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Politique et désenchantement
En février 2019, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) publiait son baromètre social consacré cette fois à la démocratie et aux institutions wallonnes. Les résultats en ont été finalement peu commentés par rapport à la crise qu’ils révèlent : seuls 35,6% des plus de 1.200 participants à l’étude affirment avoir moyennement confiance, une […]
En février 2019, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) publiait son baromètre social consacré cette fois à la démocratie et aux institutions wallonnes. Les résultats en ont été finalement peu commentés par rapport à la crise qu’ils révèlent : seuls 35,6% des plus de 1.200 participants à l’étude1 affirment avoir moyennement confiance, une grande confiance ou une confiance totale dans les politiciennes et politiciens, et ce chiffre tombe à 31,5% pour les partis politiques. Ces scores sont à mettre en comparaison avec la confiance accordée à la famille (96,2%), aux enseignant.e.s (89,5%), à l’armée (89,4%), aux syndicats (63,8%) ou à l’Union européenne (57,4%). Reprenons : près de deux tiers des sondés déclaraient donc explicitement leur défiance vis-à-vis du personnel politique, alors même que se lançait la campagne pour les élections régionales, fédérales et européennes.
Comment analyser ce résultat ? Comment en comprendre l’ampleur ? En quoi interroge-t-il les comportements des politiciennes et politiciens ? Bien sûr, les nombreux scandales de corruption expliquent une part de cette défiance… Mais cette explication semble bien insatisfaisante. L’Iweps conclut d’ailleurs : « les citoyens ne s’opposent […] pas au principe de la démocratie, mais réclament une meilleure démocratie en questionnant le système politique qu’ils considèrent, par ailleurs, comme inégalitaire ». Le sentiment d’impuissance exprimé par 74% des sondés se couple au sentiment que les décisions politiques ne « servent pas le bienêtre de tous » relevé par 69% d’entre eux. Autre élément notable, 70% des sondés ne considèrent pas qu’ils feraient un meilleur travail que les élus s’ils venaient à occuper leur siège.
Il faut donc aller plus loin, trouver les causes structurelles de la crise de confiance, laquelle s’inscrit dans la continuité de constats antérieurs, si bien que l’on doit plutôt parler d’un processus de désenchantement que d’une « crise ». Le parti pris de ce dossier est d’interroger le sentiment d’impuissance, le rejet des uns et l’indifférence croissante des autres, et d’ausculter ce qui, dans le jeu politique, peut contribuer à les alimenter, le tout dans le contexte particulier d’un diagnostic postcampagne électorale.
Le texte de Michel Molitor qui introduit ce questionnement traite précisément des résultats des élections. Il constate qu’un certain nombre de phénomènes marquants de ces élections (comme la poussée du PTB à Bruxelles et en Wallonie, le taux d’abstention localement très élevé, la déferlante nationaliste de droite extrême en Flandre) viennent profondément questionner l’hypothèse d’une indifférence croissante vis-à-vis du politique. Si l’on peut y voir des signes d’essoufflement progressif du système politique, il lui semble en même temps qu’il y a là une série d’invitations lancées aux partis pour se réinventer et pour transformer leurs discours, notamment en pensant de manière plus explicite l’articulation des enjeux entre les différents niveaux de pouvoir. Plus encore, il pointe la nécessité d’une clarification de la vision et du positionnement politiques des partis : il s’agit de définir un projet de réformes cohérent et consistant. À le suivre, une certaine « repolarisation du débat » paraît dans ce cadre absolument souhaitable.
Laurence Rosier revient précisément sur l’enjeu du discours sur le programme, au travers d’une analyse sociolinguistique des slogans de la campagne. Elle note la prédominance de verbes d’action sans aucun complément et d’adverbes et épithètes de l’ordre du banal : les slogans ont emprunté largement au vocabulaire commun, sans que ne se marquent les orientations idéologiques. Rejoignant le constat de Michel Molitor, elle interroge une forme de pauvreté sémantique qui reflète peut-être l’incapacité des partis à penser encore la transformation sociale.
