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Pour une Belgique à quatre Régions

Numéro 9 Septembre 2011 par Olivier Dupuis

septembre 2011

Si on chan­geait d’ap­proche ? Si l’on com­men­çait par cher­cher un point d’é­qui­libre où pour­raient se retrou­ver celles et ceux qui conti­nuent à croire en la valeur ajou­tée de la Bel­gique, celles et ceux qui veulent lui don­ner une der­nière chance, celles et ceux qui croient en l’in­dé­pen­dance de leur Région res­pec­tive et, enfin, celles et ceux qui estiment que, quels que soient les choix qui pré­vau­dront, il faut se pré­mu­nir dès à pré­sent de tout risque de débor­de­ments vio­lents en créant une pro­cé­dure consti­tu­tion­nelle qui encadre une déci­sion éven­tuelle de séces­sion par une Région ou l’autre ?

Pour ce faire, com­men­çons par écar­ter tout ce qui est inac­cep­table pour les uns ou pour les autres.

La menace d’un repli fran­co­phone sur une « Bel­gique rési­duelle » en cas de séces­sion de la Flandre et, par consé­quent, l’annexion à la Wal­lo­nie aujourd’hui et, peut-être, à la France demain, de Bruxelles, une ville bra­ban­çonne long­temps majo­ri­tai­re­ment fla­mande : inac­cep­table pour les Flamands.

Le non-res­pect des droits fon­da­men­taux de la mino­ri­té fran­co­phone de la péri­phé­rie de Bruxelles (120.000 per­sonnes) par les auto­ri­tés fla­mandes en contra­dic­tion totale avec tous les stan­dards inter­na­tio­naux : inac­cep­table pour les francophones.

L’enfermement de la Région bruxel­loise dans ses dix-neuf com­munes alors que son hin­ter­land éco­no­mique, social, fis­cal et cultu­rel englobe au moins les zones urba­ni­sées de la pre­mière cein­ture jusqu’à Vil­vorde et Braine‑l’Alleud : inac­cep­table pour les Bruxellois.

Cla­ri­fions éga­le­ment des malentendus.

D’abord, l’indépendance de la Flandre n’est pas, dans son essence une ques­tion belge, et, moins encore, une pos­ture anti­fran­co­phone. C’est une ques­tion fla­mande. C’est un rêve, une aspi­ra­tion avec tout ce que cela char­rie d’émotionnel. Mais c’est aus­si un pro­jet. Ration­nel, muri, pen­sé, organisé…

Les fran­co­phones, Wal­lons et Bruxel­lois, ne peuvent donc consi­dé­rer comme inac­cep­table qu’une par­tie consis­tante de la popu­la­tion fla­mande et une majo­ri­té de sa classe poli­tique veuillent l’indépendance de la Flandre. Tout un cha­cun peut évi­dem­ment nour­rir de sérieux doutes sur le bien­fon­dé d’une telle aspi­ra­tion à l’heure de l’intégration euro­péenne. Mais on peut voir les choses sous un autre angle éga­le­ment. L’existence d’une Union euro­péenne qui concentre aujourd’hui une part notable des pou­voirs des États natio­naux d’hier, rend en effet non seule­ment beau­coup moins pro­blé­ma­tique l’émergence de nou­veaux États, mais change la nature même de leur émer­gence. Quoi qu’il en soit, c’est aux seuls citoyens de Flandre qu’il appar­tient de déci­der s’ils veulent aller au-delà de cette inter­ro­ga­tion et faire de ce rêve et de ce pro­jet d’indépendance une réa­li­té. Aux Wal­lons et aux Bruxel­lois incombe la res­pon­sa­bi­li­té de défi­nir d’un com­mun accord avec les Fla­mands les règles qui pré­si­de­ront à une éven­tuelle dis­so­lu­tion de la Belgique.

