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Paroles de rue au Kivu

Numéro 11 Novembre 2011 par Charlotte Maisin

octobre 2011

Lors­qu’Os­car Wilde a dit « l’hu­mour est la poli­tesse du déses­poir », pen­­sait-il au Congo ? On en doute. Pour­tant, rien ne décrit mieux l’é­tat d’es­prit dans lequel les Congo­lais de l’est du pays vivent au jour le jour. « Vivre au jour le jour ! », c’est la consigne d’ordre géné­rale de ces Congo­lais sur qui le sort s’est trop achar­né ces […]

Lors­qu’Os­car Wilde a dit « l’hu­mour est la poli­tesse du déses­poir », pen­sait-il au Congo ? On en doute. Pour­tant, rien ne décrit mieux l’é­tat d’es­prit dans lequel les Congo­lais de l’est du pays vivent au jour le jour.

« Vivre au jour le jour ! », c’est la consigne d’ordre géné­rale de ces Congo­lais sur qui le sort s’est trop achar­né ces der­nières années. Mais pour dire « Carpe Diem » en swa­hi­li de Buka­vu, dites plu­tôt « Tumu­ku, tumukwe » (« Man­geons l’argent et pre­nons le large »). Le ton est don­né : au cours de ces quelques semaines de période pré­élec­to­rale, il s’a­git de pro­fi­ter de l’argent que les poli­tiques uti­lisent pour « battre cam­pagne » et qui, fina­le­ment, revient de droit à la popu­la­tion qui se bat quo­ti­dien­ne­ment pour sur­vivre. Ces poli­ti­ciens qui, d’ha­bi­tude, pavanent au volant de leur grosse voi­ture dans les rues de Kin­sha­sa ou qui prennent des vacances à l’é­tran­ger reviennent penauds, cares­ser dans le sens du poil une popu­la­tion qu’ils n’ont plus vue depuis cinq ans. Joseph Kabi­la, le pré­sident du pays, ne disait-il pas dans un de ses récents dis­cours qu’il était l’«enfant » de son peuple ? Le peuple pour une fois goute avec délec­ta­tion ce petit pou­voir qui lui est attri­bué et qui lui sera ôté, il n’en doute pas, à l’heure du scru­tin présidentiel.

« Ha, le pou­voir, il est suc­cu­lent ! Même en toute incom­pé­tence…», s’ex­clame Maman Espé­rance. Forte de son futur vote, elle demande aux can­di­dats « Leta Michu­zi ! » (« Apporte la sauce ») et elle pro­fite quelques jours durant de cet « arro­sage » qui lui per­met­tra de vivre sans se sou­cier de la nour­ri­ture qu’elle don­ne­ra à ses enfants le soir même. Et quand un can­di­dat iso­lé se pré­sente, der­rière son dos, les gens chu­chotent : « Michu­zi iko ? Hana biato ! » (« Y a‑t-il de la sauce ? Il n’a même pas de chaus­sures ! »). Car si, pour une fois, les can­di­dats se pré­oc­cupent de leurs condi­tions de vie, qu’ils le démontrent avec des actes plu­tôt qu’a­vec des mots ! Les gens du Kivu savent que les dis­cours ne pro­tègent ni de la guerre ni de la faim.

Amani, la paix

« Si le prin­temps arabe avait com­men­cé en 2005 ou 2006, nous serions des leurs. Mais aujourd’­hui, on a connu trop de morts»… Ces pro­pos d’un « ana­lyste poli­tique » de Buka­vu, l’un de ces fai­seurs d’o­pi­nion qui, grâce à leur verve et leur humour élo­quent, se pro­mènent de stu­dio radio en stu­dio radio, rap­pellent que les habi­tants du Sud-Kivu veulent avant tout la paix. « Ama­ni ». Tous craignent le bain de sang, ils savent que le prix de la révolte se compte à la cadence des coups de fusils. Les par­ti­sans du pré­sident sont trop puis­sants pour qu’une popu­la­tion qui « vivote » puisse y faire face. La révolte popu­laire, les gens n’en veulent pas. Ce qu’ils craignent avant tout, c’est l’af­fron­te­ment entre deux camps, les deux « élé­phants » poli­tiques de cette région convoi­tée : le Par­ti du peuple pour la recons­truc­tion et la démo­cra­tie (PPRD), le par­ti du pré­sident, et l’U­nion pour la nation congo­laise (UNC), le par­ti d’op­po­si­tion diri­gé par Vital Kamerhe, l’en­fant de l’Est. L’en­jeu est de taille. Déte­nir les voix du Kivu, c’est contrô­ler une région riche en res­sources natu­relles et minières, c’est aus­si se posi­tion­ner sur l’é­chi­quier géo­po­li­tique des Grands Lacs.

