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Parcours d’élèves. Sont-ils heureux dans l’enseignement secondaire ?

Numéro 4 Avril 2013 par François Ska

avril 2013

Nom­breux sont les enfants qui ne sont pas heu­reux à l’école, mais qui pour­raient très bien l’être, qui perdent leur temps dans des classes ou des options qui ne leur conviennent pas. Ce gâchis qui lais­se­ra des traces sur leur sco­la­ri­té et leur vie même pour­rait être évi­té si la légis­la­tion était moins contrai­gnante, et si le légis­la­teur fai­sait plus confiance aux équipes d’enseignants, aux membres des équipes PMS (centre psy­cho-médi­co-social) et aux direc­tions d’écoles, pour accom­pa­gner chaque élève dans le par­cours qui lui convient.

Pour ten­ter de répondre à cette ques­tion, voi­ci cinq exemples, par­mi d’autres, de par­cours vécus au pre­mier degré de l’enseignement secon­daire1 par de trop nom­breux élèves.

Alex et l’obligation de rester trois ans au premier degré

Alex2 est tout heu­reux d’avoir obte­nu le cer­ti­fi­cat d’études de base (CEB), à l’arraché, avec une moyenne de 51%. Dès le mois de sep­tembre, il déchante : mal­gré ses efforts, il ne suit pas, ne com­prend pas, ne trouve pas le rythme, et se retrouve en échec. Il n’est plus pos­sible de lui pro­po­ser un pas­sage en classe d’accueil, où il pour­rait com­bler ses lacunes et retrou­ver la confiance en lui. Il doit ter­mi­ner son année, en échec, et res­ter en pre­mière l’année sui­vante. Comme ses lacunes remontent aux connais­sances de l’enseignement pri­maire, recom­men­cer son année, même avec un pro­gramme adap­té, ne résou­dra pas son pro­blème. Par ailleurs, il sait très bien que, quel que soit son résul­tat, il se trou­ve­ra en deuxième l’année sui­vante, même si son pro­jet est d’aller en troi­sième pro­fes­sion­nelle pour réa­li­ser son rêve de s’épanouir en appre­nant le métier de la res­tau­ra­tion. Pour un jeune de treize ans, où trou­ver dans cette situa­tion la moti­va­tion à tra­vailler régu­liè­re­ment ? Après deux années pas­sées en pre­mière, ponc­tuées toutes deux d’un échec, Alex est donc dans l’obligation d’effectuer une troi­sième année dans le pre­mier degré, et de se retrou­ver sur les bancs de la deuxième. Dépi­té, entré dans l’adolescence, Alex est ten­té de mon­trer qu’il existe par des moyens peu sco­laires : bros­sages, pro­blèmes dis­ci­pli­naires, retards… s’accumulent. Il ter­mine bien sûr mal sa deuxième, ponc­tuant trois années de galère, d’échecs, d’image néga­tive de lui-même, de perte de confiance en lui-même et dans l’adulte, de perte d’habitude et d’organisation d’un tra­vail sco­laire nor­mal, sans par­ler de la dégra­da­tion de ses rela­tions avec ses ensei­gnants, ses condis­ciples, ses parents, et des effets néga­tifs sur les classes dans les­quelles il s’est retrou­vé contre son gré.

