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Quand pédophilie rime avec misogynie
Alors que l’Église catholique interdit le mariage de ses prêtres, elle a en revanche toléré les abus sexuels et la pédophilie de ceux-ci. Le malaise de cette institution ne vise donc pas tant la sexualité en tant que telle que l’exercice de celle-ci avec les femmes. L’obligation du célibat, et la perversité qu’elle peut entrainer, s’inscrit sur un fond de misogynie et participe à son maintien.
Les affaires concernant les abus sexuels dans l’Église catholique ne sont pas près de se calmer. Chaque semaine révèle de nouveaux cas, de nouveaux pays touchés, de nouveaux types de personnes salies et détruites par des prêtres et des évêques indignes de leur charge pastorale. Des enfants, des religieuses, des handicapés, la liste semble ne plus pouvoir s’arrêter.
On reste sans voix devant le nombre de souffrances trop longtemps tues, de vies ravagées, impossibles, avec parfois le suicide comme seule issue.
On est scandalisé par cette Église qui, acculée à la réalité de ces agissements, se retranche derrière la responsabilité individuelle de chacun et est incapable de trouver les mots ou les gestes d’un minimum d’empathie, elle qui pourtant se prétend l’unique héritière de « la » religion d’un Dieu d’amour.
On voudrait comprendre pourquoi a surgi cette tornade, active depuis trop longtemps, détruisant tout sur son passage dans un silence sordide.
On voudrait tant, surtout, que tout cela ne se soit jamais passé.
Parce que s’il est faux de dire que nous sommes « tous responsables », ce que certains osent essayer de nous faire croire, en revanche, nous sommes toutes et tous consternés, blessés, malades de ce mal et de ces souffrances injustes. Justice doit d’abord et avant tout être faite, évidemment.
Commenter, expliquer, comprendre pourquoi et comment cela a pu se produire. Chercher, proposer, espérer que des solutions puissent être apportées et que la situation se transforme. Parce qu’il faut continuer de vivre, avec tout cela, malgré tout cela.
Une question me taraude parmi d’autres : comment et pourquoi l’Église catholique a‑t-elle toléré les abus sexuels de son clergé sur des enfants, notamment, alors qu’elle « réduit à l’état laïc » (une expression qui en dit long sur la haute considération qu’elle a d’elle-même et des autres!), c’est-à-dire qu’elle éjecte purement et simplement le prêtre qui déclare aimer une femme ? Pourquoi l’Église préfère-t-elle « souffrir dans sa chair », comprenez dans celle de ses prêtres et évêques abuseurs, plutôt que d’accepter que des ministres du culte se mettent, par amour, l’alliance au doigt.
La sexualité n’est vraiment pas la tasse de thé de l’Église catholique
Avant de considérer la perception et l’attitude de l’Église vis-à-vis des femmes, parlons d’abord des discours qu’elle tient sur la sexualité dans lesquels, le moins que l’on puisse dire, est que ses propos sont rigides, moralisateurs, culpabilisants et complètement déconnectés de la réalité d’aujourd’hui. Elle privilégie le principe du respect de La Vie, naturelle, devenue divine puisque donnée par Dieu, plutôt que de soutenir les êtres vivants, emberlificotés qu’ils sont bien souvent dans leur existence tumultueuse et souffrante. La sexualité, haut lieu à ses yeux de la concupiscence, ne devrait s’exercer que dans le cadre du mariage et en vue de la seule procréation et ce, parce qu’il n’est vraiment pas possible de s’en passer tout à fait, ce qui serait cependant préférable à ses yeux. C’est la raison pour laquelle elle interdit tous les moyens « artificiels » de contraception, l’avortement, la procréation in vitro, la recherche sur les embryons, et j’en passe… voire pire lorsqu’elle interdit l’usage de préservatifs (il se trouva même en Afrique des évêques pour déclarer que le sida était provoqué par leur usage). Ça c’est pour les laïcs. Quant à ses prêtres, ce n’est que depuis moins de dix siècles qu’elle leur interdit le mariage, argüant d’une prétendue incompatibilité avec le ministère. À un mariage, elle préfère que son clergé, condamné à vivre dans une solitude affective qui se révèle parfois insupportable, se débrouille comme il le peut avec sa sexualité, entrainant les conséquences tragiques que l’on connait aujourd’hui, qu’elle savait et taisait.
