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Pérou : Pedro Castillo, un président fragilisé dans un pays fragmenté
À la surprise générale, l’ex-maitre d’école et syndicaliste Pedro Castillo accédait au pouvoir au Pérou le 28 juillet dernier, au détriment de la candidate d’extrême droite Keiki Fujimori, héritière de son père condamné pour crimes contre l’humanité pour les atrocités commises lors de la guerre civile qui a déchiré le pays dans les décennies 1980 et […]
À la surprise générale, l’ex-maitre d’école et syndicaliste Pedro Castillo accédait au pouvoir au Pérou le 28 juillet dernier, au détriment de la candidate d’extrême droite Keiki Fujimori, héritière de son père condamné pour crimes contre l’humanité pour les atrocités commises lors de la guerre civile qui a déchiré le pays dans les décennies 1980 et 1990. En proie à de graves turbulences depuis l’éviction coup sur coup de quatre présidents en cinq ans, le pays doit désormais dépasser ses divisions afin de faire face aux défis socioéconomiques, exacerbés par la crise sanitaire de la Covid-19. Le nouveau président, candidat du parti d’extrême gauche Perú Libre doit composer avec son inexpérience et un Parlement penchant à droite et hostile à toute mesure sociale…
Encore trois semaines avant le premier tour, aucun observateur ne donnait Pedro Castillo gagnant de ce scrutin. Originaire de la région rurale et montagneuse de Cajamarca, située au nord du pays andin, il s’est fait connaitre pour son combat syndical mené lors d’une grève monstre orchestrée en 2017 pour protester contre les projets de réduction des effectifs des maitres d’école dans le pays. Sans étiquette et appelé à la rescousse par le parti marxiste-léniniste Perú Libre en manque d’un leadeur crédible à présenter, il ne disposait d’aucune expérience politique. Et pourtant, c’est bien lui qui a dépassé tous ses rivaux dès le premier tour des présidentielles, avec 18,5% des voix, profitant de la division de la gauche et d’une droite affaiblie par des scandales politico-financiers à répétition.
Paulo Vilca, analyste politique, explique les raisons de son succès : « En pleine pandémie de Covid-19, il s’agit du seul candidat qui ait fait campagne au mépris des règles sanitaires. Il est allé au contact des foules, a organisé des meetings gigantesques. Il a sillonné le pays, parcourant les zones rurales de long en large, sachant que les grandes villes allaient de toute façon tomber dans l’escarcelle du parti fujimoriste (PKK) et des partis de gauche moins radicaux que Perú Libre. »
Pedro Castillo a également profité d’une campagne menée par les grands médias privés du pays, alliés aux secteurs conservateurs qui craignaient l’accession au pouvoir de Veronica Mendoza, candidate de gauche plus modérée et ouvertement féministe. Un cadre de son parti, très actif pendant la campagne, ne décolère pas : « Notre candidate a essuyé de nombreuses critiques très virulentes de la part de la droite conservatrice, machiste et néolibérale. À force de torpiller Veronika Mendoza, la droite conservatrice a provoqué la victoire de Pedro Castillo. À trop regarder vers elle, ils n’ont pas vu Pedro Castillo les dépasser sur leur gauche…» Il faut dire que Castillo, malgré un programme social en faveur des plus précaires et vu comme populiste, a pu également séduire une large frange de l’électorat conservateur, grâce à ses diatribes contre l’égalité de genre, l’avortement, le mariage gay et en faveur de l’expulsion des milliers de migrants vénézuéliens qui continuent d’affluer au Pérou.