Assia et l’interdiction de rester plus de trois ans dans le premier degré

Assia a ter­mi­né son par­cours en pri­maire en cin­quième. Elle a douze ans, et doit pas­ser dans l’enseignement secon­daire. Sans CEB, elle se retrouve en 1D (classe d’accueil). Des pro­blèmes fami­liaux et de san­té la han­di­capent. En fin d’année, mal­gré tout le tra­vail des ensei­gnants et son inves­tis­se­ment, elle n’obtient pas le CEB. Elle se retrouve donc l’année sui­vante en 2D : ses résul­tats s’améliorent de période en période, et approchent les 80%. En juin, elle obtient son CEB. Elle a pris gout aux études et sou­haite pour­suivre un par­cours l’autorisant à enta­mer plus tard des études supé­rieures. Sur le plan admi­nis­tra­tif, deux pos­si­bi­li­tés s’offrent à elle : aller en deuxième com­mune, ou en troi­sième pro­fes­sion­nelle. Son sou­hait de se pré­pa­rer à des études supé­rieures l’incite à deman­der son ins­crip­tion en deuxième com­mune. Mais, sur le plan péda­go­gique, c’est une aber­ra­tion : en lui accor­dant le CEB, le conseil de classe atteste qu’elle a le niveau d’une fin de sixième pri­maire, et donc d’un début de pre­mière secon­daire. Mais les contraintes admi­nis­tra­tives l’obligent à « sau­ter une année » et à pas­ser de l’équivalent d’une sixième pri­maire à une deuxième secon­daire ! Autant exi­ger d’un spor­tif ama­teur qu’il gagne une médaille aux jeux olym­piques, ou à un élève d’académie de musique de deve­nir lau­réat du concours Reine Éli­sa­beth ! Assia doit donc se résoudre à aller en troi­sième pro­fes­sion­nelle, avec un sen­ti­ment de frus­tra­tion et d’échec, le CEB qu’elle a obte­nu ne lui ouvrant pas une autre porte que celle de la troi­sième pro­fes­sion­nelle où elle retrou­ve­ra les condis­ciples sor­tant de 2D et n’ayant pas obte­nu le CEB.

Kevin et le complexe de l’intello

Kevin a ter­mi­né sa sixième pri­maire dans une école de son quar­tier. Ses parents ont fait ce choix de la proxi­mi­té. Mal­heu­reu­se­ment pour eux et pour Kevin, ils habitent un quar­tier où il n’y a pas beau­coup de pos­si­bi­li­tés quant aux écoles secon­daires proches. Inquiets, ils se sont infor­més sur le cal­cul des indices, et ont ten­té d’effectuer une série de simu­la­tions ; ils sont arri­vés à la conclu­sion que leur fils n’a aucune chance d’être repris dans la ou les écoles qui lui conviennent. Ils ont donc ren­tré le fameux for­mu­laire avec un choix « décré­ta­le­ment cor­rect », qui fera dire aux res­pon­sables de la Com­mu­nau­té fran­çaise que Kevin a eu son pre­mier choix. En sep­tembre, Kevin se retrouve dans sa nou­velle école, ne connais­sant per­sonne car arri­vé seul de son école pri­maire. Mais il fait contre mau­vaise for­tune bon cœur : il effec­tue ses tra­vaux, par­ti­cipe acti­ve­ment en classe, fait la joie des ensei­gnants, et obtient de bons résul­tats. Pour­tant, il s’éteint pro­gres­si­ve­ment, et devient même désa­gréable. Les ensei­gnants s’inquiètent, en parlent avec lui et ses parents, et Kevin finit par com­prendre lui-même et révé­ler le pro­ces­sus dont il a été vic­time : las­sé d’être taxé d’«intello », il a fini par « se ran­ger », se disant que c’était le meilleur moyen de res­ter inté­gré, d’éviter moque­ries, voire pire…

Nathalie est trop âgée

Natha­lie est en 1S : elle recom­mence donc sa pre­mière année dans le secon­daire. À cause de pro­blèmes de san­té notam­ment, elle a accu­mu­lé plu­sieurs années de retard. Mais le pro­gramme spé­ci­fique de cette 1S, les encou­ra­ge­ments de ses parents et des ensei­gnants, ses pro­grès dans le tra­vail et la matu­ri­té, par­mi d’autres fac­teurs, l’amènent à obte­nir de bons résul­tats. La spi­rale de l’échec s’inverse : la réus­site ren­force la confiance, et son bul­le­tin brille de « bra­vo », « excellent », avec des notes toutes supé­rieures à 75%. Natha­lie rêve de pour­suivre ce par­cours en deuxième, pour s’ouvrir les portes d’un deuxième degré cor­res­pon­dant à son choix et à ses aspi­ra­tions. Mais ce rêve se brise contre la rigi­di­té admi­nis­tra­tive : Natha­lie aura bien­tôt seize ans, et doit donc impé­ra­ti­ve­ment rejoindre une classe de troi­sième. Ses acquis, certes solides, ne lui auto­risent rai­son­na­ble­ment que l’accès en troi­sième pro­fes­sion­nelle. Natha­lie se sent relé­guée, et les ensei­gnants de troi­sième pro­fes­sion­nelle sont révol­tés de voir le sys­tème faire abou­tir dans leur classe une élève qui n’y a pas sa place.

