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Parcours de réfugié.e.s LGBT

Numéro 1 - 2017 par Oliviero Aseglio

janvier 2017

En Belgique, l’homosexualité est devenue un motif d’asile depuis les années 1980. Le projet Rainbows United organise à Bruxelles des rencontres et des ateliers mensuels afin d’accueillir, de soutenir et d’informer le public demandeur d’asile lesbien, bisexuel, gay, transgenre, queer et intersexué. Y a‑t‑il beaucoup de pays qui criminalisent les personnes LGBT ? Une septantaine d’États criminalise l’homosexualité, […]

Le Mois

En Belgique, l’homosexualité est devenue un motif d’asile depuis les années 1980. Le projet Rainbows United1 organise à Bruxelles des rencontres et des ateliers mensuels afin d’accueillir, de soutenir et d’informer le public demandeur d’asile lesbien, bisexuel, gay, transgenre, queer et intersexué.

Y a‑t-il beaucoup de pays qui criminalisent les personnes LGBT ?

Une septantaine d’États criminalise l’homosexualité, parmi lesquels sept infligent la peine de mort2. Cela ne signifie pas que dans les autres pays, les comportements homophobes ou transphobes n’existent pas. Partout, le traitement dépend énormément de la classe sociale à laquelle appartient l’individu, de sa richesse, de l’endroit où il habite et de la façon dont son entourage a découvert l’homosexualité (sur le fait ou via des rumeurs). Dans certains pays, la peine capitale n’est pas inscrite dans la loi, mais les risques de mort sont importants, comme au Cameroun, où la « justice populaire » joue un rôle important.

De manière générale, c’est surtout en Afrique subsaharienne que les LGBT sont les plus mal traité.e.s. Raison pour laquelle la majorité des personnes qui demandent l’asile en Belgique pour ce motif sont camerounaises, sénégalaises, togolaises et guinéennes — conakry, mais aussi congolaises, tanzaniennes, ou kényanes. Pour le Cameroun, les chiffres sont parlants : près de 90% des Camerounais.e.s qui demandent asile chez nous fuient des persécutions liées à leur homosexualité. Avec la « crise migratoire » — ou plutôt la crise de l’accueil — on voit bien sûr plus de personnes venues de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak.

Combien de personnes LGBT demandent le statut de réfugié.e pour ce motif ?

Selon le CGRA, il y a actuellement environ 1.200 personnes par an qui introduisent une demande de statut de réfugié pour appartenance à un groupe social déterminé3 avec un motif de genre, soit à peu près 30% de toutes les demandes. Dans ce groupe, vous avez surtout des femmes qui ont subi l’excision, le mariage forcé, ont été condamnées à mort pour adultère, etc. Vous avez aussi les personnes LGBT qui ont été persécutées en raison de leur identité amoureuse et sexuelle.

En 2010, quand notre projet a été créé, il y avait 300 demandes par an. Le chiffre a donc quadruplé en cinq ans4. Cela s’explique par le fait que de plus en plus de gens savent qu’ils ont le droit de demander l’asile pour cette raison, grâce à la circulation de l’information, surtout sur internet. Il y a environ 30% de réponses positives pour la première demande, c’est légèrement plus que la moyenne.

Qui sont les personnes qui obtiennent le statut de réfugié.e ?

Il y a plein de raisons qui expliquent qu’une demande est acceptée ou refusée. Mais il faut d’abord faire la démarche de quitter son pays et ce sont surtout les hommes gays qui la font. Dans beaucoup de pays, les femmes ont moins accès à l’autonomie, sont mariées jeunes ou n’ont pas d’argent à elles. C’est aussi plus difficile de traverser le Sahara quand on est une femme seule.

Un autre aspect important, c’est la classe sociale. Les personnes qui font la démarche viennent souvent d’un milieu assez bourgeois et instruit, en contact avec l’Occident via internet, qui leur permet d’avoir plus facilement accès à l’information et de savoir qu’elles peuvent demander l’asile pour ce motif. Ces personnes mettent plus aisément des mots sur leur homosexualité, se définissent comme homosexuelles, ce qui est une attitude assez occidentale.

