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Quel accès à la « bibliothèque » coloniale ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2010 par Quentin de Becker

juillet 2010

L’ac­cès aux sources de l’his­toire colo­niale pose pro­blème. Cer­taines d’entre elles, dis­po­nibles sur inter­net, ne sont pas inno­centes par les impli­cites et les valeurs qu’elles véhi­culent. Les autres reposent dans les biblio­thèques, centres d’ar­chives, dont celui du minis­tère des Affaires étran­gères, et ne sont consul­tées que par les spé­cia­listes. C’est le rap­port à l’ar­chive, sa mise en sens cultu­relle en vue de son usage public qui est inter­ro­gé ici. Il montre le che­min encore à par­cou­rir en direc­tion d’une « déco­lo­ni­sa­tion » des mises à dis­po­si­tion et trai­te­ments des sources documentaires.

Dossier

La remise en ques­tion géné­rale que tra­verse actuel­le­ment notre socié­té jus­ti­fie sans doute la place qu’occupent les théo­ries post­co­lo­niales dans les débats contem­po­rains. Dans ce contexte, nom­breux sont ceux qui défendent l’idée qu’il y a lieu de réécrire la vision du pas­sé que se donne notre socié­té à la lumière des nou­velles consi­dé­ra­tions théoriques.

Dans le domaine des affaires colo­niales et post­co­lo­niales, plu­sieurs intel­lec­tuels comme Valen­tin Mudimbe ou Achille Mbembe ont déve­lop­pé un des concepts clés, celui de la « biblio­thèque colo­niale ». Il sym­bo­lise la dyna­mique d’élaboration des savoirs repré­sen­tant le conti­nent afri­cain comme un objet d’étude. Un Autre dont l’étrangeté est à ana­ly­ser. Cela per­met de dépas­ser la dimen­sion éco­no­mique et poli­tique du fait colo­nial à pro­pos de laquelle beau­coup a déjà été écrit pour en venir à la cri­tique de sa dimen­sion socioculturelle.

Lors des indé­pen­dances des État-nations afri­cains, les élites natio­nales ont eu à se confec­tion­ner une iden­ti­té propre. Pour ce faire, elles ont pui­sé dans les études cultu­relles dans le but de valo­ri­ser une afri­ca­ni­té authen­tique et tra­di­tion­nelle oppo­sée à l’Europe ancienne colo­ni­sa­trice. Cette vision binaire ordonne tou­jours la majo­ri­té des savoirs dis­po­nibles via la tech­no­lo­gie internet.

Les tech­no­lo­gies inter­net ne per­mettent donc pas de dépas­ser la vision « cultu­relle » du fait colo­nial et laissent l’internaute face à une com­pré­hen­sion binaire d’un pas­sé scin­dé entre culture occi­den­tale et culture afri­caine. Cette colo­ni­sa­tion cultu­relle du social impo­sant une sim­pli­fi­ca­tion de l’écriture du pas­sé s’observe notam­ment dans les écrits don­nés à lire aux éco­liers dès leur plus jeune âge. C’est ain­si qu’en matière d’histoire du conti­nent afri­cain, les Belges ont accès à un ensei­gne­ment basé sur des manuels sco­laires. Cette his­toire y est géné­ra­le­ment abor­dée dans le cadre de l’histoire natio­nale, sous le règne du roi Léo­pold II, par­fois dans les par­ties consa­crées à la Belle Époque et à la période des indé­pen­dances afri­caines aux alen­tours des années soixante.

Au sor­tir du monde sco­laire, la tech­no­lo­gie inter­net offre une quan­ti­té de savoirs nour­ris­sant l’intérêt cultu­rel des inter­nautes. Mal­gré les pos­si­bi­li­tés nou­velles offertes en matière de digi­ta­li­sa­tion, l’idée d’un choc cultu­rel entre l’Occident et l’Afrique est main­te­nue quand il s’agit de don­ner un sens au pas­sé com­mun de la Bel­gique et de la Répu­blique démo­cra­tique du Congo. Pour ana­ly­ser ce cycle cultu­rel du pas­sé colo­nial, nous déve­lop­pe­rons prin­ci­pa­le­ment la cri­tique d’un ouvrage rédi­gé par des élites médi­cales en matière de méde­cine tro­pi­cale en Afrique cen­trale. Sur la base de ces pro­pos, nous en ana­ly­se­rons l’accès pos­sible via les tech­no­lo­gies internet.

