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Pourquoi Didier Reynders doit-il renoncer à son cumul ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Luc Van Campenhoudt

juillet 2009

L’échec du pré­sident du MR dans son objec­tif de sup­plan­ter par­tout le PS a mis le feu aux poudres au sein de son propre par­ti. Est-ce une rai­son suf­fi­sante pour qu’il cède sa pré­si­dence ? Poli­ti­que­ment peut-être, dès lors que la cam­pagne du MR a été très per­son­na­li­sée et réduite à l’obsession pré­si­den­tielle : détrô­ner le PS d’où vien­drait tout […]

L’échec du pré­sident du MR dans son objec­tif de sup­plan­ter par­tout le PS a mis le feu aux poudres au sein de son propre par­ti. Est-ce une rai­son suf­fi­sante pour qu’il cède sa pré­si­dence ? Poli­ti­que­ment peut-être, dès lors que la cam­pagne du MR a été très per­son­na­li­sée et réduite à l’obsession pré­si­den­tielle : détrô­ner le PS d’où vien­drait tout le mal wal­lon. En interne, un retrait faci­li­te­rait une remo­bi­li­sa­tion du par­ti autour d’une autre tête et d’un pro­jet plus sub­stan­tiel ; en externe, le par­ti pour­rait retrou­ver la sym­pa­thie des élec­teurs qui n’apprécient pas trop la per­son­na­li­té de son pré­sident, telle qu’elle se donne à voir tout au moins — car, à l’inverse d’autres, il faut au moins lui recon­naître beau­coup d’esprit et le sens de l’humour. Mais c’est à son par­ti d’en dis­cu­ter et à lui d’en déci­der puisqu’il est en droit de s’accrocher à son man­dat jusqu’en 2012. Quoiqu’en interne, per­sonne ne soit naïf : la ques­tion est moins une ques­tion de prin­cipes que de rap­ports de force au sein du par­ti. Dans le sys­tème belge actuel, les pré­si­dents des grands par­tis détiennent un pou­voir consi­dé­rable et, à de rares excep­tions près, lorsqu’elle advient, la gloire passe par cette fonc­tion. L’enjeu est donc de taille et les rap­ports de force sont en train de chan­ger car le patron est affaibli.

Didier Reyn­ders doit-il renon­cer à sa double cas­quette parce qu’il lui est maté­riel­le­ment impos­sible d’exercer cor­rec­te­ment à la fois sa fonc­tion minis­té­rielle et celle de pré­sident ? Comme on l’a vu au cours de la cam­pagne, la double tâche est tita­nesque et les adver­saires ont eu beau jeu de cri­ti­quer les failles dans la conduite du dépar­te­ment des Finances. Même si la cam­pagne est der­nière nous, le pré­sident aura beau­coup à faire pour remo­bi­li­ser un par­ti dépi­té par ses der­niers résul­tats et, au moment d’écrire ces lignes, par la pers­pec­tive d’une période de cinq années d’opposition sup­plé­men­taires. Pour­tant, ce n’est pas encore la prin­ci­pale rai­son d’abandonner une de ses deux cas­quettes. Car, à condi­tion d’être très bien secon­dé, l’homme est suf­fi­sam­ment intel­li­gent et bos­seur pour assu­mer de lourdes responsabilités.

La seule rai­son déci­sive est ailleurs. Une par­tie du monde poli­tique conti­nue de ne pas vou­loir la com­prendre car elle est infi­ni­ment plus gênante pour elle. Répé­tons-la donc : les fonc­tions de pré­sident de par­ti et de ministre sont struc­tu­rel­le­ment incom­pa­tibles car leur cumul met en dan­ger le bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème démo­cra­tique. Sans reprendre ici tout notre argu­men­taire (déve­lop­pé dans l’éditorial de La Revue nou­velle de mars 2009), on peut en résu­mer l’idée. S’il est can­di­dat à la direc­tion de l’État, un par­ti poli­tique, en tant que tel, ne fait pas par­tie de l’État ; il fait pres­sion sur l’État de l’extérieur (via son pro­gramme, ses congrès et ses décla­ra­tions média­ti­sées, les lob­bies qui lui sont proches…) et de l’intérieur (via ses par­le­men­taires et ses ministres); il est en concur­rence avec les autres par­tis qu’il doit com­battre (avec des moyens légaux) et joue ain­si un rôle essen­tiel dans le sys­tème poli­tique démo­cra­tique mar­qué par la diver­si­té et la confron­ta­tion néces­saires des posi­tions et des pro­grammes. Dans l’opposition, son rôle est de cri­ti­quer l’action du gou­ver­ne­ment et de convaincre qu’il existe des alter­na­tives ; dans la majo­ri­té, son rôle est de contrô­ler cette action, de la cri­ti­quer aus­si s’il le faut, et de l’infléchir dans le sens du pro­gramme et des valeurs défen­dus par le par­ti. Un ministre est un membre du gou­ver­ne­ment et donc de la com­po­sante exé­cu­tive de l’État. C’est au gou­ver­ne­ment que les demandes et pres­sions des par­tis s’adressent. Soli­daire du gou­ver­ne­ment dont le pro­gramme a été préa­la­ble­ment négo­cié, le ministre doit par­ti­ci­per à la recherche de com­pro­mis et tran­cher dans l’ensemble des demandes. À par­tir de la diver­si­té des demandes et options pos­sibles, il doit, avec l’ensemble du gou­ver­ne­ment, pro­duire de l’unité : un bud­get et des lois valables pour tous. Com­ment ne pas voir qu’il est struc­tu­rel­le­ment inco­hé­rent et démo­cra­ti­que­ment mal­sain que ce soient les mêmes per­sonnes qui, d’un côté, expriment des demandes au gou­ver­ne­ment et le cri­tiquent, mènent le com­bat élec­to­ral contre les par­tis concur­rents, sur­tout s’ils sont dans le même gou­ver­ne­ment, et qui, d’un autre côté, doivent arbi­trer entre ces demandes et pres­sions, leur résis­ter sou­vent dans l’intérêt d’une poli­tique gou­ver­ne­men­tale cohé­rente, et dans la cor­rec­tion avec les par­te­naires au pouvoir ?

