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Protéger la société

Numéro 8 Août 2007 par Joëlle Kwaschin

août 2007

Sur la souf­france des proches après le meurtre de Joe Van Hols­beeck se greffe l’im­puis­sance d’a­dultes qui ne savent plus quelles réponses appor­ter aux jeunes : en avril 2006, les cer­ti­tudes et les valeurs des parents ont bas­cu­lé. « Com­ment encore lui incul­quer le res­pect de la jus­tice si celle-ci […] n’ap­porte pas une réac­tion pro­por­tion­née par […]

Sur la souf­france des proches après le meurtre de Joe Van Hols­beeck se greffe l’im­puis­sance d’a­dultes qui ne savent plus quelles réponses appor­ter aux jeunes : en avril 2006, les cer­ti­tudes et les valeurs des parents ont bas­cu­lé. « Com­ment encore lui incul­quer le res­pect de la jus­tice si celle-ci […] n’ap­porte pas une réac­tion pro­por­tion­née par la peine », s’in­ter­rogent-ils ? Com­ment, désor­mais, édu­quer un enfant qui reproche à ses parents « de ne pas l’a­voir orien­té vers des sports de com­bat, plu­tôt que vers la nata­tion 1 ? Com­ment jus­ti­fier que Mariusz O. puisse sor­tir de l’ins­ti­tu­tion publique de pro­tec­tion de la jeu­nesse le temps de par­ti­ci­per à des loi­sirs alors que Joe n’i­ra plus jamais à un match de foot et qu’il a dix-sept ans pour tou­jours ? La déci­sion de la chambre de la jeu­nesse de la Cour d’ap­pel de Bruxelles de ne pas se des­sai­sir du dos­sier à charge du coau­teur pré­su­mé du meurtre de Joe a sus­ci­té colère et désar­roi des par­ties civiles. Mariusz O. sera donc jugé par le tri­bu­nal de la jeu­nesse, ce qui est assi­mi­lé à un insup­por­table laxisme : la jus­tice ne serait pas ren­due et la popu­la­tion ne serait pas en sécu­ri­té si l’on pro­tège les délin­quants au détri­ment de leurs victimes.

Une socié­té tota­le­ment sûre, où jamais un enfant ne mour­ra de manière imbé­cile pour un MP3, n’existe pas. En revanche, la pro­tec­tion de la socié­té est l’une des mis­sions assu­rées avec suc­cès par la pri­son… le temps que le déte­nu purge sa peine. Mais après, car il fau­dra bien, un jour ou l’autre, le lais­ser sor­tir ? C’est un car­nas­sier qui sor­ti­ra, socia­li­sé à la culture de la pri­son, déres­pon­sa­bi­li­sé par un uni­vers où tout aura été déci­dé à sa place.

L’ir­ra­tio­na­li­té du sys­tème car­cé­ral est telle que la réin­ser­tion, sauf excep­tion, est impos­sible. Par­ler de réin­ser­tion a du reste quelque chose du para­doxe puisque, dans leur immense majo­ri­té, les déte­nus sont des per­sonnes dont la vie tout entière est mar­quée par la désaf­fi­lia­tion : faible niveau de sco­la­ri­sa­tion, chô­mage, assué­tudes, pro­blèmes fami­liaux… Ce désastre social, ce « monde hors du monde 2 », dont ne nous par­viennent que des bruits assour­dis sauf, au plus fort de l’é­té, lorsque la cha­leur exa­cerbe les ten­sions et que les déte­nus montent sur les toits, ne sert ni les vic­times ni les cou­pables. On a rare­ment vu l’ex­clu­sion fabri­quer de l’in­clu­sion, l’hu­mi­lia­tion pro­duire de la digni­té. Pas­ser de la sur­vie à la vie est un par­cours plein d’embuches, et nom­breux sont ceux qui réci­divent. Rien n’est fait en dépit du « défi » que se fixait le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent, dans sa décla­ra­tion de poli­tique fédé­rale d’oc­tobre 2006, pour assu­rer « l’in­dis­pen­sable mobi­li­sa­tion de tous les niveaux de pou­voirs concer­nés pour œuvrer à la réin­ser­tion sociale des déte­nus en misant plus encore sur la for­ma­tion par exemple ». L’en­fer­me­ment dans des bagnes à l’autre bout du monde était jadis appe­lé « peine de débar­ras ». L’ex­pres­sion est hors d’u­sage, pour­tant que fait d’autre une socié­té que de se débar­ras­ser de ceux qui l’encombrent ?

« Quand j’é­tais petit, je vou­lais deve­nir ter­ro­riste. J’ai tenu parole : je suis direc­teur de pri­son », écri­vait Pierre Rey­naert 3. La bou­tade force natu­rel­le­ment le trait, mais elle énonce la loi d’é­qui­va­lence entre le mal com­mis et le mal que le déte­nu doit souf­frir. Dans ce monde de l’ombre, à l’in­verse du tra­vail édu­ca­tif qui est mené dans les ins­ti­tu­tions publiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse, il est tou­jours face à sa peine, jamais à son délit, puisque l’ins­ti­tu­tion ne tra­vaille pas cette confron­ta­tion. La pri­son ne par­vient pas à relier la citoyen­ne­té à la peine, même si les pistes de la jus­tice répa­ra­trice, encore mal connues en pri­son, sont prometteuses.

La dis­cri­mi­na­tion entre les dos­siers des jeunes auteurs pré­su­més est cho­quante : l’un aura la pos­si­bi­li­té de se réin­sé­rer grâce à un sou­tien péda­go­gique qui passe par la prise de conscience de la gra­vi­té de son acte tan­dis que l’autre ira à l’é­cole du crime. Certes, les juges ont sans doute tenu compte de l’in­dis­pen­sable repen­tance mani­fes­tée ou non par les jeunes gens : sans elle, la recons­truc­tion est impos­sible. Mais l’é­ga­li­té ne consiste pas à ara­ser les situa­tions : c’est à tous les déte­nus qu’il fau­drait four­nir les moyens de se socialiser.

Pour Mariusz, il lui appar­tient désor­mais de devoir vivre tout au long des jours en por­tant le far­deau de la culpa­bi­li­té d’une vie volée. Les ins­ti­tu­tions publiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse tentent d’ef­fec­tuer un réel tra­vail d’ac­com­pa­gne­ment du jeune dans une socia­li­sa­tion mal et par­fois tra­gi­que­ment enga­gée. C’est ain­si qu’elles per­mettent la pro­tec­tion de la socié­té et celle du mineur. Certes, aucun expert, aucun édu­ca­teur ne peuvent four­nir de garan­tie abso­lue que Mariusz ne com­met­tra plus de délit. Face au risque impor­tant de réci­dive qu’en­traine l’in­car­cé­ra­tion, ce non-des­sai­sis­se­ment est pour­tant une chance.

  1. « Joe : 12 avril, 12 mois, et bien plus de ques­tions pour son ami et ses sem­blables », réac­tion du père de l’a­mi de Joe dans La Libre Bel­gique du 12 avril 2007. »
  2. Capron Cl., Ce monde hors du monde. Échos d’une visi­teuse de pri­son, édi­tions Cou­leur Livres, mars 2006, 148 p.
  3. Pierre Rey­naert, « La vio­lence de l’en­fer­me­ment », dans « L’ombre des pri­sons », La Revue nou­velle, n° 4, avril 1999, p. 80

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie