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Que reste-t-il des slogans ?

Numéro 6 - 2019 par Laurence Rosier

septembre 2019

Les slogans de la campagne politique de mai 2019 constituent sans doute une cuvée un peu pauvre. Dégustation sociolinguistique de ce millésime décevant.

Dossier

Autant les périodes précédant les élections voient une attention accrue aux slogans concoctés par les services de communication des partis politiques, autant ces formules semblent tomber aux oubliettes de l’histoire politique le jour J… et les suivants. À moins que ces « cris de ralliement » ne bénéficient d’une seconde vie, lors d’évènements politiques ponctuels, de nouveaux combats voire de détournements et ré-usages pérennes.

Les élections ne sont pas les seuls moments où naissent et renaissent les slogans et les plus inventifs surgissent davantage dans des mouvements de masse informels, comme des manifestations, des sit-in, etc. Ainsi lors des récentes marches pour le climat, les slogans innovants ont été relayés de la rue à la toile, ce qu’Olivier Reboul, auteur d’un livre référence sur les slogans, aurait sans doute classé parmi les antislogans : chaud comme le climat, qui reprend une expression jeune (« tu veux aller au cinéma ? ah oui je suis chaud ») s’est transformé en « plus chaud que les fachos » aux lendemains des élections, avec les scores de l’extrême droite flamande.

Pub ou poésie ?

Les travaux scientifiques sur les slogans sont nombreux. Ainsi les slogans de mai 68 ont fait l’objet d’une attention particulière comme partie prenante d’un patrimoine immatériel, symbole d’une époque libertaire et poétique. En tant que forme brève, le slogan dépasse le cadre strict de la politique puisqu’il y a évidemment des slogans publicitaires et que les réflexions du linguiste Roman Jakobson tissait le lien, pour mieux en faire ressortir les spécificités, entre le discours publicitaire et le discours poétique. Les fonctions émotives et conatives y sont communément présentes : quand la députée européenne PS Marie Arena choisit comme slogan Votez pour l’emmerdeuse de l’Europe, elle utilise un vocabulaire émotionnel (l’insulte) à des fins de retournement politico-ludique ; de la dénonciation de la manière dont on l’a traitée antérieurement, en rebrandissant le stigmate en étendard. Elle reprend également une pratique de groupes contestataires ou de pression plutôt que le jeu de langage des politiques établi.e.s

La facture phonétique joue à la fois dans les slogans électoraux et dans les slogans publicitaires tout comme le discours poétique. Les paroles-slogans de mai 68 se sont inscrits et… écrits dans l’espace public. Mai 68 fut, comme le nomma l’historien Michel de Certeau, une « prise de parole collective ». Ces « paroles » poético-politiques, philosophiques, libertaires, surréalistes, font partie de la mémoire collective, à l’instar des proverbes, dont on a oublié l’origine. Les slogans publicitaires eux surfent sur les vagues, tantôt mimant un simulacre de déstabilisation, tantôt reproduisant les stéréotypes non seulement sociaux, mais langagiers. Les publicités pour Devos Lemmens seraient un cas d’école où le barbecue devient le symbole idéologique d’une classe fictive (celle qui n’est pas végétarienne, ni écologiste, qui s’chert des pots de sauce en plastique, mais cela méritera une autre chronique). Revenons aux sons, les pubs Devos Lemmens jouent sans cesse sur la répétition des sons formant les mots « sauce » et « barbecue », telles les « côte-tributions sauciales » en ces temps de remise des déclarations d’impôts.

On est bien loin de cette dimension lyrique dans les slogans électoraux, plus pragmatiques, mais aussi véritable exercice d’équilibriste tendant à rassembler tout en tentant de mettre en avant un apport distinctif. Et la poésie pourrait apparaitre « dangereuse », soit perçue comme élitiste, scolaire soit au contraire émancipatrice, débordant du cadre rhétorique classique.

