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Pour un emballage neutre du personnel politique

Numéro 7 Octobre 2023 par Anathème

octobre 2023

La ques­tion de la neu­tra­li­té est plus que jamais au cœur du débat poli­tique riche et pas­sion­nant qui est le nôtre. Encore récem­ment, à l’annonce de la pos­sible dési­gna­tion d’une femme voi­lée comme éche­vine Voo­ruit à Molen­beek, le MR est mon­té au cré­neau pour défendre notre démo­cra­tie. Son pré­sident a ain­si cou­ra­geu­se­ment décla­ré : « Être éche­vine et por­ter un signe convic­tion­nel sont des élé­ments incom­pa­tibles. Nous sou­hai­tons la neu­tra­li­té de l’administration ». Sau­tant dans le train en marche, le pré­sident de Défi enton­na aus­si une ode à la neutralité.

Billet d'humeur

La ques­tion de la neu­tra­li­té est plus que jamais au cœur du débat poli­tique riche et pas­sion­nant qui est le nôtre. Encore récem­ment, à l’annonce de la pos­sible dési­gna­tion d’une femme voi­lée comme éche­vine Voo­ruit à Molen­beek, le MR est mon­té au cré­neau pour défendre notre démo­cra­tie. Son pré­sident a ain­si cou­ra­geu­se­ment décla­ré : « Être éche­vine et por­ter un signe convic­tion­nel sont des élé­ments incom­pa­tibles. Nous sou­hai­tons la neu­tra­li­té de l’administration ». Sau­tant dans le train en marche, le pré­sident de Défi enton­na aus­si une ode à la neutralité.

Certes, des esprits cha­grins ont fait obser­ver que la fonc­tion d’échevine est une charge poli­tique et que c’est à l’administration que s’impose l’obligation de neu­tra­li­té. Une fois de plus, les gau­chistes, idiots utiles des Frères musul­mans, ont raté le coche. Nos deux héros ne confondent pas, ils sont de puis­sants vision­naires. Oui, impo­ser aux éche­vins (et plus par­ti­cu­liè­re­ment aux éche­vines, musul­manes, issues de l’immigration et voi­lées) une neu­tra­li­té d’apparence est avant-gar­diste !

Il est en effet grand temps d’en finir avec les élus (et les élues, sur­tout) pré­ten­dant avoir des idées, des prin­cipes ou des valeurs. Qu’ils s’en pré­valent à l’occasion, pour­quoi pas, mais affir­mer qu’ils n’en démor­dront pas, qu’ils les consi­dèrent comme par­ti­ci­pant de la défi­ni­tion pro­fonde de leur être, non !

Faute de pou­voir s’assurer du manque total de convic­tions des élus (et des élues, sur­tout), nos deux défen­seurs ont rai­son, a mini­ma, d’exiger qu’ils (et elles, sur­tout) s’abstiennent de toute mani­fes­ta­tion pou­vant don­ner à pen­ser qu’ils (et elles, sur­tout) en ont.

Au fond, les fonc­tions poli­tiques ne dif­fèrent en rien des fonc­tions de ges­tion et d’administration ! Le per­son­nel poli­tique n’est pas choi­si par les citoyens pour chan­ger quoi que ce soit à un monde qui nous donne entière satis­fac­tion, mais pour gérer les affaires publiques en bons pères de famille (et, à la rigueur, en bonnes mères de famille, même si…). Rien de plus. Dans ce cas, les éche­vins (et éche­vines, même si…) ne sont que des pro­lon­ge­ments de l’administration et, pour qu’ils puissent jouer plei­ne­ment leur rôle tech­no­cra­tique, il importe qu’ils soient les plus inco­lores, inodores et insi­pides pos­sible. Et qu’ils portent un cos­tume (ou un tailleur, même si…).

Le port du voile est à cet égard par­fai­te­ment inad­mis­sible car, outre qu’il est por­té par une femme, il signale la croyance en un abso­lu, à mille lieues de la saine foi en l’importance de la bonne tenue des comptes publics, de l’organisation rigou­reuse de l’administration et de la rédac­tion sour­cilleuse des PV de réunions.