L’hégémonie du « choc culturel » en médecine tropicale

L’originalité de la Bel­gique est sans doute d’avoir dû écrire son his­toire colo­niale au moment où plu­sieurs puis­sances euro­péennes étaient déjà implan­tées à tra­vers le globe. Lorsqu‘elle annexe la pro­prié­té per­son­nelle du roi Léo­pold II, l’État indé­pen­dant du Congo, la nou­velle métro­pole n’a que quelques expé­riences avor­tées en cette matière. En ce qui concerne la méde­cine, un labo­ra­toire tro­pi­cal avait été éri­gé à Kin­sha­sa quelques années avant la mort du roi, mais les textes de loi belges alors exis­tants n’apportaient aucune solu­tion au déve­lop­pe­ment de la méde­cine sociale. Durant la période de l’État indé­pen­dant du Congo (1885 à 1908), les rares méde­cins, sou­vent mili­taires, agis­saient de façon prag­ma­tique. Comme dans les domaines géo­gra­phiques et légis­la­tifs, cer­tains spé­cia­listes se réser­vaient un champ propre d’investigation afri­caine : la méde­cine tro­pi­cale. Dans les années vingt, un pre­mier plan d’organisation de l’assistance médi­cale indi­gène est mis sur pied sur la base des réseaux de dis­pen­saires à l’est de l’État du Congo belge. Contrai­re­ment aux poli­tiques de soins visant jusque-là à étu­dier et à soi­gner les malades via des mis­sions scien­ti­fiques, ces pre­miers dis­pen­saires étaient construits pour atti­rer les malades en quête de soins non ordinaires.

En 1930 est voté un finan­ce­ment mas­sif de l’assistance médi­cale indi­gène nom­mé « Fonds reine Éli­sa­beth pour l’assistance médi­cale aux indi­gènes » (Forea­mi) ten­dant à finan­cer mas­si­ve­ment l’assistance médi­cale, sociale et l’enseignement médi­cal déjà en place. Cette action recou­vrant toutes les dimen­sions de la méde­cine sociale a consti­tué une nou­veau­té pour beau­coup de méde­cins qui s’étaient jusque-là davan­tage pré­oc­cu­pés de soins et d’expérimentations. La Bel­gique déte­nait une auto­ri­té sur une région presque quatre-vingt fois plus grande que son propre ter­ri­toire, laquelle devait dès lors être orga­ni­sée. Dans cette optique, la colo­ni­sa­tion médi­cale fut pen­sée comme quelque chose de nou­veau par rap­port à ce qui avait pré­cé­dé. Les dif­fé­rents scien­ti­fiques en charge de la méde­cine eurent à inté­grer les études eth­no­gra­phiques et médi­cales dans le but de mettre sur pied les cam­pagnes glo­bales de lutte contre des mala­dies épi­dé­miques telles que la mala­die du som­meil. Pour ce faire, les méde­cins en chef de la colo­nie devaient inté­grer les dif­fé­rences régio­nales qui expli­quaient la réus­site ou l’échec de leur tra­vail. Ces dif­fé­rences régio­nales furent concep­tua­li­sées grâce au terme de « cultures ». Les théo­ries cultu­relles furent uti­li­sées par la suite par les acteurs poli­tiques, sociaux ou médi­caux pour expli­quer leurs dif­fi­cul­tés ; ce qui don­na et donne encore aujourd’hui aux cultures un carac­tère conflic­tuel contri­buant au « choc des civilisations ».

