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Paroles de rue au Kivu
Lorsqu’Oscar Wilde a dit « l’humour est la politesse du désespoir », pensait-il au Congo ? On en doute. Pourtant, rien ne décrit mieux l’état d’esprit dans lequel les Congolais de l’est du pays vivent au jour le jour. « Vivre au jour le jour ! », c’est la consigne d’ordre générale de ces Congolais sur qui le sort s’est trop acharné ces […]
Lorsqu’Oscar Wilde a dit « l’humour est la politesse du désespoir », pensait-il au Congo ? On en doute. Pourtant, rien ne décrit mieux l’état d’esprit dans lequel les Congolais de l’est du pays vivent au jour le jour.
« Vivre au jour le jour ! », c’est la consigne d’ordre générale de ces Congolais sur qui le sort s’est trop acharné ces dernières années. Mais pour dire « Carpe Diem » en swahili de Bukavu, dites plutôt « Tumuku, tumukwe » (« Mangeons l’argent et prenons le large »). Le ton est donné : au cours de ces quelques semaines de période préélectorale, il s’agit de profiter de l’argent que les politiques utilisent pour « battre campagne » et qui, finalement, revient de droit à la population qui se bat quotidiennement pour survivre. Ces politiciens qui, d’habitude, pavanent au volant de leur grosse voiture dans les rues de Kinshasa ou qui prennent des vacances à l’étranger reviennent penauds, caresser dans le sens du poil une population qu’ils n’ont plus vue depuis cinq ans. Joseph Kabila, le président du pays, ne disait-il pas dans un de ses récents discours qu’il était l’«enfant » de son peuple ? Le peuple pour une fois goute avec délectation ce petit pouvoir qui lui est attribué et qui lui sera ôté, il n’en doute pas, à l’heure du scrutin présidentiel.
« Ha, le pouvoir, il est succulent ! Même en toute incompétence…», s’exclame Maman Espérance. Forte de son futur vote, elle demande aux candidats « Leta Michuzi ! » (« Apporte la sauce ») et elle profite quelques jours durant de cet « arrosage » qui lui permettra de vivre sans se soucier de la nourriture qu’elle donnera à ses enfants le soir même. Et quand un candidat isolé se présente, derrière son dos, les gens chuchotent : « Michuzi iko ? Hana biato ! » (« Y a‑t-il de la sauce ? Il n’a même pas de chaussures ! »). Car si, pour une fois, les candidats se préoccupent de leurs conditions de vie, qu’ils le démontrent avec des actes plutôt qu’avec des mots ! Les gens du Kivu savent que les discours ne protègent ni de la guerre ni de la faim.
Amani, la paix
« Si le printemps arabe avait commencé en 2005 ou 2006, nous serions des leurs. Mais aujourd’hui, on a connu trop de morts»… Ces propos d’un « analyste politique » de Bukavu, l’un de ces faiseurs d’opinion qui, grâce à leur verve et leur humour éloquent, se promènent de studio radio en studio radio, rappellent que les habitants du Sud-Kivu veulent avant tout la paix. « Amani ». Tous craignent le bain de sang, ils savent que le prix de la révolte se compte à la cadence des coups de fusils. Les partisans du président sont trop puissants pour qu’une population qui « vivote » puisse y faire face. La révolte populaire, les gens n’en veulent pas. Ce qu’ils craignent avant tout, c’est l’affrontement entre deux camps, les deux « éléphants » politiques de cette région convoitée : le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti du président, et l’Union pour la nation congolaise (UNC), le parti d’opposition dirigé par Vital Kamerhe, l’enfant de l’Est. L’enjeu est de taille. Détenir les voix du Kivu, c’est contrôler une région riche en ressources naturelles et minières, c’est aussi se positionner sur l’échiquier géopolitique des Grands Lacs.
