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Par-delà les semences, la diversité des trajectoires des agricultures
Plantes transgéniques ou semences paysannes, le débat sur l’agriculture commence le plus souvent par sa dimension technique. L’agriculture est vue comme une pratique à optimiser pour produire de la nourriture et, dans une logique strictement quantitative, l’objectif est d’augmenter la production globale de biens agricoles pour répondre à la question alimentaire. L’indicateur principal est la productivité, perçue […]
Plantes transgéniques ou semences paysannes, le débat sur l’agriculture commence le plus souvent par sa dimension technique. L’agriculture est vue comme une pratique à optimiser pour produire de la nourriture et, dans une logique strictement quantitative, l’objectif est d’augmenter la production globale de biens agricoles pour répondre à la question alimentaire. L’indicateur principal est la productivité, perçue implicitement comme la quantité de nourriture produite par hectare. C’est cette quête de la productivité qui justifie une approche libérale du marché des semences1.
Nourrir l’humanité dans les limites de la planète
À l’aéroport de Bruxelles-National fleurissent les affiches signées de Syngenta, un des géants d’industrie agrochimique : Grow more for less. La priorité est l’intensification et, dans une version plus récente, à l’intensification écologique définie comme l’articulation de deux dimensions : le maintien d’un niveau de production par hectare élevé et la réalisation de cet objectif « en harmonie et en symbiose avec l’environnement » (Bonny, 2010). Même si cette approche se revendique systémique, elle cache deux éléments fondamentaux : la sécurité alimentaire de la planète n’est pas uniquement une question de production et les enjeux de l’agriculture dépassent les limites du champ pour déterminer nos paysages, nos modes de consommation et questionner la place qu’occupent les agriculteurs dans nos sociétés postmodernes. L’agriculture est là pour nourrir le monde et une partie de notre humanité souffre de la faim.
En fonction des prix du pétrole, le nombre de personnes qui souffrent de malnutrition dans le monde oscille entre 850 millions et un milliard de personnes alors que la production mondiale de nourriture est suffisante pour nourrir l’ensemble de l’humanité (FAO, WFP et IFAD, 2012). De plus, une majorité de ces personnes sont des agriculteurs. En fait, la question de la malnutrition est avant tout un problème de pauvreté et non de production. Sortir le dixième de l’humanité de la malnutrition implique de les sortir de la pauvreté. Cette pauvreté qui les fragilise notamment par rapport aux dérèglements climatiques et à la volatilité des marchés des produits agricoles. Dans ce contexte, augmenter la production agricole n’a de sens que si elle contribue à une diminution des inégalités et tempère les risques liés au climat. La question devient alors « assurer une production alimentaire suffisante avec qui et pour qui ? ». À cette question, un rapport international a répondu en 2009 (iaastd, 2009): l’agriculture paysanne est celle qui répond le mieux aux défis du millénaire : sécurité alimentaire, équilibre des genres, intégration des objectifs de production et des limites environnementales.
Une nouvelle trajectoire pour les agricultures du monde
D’un point de vue technique, cette agriculture paysanne et familiale s’appuie sur une approche agroécologique dont l’objectif est l’application de l’écologie à l’étude, la conception et la gestion des systèmes agroalimentaires (Stassart et al., 2012). Une approche interdisciplinaire qui prend en compte l’ensemble du dispositif de la plante à la consommation en s’intéressant à la fois aux enjeux techniques, mais aussi aux dimensions économique, sociale et à leur régulation. Plus de quatre-cents personnes étaient réunies au Parlement européen le 13 novembre dernier pour explorer le potentiel de cette nouvelle vision de l’agriculture (The Potential of Agroecology : Reclaiming the Food Crisis — a Greens-efa Public Conference). Les principes de l’agroécologie rejoignent des pratiques comme l’agroforesterie, l’agriculture urbaine ou l’agriculture de conservation2. Même si elle demande encore des investissements en recherche (Gaëtan Vanloqueren et Baret, 2009), l’agroécologie commence à démontrer son potentiel. Inspirée de principes ancrés depuis longtemps dans les systèmes agricoles, elle les décline selon de nouvelles modalités prenant en compte les progrès techniques en termes de machines et gestion des données. Les expériences se multiplient à travers le monde (De Schutter et Vanloqueren, 2011).