Une fois arrivé.e.s en Belgique, les candidat.e.s au statut de réfugié.e doivent alors prouver qu’ils/elles sont LGBT. Là aussi, le niveau d’études fait la différence. Parmi les personnes qui viennent à Rainbow United, je constate une grande inégalité de traitement en fonction de la nationalité ou du niveau d’instruction. En général, les personnes qui s’en sortent parlent anglais, sont universitaires, savent comment défendre un dossier, ont pensé à récolter des preuves et à emporter tous les papiers utiles. Les gens qui viennent de petits villages, qui n’ont pas fait beaucoup d’études, qui ne s’expriment pas très bien n’ont pas les mêmes outils pour se défendre et ont moins de chance d’être acceptés.

En ce qui concerne les lesbiennes, elles sont particulièrement discriminées en tant que femmes et homosexuelles. Elles payent aussi le fait de ne pas être visibles dans l’imaginaire collectif et dans les médias. Dans l’imagerie gay, il n’y a déjà pas beaucoup d’hommes noirs, mais les femmes lesbiennes noires ou arabes sont quasi invisibles. Du coup, leur situation ne parait pas concevable. J’ai, par exemple, vu des Camerounaises aller au CGRA pour demander l’asile au motif de leur homosexualité et qui n’ont pas été crues. Leur image ne correspondait pas à celle qu’on a ici de la lesbienne, elles n’étaient pas crédibles…

Devoir prouver qu’on est LGBT, c’est à la fois difficile et éprouvant…

C’est très difficile de fournir les preuves matérielles exigées pour avoir un dossier recevable. Beaucoup de LGBT ont caché leurs préférences amoureuses et sexuelles dans leur pays, à cause de la pression sociale ou pour ne pas être persécuté.e.s. Une personne bisexuelle, qui a officiellement mené une vie d’hétéro en ayant discrètement des partenaires des deux genres, sera probablement invalidée dans sa démarche si elle ne peut apporter de preuve de sa relation ou de menaces reçues. Or ce n’est pas possible de fournir de telles preuves quand on n’a pas pu vivre publiquement une vie de couple homo ou bi, avec toutes les traces que cela suppose (tickets de restaurants, billets de vacances…), quand on n’a pas pu déposer plainte pour agression homophobe de peur que la police ne les agresse à son tour, ou quand on a été chassé.e de chez les médecins qui ne voulaient pas entendre parler de ça.

Ensuite, c’est très dur psychologiquement. Il faut faire son coming out en permanence, étaler son intimité, revivre des évènements douloureux devant des gens qu’on ne connait pas, passer des examens médicaux. Le CGRA pose parfois des questions d’ordre sexuel ou très intimes : les positions qu’on pratique, le genre de sexe qu’on aime, etc. De manière générale, je ne les trouve pas très bienveillants.

Je constate aussi une méconnaissance des pratiques culturelles et de la réalité des gens qui mène à des situations absurdes. Demander à une lesbienne togolaise si elle allait au cinéma avec sa copine, alors qu’il n’y a pas de cinéma et qu’on ne sort jamais entre filles là où elle habitait, c’est ridicule. Demander à un Afghan homo, qui avait des relations avec un voisin sans pouvoir vivre en couple au grand jour, s’ils avaient un restaurant préféré, s’ils partaient en vacances à deux, non, ça ne se passe pas comme ça à Kaboul. On juge les gens selon les stéréotypes occidentaux de l’homosexualité.

C’est aussi pour cela qu’on les reçoit avant leur passage au CGRA, on aide à préparer les dossiers avec des avocats LGBT-friendly, on informe des droits qui sont souvent ignorés, comme celui de pouvoir changer d’avocat ou d’assistant social. On écrit les courriers, on aide à rédiger les récits. Souvent, ces personnes n’ont jamais pu parler de leur identité LGBT dans leur pays, certain.e.s pensaient même être les seul.e.s ! Alors imaginez la difficulté de mettre des mots sur tout ça. Lors des rencontres Rainbow United, on les fait parler pour les habituer à revivre le traumatisme et à formuler leur histoire comme un Occidental aimerait l’entendre, à savoir de manière structurée et linéaire, pas à l’africaine où c’est plus circulaire, où les dates ne sont pas importantes, où tout le monde s’appelle « mon frère », etc.