Ensuite, la fran­ci­sa­tion de la péri­phé­rie n’est pas le résul­tat d’une poli­tique déli­bé­rée de cer­tains fran­co­phones en vue de chan­ger l’équilibre démo­gra­phique des com­munes qui entourent Bruxelles. Ces chan­ge­ments sont, tout comme ceux que l’on voit à l’œuvre dans les com­munes du Bra­bant wal­lon, des consé­quences du déve­lop­pe­ment éco­no­mique et démo­gra­phique de Bruxelles. Mais le fait qu’il ne s’agisse pas d’une manœuvre per­ni­cieuse de cer­tains n’empêche pas que cette réa­li­té nou­velle soit per­çue comme un pro­blème par d’autres. Des solu­tions res­pec­tant les droits fon­da­men­taux des uns et pre­nant en compte les craintes des autres doivent être trou­vées. Et elles existent !

Le rôle de Bruxelles

Enfin, être la capi­tale de l’UE est tout à la fois une énorme res­pon­sa­bi­li­té et une grande oppor­tu­ni­té. Et même si la thé­ma­tique n’est pas por­teuse aujourd’hui, la relance du pro­ces­sus d’intégration euro­péenne est, pour de mul­tiples rai­sons qu’il n’est pas pos­sible d’aborder ici, abso­lu­ment indis­pen­sable. Un jour vien­dra — espé­rons-le le plus proche pos­sible — où de nou­veaux appro­fon­dis­se­ments et élar­gis­se­ments de l’UE ver­ront le jour. Une poli­tique étran­gère euro­péenne unique, une poli­tique de sécu­ri­té et de défense com­mune, une poli­tique fis­cale com­mune… de nou­veaux élar­gis­se­ments à l’Est (Ukraine, Mol­da­vie…), au Sud-Est (Tur­quie, Croa­tie, Ser­bie, Géor­gie, Alba­nie, Macé­doine, Koso­vo, Azer­baïd­jan, Armé­nie). Des appro­fon­dis­se­ments et des élar­gis­se­ments qui ren­dront plus impor­tant encore le rôle de Bruxelles comme capi­tale de l’Union euro­péenne et contri­bue­ront à en mode­ler le visage et l’esprit de demain.

Mais quelle que soit la forme qu’aura alors Bruxelles, Région dans l’État fédé­ral belge ou ville-État libre, il est clair qu’elle ne serait, pas plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, une « autre pla­nète », un « ailleurs » sans lien avec la Flandre et la Wal­lo­nie. Au contraire, Bruxelles demeu­re­ra un pont, un lieu de ren­contre non seule­ment pour les Fla­mands et les Wal­lons, mais aus­si pour tous les citoyens pré­sents et futurs de l’Union euro­péenne. De plus le ren­for­ce­ment de l’UE y amè­ne­ra des dizaines de mil­liers de nou­veaux « euro­crates » et leurs familles, entrai­nant de nou­velles acti­vi­tés éco­no­miques qui débor­de­ront lar­ge­ment sur la Flandre et la Wallonie.

Nous voi­là à la croi­sée des che­mins du pro­ces­sus de réforme ins­ti­tu­tion­nelle. Tirons les leçons de la méthode sui­vie jusqu’ici, une méthode qui s’apparente sou­vent à du dépe­çage par petits mor­ceaux, sans que l’on voie de pro­jet arti­cu­lé, pen­sé, vou­lu. Inver­sons les termes de la pro­blé­ma­tique : cla­ri­fions les moda­li­tés d’un divorce éven­tuel et défi­nis­sons les com­pé­tences qui devraient res­ter du domaine fédé­ral, le « reste » étant auto­ma­ti­que­ment (et pro­gres­si­ve­ment) dévo­lu aux Régions.

