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Quel soutien pour les revues de réflexion ?

Numéro 8 – 2022 par La Revue nouvelle

janvier 2023

Nous n’en fai­sons pas éta­lage, parce que nous pré­fé­rons nous consa­crer à la réflexion sur notre socié­té et ses vicis­si­tudes, mais bou­cler chaque numé­ro de votre revue pré­fé­rée est une gageüre. Il faut sus­ci­ter des articles, éva­luer ceux qui nous sont spon­ta­né­ment adres­sés, pro­gram­mer des dos­siers, les pen­ser, déni­cher des auteurs, rédi­ger, relire, cor­ri­ger, trou­ver un […]

Éditorial

Nous n’en fai­sons pas éta­lage, parce que nous pré­fé­rons nous consa­crer à la réflexion sur notre socié­té et ses vicis­si­tudes, mais bou­cler chaque numé­ro de votre revue pré­fé­rée est une gageüre. Il faut sus­ci­ter des articles, éva­luer ceux qui nous sont spon­ta­né­ment adres­sés, pro­gram­mer des dos­siers, les pen­ser, déni­cher des auteurs, rédi­ger, relire, cor­ri­ger, trou­ver un billet d’humeur, et des papiers pour « Le Mois », il faut un « Livre », aus­si, et un « Ita­lique »… Notre rubri­quage est à la fois une contrainte pesante et un repère impor­tant pour les lec­teurs et lec­trices. Ensuite, il faut encore mettre en page, envoyer à l’imprimeur, vali­der le bon à tirer, etc. Bref, confec­tion­ner, huit fois par an, un numé­ro de La Revue, c’est un défi exi­geant et moti­vant. C’est aus­si un tra­vail d’équipe : un comi­té de rédac­tion, une rédac­tion, une direction…

C’est en grande par­tie un tra­vail béné­vole : seules sont rému­né­rées une secré­taire de rédac­tion et une rédac­trice en chef. Tous les autres donnent de leur temps parce qu’ils et elles croient en l’importance de cette revue, nou­velle depuis 1945, qui a scru­té sans inter­rup­tion le monde tel qu’il va au cours des presque quatre-vingt der­nières années. Cette œuvre a un cout. Celui du salaire de nos tra­vailleuses, de la pro­duc­tion de l’objet que vous tenez en main, mais aus­si de la mise en ligne, de l’amélioration de notre site, d’un peu de pro­mo­tion et de notre pré­sence sur « cairn.info ».

Cette œuvre a éga­le­ment ses béné­fi­ciaires. Il y a vous, qui nous lisez fidè­le­ment, mais aus­si celles et ceux, étu­diantes, his­to­riens, citoyennes et curieux, qui font des recherches dans nos pages et archives lorsque se pré­sente un besoin. Il y a aus­si une socié­té démo­cra­tique, qui a une néces­si­té vitale de lieux de réflexion et de débats, ain­si que de prise de dis­tance. Il y aura sans doute, un jour, d’autres géné­ra­tions qui se retour­ne­ront sur notre époque et se deman­de­ront com­ment nous pen­sions, à quoi nous étions en butte et qui trou­ve­ront une pen­sée fran­co­phone issue de notre société.

En tout état de cause, La Revue nou­velle n’est pas une entre­prise com­mer­ciale, elle ne fabrique pas des pro­duits qui ne concernent que leurs consom­ma­teurs directs… Elle par­ti­cipe de la vie de notre socié­té, au côté d’autres de son genre, comme Poli­tique, Médor, Axelle, Ima­gine, L’appel, ou encore Wil­fried. Cha­cun à notre manière, au sein de ces médias, nous ten­tons de faire exis­ter le débat public, de pro­po­ser un autre regard sur le pré­sent, de sug­gé­rer des réflexions, de décons­truire les pré­ju­gés. Tous ces organes prennent le temps, forgent des conte­nus de qua­li­té, refusent la faci­li­té et les rac­cour­cis… Tous sont très lar­ge­ment confron­tés aux mêmes défis.

On l’aura com­pris, pour rem­plir nos fonc­tions, nous avons besoin de moyens, maigres, certes, mais de moyens. Or, dans le grand arbi­trage rela­tif à l’attribution des deniers publics, il semble que nous pesions bien peu.