Il existerait donc une autre trajectoire pour les agricultures du monde qui aurait comme objectif premier non pas la productivité, mais l’amélioration des systèmes agroalimentaires dans le respect des limites de la planète et du devenir des agriculteurs les plus pauvres. Ce modèle n’est-il pas un simple retour au passé, inefficace et insécurisant ? On pourrait le croise face à la mobilisation simpliste du concept de productivité qui contribue à une vision du monde monodimensionnelle et quantitative alors que les questions qui se posent sont multidimensionnelles et holistiques. Porter l’accent sur la seule production conduit aussi à concevoir l’agriculture comme une activité économique comme les autres alors que par son impact sur la santé et l’environnement, l’activité agricole a une dimension publique.
Une agriculture basée sur la biodiversité des espèces et des systèmes
Si on accepte ce changement de cadre, la question n’est pas tant de savoir si les plantes transgéniques présentent des risques, mais bien celle de leur pertinence comme innovation (Vanloqueren et Baret, 2011) et le débat sur les semences paysannes ouvert dans La Revue nouvelle du mois de septembre monte en complexité. Quel est l’impact de la biodiversité sur l’agriculture ? Quelle est la contribution de la biodiversité à nos systèmes alimentaires ? Le modèle actuel d’agriculture axé sur le seul objectif d’augmentation des rendements a eu un effet négatif majeur sur la biodiversité tant au sein des systèmes agricoles eux-mêmes par la disparition des races et des variétés anciennes que sur la biodiversité sauvage par l’uniformisation des paysages et les impacts de la pollution.
Dans une approche agroécologique de l’agriculture, la diversité, et singulièrement la diversité des semences, est un élément clé de la résilience des petits systèmes agricoles. Une diversité qui correspond à une diversité de pratiques et de produits. Faire du fromage de qualité différenciée implique l’utilisation d’un lait aux propriétés différentes du lait standard tel que voulu par les grands groupes mondiaux qui dominent le secteur. Maintenir un système agraire dans les conditions d’incertitude implique de multiplier les espèces et les variétés pour à la fois résister aux épidémies qui touchent les plantes, répondre aux aléas du marché et obtenir une alimentation équilibrée. La diversité des plantes, des animaux, des paysages et des systèmes est une forme ancestrale d’assurance contre l’incertain. Plutôt que de se cabrer dans une posture de maitrise de l’incertitude en utilisant les armes de phytopharmacie, on compose avec l’ennemi, on cherche un équilibre à long terme sur la base de réseaux d’espèces, les unes contrôlant les autres. L’organisation de l’espace y joue aussi sa part, les haies et les autres éléments du maillage écologique servant d’habitat aux espèces utiles au maintien des équilibres (Tscharntke et al., 2012). Ce type d’approche, comme la lutte biologique, demande des apprentissages et des innovations qui articulent savoirs exogènes et savoirs paysans. On entre alors dans une agriculture complexe organisant et construisant la diversité des savoirs pour nourrir une diversité de trajectoires qui répondent à des objectifs de production de façon durable, équilibrée et locale.
Une diversité de régulations pour une diversité d’agricultures
Cette diversité des trajectoires questionne aussi l’inscription des semences. Dans le modèle actuel, pour être inscrite au catalogue, une semence doit obéir à trois attendus : distinction — elle doit être différente des semences disponibles sur le marché, homogénéité — constituée de plantes identiques, et stabilité — la lignée conservant ses caractéristiques au fil du temps. L’objectif initial était de protéger le consommateur, en l’occurrence l’agriculteur, par un processus de certification. Cependant, prouver ces trois dimensions peut être très couteux pour de petites structures (plusieurs milliers d’euros par variétés). De plus, certains dispositifs agricoles sont basés sur des mélanges d’espèces, de variétés, de lignées différentes pour favoriser une dynamique d’adaptation (Demeulenaere et Bonneuil, 2010). Dans ces variété-populations, on renonce à la stabilité pour privilégier l’adaptabilité. Ce modèle est encore peu exploré par la recherche scientifique classique, mais pourrait représenter une option intéressante en agriculture biologique notamment (Chable et Berthellot, 2006). D’un point de vue technique, les besoins variétaux d’une agriculture industrielle basée sur la monoculture et d’une agriculture agroécologique où sont privilégiés mélanges et variétés-populations sont différents. Cela implique-t-il des cadres légaux différents ? Probablement. Une simple adaptation du cadre actuel construit pour le modèle productiviste du XXe siècle sera insuffisante à long terme. Le défi est de construire une agriculture nouvelle en développant en parallèle progrès technique et innovations organisationnelles.
- Paul Nihoul, « Faut-il libéraliser le marché des semences ? », La Revue nouvelle, septembre 2012.
- Une série d’exemples ont été compilés sur http://agro-ecoinnovation.eu/.