir les pro­cé­dures et moda­li­tés de dis­cus­sion en vue d’éviter qu’une ini­tia­tive éma­nant d’une enti­té en cette matière porte atteinte de façon dis­pro­por­tion­née à l’exercice d’une com­pé­tence par une autre enti­té. Telle était d’ailleurs la consi­dé­ra­tion finale émise par le Conseil d’État dans son avis rela­tif à la pro­po­si­tion de loi de 2003 : « Eu égard au fait que les divers élé­ments de ce dis­po­si­tif [le ser­vice citoyen] paraissent dif­fi­ci­le­ment dis­so­ciables, il s’indiquerait que sa mise en place donne lieu à la conclu­sion d’un accord de coopé­ra­tion entre les auto­ri­tés dis­po­sant d’un titre de com­pé­tence en la matière23. » Ain­si, tout se passe comme si, conscient de la fra­gi­li­té de son argu­men­taire concluant à la com­pé­tence com­mu­nau­taire sur ce point, le Conseil d’État envi­sa­geait une alter­na­tive, plus créa­tive, visant à dénouer har­mo­nieu­se­ment l’écheveau des com­pé­tences concer­nées par l’organisation d’un ser­vice citoyen. Quelques années plus tard, sans doute s’impose-t-il de prendre cette piste au sérieux.

