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Quand pédophilie rime avec misogynie

Numéro 12 Décembre 2010 par Françoise Gendebien

décembre 2010

Alors que l’É­glise catho­lique inter­dit le mariage de ses prêtres, elle a en revanche tolé­ré les abus sexuels et la pédo­phi­lie de ceux-ci. Le malaise de cette ins­ti­tu­tion ne vise donc pas tant la sexua­li­té en tant que telle que l’exer­cice de celle-ci avec les femmes. L’o­bli­ga­tion du céli­bat, et la per­ver­si­té qu’elle peut entrai­ner, s’ins­crit sur un fond de miso­gy­nie et par­ti­cipe à son maintien.

Les affaires concer­nant les abus sexuels dans l’Église catho­lique ne sont pas près de se cal­mer. Chaque semaine révèle de nou­veaux cas, de nou­veaux pays tou­chés, de nou­veaux types de per­sonnes salies et détruites par des prêtres et des évêques indignes de leur charge pas­to­rale. Des enfants, des reli­gieuses, des han­di­ca­pés, la liste semble ne plus pou­voir s’arrêter.

On reste sans voix devant le nombre de souf­frances trop long­temps tues, de vies rava­gées, impos­sibles, avec par­fois le sui­cide comme seule issue.

On est scan­da­li­sé par cette Église qui, accu­lée à la réa­li­té de ces agis­se­ments, se retranche der­rière la res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle de cha­cun et est inca­pable de trou­ver les mots ou les gestes d’un mini­mum d’empathie, elle qui pour­tant se pré­tend l’unique héri­tière de « la » reli­gion d’un Dieu d’amour.

On vou­drait com­prendre pour­quoi a sur­gi cette tor­nade, active depuis trop long­temps, détrui­sant tout sur son pas­sage dans un silence sordide.

On vou­drait tant, sur­tout, que tout cela ne se soit jamais passé.

Parce que s’il est faux de dire que nous sommes « tous res­pon­sables », ce que cer­tains osent essayer de nous faire croire, en revanche, nous sommes toutes et tous conster­nés, bles­sés, malades de ce mal et de ces souf­frances injustes. Jus­tice doit d’abord et avant tout être faite, évidemment.

Com­men­ter, expli­quer, com­prendre pour­quoi et com­ment cela a pu se pro­duire. Cher­cher, pro­po­ser, espé­rer que des solu­tions puissent être appor­tées et que la situa­tion se trans­forme. Parce qu’il faut conti­nuer de vivre, avec tout cela, mal­gré tout cela.

Une ques­tion me taraude par­mi d’autres : com­ment et pour­quoi l’Église catho­lique a‑t-elle tolé­ré les abus sexuels de son cler­gé sur des enfants, notam­ment, alors qu’elle « réduit à l’état laïc » (une expres­sion qui en dit long sur la haute consi­dé­ra­tion qu’elle a d’elle-même et des autres!), c’est-à-dire qu’elle éjecte pure­ment et sim­ple­ment le prêtre qui déclare aimer une femme ? Pour­quoi l’Église pré­fère-t-elle « souf­frir dans sa chair », com­pre­nez dans celle de ses prêtres et évêques abu­seurs, plu­tôt que d’accepter que des ministres du culte se mettent, par amour, l’alliance au doigt.

La sexualité n’est vraiment pas la tasse de thé de l’Église catholique

Avant de consi­dé­rer la per­cep­tion et l’attitude de l’Église vis-à-vis des femmes, par­lons d’abord des dis­cours qu’elle tient sur la sexua­li­té dans les­quels, le moins que l’on puisse dire, est que ses pro­pos sont rigides, mora­li­sa­teurs, culpa­bi­li­sants et com­plè­te­ment décon­nec­tés de la réa­li­té d’aujourd’hui. Elle pri­vi­lé­gie le prin­cipe du res­pect de La Vie, natu­relle, deve­nue divine puisque don­née par Dieu, plu­tôt que de sou­te­nir les êtres vivants, ember­li­fi­co­tés qu’ils sont bien sou­vent dans leur exis­tence tumul­tueuse et souf­frante. La sexua­li­té, haut lieu à ses yeux de la concu­pis­cence, ne devrait s’exercer que dans le cadre du mariage et en vue de la seule pro­créa­tion et ce, parce qu’il n’est vrai­ment pas pos­sible de s’en pas­ser tout à fait, ce qui serait cepen­dant pré­fé­rable à ses yeux. C’est la rai­son pour laquelle elle inter­dit tous les moyens « arti­fi­ciels » de contra­cep­tion, l’avortement, la pro­créa­tion in vitro, la recherche sur les embryons, et j’en passe… voire pire lorsqu’elle inter­dit l’usage de pré­ser­va­tifs (il se trou­va même en Afrique des évêques pour décla­rer que le sida était pro­vo­qué par leur usage). Ça c’est pour les laïcs. Quant à ses prêtres, ce n’est que depuis moins de dix siècles qu’elle leur inter­dit le mariage, argüant d’une pré­ten­due incom­pa­ti­bi­li­té avec le minis­tère. À un mariage, elle pré­fère que son cler­gé, condam­né à vivre dans une soli­tude affec­tive qui se révèle par­fois insup­por­table, se débrouille comme il le peut avec sa sexua­li­té, entrai­nant les consé­quences tra­giques que l’on connait aujourd’hui, qu’elle savait et taisait.