Aimer une femme n’est donc pas compatible avec le sacerdoce, mais abuser d’enfants ne semble pas poser trop de difficultés à ses yeux puisque cela n’entrainait au pire, et encore pas toujours, qu’un déplacement dans une autre paroisse, voire une retraite paisible dans un couvent!: « Il fallait quand même bien admettre, de temps en temps, que la chair est faible, n’est-ce pas ? Pouvait-on leur jeter la pierre ? »
Il ne se trouvera personne pour affirmer que l’exercice de la sexualité soit quelque chose de simple ou que le mariage soit une panacée, mais il n’empêche que l’Église n’a fait preuve jusqu’ici d’aucune capacité à aborder celle-ci dans le respect de la réalité des êtres humains. Elle s’est contentée de proférer des interdictions et une morale culpabilisatrice, en même temps qu’elle ose se prétendre détentrice de la seule religion et la seule morale qui vaillent. Un comble au regard de la situation connue aujourd’hui ! Elle aurait certainement gagné à lire Pascal quand il écrivait : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange, fait la bête ». Car la bête se révéla être immonde…
Le bouc émissaire de l’Église, ce sont les femmes
Il est impossible de relever ici tout ce que l’Église, depuis ses origines, a pu écrire sur les femmes et il faudra dès lors se contenter de quelques extraits significatifs.
Comme l’affirme Ivone Gebara dans Le mal au féminin (L’Harmattan, 1999), l’homme, créé à l’image de Dieu, « fait » parfois le mal, lequel peut donc être réparé et pardonné. Tandis que la femme, elle, arrivée en second, non pas créée à l’image de Dieu mais de l’homme, « est », par nature, un être mauvais, qui doit dès lors être cadré, ou encadré, dans le mariage, sous la domination de son mari. Parce que, comme Eve, les femmes « sont » désobéissantes et séductrices. Ce sont elles qui attirent les hommes dans la concupiscence et la luxure.
À l’inverse, la seule image féminine que l’Église tolère et présente même comme modèle, est celui de la Vierge Marie qui aurait conçu Jésus de façon « immaculée », c’est-à-dire, sans rapport sexuel avec un homme, fût-il saint. Tandis que la maternité exemplaire de la Vierge est célébrée, sa féminité, elle, est tout simplement niée parce qu’elle serait indigne de la mère de Dieu.
Saint Paul, déjà, dans sa lettre à Timothée, recommande aux femmes d’avoir une tenue décente, de garder le silence pendant les instructions, en toute soumission, et de se tenir tranquilles. Elles ne peuvent ni enseigner ni faire la loi aux hommes. Néanmoins, elles peuvent être sauvées en devenant mères, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté (Tim, 2, 9 – 15).
Au XIIIe siècle, le grand saint Thomas d’Aquin n’a‑t-il pas affirmé : « S’il n’y avait pas un pouvoir [divin] qui voulait que le sexe féminin existe, la naissance d’une femme ne serait rien d’autre qu’un accident, comme la naissance des autres monstres [= un chien à deux têtes, un veau à cinq pattes, etc.]».
Il y a quelques mois, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, disait à propos de l’ordination des femmes : « Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête ». De la part d’un homme qui porte la soutane, cela ne manque pas de croustillant !
Citons encore l’archevêque de Belgique, Mgr Léonard, qui va jusqu’à faire de la misogynie préventive lorsqu’il demande aux curés de paroisse de veiller à ce qu’il y ait davantage d’acolytes garçons que filles, parce que c’est en servant la messe, dit-il, que nait l’envie de devenir prêtre.
Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, mais qui expriment bien la méfiance viscérale de l’Église vis-à-vis des femmes, au point de ne les tolérer que sous contrôle conjugal et dans leur rôle de mère. Quant à leur donner une place au sein de la hiérarchie de l’institution, il ne saurait évidemment en être question : le plafond de verre si difficile à dépasser pour les femmes en général est, dans ce cas, particulièrement bas et opaque. Ordonner prêtres des femmes « impures par nature » est tout simplement impensable.
Ces extraits tentent seulement de montrer dans quelle atmosphère baignent les chrétiens en général et les futurs prêtres, en particulier, dont on ne peut nier par ailleurs le grand idéal qui les anime. Mais cette misogynie de l’institution entraine les prêtres dans une posture de défiance et de retrait qui rend, pour certains, très difficile une relation saine avec les femmes. L’obligation du célibat rend non seulement impossible l’exercice « normal » de la sexualité, mais soumet les prêtres à une solitude affective et sexuelle parfois insoutenable sur le long terme, pour une partie d’entre eux en tout cas.
De l’obligation du célibat et de ses conséquences
Confrontés à ce qui ressemble à une véritable castration morale, source de souffrances inutiles et inhumaines, certains prêtres, qui sont aussi des êtres humains après tout et pas seulement les surhommes qu’ils pensaient devenir, mettent en place divers scénarios. S’ils veulent rester dans l’Église — décider de la quitter entraine de grandes difficultés de réinsertion professionnelle notamment, pour lesquelles l’institution ne propose aucun soutien —, l’exercice de leur sexualité ne pourra se faire que sous le boisseau.