  1. Doc. Parl., Sénat, Pro­po­si­tion de loi por­tant orga­ni­sa­tion d’un ser­vice citoyen volon­taire, n°3 – 217/1, 2 octobre 2003.
  2. On note­ra cepen­dant que l’article 10 de la pro­po­si­tion pré­voyait, par­mi les condi­tions d’agrément des ser­vices sus­cep­tibles d’accueillir des can­di­dats à un ser­vice citoyen volon­taire, que ces ser­vices soient agréés par l’autorité com­pé­tente comme opé­ra­teurs dans l’un des sec­teurs pré­vus pour la réa­li­sa­tion d’un tel ser­vice. Ain­si, ima­gi­nons qu’une asso­cia­tion d’aide à la jeu­nesse sou­haite accueillir des volon­taires dans ce cadre, alors devra-t-elle faire l’objet d’un agré­ment par la Com­mu­nau­té fran­çaise et ce compte tenu de la légis­la­tion décré­tale rela­tive à l’aide à la jeu­nesse. S’agirait-il d’une asso­cia­tion de pro­tec­tion de l’environnement, on ima­gine, alors, que les asso­cia­tions devront être agréées par l’autorité régio­nale. Enfin, si un tel ser­vice devait se dérou­ler au sein d’une struc­ture par­ti­ci­pant à la mise en œuvre d’une poli­tique fédé­rale (en matière de pro­tec­tion civile ou de coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment par exemple), cette struc­ture devrait être recon­nue par l’autorité fédérale.
  3. Doc. Parl., Sénat, Avis du Conseil d’État n°36.426/VR, n°3 – 217/2, 2 avril 2004, p. 4.
  4. Voyez sur ce point, M. Uyt­ten­daele, Trente leçons de droit consti­tu­tion­nel, Bruy­lant, 2011, p. 779 et s.
  5. Doc. Parl., Sénat, Avis du Conseil d’État n°36.426/VR, n°3 – 217/2, 2 avril 2004, p. 5.
  6. Voyez les articles 4, 7° (poli­tique de la jeu­nesse au titre des matières cultu­relles) et 5, § 1er, II, 6° (poli­tique de l’aide à la jeu­nesse au titre de matière per­son­na­li­sable) de la loi spé­ciale de réformes ins­ti­tu­tio­nelles du 8 aout 1980.
  7. Article 1er du décret de la Com­mu­nau­té fran­çaise du 3 mars 1991 rela­tif à l’aide à la jeu­nesse : « il faut entendre par : 1° jeune : la per­sonne âgée de moins de dix-huit ans ou celle de moins de vingt ans pour laquelle l’aide est sol­li­ci­tée avant l’âge de dix-huit ans ; 2° enfant : le jeune âgé de moins de dix-huit ans. »
  8. Voyez par exemple le Plan opé­ra­tion­nel 2009 – 2013 en ligne sur le site de la Direc­tion géné­rale de l’aide à la jeu­nesse ; www.aidealajeunesse.cfwb.be/index.php?id=plan_operationnel.
  9. Voyez par exemple le décret du 20 juillet 2000 déter­mi­nant les condi­tions d’agrément et de sub­ven­tion­ne­ment des mai­sons de jeunes, centres de ren­contres et d’hébergement, et centres d’information des jeunes et de leurs fédé­ra­tions dont le « public cible » est consti­tué des jeunes de douze à vingt-six ans (art. 1, 4°). On note­ra aus­si, enfin, que d’autres poli­tiques de sou­tien aux jeunes sont éga­le­ment pré­vues pour des jeunes mineurs. Ain­si, voyez par exemple l’article 7, § 3, 2° du décret du 28 avril 2004 rela­tif à la recon­nais­sance et au sou­tien des écoles de devoirs qui pré­voit que l’ONE ne recon­nait que les écoles de devoirs qui accueillent des jeunes de six à quinze ans.
  10. Doc. Parl., Sénat, Avis du Conseil d’État n° 36.426/VR, n° 3 – 217/2, 2 avril 2004, p. 5.
  11. On pré­ci­se­ra que si le Conseil d’État envi­sage donc les Com­mu­nau­tés comme prin­ci­pa­le­ment com­pé­tentes pour orga­ni­ser un ser­vice citoyen, il réserve néan­moins cer­taines com­pé­tences à l’autorité fédé­rale (ain­si, par exemple, le sta­tut des volon­taires sur le plan de la sécu­ri­té sociale); voyez ibi­dem, p. 6.
  12. On consta­te­ra d’ailleurs et a contra­rio qu’à notre connais­sance, aucune pro­po­si­tion de décret n’a été dépo­sée, à la suite de cet avis, pour pré­voir l’organisation d’un ser­vice citoyen par la Com­mu­nau­té française.
  13. Doc. Parl., Sénat, Pro­po­si­tion de loi créant un sta­tut social pour un ser­vice citoyen volon­taire, n° 5 – 60/1, 3 sep­tembre 2010.
  14. Ibi­dem, p. 1.
  15. On note­ra éga­le­ment que la dimen­sion « sécu­ri­té sociale » fait désor­mais par­tie de l’intitulé de la pro­po­si­tion, ce qui n’est pas ano­din compte tenu de la remarque pré­ci­tée du Conseil d’État en note 10.
  16. Jusqu’à l’adoption de cette loi, le béné­vo­lat fai­sait l’objet de dis­po­si­tions éparses, pour l’essentiel conte­nues au sein d’un arrê­té royal du 19 novembre 2001 modi­fiant l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exé­cu­tion de la loi du 27 juin 1969 révi­sant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concer­nant la sécu­ri­té sociale des tra­vailleurs ou fixées par l’une ou l’autre cir­cu­laire éma­nant notam­ment du minis­tère des Finances.
  17. Voyez par exemple l’exposé des motifs d’une pro­po­si­tion de loi qui débou­che­ra sur la loi du 3 juillet 2005 et qui ne sou­lève aucune objec­tion à la com­pé­tence du légis­la­teur fédé­ral ; Doc. Parl., Chambre, Pro­po­si­tion de loi rela­tive aux droits des béné­voles, n° 0455/001, 19 novembre 2003.
  18. Doc. Parl., Chambre, Rap­port fait au nom de la Com­mis­sion des affaires sociales rela­tif à deux pro­po­si­tions de loi rela­tives aux droits des béné­voles, n° 0455/008, 9 mai 2005, p. 56 – 57.
  19. Doc. Parl., Chambre, Avis du Conseil d’État n° 32.779/1, n° 1526/002, 26 avril 2002, spéc. p. 4 – 5.
  20. Voyez le décret la Com­mu­nau­té fla­mande du 3 avril 2009 rela­tif au béné­vo­lat orga­ni­sé dans le domaine poli­tique « Wel­zi­jn, Volks­ge­zond­heid en Gezin » qui a rem­pla­cé le décret du 23 mars 1994 sur le même objet.
  21. Seule une modi­fi­ca­tion ulté­rieure de cette loi, modi­fi­ca­tion cir­cons­crite à l’assouplissement de la res­pon­sa­bi­li­té des per­sonnes morales pour le dom­mage cau­sé par un volon­taire, fut atta­quée, sans suc­cès, devant la Cour consti­tu­tion­nelle, mais pour des motifs n’ayant rien à voir avec la ques­tion de la répar­ti­tion des com­pé­tences ; voyez l’arrêt de la Cour consti­tu­tion­nelle n° 158/2007 du 19 décembre 2007 reje­tant un recours en annu­la­tion exer­cé contre la loi du 19 juillet 2006 modi­fiant la loi du 3 juillet 2005 rela­tive aux droits des volontaires.
  22. Sur ce point, voyez J. Poi­rier, « Le droit public sur­vi­vra-t-il à sa contrac­tua­li­sa­tion ? Le cas des accords de coopé­ra­tion dans le sys­tème fédé­ral belge », numé­ro spé­cial de la Revue de droit de l’ULB, vol. 33, 2006 – 1, p. 261 – 314.
  23. Doc. Parl., Sénat, Avis du Conseil d’État n° 36.426/VR, n° 3 – 217/2, 2 avril 2004, p. 6.

Julien Pieret


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