Aimer une femme n’est donc pas com­pa­tible avec le sacer­doce, mais abu­ser d’enfants ne semble pas poser trop de dif­fi­cul­tés à ses yeux puisque cela n’entrainait au pire, et encore pas tou­jours, qu’un dépla­ce­ment dans une autre paroisse, voire une retraite pai­sible dans un couvent!: « Il fal­lait quand même bien admettre, de temps en temps, que la chair est faible, n’est-ce pas ? Pou­vait-on leur jeter la pierre ? »

Il ne se trou­ve­ra per­sonne pour affir­mer que l’exercice de la sexua­li­té soit quelque chose de simple ou que le mariage soit une pana­cée, mais il n’empêche que l’Église n’a fait preuve jusqu’ici d’aucune capa­ci­té à abor­der celle-ci dans le res­pect de la réa­li­té des êtres humains. Elle s’est conten­tée de pro­fé­rer des inter­dic­tions et une morale culpa­bi­li­sa­trice, en même temps qu’elle ose se pré­tendre déten­trice de la seule reli­gion et la seule morale qui vaillent. Un comble au regard de la situa­tion connue aujourd’hui ! Elle aurait cer­tai­ne­ment gagné à lire Pas­cal quand il écri­vait : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le mal­heur veut que qui veut faire l’ange, fait la bête ». Car la bête se révé­la être immonde…

Le bouc émissaire de l’Église, ce sont les femmes

Il est impos­sible de rele­ver ici tout ce que l’Église, depuis ses ori­gines, a pu écrire sur les femmes et il fau­dra dès lors se conten­ter de quelques extraits significatifs.

Comme l’affirme Ivone Geba­ra dans Le mal au fémi­nin (L’Harmattan, 1999), l’homme, créé à l’image de Dieu, « fait » par­fois le mal, lequel peut donc être répa­ré et par­don­né. Tan­dis que la femme, elle, arri­vée en second, non pas créée à l’image de Dieu mais de l’homme, « est », par nature, un être mau­vais, qui doit dès lors être cadré, ou enca­dré, dans le mariage, sous la domi­na­tion de son mari. Parce que, comme Eve, les femmes « sont » déso­béis­santes et séduc­trices. Ce sont elles qui attirent les hommes dans la concu­pis­cence et la luxure.

À l’inverse, la seule image fémi­nine que l’Église tolère et pré­sente même comme modèle, est celui de la Vierge Marie qui aurait conçu Jésus de façon « imma­cu­lée », c’est-à-dire, sans rap­port sexuel avec un homme, fût-il saint. Tan­dis que la mater­ni­té exem­plaire de la Vierge est célé­brée, sa fémi­ni­té, elle, est tout sim­ple­ment niée parce qu’elle serait indigne de la mère de Dieu.

Saint Paul, déjà, dans sa lettre à Timo­thée, recom­mande aux femmes d’avoir une tenue décente, de gar­der le silence pen­dant les ins­truc­tions, en toute sou­mis­sion, et de se tenir tran­quilles. Elles ne peuvent ni ensei­gner ni faire la loi aux hommes. Néan­moins, elles peuvent être sau­vées en deve­nant mères, à condi­tion de per­sé­vé­rer avec modes­tie dans la foi, la cha­ri­té et la sain­te­té (Tim, 2, 9 – 15).

Au XIIIe siècle, le grand saint Tho­mas d’Aquin n’a‑t-il pas affir­mé : « S’il n’y avait pas un pou­voir [divin] qui vou­lait que le sexe fémi­nin existe, la nais­sance d’une femme ne serait rien d’autre qu’un acci­dent, comme la nais­sance des autres monstres [= un chien à deux têtes, un veau à cinq pattes, etc.]».

