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Oublier Dutroux

Numéro 3 Mars 2013 par

mars 2013

Qui aurait pu son­ger que, un jour, Marc Dutroux serait admis­sible à la libé­ra­tion condi­tion­nelle ? Tout le monde. Aucun de ceux qui jouèrent les éton­nés, les effrayés ou les scan­da­li­sés ne peuvent pré­tendre avoir été sur­pris, si ce n’est du fait de leur propre incu­rie, igno­rance ou inat­ten­tion. Qui peut rai­son­na­ble­ment pré­tendre qu’il y a une chance […]

Qui aurait pu son­ger que, un jour, Marc Dutroux serait admis­sible à la libé­ra­tion condi­tion­nelle ? Tout le monde. Aucun de ceux qui jouèrent les éton­nés, les effrayés ou les scan­da­li­sés ne peuvent pré­tendre avoir été sur­pris, si ce n’est du fait de leur propre incu­rie, igno­rance ou inattention.

Qui peut rai­son­na­ble­ment pré­tendre qu’il y a une chance quel­conque pour M. Dutroux d’être libé­ré ? Per­sonne. Les libé­ra­tions condi­tion­nelles sont en baisse constante depuis plu­sieurs années. L’ambiance n’est pas à la remise en liber­té et, quoi qu’on pense de l’indépendance des magis­trats, ils n’en sont pas moins des membres de notre socié­té, influen­cés, comme nous tous, par une atmo­sphère répres­sive. Hausse de la popu­la­tion en déten­tion pré­ven­tive, alour­dis­se­ment des condam­na­tions, uti­li­sa­tion des pré­ten­dues peines alter­na­tives en sus de la pri­son, dimi­nu­tion des libé­ra­tions condi­tion­nelles, la liste des méca­nismes menant à l’alourdissement de la répres­sion est par­ti­cu­liè­re­ment longue. Qui, dans ce contexte, peut réel­le­ment pen­ser qu’un magis­trat pour­rait son­ger à libé­rer le pri­son­nier le plus célèbre de Bel­gique ? Cette fois ou à l’occasion d’une pro­chaine demande, d’ailleurs.

Qu’est-ce donc, en fin de compte, qui cause toute cette agi­ta­tion lorsqu’est émise par Marc Dutroux, une demande atten­due et dont cha­cun sait qu’elle sera reje­tée ? L’inconfort. Qu’il est désa­gréable de devoir repen­ser à tout cela, de se rendre compte que la pri­son ne fait que mettre au fri­go, sans rien résoudre, que les déte­nus ont des droits, quelle que ter­rible que soit leur culpa­bi­li­té, qu’il va fal­loir lais­ser la parole à cette per­sonne, qu’elle va res­sur­gir dans notre vie quo­ti­dienne et nos jour­naux. Nous aime­rions tant oublier. Qu’on nous fiche la paix.

Alors on légi­fère, pour retar­der la pos­si­bi­li­té d’introduire des demandes de libé­ra­tion condi­tion­nelle. Dans l’urgence. Pour tout un éven­tail de jus­ti­ciables, puisqu’on ne peut créer de loi dont le champ d’application se limi­te­rait à une seule per­sonne. L’on va donc main­te­nir en pri­son un ensemble de déte­nus pour ne pas devoir entendre par­ler de l’un d’eux. On va les main­te­nir dans une ins­ti­tu­tion dont tout le monde recon­nait qu’elle est cri­mi­no­gène, chère, inef­fi­cace, inhu­maine, dés­in­sé­rante et psy­cho­lo­gi­que­ment per­tur­bante. Entre autres.

Cette fois, nous aurons une nou­velle loi pour satis­faire notre volon­té d’oublier une affaire si pénible à notre sou­ve­nir et, plus lar­ge­ment, d’enterrer à jamais les délin­quants et leurs faits, d’effacer leurs crimes et leurs vic­times, d’éviter qu’ils ne ques­tionnent notre socié­té ou la nature humaine…

Cette fuite injuste est vaine, ô com­bien, qui nous mène à détri­co­ter un sys­tème qui n’a jamais été réel­le­ment éva­lué, à nuire à des per­sonnes qui n’en avaient pas tant deman­dé, sans autre béné­fice que le triste pri­vi­lège d’un calme rela­tif, pen­dant quelques années. Car tout ceci est bien enten­du inutile puisque, comme cha­cun sait, la ques­tion ressurgira.

Pour­rons-nous alors encore jouer la sur­prise ? Qu’est-ce qui nous en empêcherait ?