Ce n’est donc pas d’abord une ques­tion de sur­charge ou d’échec élec­to­ral, bref de cir­cons­tances : Didier Reyn­ders (et Joëlle Mil­quet et Elio Di Rupo plus tôt) n’aurait jamais dû com­men­cer à cumu­ler. Ils ont démon­tré par là soit qu’ils n’avaient pas bien sai­si le fonc­tion­ne­ment démo­cra­tique dont ils sont pour­tant les acteurs — et les péda­gogues de fait — les plus impor­tants, soit qu’ils avaient bien com­pris, mais n’en ont eu cure pour des rai­sons stra­té­giques, par­ti­sanes et/ou per­son­nelles. Les choses semblent pro­gres­si­ve­ment ren­trer dans l’ordre, mais ils ne sont pas tous les trois éga­le­ment rapides à la détente.

La cri­tique, sous cou­vert d’anonymat (!), d’un membre du MR dans La libre Bel­gique du 2 juillet est par­tiel­le­ment cor­recte : « C’est inte­nable, le cumul. Parce qu’on a bien vu que Reyn­ders est appa­ru comme le ges­tion­naire de la crise finan­cière lors des der­nières élec­tions. Il nous a man­qué un vrai lea­der de l’opposition. Et c’est ter­ri­ble­ment dif­fi­cile d’assumer des tâches si dif­fé­rentes ». C’est ter­ri­ble­ment dif­fi­cile, certes ; mais c’est sur­tout ter­ri­ble­ment incom­pa­tible. Et d’autant plus dom­ma­geable que la dyna­mique poli­tique de notre pays, de ses Régions et de ses Com­mu­nau­tés a besoin d’un par­ti libé­ral qui défen­drait une doc­trine claire, adap­tée aux pro­blèmes actuels, et fonc­tion­ne­rait sans se confondre avec l’État.

Luc Van Campenhoudt


Auteur

Docteur en sociologie. Professeur émérite de l’Université Saint-Louis – Bruxelles et de l’Université catholique de Louvain. Principaux enseignements : sociologie générale, sociologie politique et méthodologie. Directeur du Centre d’études sociologiques de l’Université Saint-Louis durant une quinzaine d’années, jusqu’en 2006, il a dirigé ou codirigé une quarantaine de recherches, notamment sur l’enseignement, les effets des politiques sécuritaires, les comportements face au risque de contamination par le VIH et les transformations des frontières de la Justice pénale. Ces travaux ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles publiés dans des revues scientifiques, de nombreux ouvrages, et de plusieurs invitations et chaires dans des universités belges et étrangères. À travers ces travaux, il s’est intéressé plus particulièrement ces dernières années aux problématiques des relations entre champs (par exemple la justice et la médecine), du pouvoir dans un système d’action dit « en réseau » et du malentendu. Dans le cadre de ces recherches il a notamment développé la « méthode d’analyse en groupe » (MAG) exposée dans son ouvrage La méthode d’analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux, coécrit avec J.-M. Chaumont J. et A. Franssen (Paris, Dunod, 2005). Le plus connu de ses ouvrages, traduit en plusieurs langues, est le Manuel de recherche en sciences sociales, avec Jacques Marquet et Raymond Quivy (Paris, Dunod, 2017, 5e édition). De 2007 à 2013, il a été directeur de La Revue Nouvelle.