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Police : violence démocratique ?

Numéro 4 – 2022 - police réformes Violences par Bernaert Gonzalez

juin 2022

Débattre de la police n’est pas chose aisée, notam­ment parce que démo­cra­tie et police sont des notions qui entre­tiennent des rap­ports pour le moins com­plexes. D’une part, la démo­cra­tie vise l’institution d’un régime de liber­tés col­lec­tives et indi­vi­duelles fon­dé sur le consen­te­ment et la mise en place d’une concur­rence paci­fiée entre dif­fé­rentes concep­tions de la […]

Dossier

Débattre de la police n’est pas chose aisée, notam­ment parce que démo­cra­tie et police sont des notions qui entre­tiennent des rap­ports pour le moins com­plexes. D’une part, la démo­cra­tie vise l’institution d’un régime de liber­tés col­lec­tives et indi­vi­duelles fon­dé sur le consen­te­ment et la mise en place d’une concur­rence paci­fiée entre dif­fé­rentes concep­tions de la vie bonne. D’autre part, le concept de police, qui pré­cède la créa­tion de l’institution poli­cière, repose sur l’idée de la néces­si­té d’une régu­la­tion des rela­tions sociales, à des fins de main­tien de l’ordre et de la nor­ma­ti­vi­té (démo­cra­tique ou non), au besoin par l’usage de la force. Cette idée d’une socié­té poli­cée — ou à poli­cer — ouvre sur une infi­ni­té de questionnements.

Dans les socié­tés qui sont les nôtres, une bonne part de ces ques­tion­ne­ments pointent vers une ins­ti­tu­tion spé­ci­fi­que­ment créée pour poli­cer la socié­té : LA police. Mais la com­plexi­té demeure, tant les tâches de la « force publique » sont nom­breuses et le regard que portent sur elles les citoyens varie avec (entre autres) leur sta­tut socioé­co­no­mique, leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle, leur ori­gine, leur genre ou leur orien­ta­tion sexuelle.

Aujourd’hui, la force publique est une fois de plus au cœur de débats hou­leux : la libé­ra­tion de la parole des mino­ri­tés raciales et sexuelles à pro­pos des vio­lences (au sens large) qu’elles subissent au quo­ti­dien a contri­bué à envi­sa­ger la police sous un angle dif­fé­rent. L’institution qui devrait idéa­le­ment les pro­té­ger s’avère être elle-même source d’insécurité pour ces mino­ri­tés lorsqu’elle agit comme gar­dienne de l’ordre social, plu­tôt que comme garante de l’ordre légal. Mou­ve­ments fémi­nistes, anti­ra­cistes et queer sou­lèvent des ques­tion­ne­ments que nous pour­rions résu­mer comme suit : com­ment une ins­ti­tu­tion à la culture pro­fes­sion­nelle machiste et raciste, com­po­sée pour la grande majo­ri­té d’hommes blancs et hété­ro­sexuels peut-elle répondre aux besoins sécu­ri­taires des mino­ri­tés inexis­tantes en son sein ? La force publique serait pour beau­coup une ver­sion concen­trée et opaque du modèle social nor­ma­tif res­pon­sable de la mar­gi­na­li­sa­tion de tout ce qui ne res­semble pas à la majorité.

Dans l’article intro­duc­tif de ce dos­sier, Emma­nuelle Alves Da Sil­va, col­la­bo­ra­trice au ser­vice Accom­pa­gne­ment & For­ma­tion à Unia1, aborde la ques­tion des attentes des vic­times envers la police et la manière dont celles-ci entrent en conflit avec la culture pro­fes­sion­nelle de l’institution com­plexe qu’est la police.

Notre deuxième contri­bu­trice est la juriste et cri­mi­no­logue Sarah Van Praet, qui a pas­sé 420 heures en obser­va­tion au sein d’une zone de police bruxel­loise. Elle inter­roge la sélec­ti­vi­té poli­cière, la manière dont les ser­vices de police choi­sissent les popu­la­tions aux­quelles elle s’adresse. Elle met notam­ment en lumière la com­plexi­té de la ques­tion, en par­tie due au fait que la police est à la dis­po­si­tion de la popu­la­tion, laquelle requer­ra son inter­ven­tion dans des situa­tions où les biais racistes ou clas­sistes peuvent être puis­sants. En fin de compte, la police ne choi­sit pas néces­sai­re­ment ses cibles, les­quelles lui sont sou­vent dési­gnées par la popu­la­tion elle-même.