Cepen­dant, inter­ve­nir lorsqu’une femme voi­lée pré­tend deve­nir éche­vine est par trop tar­dif ! Il faut prendre le mal à la racine ! Per­mettre aux citoyens de sou­te­nir des hommes et femmes poli­tiques sur la base de leurs convic­tions serait extrê­me­ment dan­ge­reux ! Non seule­ment, cela encou­rage les can­di­dats à avoir des idées, mais en outre, ça nuit à leur inter­chan­gea­bi­li­té au sein de l’organigramme démo­cra­tique. Les sains prin­cipes du mana­ge­ment démo­cra­tique imposent en effet que les indi­vi­dus soient libre­ment inter­chan­geables et que la pro­duc­tion du sys­tème ne soit affec­tée ni en qua­li­té ni en quan­ti­té par le rem­pla­ce­ment d’un pion par un autre. Ima­gine-t-on que les actions d’une com­mune puissent varier en fonc­tion des per­sonnes qui com­po­se­raient son col­lège éche­vi­nal ?

On le voit, les pré­ci­tés cadors n’ont pas pous­sé leur logique jusqu’à ses ultimes consé­quences. L’avenir, c’est l’adoption d’un paquet neutre pour les pro­duits poli­tiques. Il faut en effet prendre exemple sur l’interdiction de la publi­ci­té pour le tabac et sur ses corol­laires. Afin d’éviter que l’apposition de marques ou de signes sur les paquets de ciga­rettes ne séduise les consom­ma­teurs et ne les incite à fumer, on a impo­sé un embal­lage neutre, ne repre­nant aucune marque dis­tinc­tive. En outre, furent pros­crites les appel­la­tions telles que « light », sus­cep­tibles de faire croire à une moindre noci­vi­té. De même, pour évi­ter que des pro­messes d’un monde meilleur – ou tout sim­ple­ment dif­fé­rent – ne fassent rêver les citoyens, ne sus­citent chez eux l’espoir, ne les rendent dépen­dants de l’idée que l’ordre actuel est contes­table, il faut empê­cher les par­tis poli­tiques d’afficher des posi­tions, des convic­tions, bref quoi que ce soit d’attentatoire à la neutralité.

Ima­gi­nez que les élec­teurs viennent à pen­ser que le PS puisse être socia­liste et le MRlibé­ral. Son­gez qu’ils pour­raient croire que Voo­ruit est par­ti­san du pro­grès ou que Défi est prêt à en rele­ver, voire que Les Enga­gés se sont enga­gés à quoi que ce soit… Il n’en fau­drait pas davan­tage, une fois ces pro­messes rap­por­tées à leur action, pour miner la confiance dans le per­son­nel poli­tique, dans nos ins­ti­tu­tions et, en fin de compte, dans la démocratie.

Il est donc grand temps d’imposer un embal­lage neutre pour le per­son­nel poli­tique et de pros­crire l’usage de termes trom­peurs tels que « socia­listes », « réfor­ma­teurs » ou « éco­lo­gistes ». Ain­si, dépouillé de sa rose et de son poing levé, qui pour­rait encore pen­ser qu’Elio Di Rupo puisse avoir un quel­conque lien avec le socia­lisme ? Et qui croi­rait que Sam­my Mah­di entre­tient un rap­port quel­conque, ne serait-ce que phi­lo­so­phique, avec le chris­tia­nisme ?

Ce pas essen­tiel doit être fran­chi au plus vite. Il sera ensuite temps de son­ger à appo­ser sur les affiches élec­to­rales des pho­tos stan­dar­di­sées illus­trant les ravages des convic­tions poli­tiques (mani­fes­ta­tions, révo­lu­tions, contes­ta­tion des pri­vi­lèges des puis­sants, etc.), ain­si que des slo­gans tels que « pen­ser tue », « les convic­tions pro­voquent une hausse de la ten­sion et des risques de tachy­car­die », « rêver nuit au capi­ta­lisme », « mani­fes­ter occa­sionne des coups de matraque », et ain­si de suite.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.