Le slogan-ethos

Dans le cas des élections, le slogan doit incarner non seulement les idées fortes politiques d’un parti mais aussi condenser son ethos. Le slogan de campagne doit donc frapper l’oreille, voire l’imagination. Il sera évidemment court pour augmenter sa force de frappe de propagation, se décliner sous des formes numériques (par un # ou complété et augmenté par des vidéos par exemple). On peut aussi ajouter que sa faculté à être détourné fait partie de cette circulation, même si c’est parfois sur le fil du rasoir : la subversion d’un slogan « ridicule » ne bénéficie sans doute pas au sérieux ou à la légitimité d’un parti, mais à l’heure des bad buzz, les choses sont peut-être plus complexes. La France forte de Sarkozy avait connu en 2012 une série de détournements, la France morte, la France Pelforth, etc.

La cuvée 2019 belge a particulièrement joué sur un vocabulaire commun, en évitant des termes « idéologèmes » forts au profit d’adverbes et d’autres mots outils banals — autrement, maintenant, possible, clairement, juste — et reposant sur des rimes peu inventives. On y décerne peu de figures de style remarquables et une abondance de verbes d’action sans compléments : défendre, protéger, denken, durven, doen (Penser. Oser. Agir.), reconstruire, vivre…

Passage en revue linguistique de quelques-unes de ces expressions publicitaires politico-poétiques.

Le slogan résiste-t-il au consensus ?

On remarque d’abord peu de différence idéologique marquée par l’emploi tranché de mots « pleins» ; les mots de droite versus les mots de gauche semblent avoir vécu dans les slogans ce qui a longtemps été une marque de fabrique idéologique (on se souvient bien de la fameuse réplique du président candidat Giscard d’Estaing à François Mitterand sur le « monopole du cœur » qui ne devait pas être l’apanage des socialistes lors des élections françaises de 1981). Ainsi le slogan de la N‑VA, denken, durven, doen (« penser, oser, agir ») est à ce titre exemplaire : qui ne serait pas en accord avec ces injonctions ? Même si l’injonction de penser pouvait être déjà problématique, sans complément : Penser la paix, penser à la paix, penser à soi, aux autres ? À qui ou à quoi pense-t-on ? On ne peut donner un ordre aux fonctions cognitives (on le peut du point de vue linguistique, mais pas avec un résultat performatif immédiat : pleure, ris, jouis ne donne aucune obligation de résultat). Par contre, on peut facilement le détourner ce qui a été immédiatement fait détourné par Greenpeace notamment : « Sortie du nucléaire 2025. Penser. Oser. Agir. » (mai 2019).

Penchons-nous sur le slogan du PTB : Le programme social, c’est vraiment phénoménal. Nous avons bien affaire à un alexandrin donc à un slogan poétique. Je serais tentée d’y voir une certaine fidélité au réalisme socialiste à la Aragon, une esthétique combinant une forme de la culture légitime et historique, l’alexandrin, avec la culture de masse du mix tape franchouillard Il est vraiment Phénoménal du Phénoménal Club, groupe franco-belge qui marqua l’été 97 et entonné régulièrement dans les lieux et évènements de liesse populaire.

Défi relève-t-il la chose en matière de slogan ? Clairement plus juste illustre un fonctionnement dialogique, qui suppose un dialogue antérieur, intéressant : à l’instar d’autres adverbes comme franchement, honnêtement, le terme initial du slogan suggère une approbation préalable, qui ne semble pas discutable (clairement ou bien sinon c’est que vous ne voyez pas clair) suivi d’une échelle de valeurs tout aussi implicite et ambigüe (juste en quoi ? Plus pertinent que qui?).

Protéger, reconstruire, vivre mieux, slogan du PS, est construit selon une progression morpho-syntaxique et sémantique : protéger, sans complément (qui, de quoi ? protéger aludant aussi la sécurité), reconstruire impliquant, avec le préfixe qu’il y a une destruction antérieure, et l’adverbe mélioratif suppose une échelle elle aussi implicite vivre mieux (qu’avant ? que qui ? c’est quoi mieux?). L’uniquement verbal impose une image d’actions.