Il y a quelques mois, le car­di­nal André Vingt-Trois, arche­vêque de Paris et pré­sident de la Confé­rence des évêques de France, disait à pro­pos de l’ordination des femmes : « Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête ». De la part d’un homme qui porte la sou­tane, cela ne manque pas de croustillant !

Citons encore l’archevêque de Bel­gique, Mgr Léo­nard, qui va jusqu’à faire de la miso­gy­nie pré­ven­tive lorsqu’il demande aux curés de paroisse de veiller à ce qu’il y ait davan­tage d’acolytes gar­çons que filles, parce que c’est en ser­vant la messe, dit-il, que nait l’envie de deve­nir prêtre.

Ce ne sont que quelques exemples par­mi tant d’autres, mais qui expriment bien la méfiance vis­cé­rale de l’Église vis-à-vis des femmes, au point de ne les tolé­rer que sous contrôle conju­gal et dans leur rôle de mère. Quant à leur don­ner une place au sein de la hié­rar­chie de l’institution, il ne sau­rait évi­dem­ment en être ques­tion : le pla­fond de verre si dif­fi­cile à dépas­ser pour les femmes en géné­ral est, dans ce cas, par­ti­cu­liè­re­ment bas et opaque. Ordon­ner prêtres des femmes « impures par nature » est tout sim­ple­ment impensable.

Ces extraits tentent seule­ment de mon­trer dans quelle atmo­sphère baignent les chré­tiens en géné­ral et les futurs prêtres, en par­ti­cu­lier, dont on ne peut nier par ailleurs le grand idéal qui les anime. Mais cette miso­gy­nie de l’institution entraine les prêtres dans une pos­ture de défiance et de retrait qui rend, pour cer­tains, très dif­fi­cile une rela­tion saine avec les femmes. L’obligation du céli­bat rend non seule­ment impos­sible l’exercice « nor­mal » de la sexua­li­té, mais sou­met les prêtres à une soli­tude affec­tive et sexuelle par­fois insou­te­nable sur le long terme, pour une par­tie d’entre eux en tout cas.

De l’obligation du célibat et de ses conséquences

Confron­tés à ce qui res­semble à une véri­table cas­tra­tion morale, source de souf­frances inutiles et inhu­maines, cer­tains prêtres, qui sont aus­si des êtres humains après tout et pas seule­ment les sur­hommes qu’ils pen­saient deve­nir, mettent en place divers scé­na­rios. S’ils veulent res­ter dans l’Église — déci­der de la quit­ter entraine de grandes dif­fi­cul­tés de réin­ser­tion pro­fes­sion­nelle notam­ment, pour les­quelles l’institution ne pro­pose aucun sou­tien —, l’exercice de leur sexua­li­té ne pour­ra se faire que sous le boisseau.

Cer­tains, bra­vant l’interdit, entre­tiennent une rela­tion amou­reuse clan­des­tine avec une femme et mènent, par­fois, une double vie, de curé céli­ba­taire côté paroisse et, à des kilo­mètres de dis­tance, d’homme et de père côté famille. Avec toutes les consé­quences sociales, éco­no­miques et psy­cho­lo­giques que l’on peut devi­ner, non seule­ment pour eux, mais sur­tout pour leur femmes et leurs enfants. D’autres entre­tiennent une rela­tion homo­sexuelle, clan­des­tine elle aus­si. D’autres encore s’adonnent à des pra­tiques soli­taires, fré­quentent des lieux spé­cia­li­sés, ou, enfin, pro­fitent de leur posi­tion pas­to­rale pour com­mettre les abus que l’on connait sur les plus faibles qui leur sont confiés.

Un abus sexuel est un délit et doit être jugé comme tel. Si la pro­por­tion de prêtres et évêques abu­seurs ne semble pas être plus impor­tante que dans la popu­la­tion en géné­ral, cet acte est par­ti­cu­liè­re­ment into­lé­rable lorsqu’il est com­mis par des adultes, cen­sés repré­sen­ter des modèles de grande valeur morale, sur des êtres plus vul­né­rables dont ils sont, pour cette rai­son même, res­pon­sables. Ce fai­sant, ces prêtres et ces évêques font preuve d’un manque de matu­ri­té, de sens moral et de leur res­pon­sa­bi­li­té, et de fidé­li­té à leur fonc­tion qui n’est pas admissible.