En effet, per­sonne n’a­borde le véri­table pro­blème, celui qui dénonce la main­mise du pré­sident rwan­dais, Paul Kagame, sur la région. Le tabou est géné­ral. Même Vital Kamerhe évite d’é­vo­quer publi­que­ment la ques­tion par crainte que les élé­ments « rwan­do­phones » inté­grés au sein de l’ar­mée offi­cielle congo­laise ne se révoltent. Du coup, on pré­fère ne pas savoir, ni poser la ques­tion. Et pour se pro­té­ger, on uti­lise la seule arme qui n’ait jamais tué per­sonne, l’humour.

On va te peigner !

« Uli­sha pita ! » (« Tu les as gagnées, ces élec­tions ! »), répètent les élec­teurs, avec la moque­rie de ceux qui flattent et com­pli­mentent pour mieux pro­fi­ter. Quelques mètres plus loin, ils se regardent et font le geste de se bros­ser les che­veux et s’ex­clament en riant : « Kisa­no­la ! » (« On va le pei­gner, ce can­di­dat ridi­cule qui n’a même pas de quoi se coif­fer ! »). Une des expres­sions fétiches de Vital Kamerhe qui aimait joindre le geste à l’ex­pres­sion pour mon­trer que tout cela, fina­le­ment, n’é­tait que foutaises…

Alors, dans les taxis, on conti­nue d’être poli et « fré­quen­table » : au lieu de déses­pé­rer, on sou­rit. Que le PPRD, dont est issu le pré­sident Kabi­la, signi­fie « Petit à petit le Rwan­da nous domine », beau­coup en rient, per­sonne ne le dit. Et lors­qu’il a fal­lu trou­ver un autre sur­nom à la nou­velle mis­sion mili­taire des Nations unies en RD Congo, bap­ti­sée iro­ni­que­ment « Monique » (pour Monuc) en réfé­rence à l’ac­ti­vi­té pré­fé­rée des mili­taires des Nations unies, plus aptes à manier leur sexe que leur arme (mais, dans le fond, est-ce si dif­fé­rent?), la Monus­co, dont le man­dat est de pro­té­ger les popu­la­tions civiles, est deve­nue la « Mol­lus­quo ». Au moins, du temps de la Monique, on leur recon­nais­sait encore un peu de vigueur…

Faites comme Lumumba

Pour­tant, la guerre est au pas de la porte des Kivu­tiens et ils ne le savent que trop bien. Sur la place de l’In­dé­pen­dance, un bras et un poing en bronze, mas­cu­lins, virils et vic­to­rieux dépassent d’une bâche Uni­cef que les auto­ri­tés de la ville redoutent d’en­le­ver… À la der­nière inau­gu­ra­tion de cette sta­tue qui fait d’un com­bat­tant armé le héros de la place de l’In­dé­pen­dance avec, à ses pieds, une femme implo­rante lui ten­dant une colombe, la popu­la­tion a grin­cé des dents, elle a même aboyé. Ils ne veulent pas de cette image pro­vo­cante qui leur rap­pelle que dans leur pays, le pou­voir se conquiert par la voie des armes plu­tôt que par la voie des urnes. Les seuls qui sont res­tés de marbre, c’est le buste de Laurent Kabi­la (le père de l’ac­tuel pré­sident Joseph Kabi­la) auquel la sta­tue fait face, comme si ce sol­dat en haillons défiait celui que tout le monde appelle res­pec­tueu­se­ment le « Mzee » (le « Vieux ») et, de l’autre côté de la tri­bune offi­cielle, le buste de Patrice Lumum­ba qui s’est effron­té­ment détour­né, pré­fé­rant la vue du lac Kivu à celle de la violence.

Inexo­ra­ble­ment, les taxis vont et viennent sur la route prin­ci­pale de Buka­vu, entre la fron­tière rwan­daise et le mili­taire de la place de l’In­dé­pen­dance. Entre ces pôles d’ins­ta­bi­li­té, il faut rire, il faut vivre et, à l’i­mage de Lumum­ba, contem­pler cette baie fan­tas­tique du rift afri­cain qui, si on en croit les eaux calmes du lac et si on évite de pen­ser aux cro­co­diles qui sont tapis sous les roseaux, trans­forme la guerre en paix, le déses­poir en espoir.

Mer­ci à Solange, Jafa­ri, Syl­vain, Eula­lie, Dieu­don­né et tous les autres.


Voir le pro­jet Local Voices, Congo­lese Com­mu­ni­ties Speak
About Elec­tions
.

Il s’a­git d’un web repor­tage en temps réel sur la manière dont les popu­la­tions congo­laises vivent les élec­tions en milieu rural. Les élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives au Congo (RDC) auront lieu le 28 novembre. Depuis une dizaine de jours, sont récol­tés plu­sieurs témoi­gnages de
dif­fé­rents acteurs congo­lais à Bunya­ki­ri, une zone rurale encla­vée dans la pro­vince du Sud-Kivu, témoi­gnages (pho­to­gra­phiques et sonores) publiés ensuite sur le site web de Local Voices.

Charlotte Maisin


Auteur

Charlotte Maisin est membre de la cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux