Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Plan de fréquences : chronique d’un retour à la légalité

Numéro 10 Octobre 2010 par Bernard Dubuisson

octobre 2010

Le 17 juin 2008, le Conseil supé­rieur de l’au­dio­vi­suel (CSA) ren­dait ses déci­sions dans le cadre de l’ap­pel d’offres pour les fré­quences FM — le fameux « plan de fré­quences ». Il accor­dait un sésame à cer­taines radios et en contrai­gnait d’autres au silence. Ce plan a sus­ci­té d’in­tenses pas­sions et quelques polé­miques. De quel droit le CSA se per­met-il de faire dis­pa­raitre des radios ? Et sur quelle base ? Face à ces ques­tions, seri­nées par des cen­taines d’au­di­teurs incré­dules et en colère, force est de consta­ter que quelques élé­ments d’ex­pli­ca­tion s’im­posent. Car le pay­sage radio­pho­nique est un monde par­ti­cu­lier et mécon­nu qui com­bine des enjeux cultu­rels, tech­niques et économiques.

La bande FM d’avant 2008 a des airs de conquête de l’Ouest. Après une pre­mière période d’euphorie liée à la salu­taire et his­to­rique ouver­ture des ondes à d’autres voix que celles de l’État, « les prin­ci­pales radios pri­vées ont consti­tué pro­gres­si­ve­ment leur réseau par rachat, fran­chise ou absorp­tion de fré­quences locales1 » dans un contexte « d’obsolescence constante du cadre décré­tal », cadre qui fait l’objet d’une « vio­la­tion en toute quié­tude et de façon publique2 » alors qu’en toute logique, les res­sources rares que sont les radio­fré­quences devraient être répar­ties au mieux de l’intérêt géné­ral. La RTBF, dont les fré­quences sont mieux pro­té­gées, est le seul opé­ra­teur qui évo­lue dans une cer­taine sécu­ri­té. Pour les radios pri­vées, c’est-à-dire non publiques, il fau­dra attendre 2008 pour que le plan de fré­quences réta­blisse l’État de droit.

1997 : le début de la fin de la récréation

En 1997, après presque vingt années de ges­tion hou­leuse3, qui ver­ront notam­ment le trans­fert des com­pé­tences en matière d’attribution de radio­fré­quences aux enti­tés fédé­rées, la Com­mu­nau­té fran­çaise adopte par décret un cadre légal tout neuf pour la bande FM. Il pré­voit un sta­tut spé­ci­fique pour les réseaux qui dif­fusent sur plu­sieurs radio­fré­quences (comme Bel RTL, Contact ou Nos­tal­gie), ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. En outre, l’autorisation des réseaux et des radios indé­pen­dantes devra désor­mais se faire par le biais d’une pro­cé­dure d’appel d’offres objec­tive et trans­pa­rente qui pré­voit deux étapes dis­tinctes. La pre­mière concerne l’établissement du cadastre des radio­fré­quences attri­buables. C’est le gou­ver­ne­ment, à tra­vers son ministre de l’Audiovisuel, qui est char­gé de déter­mi­ner les « lots » à attri­buer aux radios indé­pen­dantes et aux réseaux, et de lan­cer l’appel d’offres par le biais d’un arrêté.

La seconde étape concerne le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel. C’est son Col­lège d’autorisation et de contrôle, ins­tance créée par ce même décret, qui sera char­gé de récep­tion­ner les can­di­da­tures en réponse à l’appel d’offres et d’attribuer les lots disponibles.

Sur le papier, la méca­nique est lim­pide. Son appli­ca­tion sera pour­tant impos­sible pen­dant dix ans.

