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PAC. Compromis à l’européenne

Numéro 3 mars 2014 par Charline Cauchie

février 2014

Le 26 juin der­nier, après un pro­ces­sus de vingt-et-un mois de négo­cia­tions, Conseil des ministres, Com­mis­sion et Par­le­ment euro­péens trou­vaient un accord sur la nou­velle Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) pour la période 2014 – 2020. Quelles orien­ta­tions va prendre une des plus anciennes et, jus­qu’à peu, la plus impor­tante des poli­tiques com­munes de l’U­nion euro­péenne (UE)? Réformée […]

Le 26 juin der­nier, après un pro­ces­sus de vingt-et-un mois de négo­cia­tions, Conseil des ministres, Com­mis­sion et Par­le­ment euro­péens trou­vaient un accord sur la nou­velle Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) pour la période 2014 – 2020. Quelles orien­ta­tions va prendre une des plus anciennes et, jus­qu’à peu, la plus impor­tante des poli­tiques com­munes de l’U­nion euro­péenne (UE)?

Réfor­mée à plu­sieurs reprises, l’histoire de la PAC suit la courbe des crises ali­men­taires et agri­coles, et son évo­lu­tion reflète les pré­oc­cu­pa­tions socioé­co­no­miques de l’UE. Aujourd’hui plus que jamais d’actualité, sa moder­ni­sa­tion devrait se tra­duire par une PAC 14 – 20 « plus juste, plus verte, et plus régu­la­trice1 ».

La PAC, un des symboles de l’Europe

Depuis 1962, la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) fait de l’agriculture un des sym­boles forts de l’intégration euro­péenne. Fon­dée prin­ci­pa­le­ment sur des mesures de contrôle des prix et de sub­ven­tion­ne­ment, visant à moder­ni­ser et déve­lop­per l’agriculture, elle est mise en œuvre par la Direc­tion géné­rale « Agri­cul­ture et déve­lop­pe­ment rural » de la Com­mis­sion euro­péenne. La PAC consiste 
en deux piliers : le sou­tien des mar­chés et des prix agri­coles, et le déve­lop­pe­ment rural.

Une réforme en faveur des arbitrages nationaux

En effet, après le demi-siècle pas­sé à légi­fé­rer en la matière, l’ambition de la Com­mis­sion euro­péenne était de « moder­ni­ser le sec­teur et l’orienter davan­tage vers le mar­ché » tout en don­nant à la PAC la pos­si­bi­li­té de « contri­buer au déve­lop­pe­ment d’une crois­sance intel­li­gente, durable et inclu­sive, en répon­dant aux nou­veaux défis de notre socié­té, notam­ment aux défis éco­no­miques, sociaux, envi­ron­ne­men­taux, cli­ma­tiques et tech­no­lo­giques2 ». Au départ de la réflexion, la Com­mis­sion avait ain­si recom­man­dé trois modi­fi­ca­tions fon­da­men­tales. Tout d’abord, la réforme des paie­ments directs et du bud­get pour le déve­lop­pe­ment rural et la pro­tec­tion de l’environnement. Ensuite, la fin des quo­tas et d’autres formes de sou­tien du mar­ché. Et enfin, un accent plus impor­tant sur les mesures envi­ron­ne­men­tales, par l’attribution de 30% des finan­ce­ments aux agri­cul­teurs qui diver­si­fient leurs cultures, main­tiennent leurs pâtu­rages per­ma­nents et res­pectent un mini­mum de sur­faces d’intérêt écologique.

Même si le docu­ment défi­ni­tif a conser­vé cer­tains de ces objec­tifs, nom­breux sont les obser­va­teurs à dénon­cer une PAC « vert pâle » et « à la carte ».

Les points de vue se téles­copent : « Prise en compte de la diver­si­té de l’agriculture des dif­fé­rents pays de l’UE », selon Dacian Cio­los, com­mis­saire à l’Agriculture et au Déve­lop­pe­ment rural ; « poli­tique du cha­cun pour soi », pour José Bové, dépu­té euro­péen d’Europe Écologie.

Car la pro­cé­dure par­le­men­taire et les négo­cia­tions finales ont don­né lieu à une loi de com­pro­mis, qui octroie plus de marge de manœuvre aux États membres, y com­pris dans les nou­velles règles de per­for­mance envi­ron­ne­men­tale. Ain­si, seront lais­sés à l’appréciation des Vingt-huit le pla­fond des aides ou les mon­tants de l’octroi d’aides directes à cer­taines pro­duc­tions en difficulté.

Faut-il voir là une marche arrière ? Ce retour vers les arbi­trages natio­naux s’effectue, certes, sur une base dont les contours sont défi­nis, mais pas entiè­re­ment le conte­nu. Une « décom­mu­nau­ta­ri­sa­tion », d’autant plus para­doxale que c’était la pre­mière fois que le Par­le­ment euro­péen jouait un rôle égal3 à celui de la Com­mis­sion et du Conseil dans la défi­ni­tion de la légis­la­tion et du bud­get de la PAC.

