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Quand les banquiers hypothèquent l’avenir

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Olyeka Demugir

juillet 2009

Dans la pers­pec­tive du som­met du G20 du 2 avril, le secré­taire géné­ral du FMI avait annon­cé que les recettes iden­ti­fiées six mois plus tôt à Washing­ton (15 novembre) péchaient par manque d’efficacité pour deux rai­sons. La pre­mière avait trait à la faible coor­di­na­tion des réponses appor­tées par les pays. La deuxième tenait aux résis­tances des banques à apurer […]

Dans la pers­pec­tive du som­met du G20 du 2 avril, le secré­taire géné­ral du FMI avait annon­cé que les recettes iden­ti­fiées six mois plus tôt à Washing­ton (15 novembre) péchaient par manque d’efficacité pour deux rai­sons. La pre­mière avait trait à la faible coor­di­na­tion des réponses appor­tées par les pays. La deuxième tenait aux résis­tances des banques à apu­rer leur comp­ta­bi­li­té et à faire preuve de trans­pa­rence en en expur­geant les actifs toxiques. Quelques jours plus tard, mal­gré l’incertitude liée à l’exercice, l’institution de Washing­ton1 se hasar­dait quand même à éva­luer les pertes de valeur à la somme astro­no­mique de 4.054 mil­liards de dol­lars dont deux tiers concer­naient les seules banques (le reste se répar­tis­sant entre assu­reurs, fonds de pen­sion et autres fonds d’investissement).

Les banques amé­ri­caines auraient déjà par­cou­ru la moi­tié du che­min en réa­li­sant 48% de moins-values (sur un mon­tant total de 2.093 mil­liards) tan­dis que les banques de la zone euro avaient four­ni 17% et les banques anglaises pas­saient par pertes et pro­fits 35% de l’effort global.

Il faut signa­ler à cet égard que le retard euro­péen s’explique par le fait que, contrai­re­ment à ce qui a été fait aux États-Unis, le stress test (test de résis­tance) euro­péen éva­luant les capa­ci­tés de son sys­tème ban­caire à tra­ver­ser la tem­pête n’est pas encore opé­ra­tion­nel et que les résul­tats ne seront pas divul­gués pour chaque banque indi­vi­duel­le­ment, ce qui réduit la pres­sion pesant sur elles.

Tant que toute la clar­té n’aura pas été faite, la méfiance entre les acteurs ban­caires et finan­ciers sub­sis­te­ra, ce qui enraye­ra le bon fonc­tion­ne­ment du mar­ché du cré­dit. Cela se res­sent sur l’économie réelle car cela implique un dur­cis­se­ment des condi­tions de finan­ce­ment, tant pour les entre­prises et les ménages que… pour les banques elles-mêmes. Or, l’accès au cré­dit à un coût rai­son­nable est fon­da­men­tal à la croissance.

Ce n’est donc pas un hasard si au début de la crise (automne 2008), les pers­pec­tives de crois­sance pour 2009 étaient pires pour les États-Unis (épi­centre de la crise) que pour la zone euro (res­pec­ti­ve­ment : – 0,7% et – 0,5%), mais que la situa­tion éco­no­mique s’était beau­coup plus dégra­dée dans la zone euro (– 2,0% contre « seule­ment » – 1,6% aux États-Unis) en jan­vier et que la reprise y était dif­fé­rée (chiffres 2010 : États-Unis : 1,6%; zone euro : 0,2%).

D’autre part, comme la chute des cours bour­siers des banques a pour effet d’abaisser leur ratio de fonds propres (déter­mi­né comme le ratio entre leur capi­tal et le total des actifs), le FMI n’excluait pas la néces­si­té de pro­cé­der à de nou­velles reca­pi­ta­li­sa­tions pour les main­te­nir au-des­sus de la ligne de flot­tai­son. D’un point de vue macroé­co­no­mique, une baisse de ce ratio d’un point de pourcent ampute le PIB réel de 1,5% car les banques, plus poin­tilleuses, sont moins dis­po­sées à faire du cré­dit (ce qui réduit le total des actifs).

