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Pierre de Locht, témoin de la liberté

Numéro 4 Avril 2007 par Albert Bastenier

avril 2007

En 1970, Pierre de Locht, prêtre catho­lique, théo­lo­gien et fon­da­teur du centre natio­nal de pas­to­rale fami­liale, publiait un ouvrage inti­tu­lé Et pour­tant je crois. En février 2007, à la veille de son décès, parais­sait le der­nier de ses livres : Chré­tien aujourd’­hui : un enga­ge­ment contra­dic­toire ? De l’un à l’autre de ces écrits, la même inter­ro­ga­tion au sujet de […]

En 1970, Pierre de Locht, prêtre catho­lique, théo­lo­gien et fon­da­teur du centre natio­nal de pas­to­rale fami­liale, publiait un ouvrage inti­tu­lé Et pour­tant je crois. En février 2007, à la veille de son décès, parais­sait le der­nier de ses livres : Chré­tien aujourd’­hui : un enga­ge­ment contra­dic­toire ? De l’un à l’autre de ces écrits, la même inter­ro­ga­tion au sujet de l’adhé­sion reli­gieuse, de la foi chré­tienne et de la per­ma­nence d’une soli­da­ri­té avec l’É­glise catho­lique. Une tri­lo­gie de ques­tions que cette grande figure spi­ri­tuelle de la Bel­gique contem­po­raine n’a jamais consen­ti à dis­so­cier, car elles consti­tuaient ensemble ce qu’il appe­lait lui-même son « che­min de vie ».

Il aurait pour­tant eu plus d’une rai­son de les dis­so­cier, tant il est vrai que le Dieu qu’il croyait pré­sent au cœur de la condi­tion humaine sem­blait de plus en plus éloi­gné des codes, dogmes et ency­cliques en fili­grane des­quels l’ins­ti­tu­tion ecclé­sias­tique nous le donne à voir. Pierre de Locht fut même le pre­mier à prendre la mesure de cette dis­tance, puisque les qua­rante der­nières années furent celles au cours des­quelles il en paya per­son­nel­le­ment le prix.

Dès sa publi­ca­tion en 1968, l’en­cy­clique Humanæ vitæ — por­tant sur les méthodes de contra­cep­tion — avait ins­tal­lé dans l’É­glise catho­lique un malaise intel­lec­tuel et dis­ci­pli­naire pro­fond. Il ne devait plus jamais dis­pa­raitre depuis. Il n’a fait qu’y cou­ver à la manière d’une patho­lo­gie maligne dont Rome n’a jamais vou­lu sérieu­se­ment prendre la mesure et com­prendre la signi­fi­ca­tion. Comme si non seule­ment l’in­dis­po­ni­bi­li­té intel­lec­tuelle de la théo­lo­gie romaine vis-à-vis de la culture moderne mais aus­si sa froide indif­fé­rence à l’é­gard du vécu des per­sonnes étaient les condi­tions de recon­nais­sance de la pré­ten­tion à l’in­failli­bi­li­té de son pon­tife suprême.
Et c’est cela que Pierre de Locht ne pou­vait accep­ter et qu’il n’ac­cep­ta jamais. Son expé­rience, disait-il, avait for­gé sa convic­tion qu’en chaque être humain, quel qu’il soit, il y a beau­coup plus de richesse et de capa­ci­té à s’as­su­mer de manière res­pon­sable qu’on ne le croit et qu’il y croit lui-même. Et son sou­ci d’ai­der cha­cun à oser être per­son­nel, même à l’é­gard de la foi reli­gieuse, fut pour lui une pré­oc­cu­pa­tion majeure. À l’é­coute des gens, il per­ce­vait comme peu savent le faire, com­bien les dif­fi­cul­tés ren­con­trées dans le concret de l’exis­tence sont autre­ment com­plexes que ce que les prin­cipes moraux de la plus intel­li­gente des théo­ries par­viennent à expri­mer. Et c’est sur ce ter­rain-là, celui de la réa­li­té concrète, qu’il rejoi­gnit plus d’une fois ceux qui, croyant ou non, s’at­tèlent aux grandes tâches huma­ni­taires aux­quelles notre époque convie.

Les lec­teurs de La Revue nou­velle connaissent ce que furent les soli­da­ri­tés et les prises de posi­tion de Pierre de Locht. Il les a plus d’une fois expri­mées dans nos pages, même s’il trou­vait que le style de notre publi­ca­tion était sou­vent trop com­pli­qué. Elles concer­nèrent les débats sur l’a­vor­te­ment, bien sûr, mais aus­si ceux de l’é­thique fami­liale, du contrôle des nais­sances, de la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée et de l’eu­tha­na­sie. C’est-à-dire tous les débats qui traitent du « res­pect des vivants » et non pas de ce que la théo­lo­gie romaine appelle abs­trai­te­ment « le res­pect de la vie ». Car pour lui, cette sorte de vita­lisme sacré qui anime la théo­lo­gie était plus que sus­pect et il lui était deve­nu impos­sible de pen­ser qu’aux yeux du Dieu des évan­giles ce soit « la vie » comme concept qui soit sacrée plu­tôt que les êtres de chair et de sang que sont les hommes et les femmes de ce temps.

Sur ces ques­tions, le « che­min de vie » de Pierre de Locht ne pou­vait pas concor­der avec celui du magis­tère ecclé­sial. La hié­rar­chie le lui fit savoir et lui en fit payer mécham­ment les consé­quences par diverses mesures de mar­gi­na­li­sa­tion. Mais il dis­po­sait d’une suf­fi­sante sécu­ri­té inté­rieure pour ne pas se lais­ser détruire par cette logique ins­ti­tu­tion­nelle. Plu­tôt que de prendre congé de l’É­glise, il jugea plus utile d’y pro­mou­voir des actions trans­for­ma­trices à l’é­gard de la place recon­nue aux femmes, de la concep­tion du minis­tère sacer­do­tal, de la litur­gie. Se mul­ti­plièrent aus­si, à par­tir de là, ses contacts et débats avec le monde de la laï­ci­té. De son propre aveu, il y décou­vrit qu’il par­ta­geait avec d’autres bien des valeurs qui passent pour spé­ci­fi­que­ment chré­tiennes. Et son franc-par­ler autant que le cou­rage de ses prises de posi­tion le firent appré­cier de l’autre côté de cette fron­tière. Il fut de cette manière un chré­tien témoin de la liber­té implan­té dans le monde pluraliste.

Albert Bastenier


Auteur

Sociologue. Professeur émérite de l'université catholique de Louvain. Membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1967. S'y est exprimé régulièrement sur les questions religieuses, les migrations et l'enseignement.