David a ter­mi­né sa sixième pri­maire dans une école ados­sée à une école secon­daire répu­tée. Ses parents connaissent une autre école secon­daire, qui, à leurs yeux, cor­res­pond mieux au pro­fil de leur fils. Il y a des amis, et sou­haite inté­grer cet éta­blis­se­ment. Mais il n’y est pas prio­ri­taire ! Ses parents jouent la sécu­ri­té, et sol­li­citent l’inscription dans l’école qui leur paraît « décré­ta­le­ment » cor­recte, soit l’école ados­sée. On leur dit bien lors de l’entretien très bref de demande d’inscription que ce sera dif­fi­cile pour David, et que des écoles men­tion­nées dans la liste des choix sui­vants seraient peut-être plus judi­cieuses. Mais les parents main­tiennent leur choix, et David entame en sep­tembre son par­cours au pre­mier degré de l’enseignement secon­daire. Assez rapi­de­ment, il est confron­té à des dif­fi­cul­tés de com­pré­hen­sion. Il pose des ques­tions, sol­li­cite des remé­dia­tions, mais on lui répond qu’il faut avan­cer dans la matière, qu’on ne peut pas péna­li­ser les bons élèves qui com­prennent tout de suite, que des cours par­ti­cu­liers existent… David se sent de plus en plus seul face à ses dif­fi­cul­tés, et com­mence à être la risée de ses condis­ciples. Il voit ses copains de sixième pri­maire qui sont dans l’école qu’il aurait sou­hai­tée : ils y sont heu­reux et réus­sissent. Il finit par deman­der à ses parents s’il ne peut vrai­ment pas chan­ger. Ses parents s’informent. La réponse est cin­glante : pas de chan­ge­ment pos­sible durant les deux ou trois années du pre­mier degré. Le cal­vaire de David va se poursuivre…

Meltem est malade, c’est bien dommage…

Mel­tem entre en deuxième secon­daire. C’est sa troi­sième année dans le pre­mier degré. Durant les vacances, sa san­té donne de sérieux signes d’inquiétude : fatigues, amai­gris­se­ment, maux de ventre… Le méde­cin trai­tant l’envoie en obser­va­tion, et la nou­velle ter­rible tombe : une tumeur est détec­tée. La ren­trée sco­laire s’accompagne de trai­te­ments lourds, d’alternance de séjours en hôpi­tal et à domi­cile. Mal­gré l’aide des ensei­gnants de l’école et de l’«école à l’hôpital », Mel­tem, bien sou­te­nue par sa famille, n’obtient pas la réus­site. Elle n’a pra­ti­que­ment pas fré­quen­té les cours, mais les nou­velles médi­cales sont plu­tôt bonnes : il y a bon espoir que Mel­tem puisse reprendre une vie qua­si nor­male en sep­tembre. Plein d’espoirs, les parents pensent que Mel­tem pour­ra enfin suivre les cours régu­liè­re­ment en deuxième et obte­nir son diplôme de fin de pre­mier degré. La direc­tion de l’établissement sco­laire contacte le ser­vice com­pé­tent de la Com­mu­nau­té fran­çaise, per­sua­dée qu’une solu­tion est pos­sible. La réponse tombe comme un cou­pe­ret : rien n’est pré­vu pour ce cas de figure dans la légis­la­tion, et aucune déro­ga­tion n’est donc pos­sible. Mel­tem doit pour­suivre son par­cours en troi­sième professionnelle.

Pour conclure

Doit-on s’étonner que tous les Alex, Assia, Kevin, Natha­lie, David, et Mel­tem, sans par­ler d’autres situa­tions, répondent aux enquêtes de satis­fac­tion qu’ils ne sont pas heu­reux dans l’enseignement secondaire ?

  1. L’enseignement secon­daire est orga­ni­sé en trois degrés. Le pre­mier degré com­prend les deux pre­mières années et est appe­lé pre­mier degré com­mun, car tous les élèves y suivent les mêmes grilles horaires.
  2. Les pré­noms sont des pré­noms d’emprunt. Les cas évo­qués ne sont pas iso­lés : on peut les trou­ver mal­heu­reu­se­ment dans de nom­breuses écoles ; leurs his­toires sont bien sûr chaque fois dif­fé­rentes, mais révèlent les mêmes dysfonctionnements.

François Ska


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