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Que deviendrions-nous sans nos poux ? Pour une écologie politique

Numéro 12 Décembre 2010 par Christophe Mincke

février 2015

Pour les ani­maux à four­rure, les para­sites suceurs sont de véri­tables fléaux. Poux, puces, tiques, aou­tats sont sources de consi­dé­rables nui­sances par l’inconfort qu’ils causent, par les mala­dies qu’ils véhi­culent ou par les com­por­te­ments qu’ils induisent. Qui n’a vu un mal­heu­reux chat se grat­ter jusqu’au sang, au risque de pro­vo­quer une infec­tion pire que la piqure […]

Pour les ani­maux à four­rure, les para­sites suceurs sont de véri­tables fléaux. Poux, puces, tiques, aou­tats sont sources de consi­dé­rables nui­sances par l’inconfort qu’ils causent, par les mala­dies qu’ils véhi­culent ou par les com­por­te­ments qu’ils induisent. Qui n’a vu un mal­heu­reux chat se grat­ter jusqu’au sang, au risque de pro­vo­quer une infec­tion pire que la piqure des puces qu’il cherche à chas­ser ? Nous n’y échap­pons pas : de la peste au typhus, en pas­sant par la mala­die de Lyme, on ne compte plus les nui­sances que pro­voquent les para­sites chez les mam­mi­fères que nous sommes.

Les moyens de lutte contre l’invasion sont légion, de l’agitation per­ma­nente de la queue des che­vaux au bain de boue des san­gliers, en pas­sant par la cara­pace de feuilles que se consti­tue le héris­son. Il est pour­tant un ordre d’animaux qui a tiré son par­ti du fléau para­si­taire. De nom­breux pri­mates, en effet, ont fait de l’épouillage, plus qu’un com­por­te­ment pro­phy­lac­tique, un ins­tru­ment de cohé­sion sociale et de bien-être rela­tion­nel. C’est ce qui nous vaut les images mille fois vues de singes béats se fai­sant toi­let­ter par leurs congé­nères et visi­ble­ment fort aise de leur contamination.

Qui sait si nous ne serions pas davan­tage affec­tueux avec nos enfants si, plu­tôt que de les inon­der de pro­duits chi­miques lorsqu’ils reviennent pouilleux de l’école, nous les épouil­lions avec attention ?
Dans la grande indif­fé­rence qui au­jourd’hui guette cha­cun, les poux pour­raient être nos alliés s’ils n’entrainaient pas dans notre espèce une ségré­ga­tion, plu­tôt qu’un rap­pro­che­ment para­si­to­cide pro­pice aux conta­mi­na­tions et aux échanges de services.

Ne peut-on plus géné­ra­le­ment affir­mer que c’est notre condi­tion d’animaux faibles, à la mer­ci des crocs des car­ni­vores et du froid de l’hiver, qui a fait de nous les êtres gré­gaires et, tant bien que mal, soli­daires que nous sommes ? Dotés de défenses, de cara­paces, de serres ou d’un quel­conque venin, nous n’aurions peut-être pas été obli­gés de nous ren­con­trer, de nous par­ler, de nous ser­rer la main, de nous tenir chaud. Nos enne­mis ont fait beau­coup pour notre humanité.

Non que la vie en socié­té nous pré­mu­nisse contre tous les fléaux, mais que nous y trou­vons sou­vent abri et sou­tien… et confir­ma­tion de notre com­mune huma­ni­té. D’où une ques­tion toute simple en ces temps de natio­na­lismes et d’égoïsmes, où le rejet de popu­la­tions sou­vent vues comme para­sites par ceux qui ne veulent plus être des vaches à lait semble faire flo­rès, et où les replis actuels nous semblent en pro­mettre de nou­veaux : que feront les élites et les pri­vi­lé­giés quand ils se seront débar­ras­sés de leurs poux ? Orphe­lins de leur para­si­tose, ils som­bre­ront dans un confor­table et ter­rible iso­le­ment ; ou alors ils cher­che­ront des poux sur la tête de leurs sem­blables, inca­pables qu’ils seront de s’en pas­ser, dans une fuite en avant infinie.

Gare à l’insatisfaction de cette dépen­dance para­si­taire, non du poux pour la tête, mais bien, à l’inverse, du cuir che­ve­lu se lan­guis­sant de sa faune. Elle pour­rait cau­ser plus de dégâts que les poux aujourd’hui mon­trés du doigt. Car du para­si­tisme à la sym­biose, il n’y a sou­vent qu’un pas : la conscience de ce que la rela­tion n’est pas à sens unique. Et l’écologie nous enseigne que se pri­ver de son par­te­naire sym­bio­tique, c’est ris­quer la dis­pa­ri­tion pure et simple.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.