Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Pour un droit à la discrimination

Numéro 1 – 2023 par Anathème

février 2023

C’est peu dire que le combat pour l’égalité a largement structuré les luttes politiques des deux derniers siècles. Tout le monde y a contribué : les ouvriers, les femmes, les gays, les pauvres, les handicapés… sans oublier tous ceux qui ont fait de l’antiracisme leur cheval de bataille. La belle opération que voilà, qui permet à toute personne un […]

Billet d’humeur

C’est peu dire que le combat pour l’égalité a largement structuré les luttes politiques des deux derniers siècles. Tout le monde y a contribué : les ouvriers, les femmes, les gays, les pauvres, les handicapés… sans oublier tous ceux qui ont fait de l’antiracisme leur cheval de bataille.

La belle opération que voilà, qui permet à toute personne un tant soit peu basanée de se poser en victime, sans qu’on puisse lui rétorquer quoi que ce soit. Nous les Blancs, nous nous retrouvons démunis lorsqu’un Noir, par exemple, fait l’interminable liste des vexations quotidiennes et discriminations en tout genre qui émaillent sa vie. Pire encore, nous sommes immanquablement suspectés d’être pour quelque chose dans cette situation, quelle que soit l’énergie avec laquelle nous nous en défendions.

Nous avons bien essayé de trouver une parade, par exemple en nous trouvant un ami noir, en recrutant un employé arabe ou en nous affichant aux côtés de l’un ou l’autre membre d’un quelconque peuple premier. Ces efforts sont aujourd’hui tournés en ridicule et force nous est de constater que nous nous sommes astreints en pure perte à toutes ces choses éminemment désagréables. Si la bonne nouvelle est que nous ne devons plus faire d’efforts pour faire mine de nous amuser aux côtés de gens qui ne sont pas de notre monde, il n’en demeure pas moins que le problème reste entier.

Bien entendu, nous avons aussi souvent hurlé au racisme antiblanc. Il faut en effet bien reconnaitre que nous sommes bien en peine de fournir les anecdotes misérabilistes qui convaincraient nos interlocuteurs de la difficulté de trouver une location quand on est un sexagénaire blanc et aisé, des discriminations que nous subissons à l’embauche, dans la boite dont nous sommes l’actionnaire principal, ou de la violence qui nous est faite par les forces de l’ordre, dans notre quartier résidentiel du Brabant wallon. Même à l’étranger, nous sommes accueillis partout avec le sourire et nous nous voyons offrir des privilèges dont les habitants du cru rêveraient de jouir. Bref, la situation est difficile.

Et encore ! Nous serions fort heureux, au fond, si nous n’étions victimes que de l’antiracisme. Hélas, les domaines sont innombrables où nous nous retrouvons infériorisés. Prenons la lutte contre le sexisme, par exemple. Eh bien, lorsque des femmes font état des agressions dont elles ont été victimes, de la peur qui les taraude lorsqu’elles se promènent en rue, des inégalités salariales qu’elles subissent ou de leur difficulté à faire reconnaitre leurs mérites professionnels, lorsqu’elles font observer que, statistiquement, les hommes, non seulement ne subissent pas le même sort, mais, en outre, sont largement à l’origine du problème, il nous est très difficile de jouer à armes égales. Bien entendu, nous ne manquons jamais de faire remarquer qu’une femme qui s’énerve dessert la cause qui est la sienne, que son hystérie ne fait qu’aggraver la situation des femmes, que tous les hommes ne sont pas coupables, que nous sommes nous-mêmes féministes et que notre ami noir est, en fait, une amie noire. Nous aussi, nous avons beaucoup souffert, parce que ce n’est pas facile d’être un homme dans le contexte actuel… On sous-estime de beaucoup la violence de se voir écarter d’une fonction pour des raisons de quotas de femmes, alors qu’on est indiscutablement plus compétent. Malheureusement, il faut bien reconnaitre que nous faisons de pâles victimes en comparaison avec n’importe quelle femme ordinaire.

Et ne parlons pas des pauvres qui se lamentent sans que nous puissions faire reconnaitre qu’on n’aime pas la réussite dans ce pays, que la jalousie dévore ceux qui nous critiquent et convoitent le fruit du travail de nos ancêtres…

Bref, la situation est intenable. Ça ne peut plus durer. Nous revendiquons le droit d’être reconnus victimes, à l’égal des autres. Pourquoi serions-nous les seuls à ne pas pouvoir faire pleurer dans les chaumières et à ne pouvoir faire taire les autres grâce à la concurrence victimaire ? Il est temps que les victimes reconnaissent les privilèges dont elles jouissent et acceptent de les partager avec nous ! Le fait que nous soyons blancs, mâles, riches et en bonne santé n’est pas une raison légitime pour nous exclure de ce droit. À cette fin, nous réclamons le droit d’être discriminés !

Il faut reconnaitre que des premiers pas ont été franchis : nous avons été honteusement exclus de réunions non mixtes organisées par des féministes. Le fait que nous préférerions crever que d’assister à des évènements de bonnes femmes et de devoir écouter leurs jérémiades est bien entendu sans aucune pertinence. C’est une question de principe. Question de principe aussi, notre droit d’assister aux séances de groupes de discussion entre personnes racisées, même si nous avons des choses bien plus intéressantes à faire que d’écouter pleurnicher ce genre de personnes ! Les questions de discrimination ne sont-elles pas, précisément, des questions de principes ?

Ceci constitue donc un excellent point de départ, mais reste nettement insuffisant. Nous revendiquons le droit à une discrimination de principe et systématique, portant sur des situations que nous ne rencontrerons jamais, sur des lieux qui ne nous intéressent pas, sur des évènements qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de fréquenter.

Pourquoi ne pas nous exclure du droit de louer des logements insalubres ? Ou de celui de dormir dans la rue si ça nous chante ? Ou de celui de nous voir demander si nous ne portions pas une tenue un peu courte quand nous ne nous plaindrons pas d’agressions sexuelles que nous n’aurons pas subies ? Ou bien de celui d’être détenu dans un centre de rétention avant d’être expulsé du pays ? On pourrait aussi imaginer l’instauration d’un régime d’apartheid, dans quelque contrée inhospitalière, sur quelque atoll perdu et invivable. Un petit groupe de Noirs, d’Asiatiques ou d’Aborigènes quelconques s’y établirait, décrétant que les Blancs y jouiraient de droits égaux, mais séparés, qu’ils ne pourraient s’établir que sur la partie la plus inhabitable de leur misérable territoire et qu’ils seraient soumis à un couvre-feu. Enfin, nous serions égaux aux Palestiniens, aux Noirs d’Afrique du Sud, aux Aborigènes d’Australie, aux peuples premiers du Canada et à tant d’autres !

Nous serions tout autant victimes que ceux qui nous montrent aujourd’hui du doigt et pourrions citer une honteuse discrimination de chaque sorte. Drapés dans notre dignité, affectés, mais résilients, nous ferions d’ailleurs certainement de bien plus dignes victimes que ceux qui se sont arrogés cette position. Malgré le racisme antiblanc, malgré la haine des riches, malgré le sexisme rendant notre position de mâles alpha si inconfortable, nous donnerions l’exemple, la tête haute, en poursuivant notre route, en refusant de nous laisser abattre… Malgré l’adversité, nous continuerions de cultiver l’entre-soi, de sortir entre potes, de laisser les gosses à nos femmes, de recruter et promouvoir les fils de nos relations, de nous moquer des pédés et de discourir de la responsabilité des basanés dans leur triste destin.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.