C’est pré­ci­sé­ment cette vision des « chocs cultu­rels » que l’on retrouve dans la prin­ci­pale syn­thèse belge en matière de méde­cine tro­pi­cale. Jans­sens, Kivits et Vuyl­steke dans Méde­cine et hygiène en Afrique cen­trale de 1885 à nos jours pro­posent un bilan scien­ti­fique du pro­grès médi­cal opé­ré en Afrique cen­trale. Leur argu­men­ta­tion s’intéressant au « déve­lop­pe­ment des ser­vices de san­té » sug­gère une rup­ture entre deux ensembles : d’une part, l’«aperçu his­to­rique » qui a trait à la méde­cine d’avant les années vingt et, d’autre part, l’«organisation et évo­lu­tion » qui trouve son point culmi­nant dans la créa­tion du Forea­mi en 1930. Cette vision évo­lu­tive implique que la méde­cine occi­den­tale est sépa­rée de la méde­cine tra­di­tion­nelle à laquelle est consa­crée une sec­tion par­ti­cu­lière concer­nant l’«anthropologie sociale, cultu­relle et médi­cale », où il est ques­tion d’un « choc cultu­rel pour les jeunes méde­cins occi­den­taux » arri­vant au Congo belge.

Pour sai­sir cette dis­tinc­tion pré­sen­tée comme allant de soi dans leur livre, il est inté­res­sant d’étudier le par­cours des rédac­teurs de l’histoire belge de la méde­cine en Afrique cen­trale tout au long du XXe siècle. De cette manière, il est pos­sible de com­prendre le rap­pro­che­ment entre les pro­blé­ma­tiques médi­cale et culturelle.

Naissance et maintien de la vision coloniale et culturelle du passé tropical

Au moment d’organiser les cam­pagnes pro­phy­lac­tiques contre la mala­die du som­meil à une échelle aus­si grande que celle de l’administration du Congo belge, les auto­ri­tés médi­cales ont dû pen­ser les signi­fi­ca­tions cultu­relles des enti­tés régio­nales. Ces élites se ras­semblent alors autour d’une vision révo­lu­tion­naire prô­nant l’étude de toutes les patho­lo­gies tro­pi­cales qui frei­naient, par leur carac­tère géo­gra­phi­que­ment « inex­plo­ré » et médi­ca­le­ment « inex­pé­ri­men­té », la connais­sance de la nature inté­rieure du conti­nent afri­cain. Lorsque ces intel­lec­tuels don­nèrent un sens colo­nial à leurs pra­tiques médi­cales, il fal­lut dis­so­cier les « pion­niers » qui entre­raient dans l’histoire colo­niale des acteurs d’une colo­ni­sa­tion nou­velle et entiè­re­ment belge. Cela a consti­tué une colo­ni­sa­tion à pos­te­rio­ri des pra­tiques médi­cales de cer­tains « pion­niers » de la méde­cine tro­pi­cale par les élites colo­niales. La colo­ni­sa­tion cultu­relle du pas­sé médi­cal s’observe, d’un point de vue aca­dé­mique, dans la rédac­tion du par­cours bio­gra­phique de deux acteurs médicaux.

Le cas de la bio­gra­phie du doc­teur Émile Van Cam­pen­hout illustre la colo­ni­sa­tion d’une action médi­cale pen­sée à pos­te­rio­ri. Vers 1965, l’Académie royale colo­niale belge confie à Albert Dubois la rédac­tion de la notice bio­gra­phique de Van Cam­pen­hout, lequel avait été pro­fes­seur d’hygiène à l’école de méde­cine tro­pi­cale. Pro­fes­seur de patho­lo­gie tro­pi­cale à par­tir de 1929 à l’École de méde­cine tro­pi­cale de Bruxelles et ensuite à l’Institut de méde­cine tro­pi­cale prince Léo­pold à Anvers jusqu’en 1957, Albert Dubois don­ne­ra le cours de micro­bio­lo­gie à l’université de Lova­nium et sera aus­si membre du conseil d’administration du Forea­mi, de l’Institut natio­nal pour l’étude agro­no­mique du Congo belge (Ineac), de l’Institut de recherche scien­ti­fique d’Afrique cen­trale et de l’Académie royale colo­niale belge deve­nue ensuite l’Académie royale des sciences d’outre-mer.