Enfin l’optimisme prôné par le MR (Tout est possible — copie du slogan sarkoziste de 2007 —, L’optimisme pour Bruxelles) suggère une vision — mais est-elle vraiment voltairienne ? — plus qu’une action (celle-ci étant présente avec le # complémentaire #BruxellesEnAction). Après tout, on peut regarder la même réalité avec pessimisme ou optimisme, comme envisager le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.

Au cœur du changement, Écolo joue-t-il sur la capacité du mot cœur à rassembler, sur le cœur du cœur du parti socialiste dont on se souvient qu’il a saigné ? Le mot changement est peut-être le seul qui, certes mot bateau en politique, indique une volonté de faire bouger les choses. Mais si Écolo s’estime au cœur du changement (ou que le monde actuel soit en plein cœur du changement), on peut aussi inférer que cette position « au centre » indique une posture d’incontournable des négociations politiques. Au cœur des problématiques actuelles, au centre des positions idéologiques… Dans la même veine centriste, la CDH s’incarne dans un Autrement, maintenant, même si on peut comprendre cet autrement comme faire la même chose que l’ancien gouvernement…, mais d’une autre manière.

Le pauvre tanin poétique des slogans 2019, dont le slogan du parti populaire semble incarner la base langagière Le seul pour vous défendre — ni poésie, ni allusion ni double sens, mais le verbe sans complément rejoint une pratique déjà vue ailleurs (vous défendre de qui, de quoi?) — exprime-t-il finalement la constatation d’une impuissance des mots à métamorphoser le monde ?

Laurence Rosier


Auteur

Née en 1967, Laurence Rosier est licenciée et docteure en philosophie et lettres. Elle est professeure de linguistique, d’analyse du discours et de didactique du français à l’ULB. Auteure de nombreux ouvrages, elle a publié plus de soixante articles dans des revues internationales, a organisé et participé à plus de cinquante colloques internationaux, codirigé de nombreux ouvrages sur des thèmes aussi divers que la ponctuation, le discours comique ou la citation ou encore la langue française sur laquelle elle a coécrit M.A. Paveau, "La langue française passions et polémiques" en 2008. Elle a collaboré au Dictionnaire Colette (Pléiade). Spécialiste de la citation, sa thèse publiée sous le titre "Le discours rapporté : histoire, théories, pratiques" a reçu le prix de l’essai Léopold Rosy de l’Académie belge des langues et lettres. Son "petit traité de l’insulte" (rééd en 2009) a connu un vif succès donnant lieu à un reportage : Espèce de…l’insulte est pas inculte. Elle dirige une revue internationale de linguistique qu’elle a créée avec sa collègue Laura Calabrese : Le discours et la langue. Avec son compagnon Christophe Holemans, elle a organisé deux expositions consacrées aux décrottoirs de Bruxelles : "Décrottoirs !" en 2012. En 2015, elle est commissaire de l’exposition "Salope et autres noms d’oiselles". En novembre 2017 parait son dernier ouvrage intitulé L’insulte … aux femmes (180°), couronné par le prix de l’enseignement et de la formation continue du parlement de la communauté WBI (2019). Elle a été la co-commissaire de l’expo Porno avec Valérie Piette (2018). Laurence Rosier est régulièrement consultée par les médias pour son expertise langagière et féministe. Elle est chroniqueuse du média Les Grenades RTBF et à La Revue nouvelle (Blogue de l’irrégulière). Elle a été élue au comité de gestion de la SCAM en juin 2019.
 Avec le groupe de recherche Ladisco et Striges (études de genres), elle développe des projets autour d’une linguistique « utile » et dans la cité. Elle est Codirectrice de La Revue nouvelle.
La Revue Nouvelle
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