La crise plombe non seule­ment la crois­sance du PIB, mais aus­si la crois­sance poten­tielle du PIB qui est la crois­sance théo­rique du PIB si le stock de capi­tal et les tra­vailleurs étaient uti­li­sés à leur maxi­mum. Ain­si, la Banque natio­nale de Bel­gique esti­mait que la crois­sance poten­tielle était tom­bée de 1,8% du PIB en 2006 – 2008 à envi­ron 1% en 2009 – 20102, la baisse s’expliquant par de moindres gains de pro­duc­ti­vi­té et un taux de chô­mage de longue durée plus éle­vé (parce que les deman­deurs d’emploi, en par­ti­cu­lier les jeunes, ont moins d’opportunités de décro­cher un emploi ; que les entre­prises qui se trouvent avec des stocks consi­dé­rables sur les bras ou en sur­ca­pa­ci­té ne pro­cèdent plus à des inves­tis­se­ments de rem­pla­ce­ment ou de moder­ni­sa­tion, faute de pers­pec­tive encou­ra­geante du point de vue de leurs car­nets de com­mande ou en rai­son des dif­fi­cul­tés à accé­der au cré­dit ; les ménages épargnent davan­tage par crainte de l’avenir et donc consomment moins, créant de ce fait moins d’activité, ce qui exa­cerbe les phé­no­mènes précédents).

Cette digres­sion tech­nique n’est pas sans consé­quence sur la sou­te­na­bi­li­té des finances publiques dans le contexte immi­nent du vieillis­se­ment démo­gra­phique. En effet, une étude de l’Union euro­péenne3 indi­quait récem­ment que la crise alour­dis­sait la fac­ture du choc démo­gra­phique (cal­cu­lé d’ici à 2060) de 1,8% du PIB pour la zone euro et de 3,6% pour la Bel­gique dont le coût total s’élèverait à 10,5% (soit les 6,9% esti­més hors crise aux­quels on ajoute les 3,6%).

Or, il n’y a pas de mys­tère pour garan­tir une maî­trise des finances publiques face à un tel chal­lenge. Soit il faut aug­men­ter les recettes en aug­men­tant les impôts et les diverses taxes et en ren­for­çant la lutte contre la fraude fis­cale. Soit il faut cou­per dans les dépenses pour rééqui­li­brer la balance. Le cou­rant de pen­sée idéo­lo­gique res­tant mal­gré tout le libé­ra­lisme éco­no­mique quoi qu’on en dise (voir le débat sur une reré­gu­la­tion par l’État), c’est plu­tôt la deuxième option qui sera rete­nue. Concrè­te­ment, cela signi­fie une accé­lé­ra­tion des réformes struc­tu­relles (c’est d’ailleurs le mes­sage du Conseil euro­péen de mars), autre­ment dit : des condi­tions plus res­tric­tives pour accé­der aux allo­ca­tions de chô­mage, plus d’ardeur pour rele­ver l’âge de départ à la retraite (comme conve­nu par le Conseil euro­péen de Bar­ce­lone en 2002), un encou­ra­ge­ment des pen­sions pri­vées (contre­ba­lan­cé néan­moins par une volon­té de la Com­mis­sion euro­péenne de mieux pro­té­ger les petits épar­gnants et les tra­vailleurs coti­sants en légi­fé­rant) et un affai­blis­se­ment des ser­vices publics dont le flou juri­dique qui les entoure en fait des proies faciles à libéraliser.

Par consé­quent et alors que beau­coup voyaient dans la crise le fos­soyeur du néo­li­bé­ra­lisme et le signe avant-cou­reur du retour de l’État dont le rôle avait été rame­né à la por­tion congrue ces trois der­nières décen­nies, il sem­ble­rait bien que cela ne soit pas aus­si clair, le pou­voir public en tant que régu­la­teur étant escor­té dans l’oubli après avoir col­ma­té les brèches du sys­tème capitaliste.

  1. FMI, Glo­bal Finan­cial Sta­bi­li­ty Report, avril 2009.
  2. BNB, Pro­jec­tions éco­no­miques, juin 2009.
  3. Com­mis­sion euro­péenne, 2009 Ageing Report, avril 2009.

Olyeka Demugir


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