La radio rattrapée par les démons de la belgitude

Pour­quoi le gou­ver­ne­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise ne lance-t-il pas d’appel d’offres ? Entre 1997 et 2007, pas moins de six ministres de l’Audiovisuel vont se pas­ser un dos­sier qua­li­fié de « pour­ri ». Les deux ten­ta­tives les plus abou­ties (en 1999 par Lau­rette Onke­linx et en 2004 par Oli­vier Chas­tel) feront long feu. C’est que la pro­blé­ma­tique est com­plexe. Et le com­mu­nau­taire s’en mêle. Pour éta­blir le cadastre des fré­quences attri­buables, les règles inter­na­tio­nales du spectre pré­voient que la Com­mu­nau­té fran­çaise doit obte­nir l’accord des auto­ri­tés voi­sines sur cha­cune des radio­fré­quences qui y figurent. En Bel­gique, cela signi­fie aus­si que la Com­mu­nau­té fran­çaise doit obte­nir l’aval de la Com­mu­nau­té fla­mande sur cha­cun de ses émet­teurs. Or, cette der­nière gère son parc de fré­quences de manière très dif­fé­rente, pour des rai­sons poli­tiques et géo­gra­phiques. Les demandes fran­co­phones posent pro­blème, en par­ti­cu­lier à Bruxelles. Irri­tée par le lais­ser-aller de la situa­tion et les sur­puis­sances des réseaux fran­co­phones, la Flandre y tient une posi­tion radi­cale : aucune onde fran­co­phone ne doit pas­ser en sol flamand.

Le gou­ver­ne­ment fran­co­phone se heurte, de l’autre côté, au poids des réseaux qu’il a lais­sé se déve­lop­per. On ima­gine que les ministres de l’Audiovisuel suc­ces­sifs renâclent à se mettre ces médias à dos sur un dos­sier tech­nique qui n’intéresse per­sonne et dont les hypo­thé­tiques béné­fices poli­tiques sont inver­se­ment pro­por­tion­nels au risque d’échec. Main­te­nir le sta­tu­quo arrange les prin­ci­paux pro­ta­go­nistes du dos­sier. Les opé­ra­teurs fran­co­phones conservent leur posi­tion avan­ta­geuse. Le gou­ver­ne­ment évite un dos­sier sen­sible poli­ti­que­ment, et même la Flandre, qui ne connait pas ces pro­blèmes de sécu­ri­té juri­dique, est en situa­tion de force face à des fran­co­phones affai­blis par l’absence de licences valides chez les opé­ra­teurs pri­vés. La loi de la jungle est-elle un suc­cès pour autant ? Non, car les opé­ra­teurs les plus faibles, ceux qui refusent de jouer la sur­en­chère et se contraignent dans une posi­tion léga­liste, meurent en silence.

Vers le déblocage

Les points de blo­cage struc­tu­rel fini­ront par dis­pa­raitre l’un après l’autre.

Tout d’abord, en 2006, le Conseil d’État va accep­ter l’idée qu’une Com­mu­nau­té puisse éta­blir son propre plan sans avoir obte­nu l’aval de l’autre Com­mu­nau­té, pour autant que cet exer­cice n’empêche pas cette der­nière de mener sa propre poli­tique en matière d’attribution de fré­quences. Sin­gu­liè­re­ment, c’est à la faveur d’un plan fla­mand que le Conseil d’État se pro­non­ce­ra. Cela va per­mettre à la Com­mu­nau­té fran­çaise de lan­cer son appel d’offres même si cer­taines fré­quences n’ont pas obte­nu l’accord de la Com­mu­nau­té flamande.

Ensuite, les réseaux com­mencent à souf­frir de la situa­tion de non-droit. En 2005, ils obtiennent un revi­re­ment de la juris­pru­dence du Col­lège d’autorisation et de contrôle du CSA sur les émet­teurs pirates. Au nom de la liber­té d’expression, le Col­lège décide à cette époque de ne plus pour­suivre les pirates lorsqu’aucun brouillage n’est avé­ré, jusqu’à l’adoption du plan de fré­quence. Mais dans cette brèche, ce sont sur­tout de nou­veaux entrants qui vont s’engouffrer. Des réseaux régio­naux ou thé­ma­tiques, des radios com­mu­nau­taires, et d’autres encore com­mencent à rem­plir tous les inter­stices du cadastre. Même la RTBF, pour­tant seul opé­ra­teur à dis­po­ser d’un parc incon­tes­table de fré­quences, uti­lise illé­ga­le­ment cer­taines capa­ci­tés encore vacantes. À Bruxelles, fin 2007, on dénom­bre­ra qua­torze émet­teurs illé­gaux en plus de ceux qui uti­lisent des fré­quences régu­lières. Cet afflux de « nou­veaux pirates » mul­ti­plie les sources de per­tur­ba­tion et finit par faire trem­bler sur leurs bases les « pirates plus anciens », qui s’organisent et se mettent autour de la table avec le cabi­net de la ministre de l’Audiovisuel, Fadi­la Laanan.

