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Quel soutien pour les revues de réflexion ?
Nous n’en faisons pas étalage, parce que nous préférons nous consacrer à la réflexion sur notre société et ses vicissitudes, mais boucler chaque numéro de votre revue préférée est une gageüre. Il faut susciter des articles, évaluer ceux qui nous sont spontanément adressés, programmer des dossiers, les penser, dénicher des auteurs, rédiger, relire, corriger, trouver un […]
Nous n’en faisons pas étalage, parce que nous préférons nous consacrer à la réflexion sur notre société et ses vicissitudes, mais boucler chaque numéro de votre revue préférée est une gageüre. Il faut susciter des articles, évaluer ceux qui nous sont spontanément adressés, programmer des dossiers, les penser, dénicher des auteurs, rédiger, relire, corriger, trouver un billet d’humeur, et des papiers pour « Le Mois », il faut un « Livre », aussi, et un « Italique »… Notre rubriquage est à la fois une contrainte pesante et un repère important pour les lecteurs et lectrices. Ensuite, il faut encore mettre en page, envoyer à l’imprimeur, valider le bon à tirer, etc. Bref, confectionner, huit fois par an, un numéro de La Revue, c’est un défi exigeant et motivant. C’est aussi un travail d’équipe : un comité de rédaction, une rédaction, une direction…
C’est en grande partie un travail bénévole : seules sont rémunérées une secrétaire de rédaction et une rédactrice en chef. Tous les autres donnent de leur temps parce qu’ils et elles croient en l’importance de cette revue, nouvelle depuis 1945, qui a scruté sans interruption le monde tel qu’il va au cours des presque quatre-vingt dernières années. Cette œuvre a un cout. Celui du salaire de nos travailleuses, de la production de l’objet que vous tenez en main, mais aussi de la mise en ligne, de l’amélioration de notre site, d’un peu de promotion et de notre présence sur « cairn.info ».
Cette œuvre a également ses bénéficiaires. Il y a vous, qui nous lisez fidèlement, mais aussi celles et ceux, étudiantes, historiens, citoyennes et curieux, qui font des recherches dans nos pages et archives lorsque se présente un besoin. Il y a aussi une société démocratique, qui a une nécessité vitale de lieux de réflexion et de débats, ainsi que de prise de distance. Il y aura sans doute, un jour, d’autres générations qui se retourneront sur notre époque et se demanderont comment nous pensions, à quoi nous étions en butte et qui trouveront une pensée francophone issue de notre société.
En tout état de cause, La Revue nouvelle n’est pas une entreprise commerciale, elle ne fabrique pas des produits qui ne concernent que leurs consommateurs directs… Elle participe de la vie de notre société, au côté d’autres de son genre, comme Politique, Médor, Axelle, Imagine, L’appel, ou encore Wilfried. Chacun à notre manière, au sein de ces médias, nous tentons de faire exister le débat public, de proposer un autre regard sur le présent, de suggérer des réflexions, de déconstruire les préjugés. Tous ces organes prennent le temps, forgent des contenus de qualité, refusent la facilité et les raccourcis… Tous sont très largement confrontés aux mêmes défis.
On l’aura compris, pour remplir nos fonctions, nous avons besoin de moyens, maigres, certes, mais de moyens. Or, dans le grand arbitrage relatif à l’attribution des deniers publics, il semble que nous pesions bien peu.
Notre financement public, actuellement, repose sur l’aide à la presse périodique « non commerciale » qui est réglée par un arrêté gouvernemental, donc par un instrument juridique susceptible d’être modifié à tout moment par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles… L’incertitude est d’autant plus grande que l’allocation du subside est annuelle, ce qui prive les bénéficiaires de toute visibilité à long terme. Gère-t-on une revue à la petite semaine ? Non, mais tant pis pour nous.
Une enveloppe est prévue pour notre instrument de subsidiation. L’enveloppe est fermée, ce qui suppose que, si le nombre d’acteurs augmente, le financement baisse… mais aussi que, si ce nombre diminue, le subside augmente… À la différence que non ! Pile, je gagne, face, tu perds : une règle européenne relative à la concurrence et aux aides publiques — dite « de minimis » — nous est appliquée (à tort) par l’administration de la Fédération. Son effet est de plafonner notre financement à soixante- six-mille euros par an… et de nous empêcher de chercher des financements publics complémentaires, auprès d’autres instances. Pour nous dispenser de ce carcan et nous offrir une bouffée d’oxygène, il suffirait d’avertir la Commission européenne que la Fédération considère que nous relevons des services culturels et que nous ne sommes, dès lors, pas concernés par la régulation de la concurrence. L’Allemagne et la France, par exemple, l’ont fait… et les montants sont tellement dérisoires que la Commission n’en a cure… Visiblement, c’est trop compliqué.
Ce qu’il nous faudrait, au minimum, c’est en premier lieu un financement pluriannuel, sur la base d’une enveloppe ouverte, fixé par un instrument plus stable et nécessitant un débat parlementaire (et donc public) pour sa modification : un décret de la Fédération. En deuxième lieu, nous avons besoin d’être exemptés de la règle de minimis. La matière n’est pas fort complexe, les montants sont dérisoires, les enjeux politiques sont limités… Tout devrait bien se passer.
C’est ce que nous croyions lorsque nous et nos collègues d’autres organes avons pris contact avec le cabinet de Bénédicte Linard (Écolo) lors de sa prise de fonction. Et, en effet, l’ambiance était positive : on allait trouver une solution et le dossier serait réglé bien avant la fin de la législature. Néanmoins, c’était à la mi-2019, nous sommes à la fin de l’année 2022 et rien n’a bougé. « On s’en occupera bientôt », « ça sera la prochaine priorité du cabinet », « ce n’est pas si simple », « ça vient, ça vient » … et en attendant, nous restons suspendus à une subvention annuelle et soumis à l’inique de minimis. Nous étouffons. Littéralement.
La ministre nous assure de son plein soutien, de l’importance que revêtent les médias indépendants à ses yeux, de son intérêt pour un débat démocratique vif et intelligent… mais notre projet ne vit pas de belles paroles. Une ministre est jugée sur ses actes, bien plus que sur ses professions de foi et, en fin de législature, une seule question comptera réellement : « Bénédicte Linard aura-t-elle été celle qui aura laissé mourir les revues indépendantes ? » Les prochaines élections auront lieu en mai 2024, adopter un décret prend du temps et l’activité politique va bientôt se focaliser sur les échéances électorales… autant dire que les chances de voir le dossier aboutir se réduisent à vue d’œil.