Le deuxième tour a surtout consacré la victoire de l’antifujimorisme. « Il s’agit du plus grand parti du pays », sourit Paulo Vilca. « Malgré une suite de campagne qui a vu la majorité des médias et du secteur privé agiter le spectre du péril communiste, les Péruviens ont préféré définitivement tourner le dos aux années de dictature qui les hantent encore. »
Freiné par des semaines émaillées de recours et de recomptage, Castillo a perdu de précieuses semaines qu’il n’a pas pu mettre à profit pour établir un véritable plan de gouvernement. « On a l’impression qu’il improvise tout. Il choisit mal ses ministres et ses hauts fonctionnaires, qui sont mouillés jusqu’au cou dans des affaires de corruption. Après quelques semaines, il a dû, en effet, se débarrasser de son Premier ministre Guido Bellido, jugé trop clivant et opposé aux intérêts des entreprises privées et critiqué pour ses accointances avec une guérilla marxiste ayant sévi pendant la guerre civile. Le choix de Mirtha Vasquez comme remplaçante à ce poste est apaisant, car elle cherche constamment le consensus entre les intérêts divergents. Mais elle ne dispose pas d’un parti solide derrière elle pour soutenir ses réformes au Congrès, ce qui risque d’hypothéquer les projets de son gouvernement », nous glisse David Velazco, de l’organisation de droits humains Fedepaz et ami de longue date de la nouvelle Première ministre.
« Le gouvernement actuel doit avant tout s’échiner à survivre », ajoute Paulo Vilca. « Nous avons ouvert la boite de Pandore de la destitution présidentielle au cours des dernières années d’instabilité politique accrue. Le pays est tellement fragmenté qu’il n’y a aucune unité possible. Les riches s’opposent aux pauvres, les ruraux s’opposent aux citadins, les indigènes sont méprisés par les classes moyennes métisses, les antiminiers sont traités de terroristes car en défaveur du développement néolibéral, etc. Tout cela semble irréconciliable et surtout explosif. La destitution est ainsi vue comme un instrument d’urgence, une soupape censée apaiser pour un temps les mécontentements divers…»
Mais les défis sont légion et engagent à persévérer. Le nouveau président doit parvenir à panser les plaies d’un pays meurtri par la pandémie de Covid-19. Outre le lourd bilan qui dépasse les deux-cent-mille morts et en fait le pays le plus endeuillé proportionnellement à sa population, le Pérou compte désormais 75% de sa population qui travaille dans le secteur non formel et ne bénéficie d’aucune forme de protection sociale. Quelque 3 millions de personnes supplémentaires ont plongé dans la pauvreté depuis le début de la crise1. Le président a promis des réformes sociales, l’éducation accessible à tous·tes et une industrie minière (une des plus florissantes du continent) qui profite à tous·tes.
Du renouveau dans l’industrie minière péruvienne ?
Pour parvenir à répartir équitablement les richesses de ce pays fortement inégalitaire, un des moyens d’y parvenir, selon Castillo, pourrait être, en effet, de mieux profiter de l’extraction minière.
Au Pérou, l’industrie minière est présente partout. Selon l’Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (OCMAL), un « territoire d’influence minière » est un territoire où le poids ou l’apport de la mine représente au moins 6% de l’économie de la région… C’est le cas de quinze des vingt-quatre régions2 du Pérou ! Généralement, les investissements dans l’extraction minière dans ces régions vont de pair avec un manque de prise en compte des conséquences sociales et environnementales. En ce qui concerne l’environnement, l’activité minière influence très négativement la qualité des sols et cause l’accaparement et/ou la pollution des réserves hydriques ainsi que des terrains. La question des « passifs environnementaux » est également un sujet de préoccupation, puisque des exploitations en cours de fermeture ou fermées sont laissées à l’abandon, sans que personne n’ait la responsabilité de dépolluer le terrain ou de prendre des mesures de compensation pour les populations. Du point de vue social, la population des provinces concernées se heurte la plupart du temps à une totale absence de consultation, que ce soit avant ou pendant une phase d’exploitation. La pollution et/ou l’accaparement de territoires empêchent les paysans de mener une activité agricole et bien souvent, ils ne peuvent même plus traverser les territoires qui leur appartiennent.