(No) Green Power

Les pro­po­si­tions en matière d’environnement sont celles qui ont le plus sus­ci­té la contro­verse. Elles ont don­né lieu à des conflits au Par­le­ment entre la com­mis­sion de l’Environnement, plus foca­li­sée sur l’écologie, et celle de l’Agriculture qui est par­ve­nue à négo­cier de larges dis­penses vis-à-vis des mesures contrai­gnantes de ver­dis­se­ment ini­tia­le­ment pro­po­sées par la Commission.

Dans l’accord final, les vingt-huit gou­ver­ne­ments de l’UE sont tenus de des­ti­ner 30% des sub­ven­tions, soit 100 mil­liards d’euros, à cer­tains cri­tères envi­ron­ne­men­taux et aux agri­cul­teurs qui pré­servent le sol et la bio­di­ver­si­té. Mais, il s’agit d’une modi­fi­ca­tion par rap­port à la pro­po­si­tion de la Com­mis­sion, qui sou­hai­tait des normes de per­for­mance à l’échelle européenne.

Certes, les agri­cul­teurs devront diver­si­fier leurs cultures, mais la PAC n’oblige pas les exploi­ta­tions de moins de 10 hec­tares à le faire, soit un tiers des fermes de l’UE. Les agri­cul­teurs qui cultivent entre 10 et 30 hec­tares devraient plan­ter, quant à eux, deux cultures et les plus grands exploi­tants devraient en plan­ter trois. Jusqu’à 75% des terres peuvent être consa­crés à la culture principale.

Certes, les agri­cul­teurs devront main­te­nir des prai­ries per­ma­nentes et assu­rer la pré­ser­va­tion de zones d’intérêt éco­lo­gique. Cepen­dant, les exploi­ta­tions infé­rieures à 15 hec­tares sont dis­pen­sées des obli­ga­tions de créer des « sur­faces d’intérêt éco­lo­gique » (SIE)4. Et même si le non-res­pect de ces mesures peut entrai­ner des sanc­tions finan­cières pour les agri­cul­teurs en infrac­tion, ce sont, là encore, les États membres qui déter­mi­ne­ront leur échelonnement.

Plus équitable au Nord…

Dési­reuse de rompre avec le pré­cé­dent modèle, où envi­ron 80% des paie­ments étaient alloués à 20% des exploi­ta­tions, la nou­velle PAC pré­voit une redis­tri­bu­tion plus équi­table entre pays. Bruxelles veut ain­si veiller à ce qu’aucun État membre ne reçoive moins de 75% de la moyenne com­mu­nau­taire d’ici à 2019.

Les sub­ven­tions des grosses exploi­ta­tions, sur­tout céréa­lières, seront réduites de manière dégres­sive jusqu’à un taux de 5%, au-delà de 150000 euros d’aide à charge pour les États de redis­tri­buer l’argent récu­pé­ré. Les pays qui choi­si­raient de favo­ri­ser les petites exploi­ta­tions via une prime aux pre­miers hec­tares seraient exemp­tés de cette mesure. En ce qui concerne la Bel­gique, par exemple, le ministre Car­lo Di Anto­nio a dit vou­loir ren­for­cer l’aide aux petites exploi­ta­tions en sub­si­diant prio­ri­tai­re­ment les 18 pre­miers hectares.

Mais, mal­gré ces mesures phares, la logique d’octroi des aides reste la même : on conti­nue à sub­ven­tion­ner en fonc­tion de la sur­face. Même si a été pré­vue la créa­tion d’une liste d’organismes qui seront exclus des aides agri­coles, comme les aéro­ports ou les clubs de sport. Une liste que les États membres auront la pos­si­bi­li­té d’étoffer à leur gré.

Quant à la ques­tion de l’impact des déci­sions votées sur les pays du Sud, elle a été la grande absente des débats, dans un cli­mat de libé­ra­li­sa­tion à marche for­cée. Les enjeux de déve­lop­pe­ment mis en lumière par la com­mis­sion Déve­lop­pe­ment du Par­le­ment euro­péen, qui pro­po­sait prin­ci­pa­le­ment la mise en place d’un méca­nisme de plaintes et de moni­to­ring sur les impacts dans les pays du Sud, n’ont pas été pris en compte dans l’élaboration du texte défi­ni­tif. Et abso­lu­ment aucun des amen­de­ments allant dans ce sens n’a été rete­nu par le Parlement.

… Mais pas au Sud

Ain­si, aucun méca­nisme n’est pré­vu dans la future PAC pour contrô­ler les effets des poli­tiques com­mer­ciales de la PAC (comme le main­tien de prix arti­fi­ciel­le­ment bas) sur les petits agri­cul­teurs des États d’Afrique, Caraïbes et Paci­fique (ACP), contrai­re­ment à ce qu’auraient dû impli­quer les poli­tiques de rela­tions Nord-Sud que l’UE a fixées par le passé.

La PAC 14 – 20 n’a pas pré­vu la mise en place de nou­veaux outils de régu­la­tion. La dis­pa­ri­tion des quo­tas lai­tiers a été confir­mée pour 2015, et ceux du sucre ne sont main­te­nus que pro­vi­soi­re­ment. Le Secré­ta­riat des États ACP a d’ailleurs dénon­cé la sup­pres­sion des quo­tas sucriers pré­vue en 2017. Les États ACP pro­duc­teurs de sucre s’inquiètent du flou entou­rant les ins­tru­ments devant en contre­ba­lan­cer les effets sur les éco­no­mies nationales.

