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Quand l’Union européenne propose à l’Amérique du Sud de s’ouvrir…

Numéro 12 Décembre 2010 par Xavier Dupret

décembre 2010

En mai 2010, la Com­mis­sion euro­péenne relan­çait les négo­cia­tions avec le Mer­co­sur. Depuis lors, deux cycles de négo­cia­tions se sont ouverts. Le pre­mier a eu lieu à Bue­nos Aires en juin 2010. Le second s’est dérou­lé à Bruxelles en octobre. Une pro­chaine réunion est pré­vue à Bra­si­lia fin novembre et début décembre.

Depuis 2004, les rela­tions entre l’Union euro­péenne et le Mer­co­sur sont mar­quées par une sorte de frus­tra­tion per­ma­nente de la part de l’Union euro­péenne. Les négo­cia­tions entre la Com­mis­sion euro­péenne et le Mer­co­sur sur un accord de com­merce sont désor­mais para­ly­sées. À la reven­di­ca­tion de l’Union euro­péenne en faveur d’une libé­ra­li­sa­tion plus accen­tuée des échanges avec le sous-conti­nent sud-amé­ri­cain concer­nant le sec­teur indus­triel et celui des ser­vices s’oppose la demande du Mer­co­sur d’une aug­men­ta­tion des quo­tas d’importation en faveur de ses pro­duits agri­coles. Il s’agit d’un débat clas­sique entre le Nord et le Sud, et qui est direc­te­ment à l’origine de la sus­pen­sion des négo­cia­tions du cycle de Doha fin juillet 2006.

Le pied dans la porte

Entre­temps, l’Union euro­péenne a inno­vé en jouant la carte du « divi­ser pour régner ». En 2007, l’Union euro­péenne s’est ain­si don­né comme objec­tif de conclure un « par­te­na­riat stra­té­gique » avec le Bré­sil, ce qui mar­quait un tour­nant dans les rela­tions exté­rieures de l’Union euro­péenne et fai­sait la part belle à un bilatéralisme.

Certes, les domaines de coopé­ra­tion de ce « par­te­na­riat » ne concer­naient pas les échanges com­mer­ciaux. Cepen­dant, un signal venait d’être envoyé à toute l’Amérique du Sud. Il serait désor­mais pos­sible au Bré­sil d’avancer seul avec l’Union euro­péenne sur cer­tains domaines comme l’environnement, les sciences et tech­no­lo­gies qui, pré­ci­sé­ment, recoupent cer­tains des sec­teurs sur les­quels porte la coopé­ra­tion intra­Mer­co­sur. La stra­té­gie adop­tée par l’Union euro­péenne était de nature à gêner aux entour­nures l’intégration régio­nale en consa­crant le Bré­sil dans son rôle de lea­deur conti­nen­tal alors même que sa poli­tique étran­gère inquiète par­fois d’autres capi­tales de la région.

Dans de telles condi­tions, les autres pays membres du Mer­co­sur n’avaient plus vrai­ment le choix. Si le géant bré­si­lien, en plus de sa puis­sance éco­no­mique, dis­po­sait d’un avan­tage en matière tech­no­lo­gique, les autres pays de la région auraient bien du sou­ci à se faire en ce qui concerne le main­tien de leur com­pé­ti­ti­vi­té. Après tout, « dans l’actuel Mer­co­sur, l’Argentine se pro­file comme le four­nis­seur de matières pre­mières et le Bré­sil comme pro­duc­teur de biens plus éla­bo­rés. Cette divi­sion du tra­vail est un effet du libre-échan­gisme qui règne à l’intérieur de cette asso­cia­tion. Les capi­taux cir­culent avec des res­tric­tions décrois­santes et cherchent les avan­tages qu’offre le mar­ché le plus signi­fi­ca­tif. Pour la même rai­son que les États-Unis pro­fitent du sous-déve­lop­pe­ment lati­no-amé­ri­cain, le Bré­sil sort avan­ta­gé face à l’Argentine à la petite échelle du Mer­co­sur1 ». Bref, les voi­sins du géant bré­si­lien étaient contraints de rejoindre la table des négo­cia­tions. Cela étant dit, la reprise des négo­cia­tions entre l’Union euro­péenne et les pays com­po­sant le Mer­co­sur n’a pas l’heur de plaire à tout le monde sur le Vieux conti­nent. Ain­si en va-t-il de la France dési­reuse de pro­té­ger son sec­teur agricole.

Plus glo­ba­le­ment, l’heure, dans le monde, est à la révi­sion du pos­tu­lat libre-échan­giste. Selon la Com­mis­sion euro­péenne, « trois-cent-trente-deux mesures de res­tric­tion des échanges ont été mises en place depuis le début de la crise finan­cière en 2008 […]. À peine 10% des mesures pro­tec­tion­nistes mises en place depuis l’automne 2008 ont été sup­pri­mées, déplore la Com­mis­sion. Des pra­tiques en contra­dic­tion avec les enga­ge­ments pris dans le cadre des dif­fé­rents G20 — de celui de Washing­ton en novembre 2008 au som­met de Toron­to en juin 2010 — et qui visent direc­te­ment cer­tains de ses membres2 ».

Dans le col­li­ma­teur de la Com­mis­sion figurent la Rus­sie (soixante mesures pro­tec­tion­nistes), l’Argentine (soixante-deux), mais aus­si l’Indonésie (trente-quatre), les États-Unis (vingt-trois) et la Chine (vingt). Et les négo­cia­tions avec le Mer­co­sur, heu­reux coup double, viennent à point nom­mé pour déjouer les vel­léi­tés pro­tec­tion­nistes en Amé­rique du Sud. En atten­dant le tour d’autres régions du monde ?