Le célibat, expression de la misogynie de l’Église catholique

L’obligation du céli­bat a été impo­sée au XIIe siècle dans un cli­mat de miso­gy­nie qui exis­tait depuis tou­jours, non seule­ment dans l’Église catho­lique, mais éga­le­ment dans d’autres reli­gions ain­si que dans la socié­té tout entière. En cela, l’Église catho­lique s’est radi­ca­le­ment dis­tan­ciée de son fon­da­teur, lequel n’avait pas hési­té à entre­te­nir avec des femmes des rela­tions d’égal à égale et à leur confier cer­taines mis­sions impor­tantes. Le rôle sub­ver­sif de Jésus est rapi­de­ment tom­bé aux oubliettes, et l’Église, à cet égard, s’est conten­tée non seule­ment de se fondre dans l’atmosphère géné­rale, mais plus encore, de ren­for­cer la miso­gy­nie ambiante en lui don­nant une légi­ti­mi­té divine.

L’obligation du céli­bat visait à pré­ser­ver et à exi­ger la pure­té des prêtres célé­brant le sacri­fice eucha­ris­tique, pure­té qui consti­tuait à ne pas avoir de rela­tion sexuelle avec une femme, fût-ce la leur. Il était dès lors plus simple, si les prêtres vou­laient res­ter purs — et ils devaient l’être —, qu’ils ne se marient pas. C’était donc bien l’exercice de la sexua­li­té pra­ti­quée avec les femmes qui fai­sait et fait tou­jours l’objet de cette interdiction.

Mais si l’obligation du céli­bat s’est ins­crite sur une lame de fond miso­gyne, elle contri­bue éga­le­ment aujourd’hui encore à ali­men­ter cette miso­gy­nie. En effet, les prêtres doivent se mettre dans cer­taines condi­tions pour être capables de res­pec­ter cette règle et évi­ter que les femmes ne les entrainent sur la mau­vaise voie. Il s’agit de s’en méfier étant don­né la repré­sen­ta­tion néga­tive qui est faite d’elles. Au mini­mum, ils doivent avoir la pru­dence de gar­der dis­tance. Deve­nir prêtre, c’est choi­sir une voie de sain­te­té et de pure­té dans laquelle une femme ne peut avoir de place étant don­né sa « nature mau­vaise et séduc­trice » dont les prêtres ne seraient que les victimes.

On peut dès lors com­prendre — pas excu­ser — que dans un contexte tel que celui-là, cer­tains ecclé­sias­tiques, cher­chant mal­gré tout à res­pec­ter la règle du céli­bat qui leur est impo­sée, « choi­sissent » d’exercer leur sexua­li­té de façon autre, et notam­ment sur les enfants qu’ils ont l’occasion de fré­quen­ter dans le cadre de leur mis­sion d’évêque, de prêtre, de pro­fes­seur, d’aumônier, etc. Si les abus sexuels se sont majo­ri­tai­re­ment com­mis sur des gar­çons, ce n’est pro­ba­ble­ment pas uni­que­ment à cause des cir­cons­tances et du contexte qui per­met­tait aux abu­seurs de les rencontrer.

Que l’on ne se méprenne pas, ce n’est pas le céli­bat en tant que tel qui est visé ici, mais bien le fait que le céli­bat soit une condi­tion de la prê­trise. Et sans doute, l’obligation du céli­bat n’est-elle pas non plus l’explication ultime des com­por­te­ments abu­sifs de cer­tains prêtres et évêques. Mais elle y contri­bue assu­ré­ment. Il s’agit donc effec­ti­ve­ment d’une règle struc­tu­relle de cette ins­ti­tu­tion qui doit être remise en ques­tion, si l’on veut évi­ter qu’à l’avenir pareilles dévia­tions ne se pour­suivent. On peut d’ailleurs rap­pe­ler que les autres Églises chré­tiennes n’ont pas la même exi­gence : des hommes mariés peuvent être ordon­nés prêtres ortho­doxes, et les pas­teurs pro­tes­tants, femmes ou hommes, peuvent se marier comme tout un cha­cun. Ose­rait-on pré­tendre que, du fait de leur mariage, les ministres de ces cultes seraient moins « purs » et moins « dignes de leur fonc­tion » que les prêtres catho­liques ? L’argument avan­cé par le Vati­can pour jus­ti­fier l’obligation du céli­bat n’est fina­le­ment que l’expression d’une miso­gy­nie vis­cé­rale que l’Église catho­lique semble encore bien loin de pou­voir recon­naitre et, à for­tio­ri, de vou­loir s’en départir.

Françoise Gendebien


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