En outre, en 2007, les écueils juri­diques qui, depuis 2000, empê­chaient l’IBPT fédé­ral d’assurer sa mis­sion de police des ondes — soit la capa­ci­té de véri­fier et d’assurer la confor­mi­té des émet­teurs en ver­tu des auto­ri­sa­tions déli­vrées par les Com­mu­nau­tés — dis­pa­raissent avec l’adoption d’une nou­velle loi. Un accord de coopé­ra­tion entre les Com­mu­nau­tés et l’État fédé­ral per­met l’exercice effec­tif de la police des ondes à par­tir de juin 2008. Pas­sé cette échéance, c’est tout le plan fran­co­phone qui sera sérieu­se­ment mena­cé si la situa­tion reste en l‘état.

Enfin, pré­ci­sé­ment, le cabi­net Laa­nan est bien déter­mi­né à prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés pour mener le dos­sier à son terme. Le 21 décembre 2007, armé d’une stra­té­gie effi­cace, de quelques astuces juri­diques et d’une bonne dose de cou­rage poli­tique, le gou­ver­ne­ment par­vient enfin à adop­ter les arrê­tés fixant l’appel d’offres. La réus­site de cette pre­mière phase passe par plu­sieurs élé­ments : des arrê­tés fixant le cadastre sont adop­tés sous formes de « strates » en fonc­tion de leur soli­di­té juri­dique, de sorte que la chute des strates les plus faibles au point de vue légal n’occasionnerait pas l’effondrement de l’ensemble du plan ; l’architecture des réseaux ne se contente pas de figer les posi­tions d’alors, mais per­met à chaque réseau d’espérer obte­nir ce qu’il sou­haite sans se sen­tir exclu d’avance.

L’appel d’offres ain­si publié au Moni­teur le 22 jan­vier 2008 remet à plat l’intégralité du pay­sage des radios pri­vées fran­co­phones, donc hors la RTBF qui reçoit ses fré­quences direc­te­ment par son contrat de ges­tion. Il pro­pose aux can­di­dats quatre réseaux à cou­ver­ture dite « com­mu­nau­taire », deux réseaux à cou­ver­ture dite « urbaine », cinq réseaux à cou­ver­ture pro­vin­ciale et quatre-vingt-cinq fré­quences attri­buables à des radios indé­pen­dantes, soit nonante-six « lots » à attri­buer. À ce jour, seule la Com­mu­nau­té fla­mande a intro­duit un recours contre ces arrêtés.

Le CSA, « politiquement irresponsable »

La seconde étape voit le CSA récep­tion­ner les réponses à l’appel d’offres et attri­buer les fré­quences. Une pro­cé­dure à haut risque à plu­sieurs égards.

Tout d’abord, le conte­nu de l’appel d’offres ne per­met pas de reca­ser tout le monde. Il y a plus de réseaux en acti­vi­té que de réseaux dis­po­nibles. Même chose pour les radio­fré­quences indé­pen­dantes à Bruxelles. Le plan va inévi­ta­ble­ment contraindre cer­tains à fer­mer bou­tique — inac­cep­table dans une socié­té qui place la liber­té d’expression comme valeur car­di­nale ! — et entrai­ner des recours dili­gen­tés par des opé­ra­teurs mécontents.

Ensuite, tout le pay­sage se sou­vient des recon­nais­sances arbi­traires et opaques qui avaient cours par le pas­sé. Cette fois, le régu­la­teur est atten­du au tour­nant par tout un sec­teur : la pro­cé­dure devra être irréprochable.