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« École de méde­cine tro­pi­cale de Bruxelles. La pre­mière ses­sion. Octobre à décembre 1906 ». L’assistance médi­cale indi­gène dans l’État Indé­pen­dant du Congo,
Fédé­ra­tion pour la défense des inté­rêts belges à l’étranger
, 1907, p. 51.

Ces quatre ins­ti­tu­tions consti­tuaient la base de l’expertise scien­ti­fique belge en matière colo­niale, embras­sant des domaines aus­si variés que la méde­cine, l’agriculture ou les sciences humaines. Dubois attire aus­si l’attention par son appar­te­nance au Conseil supé­rieur de l’hygiène, organe consul­ta­tif qui aura son mot à dire sur les déci­sions du ministre des Colo­nies. Au moment de rédi­ger la notice bio­gra­phique de Van Cam­pen­hout, Dubois pré­sente ce « pion­nier » de manière éli­tiste en insis­tant sur la pra­tique de méde­cine géné­rale et mili­taire qui le carac­té­rise. Il est vrai qu’aux yeux de Dubois qui a, pour sa part, connu les sphères éli­taires colo­niales, l’action de Van Cam­pen­hout n’entre pas dans le cadre aca­dé­mique. C’est pour cette rai­son qu’il men­tionne les pro­pos d’un autre membre de l’Institut royal colo­nial belge, Jérôme Rod­hain, qui qua­li­fia Van Cam­pen­hout de « pion­nier tant pra­tique que scien­ti­fique dans nos ter­ri­toires afri­cains » « dont il est facile de se moquer par son carac­tère de bureau ». Il était entré dans l’administration du Ser­vice de l’hygiène ; ce qui l’éloignait du milieu académique.

D’autre part, la réap­pro­pria­tion cultu­relle s’observe dans la rédac­tion de l’histoire de Hya­cinthe Van­de­ryst. Avant que l’enseignement médi­cal ne soit cen­tra­li­sé à l’Institut de méde­cine tro­pi­cale prince Léo­pold à Anvers, les « pion­niers » dési­reux d’être for­més à la théo­rie et à la pra­tique de la méde­cine tro­pi­cale devaient suivre un ensei­gne­ment de quatre mois à l’École de méde­cine tro­pi­cale de Bruxelles au parc Duden. D’autres aven­tu­riers sui­virent une for­ma­tion admi­nis­tra­tive dans les écoles colo­niales non médi­cales où l’enseignement des matières médi­cales était limi­té à sa com­po­sante légis­la­tive. À la suite de ces diverses for­ma­tions, les nou­veaux diplô­més se trou­vaient confron­tés à des cas pra­tiques pour les­quels il fal­lait trou­ver des solu­tions. C’est dans le but de com­bler cette carence de savoirs que l’auxiliaire médi­cal sor­ti de l’École de méde­cine tro­pi­cale, Hya­cinthe Van­de­ryst, déci­da de rédi­ger un manuel des­ti­né à com­plé­ter cer­taines bases hygiéniques. 

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La deuxième édi­tion de ce manuel de Notions élé­men­taires concer­nant les mala­dies tro­pi­cales a été édi­tée, en 1930, par une asso­cia­tion signi­fi­ca­tive : l’Association uni­ver­si­taire catho­lique d’aide aux mis­sions (Aucam). La reprise du manuel de Van­de­ryst dans le cor­pus édi­to­rial de l’Aucam n’est pas ano­dine dans le sens où il s’agit d’une asso­cia­tion qui, en plus d’organiser le recru­te­ment médi­cal à l’université de Lou­vain, édi­tait une revue de vul­ga­ri­sa­tion en matière d’ethnographie d’outre-mer. Les mala­dies devaient, pen­sait-on, être com­bat­tues en fonc­tion des mœurs de l’Africain pen­sé comme un corps à soi­gner. Il fal­lait les étu­dier, les objec­ti­ver. Aux yeux des lec­teurs afri­ca­nistes belges, le tra­vail de Van­de­ryst est donc cata­lo­gué comme colo­nial car édi­té par l’Aucam et pou­vant logi­que­ment être syn­thé­ti­sé avec les autres tra­vaux eth­no­gra­phiques édi­tés par l’institution uni­ver­si­taire dite spé­cia­liste du sujet.

