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Pierre de Locht, témoin de la liberté
En 1970, Pierre de Locht, prêtre catholique, théologien et fondateur du centre national de pastorale familiale, publiait un ouvrage intitulé Et pourtant je crois. En février 2007, à la veille de son décès, paraissait le dernier de ses livres : Chrétien aujourd’hui : un engagement contradictoire ? De l’un à l’autre de ces écrits, la même interrogation au sujet de […]
En 1970, Pierre de Locht, prêtre catholique, théologien et fondateur du centre national de pastorale familiale, publiait un ouvrage intitulé Et pourtant je crois. En février 2007, à la veille de son décès, paraissait le dernier de ses livres : Chrétien aujourd’hui : un engagement contradictoire ? De l’un à l’autre de ces écrits, la même interrogation au sujet de l’adhésion religieuse, de la foi chrétienne et de la permanence d’une solidarité avec l’Église catholique. Une trilogie de questions que cette grande figure spirituelle de la Belgique contemporaine n’a jamais consenti à dissocier, car elles constituaient ensemble ce qu’il appelait lui-même son « chemin de vie ».
Il aurait pourtant eu plus d’une raison de les dissocier, tant il est vrai que le Dieu qu’il croyait présent au cœur de la condition humaine semblait de plus en plus éloigné des codes, dogmes et encycliques en filigrane desquels l’institution ecclésiastique nous le donne à voir. Pierre de Locht fut même le premier à prendre la mesure de cette distance, puisque les quarante dernières années furent celles au cours desquelles il en paya personnellement le prix.
Dès sa publication en 1968, l’encyclique Humanæ vitæ — portant sur les méthodes de contraception — avait installé dans l’Église catholique un malaise intellectuel et disciplinaire profond. Il ne devait plus jamais disparaitre depuis. Il n’a fait qu’y couver à la manière d’une pathologie maligne dont Rome n’a jamais voulu sérieusement prendre la mesure et comprendre la signification. Comme si non seulement l’indisponibilité intellectuelle de la théologie romaine vis-à-vis de la culture moderne mais aussi sa froide indifférence à l’égard du vécu des personnes étaient les conditions de reconnaissance de la prétention à l’infaillibilité de son pontife suprême.
Et c’est cela que Pierre de Locht ne pouvait accepter et qu’il n’accepta jamais. Son expérience, disait-il, avait forgé sa conviction qu’en chaque être humain, quel qu’il soit, il y a beaucoup plus de richesse et de capacité à s’assumer de manière responsable qu’on ne le croit et qu’il y croit lui-même. Et son souci d’aider chacun à oser être personnel, même à l’égard de la foi religieuse, fut pour lui une préoccupation majeure. À l’écoute des gens, il percevait comme peu savent le faire, combien les difficultés rencontrées dans le concret de l’existence sont autrement complexes que ce que les principes moraux de la plus intelligente des théories parviennent à exprimer. Et c’est sur ce terrain-là, celui de la réalité concrète, qu’il rejoignit plus d’une fois ceux qui, croyant ou non, s’attèlent aux grandes tâches humanitaires auxquelles notre époque convie.
Les lecteurs de La Revue nouvelle connaissent ce que furent les solidarités et les prises de position de Pierre de Locht. Il les a plus d’une fois exprimées dans nos pages, même s’il trouvait que le style de notre publication était souvent trop compliqué. Elles concernèrent les débats sur l’avortement, bien sûr, mais aussi ceux de l’éthique familiale, du contrôle des naissances, de la procréation médicalement assistée et de l’euthanasie. C’est-à-dire tous les débats qui traitent du « respect des vivants » et non pas de ce que la théologie romaine appelle abstraitement « le respect de la vie ». Car pour lui, cette sorte de vitalisme sacré qui anime la théologie était plus que suspect et il lui était devenu impossible de penser qu’aux yeux du Dieu des évangiles ce soit « la vie » comme concept qui soit sacrée plutôt que les êtres de chair et de sang que sont les hommes et les femmes de ce temps.
Sur ces questions, le « chemin de vie » de Pierre de Locht ne pouvait pas concorder avec celui du magistère ecclésial. La hiérarchie le lui fit savoir et lui en fit payer méchamment les conséquences par diverses mesures de marginalisation. Mais il disposait d’une suffisante sécurité intérieure pour ne pas se laisser détruire par cette logique institutionnelle. Plutôt que de prendre congé de l’Église, il jugea plus utile d’y promouvoir des actions transformatrices à l’égard de la place reconnue aux femmes, de la conception du ministère sacerdotal, de la liturgie. Se multiplièrent aussi, à partir de là, ses contacts et débats avec le monde de la laïcité. De son propre aveu, il y découvrit qu’il partageait avec d’autres bien des valeurs qui passent pour spécifiquement chrétiennes. Et son franc-parler autant que le courage de ses prises de position le firent apprécier de l’autre côté de cette frontière. Il fut de cette manière un chrétien témoin de la liberté implanté dans le monde pluraliste.