Enfin, l’instance d’appel du CSA, le Conseil d’État, veille au grain. Il n’est pas répu­té pour sa ten­dresse à l’égard du régu­la­teur. Sa sec­tion de légis­la­tion avait déjà épin­glé son curieux sta­tut d’autorité admi­nis­tra­tive indé­pen­dante, « poli­ti­que­ment irres­pon­sable », dont le pou­voir d’appréciation devait être, selon elle, réduit au mini­mum. Et la sec­tion d’administration a déjà annu­lé de nom­breuses déci­sions pour des ques­tions de formes ou de res­pect de prin­cipes juridiques.

Pour choi­sir, le Col­lège d’autorisation et de contrôle (CAC) dis­pose de quelques balises four­nies par le décret sur la radio­dif­fu­sion : la pro­cé­dure dure­ra trois mois et ses choix doivent s’appuyer sur deux axes, dit le décret. D’une part, le CAC doit, dans ses déci­sions, par­ve­nir « à une diver­si­té du pay­sage et un équi­libre entre les for­mats de radio à tra­vers l’offre musi­cale, cultu­relle et d’information ». D’autre part, le décret liste une série de cri­tères à uti­li­ser pour dépar­ta­ger les can­di­dats : la manière dont ils entendent res­pec­ter leur cahier des charges, leur soli­di­té finan­cière, leur ori­gi­na­li­té, leur carac­tère décen­tra­li­sé et leur expérience.

Une procédure minutieuse et transparente

Le CAC est bien conscient de sa res­pon­sa­bi­li­té : il s’accorde sur une pro­cé­dure minu­tieuse et trans­pa­rente qui doit abou­tir aux déci­sions de refus et d’autorisation.

Tout d’abord, il va publier deux recom­man­da­tions inter­pré­ta­tives. L’une, publiée dès le mois d’aout 2007, explique com­ment le col­lège entend appli­quer les dis­po­si­tions en matière de plu­ra­lisme du pay­sage, c’est-à-dire évi­ter les posi­tions domi­nantes qui seraient en mesure de nuire à la diver­si­té des opi­nions. On constate en effet que le pay­sage avant l’appel d’offres s’est for­te­ment concen­tré pen­dant la période de vide juridique.

La seconde recom­man­da­tion, publiée peu après l’appel d’offres, explique, de manière très pré­cise, com­ment le col­lège compte réa­li­ser cette diver­si­té et cet équi­libre de l’offre pré­vus par le décret : cela pas­se­ra par cinq « pro­fils » de can­di­dats défi­nis par des cri­tères concrets et trans­pa­rents (radio géné­ra­liste, radio thé­ma­tique, radio com­mu­nau­taire, radio d’expression et radio géo­gra­phique); puis par l’établissement d’un ordre de prio­ri­té à cer­tains pro­fils pour chaque lot, chaque fré­quence, en fonc­tion de cri­tères objec­tifs de situa­tion (fré­quence iso­lée, fré­quence dans une grande ville, réseaux pro­vin­ciaux, urbains et com­mu­nau­taires, etc.). Ain­si, une fré­quence iso­lée devra prio­ri­tai­re­ment être attri­buée à une radio de pro­fil « géo­gra­phique ». Une grande ville devra comp­ter prio­ri­tai­re­ment un quart de radios thé­ma­tiques, un quart de radios d’expression et un quart de radios com­mu­nau­taires. Ces infor­ma­tions sont ren­dues publiques alors que les can­di­dats sont occu­pés à rédi­ger leur offre, de sorte que cha­cun a la pos­si­bi­li­té d’ajuster son pro­jet en fonc­tion des prio­ri­tés annon­cées en toute trans­pa­rence par le régulateur.

L’ouverture des offres, le len­de­main du lun­di de Pâques 2008, annonce la cou­leur. Au total, cent-soixante-trois offres sont comp­ta­bi­li­sées à l’ouverture. Plu­sieurs demandes par­ve­nues hors délai sont éli­mi­nées, comme un pro­jet de radio pan­afri­caine à Bruxelles, por­té par de nom­breuses asso­cia­tions, ou encore OSR, l’une des plus anciennes radios asso­cia­tives encore en acti­vi­té à l’époque.