Notre finan­ce­ment public, actuel­le­ment, repose sur l’aide à la presse pério­dique « non com­mer­ciale » qui est réglée par un arrê­té gou­ver­ne­men­tal, donc par un ins­tru­ment juri­dique sus­cep­tible d’être modi­fié à tout moment par le gou­ver­ne­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles… L’incertitude est d’autant plus grande que l’allocation du sub­side est annuelle, ce qui prive les béné­fi­ciaires de toute visi­bi­li­té à long terme. Gère-t-on une revue à la petite semaine ? Non, mais tant pis pour nous.

Une enve­loppe est pré­vue pour notre ins­tru­ment de sub­si­dia­tion. L’enveloppe est fer­mée, ce qui sup­pose que, si le nombre d’acteurs aug­mente, le finan­ce­ment baisse… mais aus­si que, si ce nombre dimi­nue, le sub­side aug­mente… À la dif­fé­rence que non ! Pile, je gagne, face, tu perds : une règle euro­péenne rela­tive à la concur­rence et aux aides publiques — dite « de mini­mis » — nous est appli­quée (à tort) par l’administration de la Fédé­ra­tion. Son effet est de pla­fon­ner notre finan­ce­ment à soixante- six-mille euros par an… et de nous empê­cher de cher­cher des finan­ce­ments publics com­plé­men­taires, auprès d’autres ins­tances. Pour nous dis­pen­ser de ce car­can et nous offrir une bouf­fée d’oxygène, il suf­fi­rait d’avertir la Com­mis­sion euro­péenne que la Fédé­ra­tion consi­dère que nous rele­vons des ser­vices cultu­rels et que nous ne sommes, dès lors, pas concer­nés par la régu­la­tion de la concur­rence. L’Allemagne et la France, par exemple, l’ont fait… et les mon­tants sont tel­le­ment déri­soires que la Com­mis­sion n’en a cure… Visi­ble­ment, c’est trop compliqué.

Ce qu’il nous fau­drait, au mini­mum, c’est en pre­mier lieu un finan­ce­ment plu­ri­an­nuel, sur la base d’une enve­loppe ouverte, fixé par un ins­tru­ment plus stable et néces­si­tant un débat par­le­men­taire (et donc public) pour sa modi­fi­ca­tion : un décret de la Fédé­ra­tion. En deuxième lieu, nous avons besoin d’être exemp­tés de la règle de mini­mis. La matière n’est pas fort com­plexe, les mon­tants sont déri­soires, les enjeux poli­tiques sont limi­tés… Tout devrait bien se passer.

C’est ce que nous croyions lorsque nous et nos col­lègues d’autres organes avons pris contact avec le cabi­net de Béné­dicte Linard (Éco­lo) lors de sa prise de fonc­tion. Et, en effet, l’ambiance était posi­tive : on allait trou­ver une solu­tion et le dos­sier serait réglé bien avant la fin de la légis­la­ture. Néan­moins, c’était à la mi-2019, nous sommes à la fin de l’année 2022 et rien n’a bou­gé. « On s’en occu­pe­ra bien­tôt », « ça sera la pro­chaine prio­ri­té du cabi­net », « ce n’est pas si simple », « ça vient, ça vient » … et en atten­dant, nous res­tons sus­pen­dus à une sub­ven­tion annuelle et sou­mis à l’inique de mini­mis. Nous étouf­fons. Littéralement.

La ministre nous assure de son plein sou­tien, de l’importance que revêtent les médias indé­pen­dants à ses yeux, de son inté­rêt pour un débat démo­cra­tique vif et intel­li­gent… mais notre pro­jet ne vit pas de belles paroles. Une ministre est jugée sur ses actes, bien plus que sur ses pro­fes­sions de foi et, en fin de légis­la­ture, une seule ques­tion comp­te­ra réel­le­ment : « Béné­dicte Linard aura-t-elle été celle qui aura lais­sé mou­rir les revues indé­pen­dantes ? » Les pro­chaines élec­tions auront lieu en mai 2024, adop­ter un décret prend du temps et l’activité poli­tique va bien­tôt se foca­li­ser sur les échéances élec­to­rales… autant dire que les chances de voir le dos­sier abou­tir se réduisent à vue d’œil.

La Revue nouvelle


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