Il faut savoir que c’est d’autant plus difficile de parler que la discrimination continue dans les centres. Les LGBT sont souvent victimes d’insultes, d’agressions voire de viols de la part d’autres réfugié.e.s. On sensibilise les centres à ce problème, mais c’est difficile de contrôler ce qui se passe dans les douches et les réfectoires. Cette réalité amène souvent les gens à taire les vraies raisons de leur exil, avec les conséquences dramatiques qu’on imagine pour la procédure. Quand, faute de traducteur disponible, on demande à une personne issue de la même communauté de traduire le récit, il arrive fréquemment que la personne LGBT n’ose pas dire la vérité de peur de représailles dans le centre, du coup elle invente une histoire qui n’est pas cohérente, ou que la personne qui traduit soit homophobe et refuse de donner une traduction correcte du témoignage.

Leur permettre d’avoir un lieu où parler, c’est aussi leur offrir une bulle d’air…

Dans nos rencontres Rainbow United, on les aide à dédramatiser. On essaie d’organiser la solidarité et de favoriser la transmission des connaissances et des clés pour vivre en Belgique. Les gens qui viennent n’ont aucun point commun à la base sinon d’être LGBT : il y a des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des gens de religion et de pays différents, qui peu à peu tissent des liens, créent des réseaux sociaux et d’amitié, ont un espace sûr pour parler librement, échanger leurs expériences ou rencontrer des gens qui habitent la même région en Belgique. Il y a énormément d’entraide. Quand une personne obtient des papiers, elle revient souvent pour aider et accompagner les autres. Cette libération de la parole et cette sécurité sont fondamentales. Beaucoup disent ne jamais avoir eu l’occasion de s’exprimer sans peur avant.

Le point le plus grave, c’est que toutes ces personnes expriment l’horreur de ne pas avoir été protégées. Pour moi c’est le gros problème. Depuis leur arrivée en Belgique jusqu’à la réponse, les réfugié.e.s sont traité.e.s en coupables. Tout ce que tu diras sera retenu contre toi. Alors que, en vertu de la Convention de Genève, on doit les protéger, on instruit à charge. Cette violence est inacceptable à l’égard de personnes qui ont fui la persécution. Comme tou.te.s les réfugié.e.s, ces gens ont souvent marché des semaines, des mois, traversé la Méditerranée en bateau dans les conditions atroces qu’on connait, espérant trouver refuge sur une terre de droits humains. Autant dire que pour la plupart, c’est la douche froide. C’est pourquoi on essaie de leur offrir un lieu chaleureux et solidaire où ces personnes peuvent enfin se sentir libres et en sécurité.

  1. Créé et organisé par l’asbl Coordination HoLeBi Bruxelles en 2010, dans le cadre de sa reconnaissance en éducation permanente par la Fédération Wallonie-Bruxelles, en collaboration avec la RainbowHouse Brussels (logistique), les asbl Merhaba (destinée au public LGBTQI+ issu de l’immigration arabo-musulmane), Omnya (destinée au public LGBTQI+ issu de l’immigration arabo-musulmane) et Why Me (destinée au public LGBTQI+ issu de l’immigration africaine subsaharienne, particulièrement réfugié) ainsi qu’avec l’expertise de Fedasil, particulièrement le centre « Le Petit Château ».
  2. Selon Amnesty International, quelque quatre-vingts États pénalisent les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres (prison, torture, travaux forcés) parmi lesquels 10 pratiquent la peine de mort : l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, Brunei, L’Iran, la Mauritanie, le Nigeria (dans les 12 États du Nord ayant adopté la Charia), le Qatar, le Soudan, la Somalie (dans les émirats islamiques régis par Al Shabaab, où s’applique la Charia) et le Yémen.
  3. Selon les termes de la convention de Genève, l’homosexualité rentre dans le critère de l’appartenance à un groupe social déterminé qui est discriminé ou persécuté. Les personnes transgenres ne sont pas encore reconnues comme telles et sont classées comme homosexuelles.
  4. Chiffres CGRA.

Oliviero Aseglio


Auteur

coordinateur du projet Rainbows United