Le CSA va alors pas­ser au crible plus de deux-cents points dans chaque dos­sier. Il s’agit d’abord de déter­mi­ner la rece­va­bi­li­té des can­di­dats. Sur les cent-soixante-trois dos­siers, vingt-trois sont écar­tés pour des lacunes fon­da­men­tales qui rendent leur trai­te­ment impos­sible. C’est le cas de can­di­dats qui ne spé­ci­fient pas le ou les lots qu’ils sou­haitent obte­nir. C’est aus­si le cas de Nova FM, la radio étu­diante de Lou­vain-la-Neuve, dont le dos­sier ne com­porte aucune infor­ma­tion sur son financement.

Il s’agit ensuite de clas­ser les can­di­dats en fonc­tion de l’un des cinq pro­fils déter­mi­nés au départ, à tra­vers le repé­rage des cri­tères annon­cés. La com­plexi­té redou­tée — répar­tir de manière équi­li­brée quatre-vingt-cinq lots entre cent-qua­rante can­di­dats, en tenant compte de leurs pré­fé­rences — peut ain­si être arti­cu­lée en fonc­tion de quelques arbi­trages beau­coup plus ciblés et sur­tout plus per­ti­nents, car si com­pa­rai­son il y a, elle se fera prin­ci­pa­le­ment entre can­di­dats d’un même profil.

Les déli­bé­ra­tions finales sont détri­plées : les dix membres du CAC se scindent en deux sous-com­mis­sions qui tra­vaillent en paral­lèle, puis réexa­minent les dos­siers en plé­nière. Cela garan­tit que chaque dos­sier fait l’objet d’un triple exa­men et neu­tra­lise les effets liés à la dyna­mique de groupe ou au timing des réunions.

En fait, les déci­sions finales découlent de plu­sieurs micro­dé­ci­sions, par­mi les­quelles cer­taines, impor­tantes, ont été prises et ren­dues publiques avant même l’ouverture des offres, in tem­pore non sus­pec­to : une manière qu’a trou­vée le Col­lège pour res­treindre lui-même son propre pou­voir d’appréciation.

Bras de fer médiatique

La pro­cé­dure ne suit pas pour autant son cours sans heurts. C’est que le CSA est contraint de faire ses choix par­mi les offres ren­trées. Par exemple, les quatre lots les plus impor­tants, ceux rela­tifs aux réseaux com­mu­nau­taires, sont deman­dés par huit can­di­dats. Cer­tains jouent le quitte ou double. Par exemple, le groupe Radio H lié à RTL et à Ros­sel, dont les can­di­dats Bel RTL et Radio Contact pos­tulent de manière exclu­sive, res­pec­ti­ve­ment pour le lot C1 et le lot C2. Le régu­la­teur n’a d’autre choix que de leur attri­buer ce qu’ils demandent, ou de les rayer du pay­sage. Dans le même temps, il doit se deman­der si attri­buer les deux meilleurs réseaux au même groupe audio­vi­suel est conforme à l’objectif de pluralisme.

Le 17 juin 2008, les déci­sions sont ren­dues publiques. Comme l’on peut s’y attendre, les can­di­dats écon­duits mani­festent leur décep­tion. Leur colère, même. Le groupe Radio H, qui rafle la mise avec Bel RTL et Radio Contact, mais qui perd Mint pour des rai­sons de plu­ra­lisme, mobi­lise toutes ses forces pour contes­ter le refus. C’est ain­si qu’une cam­pagne de presse inédite s’engage pour mobi­li­ser le public. Encarts dans Le Soir et les jour­naux du groupe Sud-Presse, cartes pos­tales gra­tuites de sou­tien, péti­tions qu’invitent à signer des hôtesses lors d’évènements par­te­naires, mobi­li­sa­tion des artistes phares de la chaine, spots publi­ci­taires juste avant le jour­nal télé­vi­sé de RTL-TVi et inter­ven­tions diverses au sein même de ce jour­nal télé­vi­sé… Un déploie­ment de forces bien orga­ni­sé qui ras­sem­ble­ra sep­tante-mille signa­tures et démon­tre­ra au pas­sage que si la radio d’aujourd’hui est lar­ge­ment — et para­doxa­le­ment vu son suc­cès — absente des consciences, la fer­me­ture d’un émet­teur s’accompagne encore, elle, d’une puis­sante sym­bo­lique mobilisatrice.