Fran­çois Fec­teau, doc­teur en sciences poli­tiques, aborde, dans un troi­sième article, la ques­tion de la cri­mi­na­li­sa­tion des mou­ve­ments mili­tants. Com­ment l’imaginaire néo­li­bé­ral ain­si que les poli­tiques et concep­tions qui en découlent, peuvent-ils conduire à trans­for­mer toute demande de réforme sociale et éco­no­mique en une menace sécu­ri­taire sus­cep­tible de déclen­cher une réac­tion poli­cière ? Se pro­file à nou­veau la ques­tion des usages qui sont faits, col­lec­ti­ve­ment, de la police.

La qua­trième contri­bu­tion, de Sybille Smeets et Car­rol Tange, cri­mi­no­logues, porte sur l’épineuse ques­tion de l’évaluation des forces de l’ordre. Qui doit éva­luer la police et com­ment cette éva­lua­tion doit-elle être menée ? La ques­tion est essen­tielle en démo­cra­tie, tant il est indis­pen­sable que les actions répres­sives fassent l’objet d’une jus­ti­fi­ca­tion repo­sant, notam­ment, sur la démons­tra­tion de leur uti­li­té. La pro­blé­ma­tique est remar­qua­ble­ment déli­cate, en ce qu’elle oblige à se deman­der ce que nous atten­dons col­lec­ti­ve­ment de notre police ?

Enfin, un article de Sas­kia Simon, anthro­po­logue et coor­di­na­trice de Police Watch, l’observatoire des vio­lences poli­cières de la Ligue des droits humains, traite de la néces­saire prise en compte de l’expérience des vic­times de vio­lences poli­cières afin de leur don­ner une chance de se recons­truire et, sur­tout, de réta­blir leur confiance dans les institutions.

Sans avoir l’ambition de faire le tour de la ques­tion, le pré­sent dos­sier entend amor­cer une série d’interrogations essen­tielles pour une police à voca­tion démo­cra­tique. Il s’agit avant tout d’ouvrir des réflexions col­lec­tives visant à mettre en ques­tion les ser­vices de police. Cette démarche n’est en rien une oppo­si­tion aux ser­vices de police, mais au contraire, une consé­quence logique de leur inté­gra­tion à un État aux visées démo­cra­tiques. L’interrogation des mis­sions et moyens d’action de la police fait par­tie du jeu nor­mal de la démo­cra­tie, et le débat à leur sujet est pré­ci­sé­ment le moyen de la légi­ti­ma­tion des ins­ti­tu­tions concer­nées. C’est par ailleurs l’occasion d’adresser à une ins­ti­tu­tion, en réforme orga­ni­sa­tion­nelle constante depuis des années, des ques­tions ne tenant pas au mana­ge­ment ni aux voies et moyens, mais aux fina­li­tés et aux moda­li­tés de son action.

De plus, le retour à la com­plexi­té que nous ten­tons ici d’opérer s’oppose judi­cieu­se­ment aux constantes ten­ta­tives d’instrumentalisation poli­tique des ques­tions poli­cières et indique à quel point le champ concer­né est com­pli­qué et ne peut être abor­dé par le petit bout de la lor­gnette d’un seul des acteurs en pré­sence. Si la police ambi­tionne d’être légi­time dans un contexte démo­cra­tique, il est néces­saire d’aborder les ques­tions qui la concernent avec toute la dif­fi­cul­té et toutes les nuances qui sont le propre des régimes sub­tils qui refusent de voir la matraque comme une fin en soi.

  1. Unia, ex-Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, est une ins­ti­tu­tion publique indé­pen­dante qui lutte contre la dis­cri­mi­na­tion et défend l’égalité des chances en Belgique.

Bernaert Gonzalez


Auteur

Francis Bernaert González est étudiant de master en relations internationales et en histoire (ULB). Il a été chargé de la coordination de ce dossier thématique en tant que stagiaire à La Revue nouvelle. Après s’être engagé comme soldat à 19 ans, il décide de quitter l’armée après son instruction et d’entreprendre des études universitaires. Son expérience militaire le marquera assez pour qu’il garde un intérêt pour les questions qui relèvent de la gestion de la violence et de sécurité en démocratie du fait que ces notions s’articulent souvent difficilement entre elles