Par ailleurs, on compte des milliers de personnes qui ont été contaminées aux métaux lourds lors des dernières décennies et qui exigent des réparations3. L’impuissance des gouvernements successifs à prendre ces problèmes en compte cause une conflictualité sociale importante (qui se traduit par des grèves et manifestations), qui est elle-même renforcée par la réplique souvent disproportionnée des forces de l’ordre.
Lors de la période électorale du printemps 2021, Pedro Castillo a représenté un espoir pour les populations qui espèrent un changement dans les pratiques de l’industrie minière. La majorité des populations qui vit dans les zones affectées par la mine a voté pour le parti de Castillo, tant au premier4 qu’au second tour.
Castillo a, en effet, mentionné quelques points intéressants pendant son discours d’investiture5 :
– La nécessité de prendre en compte le critère de « rentabilité sociale6 » pour les futurs projets miniers qui s’installeraient au Pérou : un projet qui dynamise l’économie locale, régionale et nationale ; qui contribue au budget national ; qui garantisse des salaires et des conditions de travail justes à ses travailleuses et travailleurs ; qui propose un transfert de technologies ; et qui préserve la culture locale et l’environnement ;
– La nécessité de rendre impossible la corruption dans la prospection et le développement d’un nouveau projet minier et de veiller à une fermeture adéquate pour chaque projet ;
– Le besoin de concrétiser une nouvelle loi de gestion du territoire7, disposition demandée depuis longtemps par la société civile.
Force est de constater qu’aujourd’hui, après plus de six mois de gouvernement, les annonces n’ont pas été concrétisées. Jaime Borda, de la Red Muqui8, s’attend à une politique de continuité en ce qui concerne l’industrie minière. « Ce gouvernement ne sait pas comment gérer les conflits sociaux. La loi de gestion du territoire visant à pacifier les conflits avait été bloquée par l’ancien Congrès. Il est possible que la même chose se passe. »
On parle même de rouvrir des projets miniers qui ont déjà causé beaucoup de conflits, comme le projet « Conga » situé dans le nord du pays. Le contexte international semble renforcer la difficulté d’intervenir en faveur des populations affectées par l’industrie minière. En effet, d’un point de vue économique global, la tendance actuelle du prix des métaux est à la hausse. La consommation et la demande de minerais ne cessent d’augmenter au niveau mondial…
Sur la page facebook de la première ministre Mirtha Vasquez, les messages la montrant au chevet des multiples conflits sociaux fleurissent chaque jour. Des protocoles sont signés et les populations semblent apaisées, pour un temps. Mais sera-ce suffisant pour espérer endiguer la conflictualité sociale présente aux quatre coins du pays et surtout redorer le blason d’un mandat présidentiel déjà bien écorché ? Sera-ce suffisant pour éviter à Castillo le piège de la destitution que lui tendent ses adversaires ?
- « Empleo informal afectó a más de 11 milliones de Peruanos en el 2020 », La República, Lima, 10 juin 2021.
- « Los resultados electorales en las regiones con presencia minera », OCMAL, 20 avril 2021.
- Nous renvoyons à la Plataforma Nacional de Afectados y Afectadas por Metales Tóxicos.
- « Pedro Castillo ganó en 88% de localidades con conflictos mineros », OCMAL, 28 avril 2021.
- Le 28 juillet 2021, moment hautement symbolique pour les Péruvien·ne·s, car il s’agissait également de célébrer le bicentenaire de l’indépendance du Pérou.
- « El gobierno del Bicentenario : del discurso a la práctica », CooperAcción, 29 juillet 2021.
- Ceci permettrait de délimiter des zones où l’exploitation minière est permise, des zones réservées à l’agriculture, des zones de biodiversité protégée, etc.
- Le réseau Muqui est un réseau d’organisations péruviennes qui travaillent de manière locale, régionale, nationale et internationale pour défendre et promouvoir la reconnaissance, respect et exercice des droits de communautés et populations affectées par l’activité minière.