Le mes­sage du groupe Radio H est clair : le CSA doit reti­rer sa déci­sion de sup­pri­mer Mint du pay­sage. Et l’arme ultime, c’est le Conseil d’État. Ce der­nier, sai­si en extrême urgence, don­ne­ra rai­son au régu­la­teur, vali­dant au pas­sage l’approche rigou­reuse adop­tée par le Collège.

À ce jour, une tren­taine de recours ont été dépo­sés contre les déci­sions. Cer­tains juge­ments ont conclu à la sus­pen­sion, essen­tiel­le­ment pour des rai­sons de moti­va­tion for­melle et non sur le fond.

Retour désenchanté au réel

Le plan est-il pour autant une réus­site ? Le CAC s’est effor­cé de recom­po­ser le pay­sage au mieux de ce qui lui était don­né de faire. Mais il faut bien recon­naitre que le renou­vè­le­ment atten­du par cer­tains n’a pas eu lieu.

Dans un appel d’offres, en effet, le choix est limi­té aux seuls par­ti­ci­pants. En l’occurrence, la grande majo­ri­té des dos­siers ren­trés l’étaient par des radios en acti­vi­té au moment de l’appel d’offres. Très peu de nou­veaux pro­jets ont été ren­trés, encore moins accep­tés. Pour­quoi ? Tout d’abord, c’est une ques­tion de fond. À l’heure des nou­veaux médias, le modèle domi­nant n’est plus la radio libre créée dans le bouillon­ne­ment post-soixante-hui­tard. La bande FM, bien qu’elle reste très pré­sente dans nos vies, n’est plus la voie natu­relle qui ali­mente nos dési­rs de liber­té d’expression. Une ques­tion de forme ensuite. Après plu­sieurs ten­ta­tives avor­tées, plus per­sonne ne croyait à l’avènement du plan de fré­quences. Une pers­pec­tive peu encou­ra­geante qui n’a pas favo­ri­sé la ger­mi­na­tion d’idées nova­trices. Et lorsqu’il sort, l’appel d’offres ne laisse que soixante jours aux can­di­dats pour ren­trer leur dos­sier : c’est trop court pour mon­ter un pro­jet nouveau.

Même les opé­ra­teurs en acti­vi­té se retrouvent face à une pro­cé­dure rela­ti­ve­ment lourde. Mal­gré un accom­pa­gne­ment de l’appel d’offres par l’autorité publique4, les radios indé­pen­dantes, qui sont en géné­ral des ASBL gérées par des béné­voles, ont du mal à suivre les consignes strictes du cahier des charges. En trente ans, elles n’ont guère été confron­tées aux pro­cé­dures admi­nis­tra­tives. Pour elles, l’appel d’offres — et plus lar­ge­ment, le retour à la léga­li­té — s’accompagne de contraintes et de paperasserie.

Le prix de la défaillance publique

Comme atten­du, le plan de fré­quences a lar­ge­ment mis le CSA sur la sel­lette. La régu­la­tion de l’audiovisuel doit être confiée à une auto­ri­té admi­nis­tra­tive indé­pen­dante, pos­tu­lait Fran­çois Jon­gen en 19945. Pour la radio, en Com­mu­nau­té fran­çaise, ce n’est qu’en 2008 que le CSA s’est essayé à l’exercice d’un pou­voir d’autorisation d’une inten­si­té inédite non seule­ment pour lui, mais pour toute auto­ri­té de régu­la­tion en Europe. Mal­gré les inévi­tables pres­sions, son indé­pen­dance struc­tu­relle a pu y être démon­trée au tra­vers de déci­sions dument moti­vées et conformes aux règles applicables.

