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Pays émergents : moteurs des énergies renouvelables ?

Numéro 6/7 juin-juillet 2014 par De Schutter

juin 2014

La crois­sance impor­tante des pays émer­gents tant d’un point de vue indus­triel que démo­gra­phique leur vaut d’atteindre le stade des émet­teurs de gaz à effet de serre les plus impor­tants de la pla­nète. L’épuisement pro­gres­sif des éner­gies fos­siles sou­lève la ques­tion sui­vante : ces pays se pré­oc­cupent-ils véri­ta­ble­ment du renouvelable ?

Depuis la récente catas­trophe de Fuku­shi­ma, la crainte du nucléaire a été ravi­vée dans l’opinion publique. Le renou­ve­lable semble désor­mais une néces­si­té en soi et non un luxe. Vivre en har­mo­nie avec la nature, assu­rer sa des­cen­dance ou tendre à l’autarcie, cela n’a rien d’un luxe. Ce n’est pas un hasard si ces trois objec­tifs consti­tuent la base fon­da­men­tale de ce qu’on appelle le déve­lop­pe­ment durable. En effet, le renou­ve­lable concerne les ques­tions envi­ron­ne­men­tales, sociales et économiques.
Cepen­dant, si la pro­blé­ma­tique de l’énergie renou­ve­lable sus­cite autant d’intérêt en Occi­dent, qu’en est-il dans les pays émergents ?

Il y a une aug­men­ta­tion incon­tes­table de l’utilisation des éner­gies renou­ve­lables puisque les inves­tis­se­ments mon­diaux ont grim­pé de 17 % en 2012 1 . Nous tra­ver­sons une époque char­nière. De fait, depuis 2011, ce sont les pays en voie de déve­lop­pe­ment qui inves­tissent davan­tage dans le renou­ve­lable avec un mon­tant total de 72 mil­liards de dol­lars ; un chiffre qui contraste fort avec celui des années pré­cé­dentes 2 . C’est le cas de la Chine, de l’Inde, du Bré­sil, de l’Afrique du Sud, de la Boli­vie, de l’Uruguay… Autant de nou­velles puis­sances émer­gentes qui ont besoin de se déve­lop­per de manière durable et qui font par­ler d’elles sur la scène inter­na­tio­nale soit à cause de leurs enga­ge­ments impor­tants dans le renou­ve­lable, soit en rai­son de leur puis­sance économique.

Prise de conscience

Si nous ana­ly­sons les inves­tis­se­ments de chaque pays dans le sec­teur éner­gé­tique, l’idée selon laquelle les pays émer­gents seraient à la traine se révèle erro­née. Selon le Rap­port mon­dial 2012 sur les éner­gies renou­ve­lables, le lea­deur mon­dial en la matière serait la Chine.

Bien que la Chine soit le plus gros géné­ra­teur d’émissions de CO2 et que les agglo­mé­ra­tions chi­noises soient les villes les plus pol­luées au monde, les men­ta­li­tés évo­luent. Aus­si, nous assis­tons aujourd’hui à des inves­tis­se­ments mas­sifs pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre (GES) des indus­triels. L’État a ren­for­cé son sou­tien aux indus­tries vertes dans le cadre d’une poli­tique de ver­dis­se­ment. En effet, elles sont aidées par des mesures fis­cales et admi­nis­tra­tives, et béné­fi­cient d’aides finan­cières à l’investissement.

Enfin, Pékin a fait pas­ser en 2008 un décret impo­sant aux agences envi­ron­ne­men­tales locales de publier des infor­ma­tions sur les entre­prises ne res­pec­tant pas les stan­dards éco­lo­giques. Ce qui encou­rage la popu­la­tion et les ONG à dénon­cer ces entre­prises et à les boycotter.

La même prise de conscience s’effectue chez leurs voi­sins indiens. Selon un rap­port du Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) sur les « Ten­dances mon­diales dans le sec­teur de l’énergie verte en 2010 », l’Inde se his­se­rait au hui­tième rang des inves­tis­se­ments dans l’énergie durable.

Alors que les dépu­tés euro­péens pataugent dans la créa­tion d’une cour pénale euro­péenne de l’Environnement, l’Inde a sui­vi l’exemple du Cana­da, de l’Australie et de la Nou­velle-Zélande en fon­dant le Natio­nal Green Tri­bu­nal (NGT), une cour spé­ciale dédiée aux conflits envi­ron­ne­men­taux. En outre, une nou­velle loi sur les socié­tés est en cours de négo­cia­tion au Par­le­ment indien. Celle-ci obli­ge­rait toute entre­prise ayant un chiffre d’affaires supé­rieur à 161 mil­lions d’euros ou dont le pro­fit net est supé­rieur à 810 000 euros, de réin­ves­tir 2 % de leurs pro­fits dans la res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises (RSE).

Le green busi­ness tra­verse aus­si l’Atlantique où le Bré­sil s’est enga­gé dans le cadre de la confé­rence de Copen­hague à réduire ses émis­sions de 36,1 à 38,9 % à l’horizon 2020 3. Et cela par des mesures spé­ci­fiques telles que la réduc­tion de la défo­res­ta­tion dans l’Amazonie et l’utilisation accrue des éner­gies renouvelables.