Robin Lebrun, Thomas Legein et David Talukder s’intéressent aux choix stratégiques d’un parti politique en particulier, le MR, et au duel qui l’a opposé à Écolo. Ils notent que la campagne 2019 tranche avec celles qui l’ont précédée par la mise en exergue de « nouveaux » clivages, dont l’opposition « productivisme/écologie » qui a focalisé l’attention. Face à ce clivage qui vient fragiliser les partis traditionnels, le MR a opté pour une stratégie d’attaque systématique d’Écolo, là où le PS a opté pour une stratégie d’absorption. La résultante de cette stratégie du MR qu’ils décodent au travers de la presse est paradoxalement un renforcement de la crédibilité d’Écolo, au détriment du PS. Peut-être peut-on y voir une preuve que l’explicitation des clivages n’est pas forcément nuisible aux partis politiques ?
Christophe Mincke conclut ce dossier en offrant une réflexion sur la tension entre unanimisme et polarisation. Il revient sur le duel Écolo-MR en proposant une autre lecture de deux sujets clés de cette opposition. Le climat, d’abord, autour duquel le MR a lancé une série d’attaques violentes, accusant Écolo de préparer une salve de taxes insoutenables. Il soulève que cette stratégie d’attaque s’est doublée d’un projet « écopositif » finalement très flou de la part du MR qui a rejoint le discours unanime autour du climat tout en ne modifiant pas profondément ses lignes productivistes. Le « communautarisme » ensuite avec « l’affaire du tract » portant, entre autres, sur l’abattage rituel diffusé par deux candidats Écolo et rapidement condamné largement. Ce second moment a permis de quitter un certain « unanimisme de façade » pour polariser bien plus radicalement les débats, mais cette polarisation s’est opérée autour de symboles déconnectés, sans aucune nuance, au cout d’une énième stigmatisation d’une partie des citoyens, pour s’avérer finalement intenable. Ainsi, autour de cette campagne, les débats fondamentaux ont été escamotés avec un certain cynisme par les partis politiques, au profit de positionnements déconnectés d’une lecture idéologique (au sens positif du terme) et faisant sans cesse appel à une forme de « bon sens » d’où sont absentes la réflexivité et l’analyse.
Au travers de l’analyse de l’Iweps, on perçoit que l’aspiration fondamentale des citoyens n’est pas « moins de politique », mais bien « plus de politique », au sens d’une explicitation claire des enjeux portés par les programmes. Et une telle explicitation ne peut qu’aboutir à des positionnements plus marqués, mais autour du sens des mesures et non simplement des effets de manche autour de symboles. En d’autres termes, les citoyens semblent attendre plus d’idéologie, au sens d’un projet de société qui constitue la colonne vertébrale des mesures portées par les partis. Et force est de constater, lorsqu’on analyse la campagne 2019, que les partis politiques n’ont pas été capables de rencontrer cette attente. Pourtant, les défis sont immenses et l’urgence est partout : urgence environnementale bien sûr, urgence sociale aussi2. On sait les conséquences politiques potentiellement dramatiques qui résultent de la conjonction de la réalisation de l’urgence et du sentiment d’un immobilisme politique. Heureusement, nous rassure l’Iweps, les citoyens semblent fort attachés à la démocratie…, mais, forcément, ils se mettent à douter de son efficacité. S’ils ne veulent pas se retrouver hors-jeu, il est dès lors plus que temps pour les partis politiques de se repenser radicalement.
- Les scores peuvent être généralisés à la population wallonne compte tenu d’une marge d’erreur maximale de 2,8% pour un niveau de confiance de 95%.
- Rappelons qu’à côté des indicateurs comme le pouvoir d’achat qui opèrent des moyennes arithmétiques sur les revenus essentiellement du travail et qui montrent une situation belge pas trop défavorable bien que moins favorable que dans les pays limitrophes, plusieurs autres indicateurs suggérant une aggravation des inégalités explosent quant à eux, notamment le nombre de sans-abris dans les villes belges ou encore la réduction de l’espérance de vie dans les quartiers les moins riches de Bruxelles. Par ailleurs, derrière la question du travail elle-même doit être posée : si les revenus augmentent, les rythmes de travail et les exigences de rendement aussi, ce qui signifie concrètement une dégradation des conditions de travail qui touche singulièrement les travailleurs touchant les salaires les plus faibles.