Enfin, force est de consta­ter que les grandes manœuvres autour du plan ont visé au pre­mier chef un but de sta­bi­li­sa­tion juri­dique. Cet objec­tif a pri­mé sur tous les autres, à la fois dans la consti­tu­tion pru­dente du cadastre, dans l’organisation d’un appel d’offres éli­mi­na­toire, et dans la sévé­ri­té des pro­cé­dures. Cette sévé­ri­té, bien que néces­saire dans le contexte, s’est sol­dée par ce qui a pu légi­ti­me­ment être res­sen­ti comme des injus­tices, là où aucune fré­quence n’était pro­po­sée pour recon­duire tel pro­jet exis­tant, lorsque tel can­di­dat a été écar­té pour des rai­sons de forme, ou, sim­ple­ment, lorsque tel autre can­di­dat n’a pas été recon­duit faute de place, comme à Bruxelles où il y avait trente-trois pro­jets pour onze radio­fré­quences indé­pen­dantes. Sans doute les opé­ra­teurs ont-ils payé le prix d’années de défaillances de l’autorité publique, qui a lais­sé naitre et se déve­lop­per beau­coup plus d’opérateurs que sa bande FM ne pou­vait en accueillir. En quelque sorte, pen­dant près de vingt ans, le pay­sage radio­pho­nique a vécu bien au-des­sus de ses moyens.

Aujourd’hui, la sta­bi­li­sa­tion est loin d’être ache­vée. Certes, la mul­ti­pli­ca­tion des pirates est endi­guée, les radios sont recon­nues et accom­pa­gnées dans leur acti­vi­té par l’autorité publique — situa­tion inédite pour le sec­teur ! Loin des cli­chés inqui­si­teurs, cet accom­pa­gne­ment per­met un sui­vi, voire un sou­tien des opé­ra­teurs, sin­gu­liè­re­ment les plus faibles. C’est ain­si que les radios asso­cia­tives et d’expression béné­fi­cient d’un sta­tut spé­ci­fique qui garan­tit leur péren­ni­té à tra­vers la redis­tri­bu­tion d’une frac­tion des recettes publi­ci­taires des réseaux.

Mais cer­tains pro­blèmes demeurent, comme les désac­cords entre les Com­mu­nau­tés sur cer­taines fré­quences attri­buées. Et sur­tout, si la pré­ca­ri­té juri­dique n’est plus de mise, une grosse par­tie du pay­sage, y com­pris cer­tains réseaux, n’est pas sor­tie de la pré­ca­ri­té éco­no­mique. Car là aus­si, et pour quelque temps encore, le lais­ser-aller des grandes années lais­se­ra des traces. C’est donc, comme d’habitude, sur la longue durée, et non à l’échelle d’une pro­cé­dure iso­lée, que la régu­la­tion devra faire la preuve de son efficacité.

La chro­nique de ces mois intenses est un exer­cice par­ti­cu­lier. Par ma posi­tion, j’ai eu la chance d’en être un témoin pri­vi­lé­gié. Mon point de vue reste tou­te­fois conscrit dans les limites de ma sub­jec­ti­vi­té, celle de res­pon­sable de l’unité « Radio » du CSA. Il se dis­tingue ain­si du point de vue d’autres pro­ta­go­nistes et ne reflète pas plus celui du CSA ni du Col­lège d’autorisation et de contrôle, qui a pris seul les déci­sions et les assume en toute souveraineté.

  1. Lent­zen E. et Cau­friez Ph., « Trente ans de radio en Com­mu­nau­té fran­çaise (1978 – 2008)», Cour­rier heb­do­ma­daire du Crisp, n° 2033 – 2034, p. 88, note 193.
  2. « Radios pri­vées » dans De Cos­ter S.-P. et Jon­gen Fr. (dir.), Media­lex 2 : recueil de textes com­men­tés, Klu­wer 1997, p. 346.
  3. Pour un his­to­rique com­plet de la bande FM belge fran­co­phone, voir le récent ouvrage d’Evelyne Lent­zen et Phi­lippe Cau­friez, cité en infra. Pour un point de vue plus sub­jec­tif sur ces mêmes années, voir « Comme un avion sans ailes, la chro­nique de Radio Panik ».
  4. Notam­ment via un site inter­net spé­cia­le­ment créé pour l’occasion : www.fm2008.be.
  5. Fran­çois Jon­gen, La police de l’audiovisuel, Bruy­lant 1994.

Bernard Dubuisson


Auteur