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Précipitations
C’est un conte où une marâtre fait la vaisselle et le ménage ce n’est pas Cendrillon d’ailleurs Pétra aimerait être Cendrillon j’en suis sure faire la vaisselle lui va, faire la souillon amoureuse, s’y complaire et elle n’aime pas ses longs pieds et pourtant ils entreraient si bien dans des escarpins pointus ceux de la […]
C’est un conte où une marâtre fait la vaisselle et le ménage
ce n’est pas Cendrillon
d’ailleurs Pétra aimerait être Cendrillon j’en suis sure faire la vaisselle lui va, faire la souillon amoureuse, s’y complaire
et elle n’aime pas ses longs pieds et pourtant ils entreraient si bien dans des escarpins pointus
ceux de la première femme, avoir chaussure à son pied pantoufle de vair et même que Pétra les porterait trop petits.
Petra a les oreilles qui sifflent d’entendre des voix
parce que le temps passe, l’eau coule, les assiettes dégraissent et c’est l’excuse pour pas avoir
le temps d’écrire.
Pétra règle ses comptes
parce qu’elle doit accepter d’être la seconde
ni la première amante
ni la première épouse
ni la première mère
et qu’en plus, elle doit écrire son premier roman.
Il y a des scènes carnavalesques dans ce livre
la « mauvaise mère » qui débarque à l’heure pour aller chercher les gosses à l’école et
qui se trouve entourée des vielles de Goya, des vieilles sorcières, elles touchent le ventre de Pétra comme des sorts.
Pétra aime un clown qui l’arrime et le cirque qui la voyage.
Pétra rêverait même d’être une mauvaise mère, mais non, elle ne peut être qu’une mauvaise marâtre, et même pas : les rats comme elle les nomme ne lui laissent pas cette possibilité,
ils l’aiment, ils l’attendent, ils la cernent. Et en plus elle a pondu un à elle qui rejoint la horde.
Pétra vomit nos rêves dans des énumérations insensées, où le souffle presque manquerait
au lecteur, à la lectrice, où le cœur bat… précipité.
Pétra est au bord du gouffre, son récit est solitaire
mais son message est social
les femmes laissées seules sont dangereuses, les femmes qui font la vaisselle ont des songes
elles ne s’inventent pas des contes de fées mais des contes de sorcières qui commencent dans un évier et sa bonde, et finissent dans les cris d’un cirque et d’une naissance.
Comme un trou d’où l’on disparait et d’où l’on nait, quand on n’y meurt ou qu’on n’y assassine pas.
Naissance d’une écrivaine.
à propos de Précipitations de Sophie Weverbergh, éditions Gallimard/Verticales, 2022
Née le 23 juin 1981 à Bruxelles, Sophie Weverbergh a passé son enfance et son adolescence dans un petit village du Brabant wallon, entre un père professeur de mathématiques et une mère institutrice. Après des études secondaires classiques, et malgré l’envie d’entrer au Conservatoire, elle s’inscrit à l’université libre de Bruxelles pour y étudier les Langues et Littératures romanes. Elle endosse ensuite de très nombreux rôles : tour à tour professeure de français, serveuse, correctrice, pigiste, encodeuse dans une casse de voitures et vendeuse de pierres dans une marbrerie funéraire ; elle s’occupe actuellement de jeunes bruxellois en décrochage scolaire. Précipitations est son premier roman. |
[*Sophie Weverbergh a été interviewée le 11 février au centre culturel de Rebecq par Laurence Rosier. Voici quelques extraits de la rencontre:*]
Pourquoi écrivez-vous ?
À vingt ans, j’ai découvert que j’aimais écrire autant que j’aimais lire. J’ai écrit pour jouer, pour me faire plaisir. Dix ans plus tard, j’écrivais pour gagner ma vie. Aujourd’hui, j’écris pour explorer (et définir) mes limites et celles de mon monde. L’écriture est l’affaire de ma vie — au même titre que ma famille : je ne peux me passer ni de l’une ni de l’autre. Quand je n’écris pas, je me sens incomplète. Disloquée. J’écris comme je fais famille : pour me rassembler.
Pour qui écrivez-vous ?
J’écris donc pour chaque lecteur qui accepte de faire famille avec moi — j’aime imaginer que les lecteurs et lectrices sont des parents éloignés. J’écris bien sûr pour mes enfants — que quelque chose de leur mère demeure. J’écris pour mes parents, tous les vivants et les morts.
Précipitations : le titre est-il votre choix initial ? Comment choisit-on un titre ? Que doit-il dire ou ne pas dire ?
Non. Précipitations n’était pas mon choix initial. J’avais d’abord pensé à Amère (pour le double sens, amertume, maternité dotée d’un A privatif), mais j’ai rejeté cette idée parce qu’elle était réductrice, je ne voulais pas associer mon personnage à un seul sentiment. Lorsque j’ai envoyé mon manuscrit à Paris, il portait ce titre : Ce qui cause mon tourment (issu de la comptine À vous dirais-je maman). Mes éditeurs l’aimaient bien, moi aussi, mais malgré tout nous n’étions pas convaincus. Je le trouvais long, peut-être trop pour être parlant. On a donc continué de chercher… J’ai fait plusieurs tentatives — toutes ratées ! Un matin, Précipitations s’est imposé — c’était ce que je voulais : un mot (un seul) qui puisse parler de Pétra — sa façon de vivre, de penser, de faire des choix ; Pétra (Patatras) précipitée — et des rythmiques de mon écriture.
Concernant votre style, je pointerais les cris du cirque qui s’envolent sur une litanie, une énumération incroyable, collective. Il y a un souffle épique qui balaie le livre de la page 216 à la page 222…
J’ai composé la tirade d’Hillary pour clore la scène du cirque — il fallait que ce soit fort, que ça déferle, que ça gronde comme l’eau d’une rivière en crue. Je voulais traduire là mes précipitations, celles de Pétra et des autres spectateurs…
Ce passage représente ce que je cherche quand je travaille ; donner du rythme à l’histoire, faire en sorte que les mots s’assemblent pour traduire la phrase mélodique qui m’habite. Je n’écoute jamais de musique quand j’écris parce que j’en ai plein la tête…