C’est pré­ci­sé­ment cette Afrique cultu­rel­le­ment colo­ni­sée que l’on retrouve dans la pré­sen­ta­tion pure­ment anthro­po­lo­gique de la méde­cine non occi­den­tale faite dans la syn­thèse Méde­cine et hygiène en Afrique cen­trale de 1885 à nos jours. On aurait pu croire que les indé­pen­dances poli­tiques des années soixante en Afrique aient contri­bué à don­ner au pas­sé du conti­nent une déco­lo­ni­sa­tion, mais cela n‘a pas été le cas. Les élites médi­cales afri­caines ont uti­li­sé les études cultu­relles pour se créer une iden­ti­té par rap­port aux anciens colo­ni­sa­teurs tout en gar­dant les outils ana­ly­tiques de ces der­niers. Quelle que soit la dis­ci­pline scien­ti­fique, la nais­sance de l’altérité cultu­relle est main­te­nue dans les sphères aca­dé­miques les plus recon­nues. À titre d’exemple, on peut reve­nir à la syn­thèse cri­ti­quée plus haut : les scien­ti­fiques des sciences « dures » comme la méde­cine ont étu­dié leur spé­cia­li­té dans la deuxième par­tie divi­sée en spé­cia­li­tés patho­lo­giques, alors que les his­to­riens ont fait de même de leur côté en expo­sant une vision évo­lu­tion­niste de la méde­cine moderne tout en lais­sant la pro­blé­ma­tique de la méde­cine pré­mo­derne aux anthro­po­logues médicaux.

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« L’homme de l’âge du papier tim­bré aux prises avec les monstres de la civi­li­sa­tion », dans L’illustration, n° 2333, Paris, 15 décembre 1888, p. 443.

Quel accès à une nouvelle lecture du passé tropical ?

Com­ment donc consi­dé­rer l’accès aux concep­tions de l’histoire dite post­co­lo­niale en fai­sant usage des tech­niques les plus contem­po­raines comme inter­net ? En d’autres mots, la tech­no­lo­gie inter­net per­met-elle de se déga­ger de façon plus claire de la « biblio­thèque colo­niale » ? La par­ti­ci­pa­tion mas­sive des pro­fes­sion­nels médi­caux éru­dits à la rédac­tion de la syn­thèse Méde­cine et hygiène a favo­ri­sé son entrée dans les biblio­thèques per­son­nelles ou ins­ti­tu­tion­nelles belges. La ver­sion digi­ta­li­sée est même dis­po­nible sur le site inter­net de l’Institut de méde­cine tro­pi­cale d’Anvers. Cela dit, l’internaute dési­reux de consul­ter les docu­ments uti­li­sés plus haut pour cri­ti­quer la com­po­sante cultu­relle de la colo­ni­sa­tion, devra se rendre dans diverses biblio­thèques. Dès lors, la nature impri­mée et non digi­ta­li­sée des dif­fé­rentes sources comme la Revue de l’Aucam, les écrits de Van­de­ryst ou encore la Bio­gra­phie colo­niale belge/ Bio­gra­phie belge d’outre-mer, limite, d’une cer­taine manière, la com­pré­hen­sion du pas­sé colonial.