En outre, selon la socié­té de média Cor­po­rate Knights, cinq entre­prises bré­si­liennes font par­tie du top 100 des socié­tés les plus durables dans le monde, à com­men­cer par Natu­ra Cos­me­ti­cos SA qui occupe la deuxième place 4 .

À ce jour, la crois­sance verte est un sujet moins pré­sent sur le conti­nent afri­cain. Pour­tant, ce ne sont pas les réso­lu­tions qui manquent. L’Afrique du Sud pré­voit lors de la confé­rence de Copen­hague une baisse des émis­sions de CO2 de 42 % d’ici 2025. C’est à la suite de la crise éner­gé­tique de 2008 que Johan­nes­burg s’est tour­née vers le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables. La région étant pro­pice à l’énergie solaire, éolienne ain­si qu’au bio­gaz, c’est éga­le­ment un lieu idéal pour déve­lop­per une tech­no­lo­gie peu pra­ti­quée aujourd’hui : les éner­gies marines.

Un exemple à suivre ?

Un pays net­te­ment plus dis­cret va de l’avant et donne l’exemple, même s’il ne déter­mi­ne­ra pro­ba­ble­ment pas le nou­vel ordre mon­dial. Il s’agit de l’Uruguay.
Son pré­sident José Muji­ca, désor­mais van­té par la presse inter­na­tio­nale, sou­tient avec convic­tion le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables. Le 15 mars pas­sé, « Pepe » Muji­ca a assis­té à l’inauguration de l’usine solaire pho­to­vol­taïque Asa­hi qui com­porte 2 240 pan­neaux pho­to­vol­taïques. Une nou­velle qui réjouit les éco­lo­gistes. Ce site fait par­tie du plan de restruc­tu­ra­tion éner­gé­tique natio­nal. Le gou­ver­ne­ment uru­guayen s’est fixé comme objec­tif de pro­duire 90 % de son élec­tri­ci­té grâce aux éner­gies renou­ve­lables d’ici 2015. C’est prin­ci­pa­le­ment grâce aux bar­rages hydro­élec­triques (45 %), aux inves­tis­se­ments dans le sec­teur éolien (30 %) et enfin aux cen­trales bio­masses (15 %) que la Répu­blique orien­tale d’Uruguay pro­dui­rait ses 7,96 mil­liards de kWh de consom­ma­tion moyenne annuelle 5 .

La volon­té des pays en déve­lop­pe­ment est fina­le­ment peut-être plus pro­fonde et plus tenace qu’en Occi­dent. C’est ce que l’on pour­rait conclure en obser­vant des ini­tia­tives telles que le som­met de la terre de Cocha­bam­ba orga­ni­sé par Evo Morales, le pré­sident de l’État plu­ri­na­tio­nal de Boli­vie. Cette confé­rence est une réponse à celle de Copen­hague qui, selon les mou­ve­ments éco­lo­gistes, avait été un échec. La nature de ce som­met inter­na­tio­nal ? « Fon­der un nou­veau sys­tème, qui réta­blisse l’harmonie avec la nature et entre les êtres humains », un sys­tème qui défen­drait la « Pacha­ma­ma », la terre mère ain­si que le déve­lop­pe­ment durable. Leurs reven­di­ca­tions n’ont pas été prises en compte lors de l’accord de Can­cun, mais une telle mobi­li­sa­tion démontre à nou­veau que la volon­té éco­lo­gique est for­te­ment pré­sente aujourd’hui au sein des pays émergents.
Que ce soit par le biais des entre­prises pri­vées ou des légis­la­tions éma­nant des pou­voirs publics, le déve­lop­pe­ment durable occupe une place gran­dis­sante au sein des socié­tés des pays émer­gents. En effet, les vieilles super­puis­sances se font rat­tra­per par ce que l’on a appe­lé, en éco­no­mie, le tiers-monde. Expres­sion qui perd de son sens dans le monde glo­ba­li­sé que nous connaissons.

Alors la ques­tion que l’on se pose aujourd’hui est : devons-nous recon­si­dé­rer les inves­tis­se­ments publics dans le sec­teur des éner­gies renou­ve­lables, alors que la conjonc­ture actuelle n’est guère favo­rable ? En tout cas, une chose semble cer­taine néan­moins, une prise de conscience géné­ra­li­sée de notre sur­con­som­ma­tion éco­cide est néces­saire, et une adap­ta­tion indispensable.

  1. UNEP, UNEP 2012 Annual report, http://bit.ly/1i9zkc6.
  2. Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement, « Les inves­tis­se­ments mon­diaux dans l’énergie verte en forte aug­men­ta­tion », http://bit.ly/1jO4a7r.
  3. PNUD, Les résul­tats de Copen­hague : Les négo­cia­tions et l’accord, http://bit.ly/1gOwN1w.
  4. Cor­po­rate Knights, 2012 Glo­bal 100 List, http://global100.org/.
  5. Cen­tral Intel­li­gence Agen­cy, The World Fact­book, http://1.usa.gov/1cqjPKy.

De Schutter


Auteur

gérant d'entreprise spécialisée dans les marchés d'Amérique latine