Certains, bravant l’interdit, entretiennent une relation amoureuse clandestine avec une femme et mènent, parfois, une double vie, de curé célibataire côté paroisse et, à des kilomètres de distance, d’homme et de père côté famille. Avec toutes les conséquences sociales, économiques et psychologiques que l’on peut deviner, non seulement pour eux, mais surtout pour leur femmes et leurs enfants. D’autres entretiennent une relation homosexuelle, clandestine elle aussi. D’autres encore s’adonnent à des pratiques solitaires, fréquentent des lieux spécialisés, ou, enfin, profitent de leur position pastorale pour commettre les abus que l’on connait sur les plus faibles qui leur sont confiés.
Un abus sexuel est un délit et doit être jugé comme tel. Si la proportion de prêtres et évêques abuseurs ne semble pas être plus importante que dans la population en général, cet acte est particulièrement intolérable lorsqu’il est commis par des adultes, censés représenter des modèles de grande valeur morale, sur des êtres plus vulnérables dont ils sont, pour cette raison même, responsables. Ce faisant, ces prêtres et ces évêques font preuve d’un manque de maturité, de sens moral et de leur responsabilité, et de fidélité à leur fonction qui n’est pas admissible.
Le célibat, expression de la misogynie de l’Église catholique
L’obligation du célibat a été imposée au XIIe siècle dans un climat de misogynie qui existait depuis toujours, non seulement dans l’Église catholique, mais également dans d’autres religions ainsi que dans la société tout entière. En cela, l’Église catholique s’est radicalement distanciée de son fondateur, lequel n’avait pas hésité à entretenir avec des femmes des relations d’égal à égale et à leur confier certaines missions importantes. Le rôle subversif de Jésus est rapidement tombé aux oubliettes, et l’Église, à cet égard, s’est contentée non seulement de se fondre dans l’atmosphère générale, mais plus encore, de renforcer la misogynie ambiante en lui donnant une légitimité divine.
L’obligation du célibat visait à préserver et à exiger la pureté des prêtres célébrant le sacrifice eucharistique, pureté qui constituait à ne pas avoir de relation sexuelle avec une femme, fût-ce la leur. Il était dès lors plus simple, si les prêtres voulaient rester purs — et ils devaient l’être —, qu’ils ne se marient pas. C’était donc bien l’exercice de la sexualité pratiquée avec les femmes qui faisait et fait toujours l’objet de cette interdiction.
Mais si l’obligation du célibat s’est inscrite sur une lame de fond misogyne, elle contribue également aujourd’hui encore à alimenter cette misogynie. En effet, les prêtres doivent se mettre dans certaines conditions pour être capables de respecter cette règle et éviter que les femmes ne les entrainent sur la mauvaise voie. Il s’agit de s’en méfier étant donné la représentation négative qui est faite d’elles. Au minimum, ils doivent avoir la prudence de garder distance. Devenir prêtre, c’est choisir une voie de sainteté et de pureté dans laquelle une femme ne peut avoir de place étant donné sa « nature mauvaise et séductrice » dont les prêtres ne seraient que les victimes.
On peut dès lors comprendre — pas excuser — que dans un contexte tel que celui-là, certains ecclésiastiques, cherchant malgré tout à respecter la règle du célibat qui leur est imposée, « choisissent » d’exercer leur sexualité de façon autre, et notamment sur les enfants qu’ils ont l’occasion de fréquenter dans le cadre de leur mission d’évêque, de prêtre, de professeur, d’aumônier, etc. Si les abus sexuels se sont majoritairement commis sur des garçons, ce n’est probablement pas uniquement à cause des circonstances et du contexte qui permettait aux abuseurs de les rencontrer.
Que l’on ne se méprenne pas, ce n’est pas le célibat en tant que tel qui est visé ici, mais bien le fait que le célibat soit une condition de la prêtrise. Et sans doute, l’obligation du célibat n’est-elle pas non plus l’explication ultime des comportements abusifs de certains prêtres et évêques. Mais elle y contribue assurément. Il s’agit donc effectivement d’une règle structurelle de cette institution qui doit être remise en question, si l’on veut éviter qu’à l’avenir pareilles déviations ne se poursuivent. On peut d’ailleurs rappeler que les autres Églises chrétiennes n’ont pas la même exigence : des hommes mariés peuvent être ordonnés prêtres orthodoxes, et les pasteurs protestants, femmes ou hommes, peuvent se marier comme tout un chacun. Oserait-on prétendre que, du fait de leur mariage, les ministres de ces cultes seraient moins « purs » et moins « dignes de leur fonction » que les prêtres catholiques ? L’argument avancé par le Vatican pour justifier l’obligation du célibat n’est finalement que l’expression d’une misogynie viscérale que l’Église catholique semble encore bien loin de pouvoir reconnaitre et, à fortiori, de vouloir s’en départir.