En ce qui concerne les archives d’outre-mer, les docu­ments concer­nant la méde­cine tro­pi­cale sont consul­tables aux archives du minis­tère des Affaires étran­gères dans le « Fonds hygiène », mais leur accès est dif­fi­cile1. Les jeunes inter­nautes consi­dèrent bien sou­vent le centre d’archives comme un lieu vétuste fré­quen­té par des ancêtres à la recherche du pas­sé. Les plus âgés le voient, quant à eux, comme un lieu inac­ces­sible, exclu­si­ve­ment fré­quen­té par les pro­fes­sion­nels de l’«Histoire ». À défaut de se dépla­cer aux archives, les curieux uti­li­se­ront les sys­tèmes d’information de leur géné­ra­tion comme le réseau inter­net ou les conférences.

En Bel­gique, peu d’institutions en charge des anciennes affaires d’outre-mer ont enta­mé la digi­ta­li­sa­tion des archives per­met­tant d’en offrir un accès direct comme cela a été fait, par exemple, pour le pas­sé des cultures noires anglo­phones. La recherche de cer­tains connais­seurs de l’offre cultu­relle vir­tuelle se tour­ne­ra donc vers des moteurs de recherche plus glo­baux comme Google Book ou le ser­vice Gal­li­ca de la Biblio­thèque natio­nale de France2.

À l’heure actuelle, la tech­no­lo­gie inter­net cir­cons­crit la connais­sance du pas­sé médi­cal tro­pi­cal à sa vision cultu­relle. En effet, les sources que nous avons ana­ly­sées pour démys­ti­fier la sépa­ra­tion caté­go­rique entre cultures médi­cales occi­den­tale et afri­caine ne sont pas acces­sibles en ligne. Dès lors, l’analyse des dif­fé­rentes sources du pas­sé médi­cal tro­pi­cal reste sym­bo­li­que­ment culti­vée par une élite professionnelle.

À l’instar de la démarche des théo­ries post­co­lo­niales, il a été ques­tion ici de prendre plus glo­ba­le­ment en compte l’influence des ins­ti­tu­tions colo­niales en matière de dif­fu­sion de l’histoire. La nou­veau­té que connait aujourd’hui la tech­no­lo­gie inter­net a été l’objet d’une mobi­li­sa­tion par­ti­cu­lière par l’Académie royale de Bel­gique, dont nous dési­rons sou­li­gner l’initiative. Cette ins­ti­tu­tion et son par­te­naire, les Archives géné­rales du Royaume, se pro­posent de cen­tra­li­ser les sources du pas­sé natio­nal. Or, les archives du pas­sé d’outre-mer sont tou­jours conser­vées dans les bâti­ments du minis­tère des Affaires étran­gères. Ce main­tien sym­bo­lique et les dif­fi­cul­tés d’accès qu’il implique sont pré­oc­cu­pants. La colo­ni­sa­tion belge ne consti­tue­rait pas seule­ment un objet his­to­rique étran­ger impli­quant une domi­na­tion d’une culture sur une autre, mais plu­tôt un sys­tème de mise en sens cultu­relle qu’il reste à cri­ti­quer, sur papier comme sur internet.

  1. Il est inté­res­sant de men­tion­ner l’initiative fran­çaise de Marie-Albane de Sur­emain qui a par­ti­ci­pé à la mise en ligne d’une plate-forme inter­net qui pro­pose des archives concer­nant l’esclavage : www.eurescl.eu (onglet site péda­go­gique). Il s’agit là d’une alter­na­tive aux manuels sco­laires tra­di­tion­nels. Inter­ac­tif, cet outil péda­go­gique per­met une mise en accès har­mo­ni­sée aux dépouille­ments de fonds nou­vel­le­ment accessibles.
  2. On peut men­tion­ner la digi­ta­li­sa­tion chi­noise de la biblio­thèque de l’université d’Harvard.

Quentin de Becker


Auteur

Quentin de Becker est licencié en histoire et poursuit une thèse de doctorat à l'[Université libre de Bruxelles->http://www.ulb.ac.be] sur l'histoire des élites médicales coloniales belges entre les années 1908 et 1960?