Le Brésil au centre de l’échiquier

En aout 2010, le pré­sident Lula accu­sait Paris de consti­tuer un véri­table obs­tacle à la conclu­sion d’un accord de libre-échange entre les deux blocs régio­naux3. Si la volon­té du Bré­sil de par­ve­nir à un accord avec l’Union euro­péenne était évi­dente à l’heure où ces lignes étaient écrites, il ne semble tou­te­fois pas que Bra­si­lia soit prête à tout pour conclure un accord. Et c’est ici que le bât risque de blesser.

Ain­si, le volet « pro­tec­tion des droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle » que Bruxelles met en avant est, à lui seul, de nature à pro­vo­quer une levée de bou­clier de la part du par­te­naire bré­si­lien qui ne s’est pas pri­vé de faire entendre, à l’instar de la Chine et de l’Inde, tout le mal qu’il pen­sait de l’accord com­mer­cial anti­con­tre­fa­çon (en anglais : Anti-Coun­ter­fei­ting Trade Agree­ment, ACTA). Cet accord mul­ti­la­té­ral a été conclu, jusqu’à pré­sent, par trente-sept pays (à savoir, les États-Unis, les vingt-sept membres de l’Union euro­péenne, le Japon, la Suisse, le Cana­da, l’Australie, la Nou­velle-Zélande, la Corée du Sud, Sin­ga­pour, le Mexique et le Maroc).

C’est que dans le cas bré­si­lien, les débats sur la pro­prié­té intel­lec­tuelle prennent une tour­nure vitale et emblé­ma­tique. En 2007, le Bré­sil cas­sait le bre­vet du labo­ra­toire phar­ma­ceu­tique amé­ri­cain Merck sur la molé­cule Efa­vi­renz afin de mettre à la dis­po­si­tion des malades bré­si­liens du sida des rétro­vi­raux bon mar­ché. Or, les contre­fa­çons dénon­cées par l’ACTA englobent les médi­ca­ments géné­riques. Le risque de blo­cage est ici évident.

Retour à la case départ ?

Si ce risque se confir­mait, on ne peut guère sup­po­ser que les autres pays de la région se por­te­ront au secours du pro­ces­sus. En sep­tembre 2010, lors de la tour­née qu’effectuait dans la région le com­mis­saire euro­péen en charge du com­merce, un cer­tain nombre de doléances lui ont été remises par les gou­ver­ne­ments locaux. Ain­si, des res­pon­sables argen­tins ont expri­mé leur désir que l’Union euro­péenne accorde un trai­te­ment spé­cial au Mer­co­sur en cas de conclu­sion d’un accord commercial.

« Nous obtien­drons un résul­tat équi­li­bré si les dif­fé­rences de déve­lop­pe­ment en matière éco­no­mique, com­mer­ciale et ins­ti­tu­tion­nelle sont recon­nues […]. En vue d’établir un accord bila­té­ral, il doit inclure un trai­te­ment spé­cial et dif­fé­rent […], un avan­tage fis­cal afin d’assurer l’accès pré­fé­ren­tiel et effi­cace des expor­ta­tions du Mer­co­sur (au mar­ché euro­péen)», affir­mait, à l’occasion, Debo­ra Gior­gi, ministre argen­tine de l’Industrie4. De leur côté, les indus­triels du Mer­co­sur adop­taient des posi­tions plu­tôt dures en ce qui concerne la pro­tec­tion des indus­tries nais­santes. Ain­si, le pré­sident de l’Adimra (Aso­cia­ción de Indus­triales Metalúr­gi­cos de la Repú­bli­ca Argen­ti­na), Juan Car­los Las­cu­rain, repro­chait à l’Union euro­péenne de ne s’être guère mon­trée, jusqu’à pré­sent, encline à pro­mou­voir des trai­te­ments dif­fé­ren­ciés des­ti­nés à évi­ter des réper­cus­sions néga­tives à l’endroit de sec­teurs stra­té­giques pour le déve­lop­pe­ment indus­triel en Amé­rique du Sud5.

Fin octobre 2010, le Par­le­ment euro­péen adop­tait une posi­tion de rela­tif contre­pied par rap­port aux sou­haits de ses « par­te­naires » sud-amé­ri­cains en fai­sant valoir que seules seraient admises sur le ter­ri­toire de l’Union euro­péenne les impor­ta­tions de pro­duits agri­coles pour les­quelles les normes euro­péennes de pro­tec­tion des consom­ma­teurs, de bien-être des ani­maux et de pro­tec­tion de l’environnement et les normes sociales mini­males sont res­pec­tées. Et le 11 novembre 2010, le Par­le­ment euro­péen votait une motion deman­dant de pré­ser­ver plei­ne­ment les inté­rêts des pro­duc­teurs euro­péens dans les négo­cia­tions com­mer­ciales bila­té­rales avec le Mer­co­sur. Déci­dé­ment, la mon­dia­li­sa­tion de l’agriculture a du mal à pas­ser la rampe en Europe. Pas sûr évi­dem­ment que ce soit de bonne augure pour la suite des négo­cia­tions avec Bra­si­lia et consorts.

  1. Clau­dio Katz, « Les mythes du libre-échange », uni­ver­si­té de Bue­nos Aires), Bue­nos Aires, novembre 2004.
  2. Les Échos, 26 octobre 2010.
  3. Le Monde, 7 aout 2010.
  4. Agence de presse Xin­hua, 16 sep­tembre 2010.
  5. Cla­rin, 1er aout 2010.

Xavier Dupret


Auteur

chercheur auprès de l’association culturelle Joseph Jacquemotte et doctorant en économie à l’université de Nancy (France)