Selon cer­taines études, l’absence de quo­tas se tra­dui­ra par une perte de recettes esti­mée à 850millions d’euros jusqu’en 2020 pour les pro­duc­teurs de sucre ACP, par­mi les­quels figurent cinq des pays les moins avan­cés (PMA). Les membres ACP pré­co­ni­saient que le régime actuel soit pro­lon­gé de cinq ans afin de per­mettre l’achèvement des plans d’action défi­nis conjoin­te­ment avec l’UE pour mener à bien la moder­ni­sa­tion, la diver­si­fi­ca­tion et le ren­for­ce­ment de l’efficacité des indus­tries sucrières ACP.

Éta­blis­sant une com­pa­rai­son avec la recon­duc­tion pro­bable de la poli­tique sucrière des États-Unis, qui pré­voit notam­ment des limites pour la pro­duc­tion natio­nale et une part de mar­ché de 15% réser­vée aux pays en déve­lop­pe­ment, le groupe Sucre ACP avait appe­lé la par­tie euro­péenne à hono­rer les prin­cipes sti­pu­lés dans plu­sieurs accords ACP-UE, tels que l’accord de Coto­nou, les accords de par­te­na­riat éco­no­mique (APE) et l’initiative « Tout sauf les armes » (TSA), qui visent à pro­té­ger les petits par­te­naires com­mer­ciaux vul­né­rables de l’UE. Que se pas­se­ra-t-il main­te­nant que cette voix n’a pas été écoutée ?

Ne reste plus qu’à signer

Une série de points liti­gieux res­te­ront en sus­pens5] jusqu’à ce que le bud­get plu­ri­an­nuel de l’Union soit voté par le Par­le­ment. Ini­tia­le­ment pré­vu pour sep­tembre der­nier, le vote a été repor­té à une date ulté­rieure, les euro­dé­pu­tés ne dis­po­sant pas d’une « base rai­son­nable6]» pour un accord global.

Mais, quoi qu’il en soit, le bud­get pour l’agriculture et le déve­lop­pe­ment rural devrait échap­per aux grandes réduc­tions réa­li­sées dans le reste du cadre finan­cier de l’UE (même si l’on parle tout de même d’une enve­loppe réduite de 12%) et avoi­si­ner les 370milliards d’euros (envi­ron 38% du bud­get total, com­pa­ré à près de 70% dans les années 1970), dont 
280milliards consa­crés aux paie­ments directs aux agri­cul­teurs et envi­ron 80milliards au déve­lop­pe­ment rural. Le reste du mon­tant sera consa­cré en grande par­tie au sou­tien des mar­chés en cas de crise, en ce com­pris les aides à l’exportation.

En matière de paie­ments directs aux agri­cul­teurs, il a été conve­nu que les États pour­ront anti­ci­per en 2014 un cer­tain nombre de mesures pré­vues par la réforme. Cela concerne notam­ment le sou­tien aux petites exploi­ta­tions, comme le deman­dait l’Allemagne, et l’augmentation des aides cou­plées à la pro­duc­tion, que la France sou­haite diri­ger en faveur de l’élevage.

Fina­le­ment, donc, rien ne devrait plus empê­cher l’accord d’être ava­li­sé et le Par­le­ment a d’ores et déjà « garan­ti la pour­suite des finan­ce­ments avant la pleine appli­ca­tion de la réforme de la PAC », ain­si que l’a sou­li­gné dans un com­mu­ni­qué la pré­si­dence litua­nienne du Conseil de l’UE, pré­ci­sant que le régime conve­nu « per­met une tran­si­tion en dou­ceur » entre l’ancienne PAC et la nou­velle. Car oui, la tran­si­tion douce a pri­mé sur la réforme en profondeur.

  1. Com­mis­sion européenne.
  2. Com­mis­sion européenne.
  3. Plus de 6000 amen­de­ments ont été faits au texte au cours des ses­sions parlementaires.
  4. La pro­po­si­tion ini­tiale de la Com­mis­sion pré­voyait que ces sur­faces devaient recou­vrir 7% des terres arables en 2015. Ce chiffre est pas­sé à 5%, mais serait sus­cep­tible de grim­per à 7% dans l’attente d’une révi­sion en 2017. Selon leurs détrac­teurs, les nou­velles règles s’appliqueront à moins de deux tiers des sur­faces arables et à 11% des agriculteurs.
  5. [La ques­tion du pla­fon­ne­ment des aides à 300000euros par exploi­ta­tion ou de leur dégres­si­vi­té à par­tir de 150000 euros, mais aus­si celle du par­tage des moyens bud­gé­taires entre les États membres n’ont pas été tranchées.
  6. [Décla­ra­tion du chef de file du groupe socia­liste, l’Autrichien Hannes Swo­bo­da dans un com­mu­ni­qué. Le Monde via AFP, 17 octobre 2013.

Charline Cauchie


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