Accor­dons nos violons :

1. pour la réor­ga­ni­sa­tion ins­ti­tu­tion­nelle de la Bel­gique sur la base de quatre Régions consti­tu­tives : la Flandre, la Wal­lo­nie, la Région ger­ma­no­phone et Bruxelles ;

2. pour le trans­fert de toutes les com­pé­tences ne devant pas res­ter du domaine fédé­ral vers les Régions ;

3. pour l’introduction d’une pro­cé­dure réfé­ren­daire visant à per­mettre aux citoyens de Flandre ou de Wal­lo­nie d’opter pour l’indépendance de leur Région ; cette pro­cé­dure ne pour­rait être mise en œuvre qu’à par­tir de dix ans après son adop­tion, afin de per­mettre aux quatre Régions d’organiser la ges­tion des nou­veaux domaines de com­pé­tences qui leur seraient dévo­lus. Cette pro­cé­dure pour­rait être déclen­chée par les Par­le­ments régio­naux fla­mand ou wal­lon, via un vote à la majo­ri­té des deux tiers. L’indépendance de la Région deman­deuse serait recon­nue valable si au moins la moi­tié des citoyens de la Région concer­née par­ti­ci­pait au vote et si la moi­tié des votants s’exprimait en faveur de l’indépendance ;

4. pour la dis­so­lu­tion de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles (et/ou de la Com­mu­nau­té fran­çaise) et la dévo­lu­tion de ses com­pé­tences aux Régions ;

5. pour un accord pré­voyant l’impossibilité pour la Région de Bruxelles d’être asso­ciée ou inté­grée, en cas de dis­so­lu­tion de la Bel­gique, à la Wal­lo­nie ou à la Flandre ain­si qu’à tout autre État à l’exception de l’Union euro­péenne si celle-ci deve­nait un État recon­nu inter­na­tio­na­le­ment comme tel ;

6. pour l’élargissement de la Région de Bruxelles aux com­munes à faci­li­tés (Crain­hem, Dro­gen­bos, Lin­ke­beek, Rhode-Saint-Genèse, Wem­mel et Wezem­beek-Oppem), aux com­munes, ou à des par­ties d’entre elles, du Bra­bant fla­mand (Asse, Beer­sel, Dil­beek, Grim­ber­gen, Hal, Hoei­lart, Leeuw-Saint-Pierre, Mache­len, Meise, Ove­ri­jse, Stee­nok­ker­zeel, Tervu­ren, Vil­vorde, Zaven­tem), aux com­munes du Bra­bant wal­lon (Braine‑l’Alleud, Braine-le-Châ­teau, La Hulpe, Lasne, Tubize, Rebecq, Rixen­sart, Water­loo, Wavre), du Hai­naut (Enghien). Soit envi­ron 6% de la popu­la­tion et 2 à 3% du ter­ri­toire de la Flandre et de la Wallonie.

7. pour l’instauration d’un tri­lin­guisme de ser­vice (fran­çais, néer­lan­dais, anglais) dans la Région de Bruxelles et la pro­mo­tion de l’enseignement en immer­sion partielle ;

8. pour la créa­tion autour de Bruxelles de sept zones à haute pro­tec­tion envi­ron­ne­men­tale et rurale où toute exten­sion des zones d’habitats serait pros­crite. Une telle mesure aurait le triple avan­tage de créer une cein­ture verte autour de Bruxelles, de frei­ner le pro­ces­sus anti-éco­lo­gique, anti-éco­no­mique et anti-esthé­tique de l’urbanisation des cam­pagnes et d’enrayer le pro­ces­sus de fran­ci­sa­tion des zones proches de Bruxelles.

Bruxelles ain­si élar­gie comp­te­rait entre 1.500.000 et 1.800.000 habi­tants dont quelque 15 à 20% de Fla­mands. Une réa­li­té nou­velle qui, de par la simple loi du nombre, entrai­ne­rait de fait une coges­tion — démo­cra­tique dans ce cas — de Bruxelles par des Fla­mands et des fran­co­phones. Finies aus­si les demandes humi­liantes de « refi­nan­ce­ment » : Bruxelles serait éco­no­mi­que­ment et fis­ca­le­ment viable, aujourd’hui comme Région, demain éven­tuel­le­ment comme ville-État, capi­tale de l’Union euro­péenne. Last but not least, la Flandre et la Wal­lo­nie pour­raient fina­le­ment opter en toute liber­té pour la Bel­gique ou pour d’autres horizons !

Olivier Dupuis


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