En effet, personne n’aborde le véritable problème, celui qui dénonce la mainmise du président rwandais, Paul Kagame, sur la région. Le tabou est général. Même Vital Kamerhe évite d’évoquer publiquement la question par crainte que les éléments « rwandophones » intégrés au sein de l’armée officielle congolaise ne se révoltent. Du coup, on préfère ne pas savoir, ni poser la question. Et pour se protéger, on utilise la seule arme qui n’ait jamais tué personne, l’humour.
On va te peigner !
« Ulisha pita ! » (« Tu les as gagnées, ces élections ! »), répètent les électeurs, avec la moquerie de ceux qui flattent et complimentent pour mieux profiter. Quelques mètres plus loin, ils se regardent et font le geste de se brosser les cheveux et s’exclament en riant : « Kisanola ! » (« On va le peigner, ce candidat ridicule qui n’a même pas de quoi se coiffer ! »). Une des expressions fétiches de Vital Kamerhe qui aimait joindre le geste à l’expression pour montrer que tout cela, finalement, n’était que foutaises…
Alors, dans les taxis, on continue d’être poli et « fréquentable » : au lieu de désespérer, on sourit. Que le PPRD, dont est issu le président Kabila, signifie « Petit à petit le Rwanda nous domine », beaucoup en rient, personne ne le dit. Et lorsqu’il a fallu trouver un autre surnom à la nouvelle mission militaire des Nations unies en RD Congo, baptisée ironiquement « Monique » (pour Monuc) en référence à l’activité préférée des militaires des Nations unies, plus aptes à manier leur sexe que leur arme (mais, dans le fond, est-ce si différent?), la Monusco, dont le mandat est de protéger les populations civiles, est devenue la « Mollusquo ». Au moins, du temps de la Monique, on leur reconnaissait encore un peu de vigueur…
Faites comme Lumumba
Pourtant, la guerre est au pas de la porte des Kivutiens et ils ne le savent que trop bien. Sur la place de l’Indépendance, un bras et un poing en bronze, masculins, virils et victorieux dépassent d’une bâche Unicef que les autorités de la ville redoutent d’enlever… À la dernière inauguration de cette statue qui fait d’un combattant armé le héros de la place de l’Indépendance avec, à ses pieds, une femme implorante lui tendant une colombe, la population a grincé des dents, elle a même aboyé. Ils ne veulent pas de cette image provocante qui leur rappelle que dans leur pays, le pouvoir se conquiert par la voie des armes plutôt que par la voie des urnes. Les seuls qui sont restés de marbre, c’est le buste de Laurent Kabila (le père de l’actuel président Joseph Kabila) auquel la statue fait face, comme si ce soldat en haillons défiait celui que tout le monde appelle respectueusement le « Mzee » (le « Vieux ») et, de l’autre côté de la tribune officielle, le buste de Patrice Lumumba qui s’est effrontément détourné, préférant la vue du lac Kivu à celle de la violence.
Inexorablement, les taxis vont et viennent sur la route principale de Bukavu, entre la frontière rwandaise et le militaire de la place de l’Indépendance. Entre ces pôles d’instabilité, il faut rire, il faut vivre et, à l’image de Lumumba, contempler cette baie fantastique du rift africain qui, si on en croit les eaux calmes du lac et si on évite de penser aux crocodiles qui sont tapis sous les roseaux, transforme la guerre en paix, le désespoir en espoir.
Merci à Solange, Jafari, Sylvain, Eulalie, Dieudonné et tous les autres.
Voir le projet Local Voices, Congolese Communities Speak
About Elections.
Il s’agit d’un web reportage en temps réel sur la manière dont les populations congolaises vivent les élections en milieu rural. Les élections présidentielles et législatives au Congo (RDC) auront lieu le 28 novembre. Depuis une dizaine de jours, sont récoltés plusieurs témoignages de
différents acteurs congolais à Bunyakiri, une zone rurale enclavée dans la province du Sud-Kivu, témoignages (photographiques et sonores) publiés ensuite sur le site web de Local Voices.